« Beaucoup de ministres n’ont pas compris cette volonté du Dr Navin Ramgoolam en faveur de la démocratisation de l’économie » 

Interview: Cader Sayed-Hossen

 

 

 * « Je ne vois ni le gouvernement de l’Alliance de l’Avenir ni aucun gouvernement qui se respecte autoriser les IPPs à développer leurs opérations » 

* « Room 216 Saga : Nous nous attendons tous à ce que la vérité soit établie et que la justice suive son cours »   


Démocratisation de l’économie : termes qui font souvent la une des medias mais que chacun définit à sa manière. L’accès aux 2000 arpents de terres, la production d’électricité, l’industrie du tourisme : Cader Sayed-Hossen, Président de la commission pour la démocratisation de l’économie, fait le point et met l’accent sur les difficultés et les retards dans le bon déroulement des opérations depuis 2005…


 Mauritius Times: Peut-on s’attendre à une nouvelle impulsion au programme de démocratisation de l’économie sous le gouvernement de l’Alliance de l’Avenir d’autant plus qu’il semblerait qu’il y ait concordance de vue entre le PM et l’actuel ministre des Finances ?

Cader Sayed-Hossen: Comme vous le savez, le programme gouvernemental de l’Alliance de l’Avenir accorde une place importante au renforcement du processus de démocratisation de l’économie. Ceci implique deux choses. Premièrement : que l’action politique et économique de l’Alliance de l’Avenir constitue une continuité par rapport à celle de l’Alliance sociale de 2005-10, sous le même Premier ministre, avec la même philosophie et les mêmes finalités sociales et politiques. Deuxièmement : que le processus de démocratisation de l’économie, comme nous l’avons très souvent dit et répété depuis 2003, ne peut pas être conçu ni comme une action politique isolée, un « stand alone project », ni comme un programme à court terme ou même à moyen terme. Il s’agit là de l’enclenchement d’un processus de mutation sociale qui s’échelonne sur une longue période et qui vise non seulement un changement de structures de l’économie, mais aussi un changement de « mindset », comme l’a aussi souvent dit le Premier ministre.

Effectivement, il est prévu que le programme de démocratisation de l’économie s’adresse à de nouvelles priorités durant la période 2010-15. Je vous donne quelques exemples.

Tout reste à faire dans le domaine du tourisme – un secteur qui reste encore largement imperméable à bon nombre de petits opérateurs. A tel point que notre industrie touristique est encore à l’état infantile – les grands opérateurs qui la dominent l’ayant réduite à une industrie tout simplement hôtelière. J’ai le plaisir de vous informer que la commission pour la démocratisation de l’économie travaille sur l’organisation d’un atelier de travail auquel seront conviées toutes les parties prenantes de l’industrie en vue de dégager une stratégie participative qui vise à ouvrir le secteur vers une plus grande intégration horizontale.

Avec les 2000 arpents de terre cédés par l’industrie de la canne au gouvernement, nous prévoyons aussi une action de grande envergure pour faciliter l’accès à la terre pour des besoins agricoles autant que pour le logement.

En outre, je dois ajouter que la situation dans le commerce, plus particulièrement dans la grande distribution, me semble inquiétante – dans le sens où nous allons, me semble-t-il, vers une plus grande concentration dans la grande distribution, ce qui est évidemment nocif pour les consommateurs. Ceci est bien sûr du ressort de la Competition Commission. Mais nous avons l’intention de travailler en étroite collaboration avec la Competition Commission dans ce domaine.

La situation paradoxale où certaines grandes sociétés cotées en bourse, donc opérant avec des fonds appartenant au grand public, mais qui ont conservé de vielles habitudes d’opacité totale dans leurs pratiques d’achat de biens et de services – qui se chiffrent par milliards de roupies – nous interpelle aussi et fera partie de notre programme de travail.

* Il me semble que votre collègue à la Commission pour la Démocratisation de l’Economie aurait déclaré, après les dernières élections, que le nouveau gouvernement aurait l’intention de s’attaquer au secteur du tourisme. Mais on en a parlé, depuis cinq ans déjà, de la nécessité de « unbundle » le « supply chain » dans ce secteur…

Vous avez raison, nous en avons parlé depuis cinq ans et rien n’a été fait dans ce que l’on appelle le secteur du tourisme. En fait, l’idée est de favoriser l’émergence d’un véritable secteur du tourisme, par opposition à la simple industrie hôtelière qui caractérise actuellement – et depuis 40 ans – notre tourisme.

