Chafeekh Jeerobukhan

A faire et à défaire :
quelques propositions pour une île Maurice viable

 

— Chafeekh Jeerobukhan 

 

Préambule

 

Quelque soit le jugement qu’on puisse porter sur le déroulement de la récente campagne électorale ainsi que sur ses résultats, les défis auxquels le pays doit faire face eux persistent.

 

Notre fragilité interne (le mot d’ordre, déguisé ou pas, de la FCM et le soutien de Mgr Piat au père Jocelyn Grégoire dans la foulée, ont achevé la boucle consistant à nous ramener, mutatis mutandis, à une situation du type 1967) et externe (ouverture de l’économie et dépendance externe croissante dans une situation de crise qui est loin d’être résolue) va exiger des Mauriciens en général et de nos gouvernants en particulier une volonté éclairée et un engagement soutenu si nous voulons continuer à survivre en tant que société civilisée, capable de résorber ses conflits et de donner à sa jeunesse, qui n’en demande pas mieux, des raisons de croire en une île Maurice meilleure.

 

 

Aussi, dans ce qui suit, j’essaye de présenter quelques propositions qu’il conviendrait de défendre dans cette optique. Le temps et l’espace faisant défaut, je me limiterai à quelques questions qui méritent qu’on s’y attarde sous les chapeaux successifs du politique et de l’économique, quitte à revenir sur tout le volet social en une autre occasion.

 

 

 

Politique

 

Approfondissement de la démocratie

 

Dans un contexte de démocratie représentative, le parti joue un rôle charnière entre les électeurs individuels et/ou collectifs et les institutions. Il réalise l’intégration du pouvoir délégué par ces électeurs et se charge de son exercice à la fois au sein du législatif et de l’exécutif. Etant donné que le parti dirigeant (vainqueur aux élections) détient les commandes de l’appareil d’Etat, c’est à l’opposition qu’il incombe de servir de rempart contre des velléités hégémoniques, autocratiques, voire dictatoriales de la part du parti dirigeant. Dans le pire des cas, celle-ci pourra faire appel à la société civile (opposition extraparlementaire) pour faire échec aux dérives mentionnées. Ce qui veut dire que la vigilance citoyenne est appelée à s’exercer tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des partis pour garantir le fonctionnement démocratique de la société.

 

Par contre, les partis comme leurs leaders sont des produits historiques donnés et ceux-ci tirent une bonne partie de leur emprise sur leur parti de ses conditions de création d’une part et de leur charisme de l’autre. De même, le parti tire sa force de son implantation dans telle(s) ou telle(s) classe(s)/couche(s) sociale(s). Une fois installés, partis et leaders tentent de persévérer dans leur être et, à l’occasion, de confisquer le pouvoir qui leur a été confié ou de ne l’exercer qu’en faveur de leur base sociale propre. Dès lors, veiller à ce que les partis, tout comme les institutions, fonctionnent de manière démocratique sur le plan interne devient une tâche-clé pour tous les « stakeholders ».

 

Sans équilibre entre un centre de décision nécessaire au bon fonctionnement du parti d’une part et la place faite à la délibération et au débat interne de l’autre, la démocratie interne au parti est réduite à un simple label, voire à un attrape-nigaud. Un des indicateurs de cet équilibre est la fréquence de renouvellement de ses cadres et la collégialité de ses décisions, l’autre et le plus décisif étant l’exercice du pouvoir pour la promotion de l’intérêt général et non pour la défense d’intérêts particuliers. Et surtout, il ne saurait être question d’un pouvoir qui ne soit détenu et déployé que pour lui-même.

 

Sur cet arrière-fond (séparation relative du parti politique de la société civile), et vu la façon dont s’est déroulée la récente campagne électorale, il serait souhaitable, en ce qui nous concerne, que les modalités de l’élaboration de tout programme gouvernemental, quelque soit le parti concerné, soient repensées. Loin d’être le simple récipiendaire d’un document établi sur commande par quelques techniciens ou spécialistes de l’ombre au nom d’un parti quelconque à un moment stratégique et qui n’est plus alors qu’à prendre ou à laisser, l’électorat devrait pouvoir intervenir dans l’élaboration de ce programme. Il devrait pouvoir obtenir l’ouverture d’un chantier environ six mois avant la fin d’un mandat gouvernemental pour recueillir les idées et les propositions des mandants, les soumettre au crible afin de savoir lesquels retenir, et les formaliser en vue d’une implémentation éventuelle.

