Hausse des prix: Comment combattre la « greedflation » ?

Analyse

Par Prakash Neerohoo

Les prix des produits de consommation courante affichés dans les supermarchés ces derniers temps provoquent de la stupéfaction chez les consommateurs. Cela indique que l’inflation à Maurice est un problème réel pour eux, surtout pour les personnes des classes prolétaire et moyenne qui doivent tirer le diable par la queue à chaque fin de mois.

Les augmentations de salaires, y compris la récente compensation salariale de Rs 1 500 à Rs 2 000 par mois selon les catégories de salariés, ne semblent pas compenser adéquatement le coût de la vie de plus en plus élevé.

Certes, l’inflation à Maurice a des causes endogènes telles que le déséquilibre entre l’offre et la demande (la demande excédant une offre insuffisante), la hausse des coûts de production, et la dépréciation constante de la roupie par rapport aux devises étrangères (dollar, euro) dans lesquelles sont libellées les importations, entraînant le renchérissement des produits importés. Mais elle a aussi des causes exogènes, telles que la hausse du coût du fret sur les importations et la majoration des prix d’achat sur les marchés fournisseurs du pays (comme dans le cas des carburants importés).

Taux d’inflation

Le calcul du taux d’inflation est intriguant, voire mystérieux, pour les profanes. Reflète-t-il vraiment la corbeille ménagère moyenne avec tous les produits et services essentiels ? Dans les pays avancés, le ciblage de l’inflation (inflation targeting) vise un taux d’inflation de 2% annuellement. Au Canada, par exemple, le taux d’inflation historique a été de 2% pendant les 10 dernières années. Pendant la Covid, le taux d’inflation a grimpé pour atteindre une pointe de 7 % en 2022, mais il est tombé à 2,9 % en janvier 2024, comparé à 5,9% en 2023. La chute graduelle de l’inflation est due à la hausse du taux d’intérêt directeur, qui est passé de 2% à 5% en trois ans, et à la baisse des prix des produits pétroliers.

À Maurice, le taux d’inflation s’élevait à 5,2% en janvier 2024 selon le dernier rapport du FMI, contre 7% en 2023 et 10,8% en 2022. Cependant, dans la réalité, les consommateurs ont le sentiment qu’ils doivent payer davantage chaque jour pour faire leurs emplettes. L’inflation réelle est estimée à 10%. Rien n’illustre mieux cette situation que les prix courants au supermarché et, en particulier, les prix des légumes au marché maraîcher.

Certes, dans la foulée du cyclone Belal avec ses pluies diluviennes affectant les cultures vivrières, il fallait s’attendre à une flambée des prix des légumes au marché, vu que l’offre a diminué par rapport à la demande, laquelle reste statique. En général, les prix des légumes produits localement suivent la loi de l’offre et de la demande. Le tableau 1 indique les prix de certains légumes au marché municipal de Rose-Hill le 23 février 2024.

 

Tableau 1: Prix au marché de Rose-Hill le 23 février 2024
Item Mesure Prix (Rs)
1 Laitue unité 50 – 60
2 Pomme d’amour 1/2 kg 175 – 210
3 Poivron unité 80 – 100
4 Carotte 1/2 kg 75
5 Giraumon 1/2 kg 70
6 Lalo 1/2 kg 150
7 Haricot vert 1/2 kg 100
8 Bringelle 1/2 kg 90
9 Thym botte 35
10 Cotomili botte 35
11 Concombre unité 40 – 50
12 Chou unité 200
13 Petit piment 1/2 kg 200
14 Margoze 1/2 kg 100 – 120
15 Pipengaille 1/2 kg 80
source: Week-End du 25 février2024

 

 

Comparaison des prix

Comment les prix des légumes à Maurice se comparent-ils à ceux dans d’autres pays ? Le Tableau 2 indique les prix moyens en février dans un supermarché à Toronto, au Canada. Février est un mois d’hiver où les prix des légumes sont généralement plus élevés qu’en été lorsque la production est abondante.

Selon le principe de la parité du pouvoir d’achat, nous avons converti le prix en dollars au taux de change de Rs 34 par dollar pour établir l’équivalent du prix canadien en roupies.

En comparant les prix locaux du Tableau 1 aux prix convertis en roupie du Tableau 2, on constate que les prix sont généralement comparables entre Maurice et le Canada, bien que l’équivalent du prix canadien soit inférieur au prix local dans certains cas (carotte, pomme d’amour, pomme de terre, etc.).