Nous avons annoncé dans le programme gouvernemental de 2010-15 la mise sur pied d’un Hotel Investment Trust qui opérera plus ou moins sur le même modèle que le Cane Democratisation Fund. En ce qui concerne le « unbundling of the supply chain » dans ce secteur, évidemment tout reste à faire et ce secteur constituera une priorité dans le programme de démocratisation de l’économie.

* Il y a aussi le « unfinished business » concernant la production de l’électricité par les « Independent Power Producers » (IPP) , et le Mauricien se pose des questions concernant les 2000 arpents de terre qui devaient revenir à l’Etat. Où en est-on ?

Parlons de « ongoing business » plutôt que de « unfinished business » avec le secteur de la canne à sucre, puisque c’est de cela qu’il s’agit. L’accord signé entre le Premier ministre et la MSPA dans le cadre de la réforme du secteur de la canne à sucre prévoit au chapitre énergie le « review » éventuel des conditions d’achat par le CEB de l’électricité produite par les IPP à la suite des recommandations d’une équipe de consultants choisie de manière consensuelle par l’Etat et la MSPA et, au chapitre terre, la cession à l’Etat de 2000 arpents de terre par les propriétés sucrières, membres de la MSPA.

Voyons l’affaire des IPP. Le gouvernement de l’Alliance sociale a accepté le choix fait par la MSPA de nommer les consultants Hunton and Williams pour faire des recommandations dans cette affaire. Et comme vous le savez, la MSPA refuse maintenant d’accepter ces recommandations qu’elle s’était engagée à respecter à la signature de l’accord avec le gouvernement.

Ecoutez, le Premier ministre est le chef du gouvernement et il décidera de la marche à suivre, mais mon avis personnel est que la MSPA et les IPPs n’ont et n’auront d’autre choix que de respecter les recommandations de Hunton and Williams – et je le répète – qu’ils s’étaient pourtant engagés à respecter au départ.

* Sinon ?

Sinon, je ne vois ni le gouvernement de l’Alliance de l’Avenir ni aucun gouvernement qui se respecte autoriser les IPPs à développer leurs opérations et à augmenter leur capacité de production d’électricité.

* C’est une menace ?

Absolument pas. Ce ne serait qu’une suite logique au non-respect des investisseurs privés par rapport aux engagements pris avec l’Etat et à leur absence totale de considération pour l’intérêt public et national. Ne l’oublions pas : l’énergie et l’électricité ne sont pas que des biens de consommation. Elles sont, au même titre que l’eau, un droit du citoyen.

* Et où en sommes-nous avec les 2000 arpents ?

En très bonne voie. Prendre possession des 2000 arpents n’est pas une procédure toute simple. Premièrement, ce serait irresponsable et criminel de prendre des terres sur lesquelles la canne est en pleine pousse et n’a pas été encore récoltée. Donc, nous attendrons que la canne soit récoltée.

Deuxièmement, la cession de terres se fait après l’arpentage des terres en question, lequel arpentage ne peut se faire encore une fois qu’après la récolte de la canne, une fois le terrain libre de tout encombrement.

Troisièmement, avant de prendre possession d’un terrain, l’Etat doit s’assurer, par l’examen et l’analyse du dit terrain, de son « adequacy » en fonction de l’usage qu’il est prévu d’en faire – la construction de logements sociaux, avec des critères d’acceptabilité bien précis, ou l’agriculture, auquel cas il faudrait que les caractéristiques physiques et chimiques du terrain en question soient propices au type d’activité agricole prévu.

Quatrièmement, il existe les procédures légales nécessaires, le passage par les bureaux de notaire, la vérification par le State Law Office, etc., à respecter.

Cinquièmement, les « missed attempts », c’est-à-dire le temps pris par des procédures déjà entamées et que nous devons stopper pour diverses raisons, dont principalement le « non-adequacy » d’un terrain donné par rapport à l’usage que nous prévoyons d’en faire. Vous voyez, tout cela prend du temps.

Mais, j’ai le plaisir de vous faire savoir que toutes les procédures sont complétées ou en voie d’être complétées pour 257 arpents. En fait, une partie était prête déjà avant les élections générales. Cependant, si nous avions procédé à une distribution de terres, certains de vos confrères nous auraient accusés de pratiquer une politique électoraliste. Mais ce sera pour très bientôt.

* Au-delà d’un quelconque blocage ministériel, tel que soutenu par le Dr Navin Ramgoolam en ce qui concerne le programme de démocratisation de l’économie, qu’est-ce que ces cinq dernières années passées à présider la Commission vous ont enseigné ? Estimez-vous qu’il existe la volonté politique, mais qu’il y a un problème au niveau du support institutionnel, ou que le service civil n’arrive pas à suivre le pas ?