 

Bien sûr, un tel schéma suppose que le rapport de clientélisme parti/base sociale soit questionné, voire remis en cause quant à ses retombées négatives pour le bon fonctionnement de la démocratie. Et, même si cette condition massive était remplie, ce schéma peut aussi être bousculé en situation de crise et donc d’élections anticipées. Mais dans ce cas-ci, le mal est moindre car on peut alors procéder à la réécriture du programme pour l’ajuster dans les six mois suivant la consultation électorale en question.

 

Diverses formules de mise en œuvre peuvent être envisagées à cet effet : répartition des tâches par circonscription (un ministère par circonscription, par exemple, avec la possibilité de relayer l’équipe de telle circonscription par des spécialistes venant, au besoin, d’autres circonscriptions). Mais l’impératif reste l’implication de la société civile dans l’élaboration du programme qu’elle aura à porter pendant tout un mandat. Dans le contexte politique mauricien, malmenée qu’elle a été au moment même où elle devrait faire l’apprentissage de l’exercice démocratique (en particulier après l’avènement de l’indépendance en 1968), la société civile doit encore se ressaisir pour sortir de l’impasse où elle s’est engouffrée en vertu des soubresauts successifs et des fragmentations multiples qu’elle a connus ces quarante dernières années et qui, loin de la conduire dans le sens évoqué plus haut, risquent de l’entraîner dans une dérive à la libanaise (communautarisme institutionnalisé, facteur de paralysie, voire d’explosions sociales dévastatrices – cf Georges Corm – Le Liban contemporain – La Découverte, Paris 2005). On doit se garder autant de la mainmise des partis sur la chose politique que des faux-pas qui guettent la société civile réelle de l’île Maurice d’aujourd’hui.

 

Les partis politiques concernés seront-ils disposés à se prêter à un tel exercice ?

 

Unité politique

 

Dès lors, l’impératif de résorption des clivages divers mentionnés plus haut et de reconstitution de solidarités salutaires s’impose tout seul. Pour avancer dans cette voie, il nous faut comprendre que :

 

1) l’unité politique est supra et non anti communale. Nul n’a besoin de renoncer à son héritage culturel et encore moins ethnico-culturel pour participer pleinement à la vie politique. Au contraire, cette pleine participation laisse le champ libre à une pratique de partage et non de conservation jalouse des vécus culturels divers. A ce titre, il me semble que pour faire échec à la recherche de particularismes sectaires qui ont tendance à se renforcer, faussant ainsi le jeu démocratique, une catégorisation des composantes de la population mauricienne en quatre grands groupes : « sino-mauriciens », « afro-mauriciens », « indo-mauriciens » et « euro-mauriciens » devrait suffire à marquer à la fois l’héritage dont nous sommes porteurs (elle laisse ouverte la possibilité d’aborder les traits spécifiques des sous-groupes pour des besoins historiques, culturels, sociologiques, etc., sans entraîner l’enfermement dans des ghettos identitaires) ainsi que le devenir qui est le nôtre (citoyens mauriciens capables de s’affirmer et de se défendre en tant que tels sur la scène nationale et internationale) sur cette terre que nous risquons de perdre si nous n’y faisons pas attention (je reviens sur cette question dans la section « économie » plus bas). On pourrait à la rigueur y ajouter une dernière catégorie, celle des « Mauriciens » tout court pour ceux qui ne se sentiraient pas à l’aise dans les quatre grands groupes déjà indiqués !

 

2) « l’ensemble est plus que la somme de ses parties ». L’unité obtenue par la seule addition des composantes n’en est pas une. L’incantation « unité dans la diversité » reste en deçà des exigences du moment. Il ne suffit pas de rassembler, il faut être capable d’induire le passage à une unité supérieure.