Il est important de souligner que le salaire minimum à Toronto est de 15 $ par heure (Rs 510) ou 120 $ par journée de 8 heures (Rs 4 080) ou 2 400 $ par mois sur 20 jours de travail (Rs 81 600). Ainsi, le pouvoir d’achat est plus fort à Toronto qu’à Maurice.

En général, on constate que le prix des légumes importés affichés dans les supermarchés à Maurice sont plus élevés que les prix des légumes locaux. Deux exemples ont été récemment partagés sur les réseaux sociaux avec photos à l’appui :

– le prix d’un pâtisson de 1,2 kilo affiché à Rs 846,47 (soit Rs 669.90 le kilo) et

– le prix du petit piment vert affiché à Rs 1000 le kilo (soit Rs 500 pour ½ kg).

Les prix de vente des légumes importés et des légumes produits localement suscitent les questions suivantes :

(a) Quel est le prix CAF (Coût, Assurance, Fret) payé par l’importateur et le prix d’achat payé au planteur local par le grossiste ou l’encanteur ?
(b) Quels sont les frais généraux (transport local, emballage, congélation, stockage, etc.) ajoutés au prix d’importation par l’importateur ou au prix d’achat par le grossiste ?
(c) Quelle est la marge de profit sur les coûts d’achat pour l’importateur, le distributeur ou le grossiste ?
(d) Quelle est la marge de profit sur le prix en gros pour le détaillant ?

Dans la chaîne de distribution pour les légumes produits localement, l’encanteur joue un rôle crucial. Le National WholesaleMarket (NWM) établi par l’AMB (Agricultural Marketing Board) centralise la vente de légumes des planteurs aux encanteurs/grossistes qui les revendent ensuite aux détaillants à des prix en gros, lesquels sont affichés sur le site web de l’AMB.

L’encanteur semble toucher une commission de 8% du prix payé au planteur (92% lui reviennent). Les détaillants, quant à eux, fixent les prix de vente aux consommateurs en ajoutant leur marge de profit au prix en gros. C’est là que le bât blesse : il n’y a pas de contrôle sur cette marge de profit, et parfois, on observe des prix exagérés sur le marché maraîcher.

Surfacturation

Par ailleurs, l’existence d’un élément de surfacturation dans les prix importés n’est pas à écarter. La marge de profit est ajoutée à un prix d’importation surévalué, comme on l’a vu dans le cas d’un médicament anti-Covid (Molnupiravir) dont le prix à l’importation en 2021 est passé de Rs 9,30 à Rs 79,92 l’unité en une semaine, soit une hausse de 759%. C’est une pratique commerciale courante chez les importateurs dont l’avidité pour le profit est déraisonnable.

Tout indique que le pays fait face au phénomène de « greedflation », cette pratique des sociétés commerciales qui consiste à augmenter les prix pour prendre avantage de l’inflation et accroître leur marge de profit dans une proportion qui n’est pas justifiée par la hausse du coût de production (dans le cas du fabricant) ou du coût de commercialisation (dans le cas du grossiste ou du détaillant).

Étant donné que l’inflation sert de prétexte aux commerçants pour augmenter indûment leurs prix de vente, il est nécessaire d’introduire une taxe sur les bénéfices excessifs des sociétés commerciales (Corporate Profiteering Tax) afin de ponctionner une partie des profits anormaux engrangés par les grossistes ou détaillants de produits de consommation courante. Ces sociétés devraient payer un taux d’imposition additionnel de 10% sur le taux d’imposition statutaire de 15% sur les bénéfices des sociétés. Cette taxe pourrait servir à subventionner les prix des denrées essentielles.

Le ministère des Prix et des Consommateurs devrait examiner les cas de « profiteering » pour voir s’il est nécessaire d’introduire des marges de profit maximales au niveau du grossiste ou du détaillant. La pratique d’une marge de profit maximale (maximum markup) existe pour certains médicaments seulement. Le Bureau de la Concurrence (Competition Office) devrait enquêter sur les cas où un monopole ou un oligopole contrôle le marché d’importation d’un produit essentiel. Laissées à elles-mêmes, ces sociétés commerciales font la pluie et le beau temps en ce qui concerne les prix de vente aux consommateurs.

Corporate Profiteering Tax

En attendant ces enquêtes, lesquelles prendraient du temps, une taxe spéciale sur les profits excessifs est nécessaire. Au moins, elle permettrait de connaître, à partir des déclarations fiscales, les coûts d’importation ou de production, les marges de profit aux niveaux en gros et au détail du commerce, et les prix de vente. La Corporate Profiteering Tax (CPT) est une forme de taxe sur les profits anormaux (windfall tax) qui a été introduite dans certains pays. Par exemple, le Canada a introduit une taxe additionnelle de 15% sur les bénéfices des banques et des compagnies d’assurance durant la période de la pandémie en 2020 et 2021.