Evidemment, on apprend énormément à tenter de réformer fondamentalement les structures mêmes du modèle économique national. La première et principale leçon que j’ai apprise est que seul le Dr Navin Ramgoolam intériorise et visualise concrètement le concept de démocratisation de l’économie. Ce concept de démocratisation de l’économie a émergé de sa propre vision politique et sociétale et il le vit pleinement dans la mise en marche de sa politique – comme vous avez pu le voir, entre autres, dans la façon dont il a dirigé personnellement les détails de la réforme du secteur de la canne et dans son engagement personnel dans des législations telles que le Business Facilitation Bill, le Competition Bill, le Equal Opportunities Bill, le Truth and Justice Commission Bill.

Le pendant de cette première leçon est que beaucoup de ministres n’ont pas compris cette volonté du Dr Navin Ramgoolam et surtout, ils n’ont pas compris que la démocratisation de l’économie n’est pas une simple mesure politique ou économique, mais doit être un leitmotiv, une détermination permanente et un dénominateur commun et indispensable pour toute mesure politique qui touche à l’économie et au devenir économique du citoyen mauricien – donc à tout.

Je vous le répète : la commission pour la démocratisation de l’économie n’est pas un ministère et n’a pas de pouvoir exécutif. Elle propose des « policy measures » et des aménagements pour réaliser la vision du Premier ministre en matière de démocratisation de l’économie. C’est aux ministres de mettre en chantier les mesures proposées et c’est aussi aux ministres de définir eux-mêmes la politique de leurs ministères respectifs afin que cette politique soit en adéquation avec la vision du Premier ministre. Dans une très large mesure, 2005-10, pour beaucoup de ministres, a été du « business as usual ».

Il serait faux de dire que le service civil n’arrive pas à suivre le pas. Le service civil est composé de citoyens et la grande masse des citoyens a épousé et intégré notre projet de démocratisation de l’économie. Vous savez aussi bien que moi que le support institutionnel dans un pays aussi politisé que Maurice dépend du support ministériel. Si le support ministériel est là, le support institutionnel suit automatiquement.

Mais faut-il encore que les ministres, tous les ministres qui ont autorité sur des secteurs qui touchent à l’économie et au devenir économique, comprennent cette volonté du Premier ministre, mettent en marche et concrétisent sa vision politique. Tel n’a pas été le cas entre 2005 et 2010. En ce qui concerne 2010-15, l’avenir nous le dira.

* Jack Bizlall du Mouvement Premier Mai est très critique concernant le programme de démocratisation « telle qu’elle est conçue par Ramgoolam ». D’après lui, ce programme donnera lieu à d’autres « aberrations » — c-à-d l’émergence d’autres oligarchies, à la place de l’oligarchie sucrière, « qui s’associeront après pour construire une puissance capitaliste encore plus accapareuse et terrifiante ». Il cite des noms, des familles jugées proches du gouvernement travailliste. Votre réaction ?

Je respecte Jack Bizlall. Mais il se trompe de pays et d’analyse. Où a-t-il vu l’émergence d’une « nouvelle oligarchie » ? Jack Bizlall spécule et fait de la politique fiction à partir de l’enrichissement de certaines personnes ou de certaines familles – sans autre forme d’analyse. Il est normal que la croissance économique débouche sur l’enrichissement des entrepreneurs – à condition que cet enrichissement s’accompagne de l’enrichissement relatif de la nation toute entière. Ce qui est le cas à Maurice – en dépit de la présence de poches de pauvreté et d’une pauvreté relative en croissance, elle-même liée à une situation économique globale défavorable. Le Parti travailliste auquel j’appartiens n’a jamais ni été pour ni prôné un égalitarisme par la misère ni une uniformisation par le bas.

* Paul Bérenger également n’y va pas de main morte. Il soutient que le gouvernement s’obstine à faire aboutir les projets de CT Power et Gamma Coventa – « il donne l’impression de vouloir laisser empirer la situation et accroître les risques de black-out » afin de justifier la mise en opération de CT Power, dit-il. Un sous-entendu de collusion plus ou moins clair, n’est-ce pas ?