 

Dans cette optique, une des tâches à entreprendre est le démantèlement de ces fameux centres culturels mis sur pied par le gouvernement MSM-MMM ainsi que les « language unions » qui les ont suivis en tant qu’institutions relevant de l’Etat (nul n’a bronché vis-à-vis de la mise sur pied d’un des derniers-nés de ces « language unions », à savoir la « Creole Speaking Union », malgré le fait que l’île Maurice entière est un « creole speaking union » par excellence et qu’une telle démarche équivaut en fait à la création d’un English speaking union par l’Etat anglais en Angleterre ou d’un French speaking union par l’Etat français en France !). Ces types d’organisation ont existé de tout temps à Maurice et se sont maintenus sans que l’Etat s’occupe de leur fonctionnement et sans que l’instrumentation croisée pouvoir d’Etat/pression des « lobbies » ne pèse sur la bonne marche de la société. Que l’Etat laisse faire les volontaires dans ces domaines, quitte à les aider financièrement et pédagogiquement au besoin et on aura fait un grand pas en avant dans la direction de l’assainissement du climat social.

 

Là où l’Etat peut et doit intervenir en matière de langues, c’est :

 

(1) dans la promotion du « Morisyen » en tant que (a) vecteur d’unité nationale, (b) outil de self-empowerment de ceux ne maîtrisant ni l’anglais ni le français (un organisme tel que le MIE pourrait se charger de la standardisation de la langue, (c) substrat d’intégrité de la personnalité mauricienne, et (d) « building block » servant à un apprentissage plus abouti des diverses langues étudiées dans le contexte local (il doit être enseigné en tant que matière non qualifiante à tous les enfants mauriciens au niveau du primaire).

 

(2) dans la sauvegarde de l’anglais qui, (a) disparaissant de la circulation nous prive d’un atout décisif de notre survie à l’échelle internationale (le temps d’antenne de l’anglais, tous les médias confondus, est en dessous de 5% aujourd’hui), et (b) est en passe de devenir un produit de luxe pour enfants d’expatriés et de parents mauriciens aisés. Les petits Mauriciens défavorisés qui y ont eu accès gratuitement jusqu’à maintenant à travers l’école primaire en seront privés pour de bon si on va de l’avant avec l’introduction du « Morisyen » en tant que medium d’enseignement au niveau du primaire (une exception doit être faite, bien sûr, pour son utilisation comme medium dans l’enseignement du « Morisyen » lui-même mais pas plus). L’enseignement de toutes les autres langues, dispensé actuellement dans les établissements scolaires doit être maintenu et un effort particulier est à faire pour introduire l’étude des langues ancestrales des afro-mauriciens (le malgache par exemple), n’en déplaise à P. Eisenlohr ! (cf. « Little India », University of California Press, 2006). Par contre, un effort spécial est requis pour que l’anglais retrouve sa place parmi les langues étudiées/pratiquées à Maurice.

 

Remarque sur le multilinguisme :

 

Le monolinguisme est l’apanage de Etats-Nations européens qui se sont affirmés à partir du 16/17ème siècle et c’est ce modèle qui a été exporté lors de la première mondialisation liée à la colonisation. Par contre, la marque de la mondialisation en cours est le multilinguisme. Nous aurions alors tort d’abandonner un acquis (l’anglais en l’occurrence) dont nous pouvons à coup sûr tirer avantage tant sur le plan académique qu’économique, à l’instar des pays émergents tels ceux du BRIC.

 

Aurons-nous le courage de remettre notre sectarisme en cause et de tirer parti de notre diversité au lieu de nous livrer à des manœuvres fratricides et suicidaires ?