La State Trading Corporation (STC) subventionne déjà les prix de vente des denrées essentielles (riz, farine et gaz ménager) à partir des fonds générés par une taxe de Rs 7,20 par litre sur les carburants (diesel et essence). Cela équivaut à prendre de l’argent de la poche droite des consommateurs pour en remettre une partie dans la poche gauche. Une CPT servant à subventionner les prix des produits essentiels équivaudrait à retourner aux consommateurs les prix exagérés payés aux commerçants. L’avidité pour le profit est un transfert de richesse des consommateurs aux commerçants à travers le mécanisme de prix, qui est sans contrôle dans une économie de marché.

Pour pallier le manque de légumes sur le marché, le gouvernement a pris certaines mesures temporaires telles que l’importation de légumes pour un temps limité. L’Office des Marchés (Agricultural Marketing Board) a importé certains produits essentiels (oignon, ail, pomme de terre, carotte, chou vert et haricot) dont les prix à la vente au détail sont fixés grâce à des subventions.

Le ministère des Finances a mis une assistance financière (Rs 10 000 par arpent) à la disposition des planteurs pour leur permettre de remettre en état leurs plantations dévastées par le cyclone. Toutes ces mesures, aussi nécessaires soient-elles à court terme, ne sont pas une solution au problème de l’offre à long terme.

Réforme agraire

Fondamentalement, le pays devrait revoir ses structures de production, de conservation et de commercialisation de produits agricoles, dont les cultures maraîchères, en vue d’atteindre un certain niveau d’auto-suffisance alimentaire. Le pays devrait pouvoir être auto-suffisant en pommes de terre et oignons, par exemple.

Cet objectif est primordial dans le contexte des tensions géopolitiques au Moyen-Orient et en Asie du Nord qui pourraient potentiellement rompre les chaînes d’approvisionnement dans le monde. Durant la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les navires n’accostaient pas régulièrement pour livrer du riz et de la farine, des familles mauriciennes se rabattaient sur le manioc et la patate comme aliments de substitution. Aujourd’hui, ces féculents ne sont pas produits en quantité suffisante.

Dans les années 70-80, on parlait de la nécessité d’une diversification agricole afin de réduire la dépendance du pays de la monoculture de la canne, génératrice d’emplois et de devises étrangères. Dans les années 2000, cette monoculture a pris fin forcément sous l’effet de la chute des prix d’exportation du sucre et de la perte du marché d’exportation garanti de l’Union européenne.

Toutefois,la fin de la monoculture, au lieu de donner lieu à une réforme agraire permettant un meilleur accès à la terre pour les besoins de culture, a été suivie de la conversion de milliers d’hectares de terres agricoles en morcellements fonciers pour la construction de résidences de luxe et de centres commerciaux. Il est paradoxal que le ministère de l’Agro-industrie permette la distribution à bail de terrains de l’État pour l’élevage de cerfs et l’élevage de singes destinés à l’exportation alors qu’il y a un besoin urgent d’accroître la superficie sous culture vivrière.

Prakash Neerohoo

 

  Table 2: Average Retails Prices at No-Frills Store in Feb 2024        
  Item Qty $ price Price/0.5 kg or unit ($) Price/0.5 kg or unit (Rs)
1 Banana kg 1.30 0.65 22.10
2 Bean green kg 8.80 4.40 149.60
3 Bok choy kg 6.59 3.30 112.03
4 Broccoli crown unit 1.29 1.29 43.86
5 Carrots lb 1.00 1.00 34.00
6 Celery stalks pack 3.79 1.90 64.43
7 Cucumber English unit 1.29 1.29 43.86
8 Eggplant kg 5.49 2.75 93.33
9 Garlic 3 ct 0.88 0.88 29.92
10 Kale green unit 2.49 2.49 84.66
11 Lettuce unit 2.99 2.99 101.66
12 Onion 2 lb 2.99 1.50 50.83
13 Pepper hot kg 15.41 7.71 261.97
14 Peppers red kg 11.00 5.50 187.00
15 Potato 10 lb 4.99 0.50 16.97
16 Pumpkin Jamaican kg 4.39 2.20 74.63
17 Squash chayote unit 0.99 0.99 33.66
18 Squash Opo kg 4.39 2.20 74.63
19 Tomato Roma kg 2.84 1.42 48.28
20 Zucchini kg 6.59 3.30 112.03
Note: Prices in rupee are calculated at the exchange rate of Rs 34 per dollar        

Mauritius Times ePaper Friday 1 February 2024

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