Paul Bérenger se spécialise dans la détection de ce qu’il dénomme depuis 40 ans « angi sou ross ». Et si moi aussi je n’y allais pas de main morte et je disais que Paul Bérenger s’obstine à faire capoter à tout prix les projets CT Power et Gamma Coventa pour favoriser les IPP actuels ? Et si moi aussi je n’y allais pas de main morte et j’affirmais que la Private Notice Question de Paul Bérenger à l’Assemblée nationale mardi dernier avait pour objectif à peine voilé de démontrer que notre capacité de production d’électricité était largement insuffisante et qu’il fallait donc à tout prix autoriser les IPP actuels, les magnats de l’économie mauricienne, d’augmenter leur capacité de production et de gagner des milliards de roupies supplémentaires aux dépens du consommateur mauricien ? Citez moi une seule raison valable pour laquelle le gouvernement ne ferait pas aboutir ou bloquerait les projets de CT Power et de Gamma Coventa, je veux dire une raison autre que les spéculations infondées sur les risques de pollution liés à ces projets.

Paul Bérenger accuse le Dr Navin Ramgoolam d’antipatriotisme, il affirme qu’ « il donne l’impression de vouloir laisser empirer la situation et accroître les risques de black-out » ? Dites-moi seulement qui a l’habitude de mettre le pays à genoux pour accéder au pouvoir ? C’est Paul Bérenger qui a paralysé le pays avec des grèves sauvages dans les transports publics, dans les champs et les usines, dans les docks en 1971 ; c’est le MMM qui a fait sauter à la dynamite les transformateurs du CEB, ce qui avait causé la crise de confiance liée à l’affaire Sheik Hossen.

* Paul Bérenger s’insurge aussi contre le projet de cimenterie à Port-Louis qui, selon lui, serait le contraire même du concept de « Maurice île Durable ». Maurice a-t-elle grand besoin de cette cimenterie, M Sayed-Hossen ?

Maurice a-t-elle besoin d’une activité économique supplémentaire qui créera des emplois, qui rapportera des revenus à l’exportation et dont les risques à l’environnement sont contenus dans des paramètres acceptables et acceptés ? Bien sûr que oui. Je pose une question. Et si le projet de cimenterie émanait de nos investisseurs capitalistes locaux et traditionnels, quelle aurait été la position de Paul Bérenger sur la question ? Quelle est la position de Paul Bérenger sur les centaines de milliers de tonnes de charbon qui sont brûlées dans les centrales thermiques ? Quelle est la position de Paul Bérenger sur les milliers de tonnes de cendre de charbon qui sont déversés dans nos champs par les centrales thermiques et qui polluent l’environnement ainsi que nos nappes phréatiques ?

* A plusieurs reprises, vous avez mentionné la Competition Commission. Vous attendez-vous à ce que la Competition Commission s’intéresse également au sort que réserve le secteur des services bancaires et financiers à ses clients ?

Certainement, et au plus haut degré. De manière générale, les services bancaires et financiers sont parmi ceux que le public comprend le moins et subit le plus. Quand nous considérons l’écart très important entre le taux d’intérêt que les banques offrent aux épargnants et autres dépositaires d’un côté, et, de l’autre, les taux d’agios que subissent les emprunteurs, grands ou petits entrepreneurs ou simples citoyens ayant besoin de fonds supplémentaires pour une raison ou une autre et qui s’adressent pour ce besoin aux banques et autres institutions financières, quand nous considérons l’importance quantitative du « spread », de l’écart entre les taux auxquels les banques et autres institutions financières achètent des devises et les taux auxquels elles les revendent, quand nous considérons les demandes exorbitantes en termes de garantie des banques et autres institutions financières avant de consentir un prêt, on en conclut que le métier de banquier est probablement le métier le plus facile à Maurice et la banque, l’entreprise la plus profitable et pratiquement sans risque. En plus, l’étrange uniformité des traitements réservés par les différentes banques à leurs clients respectifs donne à penser qu’il y a probablement une concertation entre les banques préalablement à la détermination des coûts des services bancaires et financiers.

* Un sujet qui a dominé l’actualité ces deux dernières semaines : l’affaire de Room 216, presque un saga à l’hôtel Victoria. « Faux prophète » titre un hebdo, alors que le leader de l’Opposition souhaite que « la vérité soit établie… » Que pensez-vous de toute cette affaire ?

Cette affaire est et ne serait pas plus qu’un fait divers, tragi-comique certes, mais pas plus qu’un banal fait divers si un des protagonistes de ladite affaire n’était pas un membre élu de l’Assemblée nationale – quelle que soit sa dénomination idéologique. Pour autant que je sache, cette affaire relève de la police et éventuellement de la justice. Evidemment, nous nous attendons tous à ce que la vérité soit établie et que la justice suive son cours.


* Published in print edition on 30 July 2010

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