 

 

 

Economie

 

Stratégie économique d’ouverture et suite

 

Ce n’est un secret pour personne que dans la foulée de l’effondrement du bloc soviétique, le libéralisme s’est déployé de manière triomphale au point où un livre sur la République Populaire de Chine a été édité sous le titre « The Transition to Capitalism » ! A la faveur de ce déploiement, les grands organismes internationaux (Banque Mondiale – BM, Fonds Monétaire Internationale – FMI, Organisation Mondiale du Commerce – OMC) ainsi que les grands bailleurs de fonds privés ont appliqué et fait appliquer les trois grands principes suivants dans le cadre de leurs interventions : retrait de l’Etat et compression des dépenses publiques, privatisation de tous les secteurs d’activités, y compris l’éducation et la santé, et concurrence généralisée sous-tendue par l’élimination des barrières tarifaires d’une part et la flexibilité du marché du travail de l’autre et ceci sans se soucier d’une nécessaire modulation selon le contexte d’application.

 

Sur cet arrière-fond, le gouvernement sortant, confronté, à son arrivée au pouvoir en 2005, à la nécessité d’effectuer le saut périlleux sans filet d’ouverture de l’économie (les protections du marché du sucre et du textile devant subir un « phasing-out » imminent), s’est engagé résolument dans une stratégie de développement libéral reposant sur les principes susmentionnés et a procédé à la mise en œuvre d’une diversification de l’économie sous le sceau du Foreign Direct Investment (FDI). En ce qui concerne la production des richesses, il a surtout été question de favoriser le développement de nouveaux « piliers » de l’économie (grand cas a été fait du basculement vers une économie des services avec les BPO et l’activité financière décuplée de l’Offshore, entre autres). Par contre, le recyclage du capital de l’industrie sucrière dans la production de l’énergie et la facilitation du désengagement de la culture de la canne avec la mise sur pied des IRS (Integrated Resorts Scheme) et des RES (Real Estate Scheme), initiés par le précédent gouvernement ont été maintenus (avec un petit couac encore non résolu en ce qui concerne les IPP).

 

Le gouvernement a voulu innover en lançant un programme de « démocratisation de l’économie » (qui est reconduit comme élément important du prochain quinquennat) devant ouvrir l’accès aux ressources à des acteurs qui en avaient été exclus jusqu’ici. Dans le même ordre d’idées, était aussi lancé un « Empowerment Programme », visant à promouvoir l’entreprenariat et la modernisation des SME. Ce second volet « social » du package économique du gouvernement semble avoir donné des résultats surtout en ce qui concerne le petit entreprenariat féminin, par contre la question quant au premier volet, à savoir celui de la « démocratisation de l’économie » reste entière.

 

Autrement, ce n’est que vers le mi-mandat du gouvernement sortant que, les crises de l’alimentaire et de l’énergie aidant, le motif du MID est venu occuper les devants de la scène et a rejoint les axes de développement déjà indiqués. Par la suite, avec la crise économique de 2008/2009, c’est le sauvetage des entreprises fragiles ou fragilisées de l’EPZ qui a polarisé l’attention, surtout à cause du risque de la fermeture en chaîne des entreprises et de son incidence sur l’emploi et le chômage.

 

Quelle évaluation faire du bilan économique du gouvernement sortant et quoi préconiser pour le gouvernement propulsé aux commandes suite aux élections du 5 mai dernier ? Sans entrer dans les détails concernant les innombrables mesures formant partie du « pluri-annual budget » précédant, je me limiterai aux remarques suivantes :

 

FDI, MID, « démocratisation de l’économie » et consorts

 

(1) Le rôle du gouvernement sortant dans l’aboutissement de la stratégie de diversification fondée sur le recours au FDI est difficile à évaluer étant donné que la part massive de cet FDI provient d’une initiative chinoise non prévue au départ dans l’enveloppe visée par le ministère des Finances lui-même. Pour le reste, le gros du FDI se faisant dans le cadre des projets IRS/RES, on ne peut parler d’investissement que de manière abusive : il s’agit en fait de déploiement de type « one-shot », au bénéfice des rentiers, ne générant que peu ou pas d’activités productives et donc pas de création de richesses à court et à moyen terme.

 

Par ailleurs, attirer des investissements étrangers suppose qu’on dispose de la main-d’œuvre requise et des infrastructures adéquates pour que ce type d’investissement puisse s’implanter et trouve à se déployer de manière efficace. A supposer que la deuxième contrainte puisse être résolue à l’intérieur d’horizons temporels maîtrisables, la première reste un « stumbling block », comme les principaux acteurs du domaine le concèdent eux-mêmes !

 

Ce qui a manqué dès le début, c’est un ministère (ou tout au moins un bureau) du Plan pouvant dresser le « Master Plan » exigé par la situation inédite devant laquelle le gouvernement s’est trouvé en 2005. Les principaux secteurs qui ont pâti (et continuent de pâtir) de cette absence de planification et de stratégie à moyen et à long terme sont précisément la formation professionnelle, les infrastructures et l’aménagement du territoire. (On pourrait tout aussi bien parler du port, de l’aéroport et des télécoms ainsi que des SME et de leur rôle dans la mise en place d’une stratégie de sous-traitance internationale pour impulser une nouvelle dynamique à l’activité industrielle par exemple, mais ceci nous entraînerait trop loin).

 

En ce qui concerne la formation professionnelle, le HRDC existe de même que des organismes tels que le MITD et l’UTM à côté de l’UoM. Mais ce qui manque, ce sont des études et des prévisions de besoins en main-d’œuvre, des définitions des profils professionnels associés – une nomenclature des métiers pour l’île Maurice de demain — et des programmes de formation assortis pour répondre à ces besoins et promouvoir le développement d’un professionnalisme qui nous fait cruellement défaut. Pire, de nos jours, c’est au marché qu’est laissé le soin de pallier aux insuffisances de la planification dans ce domaine. On se décharge de la nécessité de planifier quoi que soit, sachant qu’on pourra faire appel à l’étranger pour satisfaire des besoins de main-d’œuvre immédiats, qualifiée ou non. La valse tournante des expatriés en est la preuve.

 

De même, si des « Master Plans » spécifiques, comme pour la ville nouvelle de Highlands par exemple existent, l’équivalent au niveau global pouvant assurer la mise en œuvre d’une politique d’ensemble cohérente de l’aménagement du territoire fait défaut.

 

La preuve qu’un tel dispositif manque, c’est que le ministère des Finances (tout en absorbant en son sein ce qui restait de la planification économique) est venu de l’avant avec un budget pluriannuel par la suite ! Pour moi, il n’y pas de mystère. La modernisation du pays ne peut se faire au petit bonheur, au gré des décisions « piecemeal » de l’Etat ou du privé, mû par ses propres intérêts étroits. Une planification indicative, au moins pour la période de transition, nous permettant de poser les bases de cette île Maurice moderne, est incontournable.

 

Qui proposera un ministère du Plan nous permettant de survivre aux turbulences et aux aléas d’une économie sous l’emprise croissante de la monnaie et des dispositifs financiers incontrôlés, voire incontrôlables ?

 

 

(2) Les ressources en terres (et en eau aussi d’ailleurs) étant limitées, un « monitoring » étroit de ce qui se fait lors de la conversion des terres de l’industrie sucrière et lors de l’octroi des terres de l’Etat aurait dû se faire dans le cadre du « Master Plan » de l’aménagement du territoire évoqué plus haut. Celui-ci étant inexistant, on se demande comment s’effectuent les arbitrages pour décider de la finalité qui doit primer quand on est en présence de demandes concurrentes, voire conflictuelles en ce qui concerne l’utilisation (résidentielle, commerciale, industrielle, infrastructurelle, de loisirs et environnementale) des terres libérées.

 

Ce qu’on peut d’ores et déjà dire, c’est que le développement des IRS/RES (vente d’un « produit » local à un prix international, pour ceux disposant d’un revenu international), hormis la surévaluation qu’il induit aux terres avoisinantes et de proche en proche à la propriété foncière en général dans le pays (processus qui, à terme, va mettre la propriété foncière hors de la portée des Mauriciens), induit aussi une nouvelle division sociale de l’espace où, contrairement à ce qui se passait auparavant, c’est-à-dire que là où on pouvait, dans un même quartier, trouver une maison riche côtoyant une habitation modeste, on aura dorénavant des enclaves de résidences aisées hors d’accès pour le Mauricien lambda. Sans compter qu’on ne voit pas comment on peut encore en appeler au patriotisme des Mauriciens quand on entreprend de vendre les terres les plus prisées au plus offrant en les excluant de ce qui reste accessible du territoire mauricien à ses habitants. On se demande comment la « démocratisation de l’économie » peut s’accommoder d’un tel état de choses et encore moins comment elle peut y remédier !

 

Par ailleurs, dans la mesure où la seule interprétation que l’on puisse donner du dispositif de « démocratisation » en question c’est qu’il est sensé accroître les revenus modestes d’une part et mettre des ressources productrices de richesse à la portée du petit peuple et du petit entrepreneur de l’autre, on voit mal comment l’un ou l’autre de ces objectifs peut se réaliser dans le cadre d’une économie libérale. Dans le premier cas, il n’y a que la hausse des salaires (dans la mesure où la majorité de la population tire ses revenus du salariat) et dans le second, que le recours à l’actionnariat (seul moyen d’accès à la forme achevée de la propriété capitaliste) qui peuvent y contribuer.

 

Quand on connaît le degré de développement et le rôle central du marché boursier dans l’économie des pays développés sans que cela remette en cause ni la concentration des richesses et du pouvoir de décision entre les mains de grands groupes économiques ni les inégalités croissantes dans un cadre néolibéral, on se demande comment le même dispositif pourra bousculer la structure de propriété et le pouvoir de décision qui en découle dans le cadre local. Il y a belle lurette que l’actionnariat est admis comme le mécanisme le plus adéquat du développement du capital (cf « Finance Capital » de R. Hilferding, ancêtre en la matière). Sa mutation en instrument de « démocratisation de l’économie » dans le cadre local relèverait du miracle !

 

Pour que le petit peuple puisse peser un tant soit peu dans la balance économique, il faudrait qu’il puisse investir collectivement dans des secteurs (l’énergie par exemple) et des activités visant à réaliser des objectifs économiques et/ou sociaux prioritaires (la santé par exemple) définis et soutenus par l’Etat. Autrement, en tant qu’actionnaires atomisés, perdus dans les ramifications des fonds et des organismes d’investissement mus uniquement par la logique du gain, ils ne seront pas mieux lotis que ceux à qui n’est destiné que le « trickle-down effect » d’activités qu’ils ne maîtrisent pas.

 

De quels Mauriciens s’agirait-il si on veut encore pouvoir dire « l’île Maurice aux Mauriciens » (sans naturellement se laisser emporter par un élan xénophobe malsain) ? Comment s’assurer que la « démocratisation de l’économie » signifie aussi et surtout davantage de maîtrise des petites gens sur leur destinée et un processus où l’économie soit à leur service et non l’inverse ?

 

 

(3) Compte tenu de la nature stratégique du secteur énergie et du programme MID, on est surpris par l’absence (hormis le recours au chauffe-eau solaire domestique) de toute référence à l’énergie solaire. L’éventail des technologies dont fait état Joël de Rosnay (son fameux mixte) comprend bien l’énergie solaire, mais on voit se dessiner des projets et se déployer des actions dans tous les domaines (charbon, combustion des déchets, bioéthanol, éoliennes) sauf dans celui du solaire industriel !

 

Ceci est d’autant plus surprenant qu’un (sinon le plus important) de nos bailleurs de fonds, à savoir l’Union européenne, est elle-même engagée dans un programme d’approvisionnement en énergie solaire devant entrer en opération vers 2020 à partir du Maghreb. Tandis que chez nous, on ne dispose même pas d’une information à ce sujet malgré tout ce qui se fait dans le domaine au Maroc, en Europe et au Japon — cf. le magazine « Science et Vie », mai 2009 ainsi que les sites web suivants :

 

http://www.youtube.com/watch?v=bxCUYPzHsug&hl=fr

http://www.desertec.org/

 

Quand on connaît l’importance de l’énergie pour cette île Maurice « moderne » en cours de construction et les difficultés qui nous guettent si on n’essaye pas de s’affranchir de notre dépendance du pétrole, l’attitude qui prévaut actuellement relève de l’inconscience et risque de nous coûter très cher le jour où on décidera de mettre la main à la pâte.

 

Faut-il insister que tout gouvernement averti devrait faire du solaire industriel son dossier prioritaire en matière d’énergie renouvelable ?

 

Retombées de la crise

 

 

L’orientation préconisée par les grands organismes économiques internationaux, qui est pour une large part responsable de la crise de 2008/2009 (sans que ses promoteurs le reconnaissent) s’est trouvée en partie remise en cause précisément par cette crise : les organismes en question ont dû se rendre à l’évidence que l’automatisme du marché n’est ni toujours assuré ni ne produit indéfiniment les retombées positives escomptées. Ils ont même dû autoriser des pratiques qu’ils auraient condamnées en d’autres circonstances (on pense aux « Stimulus Packages » et aux diverses mesures d’aides et d’interventions de l’Etat, par exemple).

 

Après la menace d’effondrement réel, l’économie mondiale semble se remettre sur les rails. Par contre, ce dernier soubresaut du néolibéralisme nous rappelle si besoin était que l’intervention de l’Etat en tant qu’agent de la régulation macroéconomique et du redressement d’une distribution inéquitable des richesses produites est incontournable (la croissance économique mondiale des années ’80/’90 ainsi que les corrections qui ont pu être apportées alors aux dysfonctions internes, dans un cadre de dérégulation croissante, avaient fini par faire croire aux tenants de l’économie libérale à la fameuse « résilience » du système !). Dès lors, la mise en œuvre non contextualisée des principes susmentionnés ne peut qu’engendrer des effets pervers pour l’ensemble de l’économie et pénaliser ceux déjà handicapés dans un contexte inégalitaire d’accès aux ressources et aux revenus (cf la dernière livraison du « Household Budget Survey » du CSO).

 

Aujourd’hui, pour les déshérités, l’horizon d’une économie socialiste s’étant estompé, le seul recours par rapport aux forces du marché et du capital, c’est la résistance à travers des réseaux de solidarité et la volonté pour faire reconnaître leur rôle dans la marche de la société et leur contribution à la création des richesses. Ils ne peuvent compter, en premier lieu, que sur eux-mêmes pour défendre la justesse de leurs revendications d’une vie digne pour eux-mêmes et meilleure pour leurs enfants.

 

C’est là que peut se situer, entre autres, la « résilience » tant vantée de l’économie mauricienne. Notre ministre des Finances lui n’en a pas eu besoin car, paradoxalement, la crise est un des facteurs qui l’a sauvé (l’autre étant le projet Tianli/JinFei qui a contribué au-delà des espérances à la réalisation de ses objectifs en matière de FDI) en lui donnant l’occasion d’aller à l’encontre des préceptes de ses mentors de la BM et du FMI !

 

Pourra-t-on compter sur le nouveau gouvernement pour (1) défendre la nécessité de l’intervention de l’Etat dans le contexte qui nous occupe, (2) moduler sa stratégie de développement économique en conséquence, et (3) réaliser le « trade-off » nécessaire entre le recours aux moyens extérieurs et la sauvegarde de ses marges de manœuvre dans l’intérêt de la population locale ? 

 

Pour une île Maurice viable

 

Il a beaucoup été question de « Maurice Ile Durable » depuis environ deux ans. Par contre, ce dont on parle moins c’est de l’absolue nécessité d’une « Maurice Société Viable ». Si rien n’est fait (sur les plans politique, économique et social) pour que cette viabilité soit assurée, les efforts déployés en faveur du MID seront autant de coups d’épée dans l’eau.

 

Ce qui figure ci-dessus est une tentative d’indiquer quelques pistes dans cette direction. De là à ce qu’elles soient prises en compte par ceux que cela intéresse…

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