9 Year Schooling: ‘La compétition sera bien présente, les enfants des régions rurales seront défavorisés, les leçons particulières ne vont pas diminuer’

Interview : Dharam Gokhool, ancien ministre de l’Education —

‘L’Alliance Lepep avait promis le nettoyage et le développement… la population attend toujours un coup d’éclat’

‘Si le changement ne se manifeste pas comme prévu, le phénomène « virer mam » pourrait gagner du terrain dans l’autre sens…”

L’éducation a toujours été une priorité dans la République de Maurice mais l’inefficacité du système éducatif et les limites des leçons particulières ont souvent été soulignées. Ainsi, cette semaine, un ancien ministre de l’Education, Dharam Gokhool, porte un regard critique sur la réforme du système éducatif. Concrètement, y aura-t-il des changements ? Si oui, lesquels ? Autres questions : la réforme sera-t-elle acceptée par la majorité ou les mécontents seront-ils plus nombreux, affectant ainsi la popularité du Gouvernement ? De quelle manière la ministre va-t-elle faire avancer ce dossier sensible auprès de tous les partenaires du milieu éducatif ?

Mauritius Times : Un ancien ministre de l’Education devrait pouvoir, sur la base de son expérience et de ses propres initiatives ministérielles, et de surcroît éducateur, se prononcer sur la faisabilité ou non d’un projet de réforme dans ce secteur. Objectivement, pensez-vous que Mme Leela Devi Dookun-Luchoomun a de bonnes chances de réussir sa réforme, d’autant plus que le soutien politique lui est acquis ?

Dharam Gokhool : Permettez-moi de citer un extrait du manifeste électoral de l’Alliance Lepep. A la page 23, on peut lire ceci :

« Retournons leur enfance à nos enfants et donnons leur l’éducation qu’ils méritent, telle est la devise pour le secteur de l’éducation. Notre engagement est de favoriser l’épanouissement total de nos enfants. »

Le Gouvernement a un mandat pour reformer le système éducatif et la ministre a la responsabilité d’implémenter cet engagement envers la population.

En analysant le projet de ‘Nine Year Schooling’, je me suis posé la question suivante : Sommes-nous en présence d’un véritable projet de réforme de notre système éducatif pour préparer nos enfants et nos jeunes de la République de Maurice à mieux affronter les nombreux défis d’un monde globalisé ?

Ce projet concerne principalement les niveaux primaire et secondaire et vise à régler le problème d’un taux élevé d’échec au CPE et à permettre à un plus grand nombre d’enfants d’avoir accès au niveau secondaire. Est-ce qu’on a bien analysé l’origine de ce taux d’échec ?

Ne sommes-nous pas en train d’appliquer des solutions de complaisance sans aller à la source du problème ?

Sait-on qu’un enfant qui n’est pas exposé à l’environnement du préscolaire risque d’accumuler des retards d’adaptation et d’apprentissage dans son parcours scolaire au niveau primaire ?

Des études scientifiques prouvent que c’est effectivement le cas. C’est la raison pour laquelle la Early Childhood Care and Education Authority Act (2008) avait été votée – une loi cadre pour moderniser le secteur préscolaire. C’est aussi dans cette optique que le projet Bridging the Gap avait été lancé en 2006.

Toutes les organisations internationales pour la promotion de l’éducation — l’UNESCO, l’ADEA, l’UNICEF, l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques -, la Banque mondiale, le Bureau international du Travail — s’accordent à dire qu’il ne faut pas négliger le secteur préscolaire.

Ce projet de Nine Year Schooling n’adopte pas une approche holistique du système éducatif. L’Early Childhood Care and Education, qui constitue la fondation même de tout système éducatif, en est exclue. Ou devrait commencer l’éducation de l’enfant mauricien ? D’autre part, n’y a-t-il pas lieu de mieux planifier et d’agencer la transition du secondaire au tertiaire ?

En ce qu’il s’agit de la réussite ou non du projet de Madame la ministre, ce n’est pas gagné d’avance car il y de nombreux aspects pédagogiques, pratiques et financiers à finaliser.

Il n’y a pas lieu de se précipiter. L’adage dit : Mieux préparer pour bien gérer et bien gérer pour mieux éduquer. D’ailleurs, on n’est pas encore en présence des propositions formelles de Managers des collèges privés ou du BEC.

* Justement, la réussite d’un projet de réforme du système éducatif dans le contexte mauricien dépend souvent – et cela dans une grande mesure – de la prédisposition des autres partenaires de l’Education, dont le Bureau de l’Education Catholique (BEC) et les collèges privés non-confessionnels, de soutenir le projet gouvernemental. Il semblerait qu’il faut attendre un peu plus pour savoir ce que ces derniers vont faire au bout du compte. Mais estimez-vous qu’il y a de bonnes raisons pour qu’ils soutiennent et soient partie prenante de l’implémentation de la ‘Nine-Year Schooling’ ?

En principe, tout projet de réforme du système éducatif devrait être sujet à des consultations avec tous les partenaires de l’éducation, incluant les PTAs et la société civile. D’une façon générale, il y a eu beaucoup d’opinions favorables qui ont été exprimées quand le projet de Nine Year Schooling a été présenté par la ministre Dookun-Luchoomun.

Cependant, lors de la présentation du projet, et même après, plusieurs interrogations ont aussi été soulevées mais sont restées sans réponses claires et précises.

Je suis certain que le BEC et les collèges privés non-confessionnels réclameront beaucoup d’éclaircissements et des précisions avant de s’engager totalement. Ce serait prématuré de ma part de me prononcer sur le stand qu’ils adopteront finalement.

Mais c’est bon de se rappeler que tout en étant favorable au projet du ministre Obeegadoo d’éliminer le ‘Rat Race’ au CPE, le BEC n’avait pas soutenu le projet des collèges F1-V et FV1.

* Et, que se passera-t-il si le BEC et les collèges privés non-confessionnels choisissent effectivement de poursuivre une voie différente de celle prônée par le Gouvernement, cela afin de maintenir, par exemple, leurs structures actuelles de scolarisation avec des collèges Form I – VI ? Le secteur public dispose-t-il de la capacité d’implémenter la Nine-Year Schooling tout seul ?

Si un tel scénario se présente, le doute va s’installer dans le public et le bien-fondé même du projet sera remis en question. A mon avis, la participation du BEC et des collèges privés non-confessionnels est essentielle pour l’implémentation du projet.

Il faut préciser que les modalités d’admission du Grade 6 du primaire au Grade 7 du secondaire à travers des critères de Grading et de proximité géographique pourraient également poser des problèmes et créer des situations litigieuses.

* D’un point de vue général, quelle lecture faites-vous, en tant qu’éducateur, du projet de Nine Year Schooling de la ministre Dookun-Luchoomun, de ses ambitions, ses plus points and misses ? Avez-vous le sentiment que ce projet éducatif contient les principes et les éléments déclencheurs d’un paradigm shift dans ce secteur ?

La Nine Year Schooling n’est pas, à mon avis, un projet de réforme du système éducatif dans son ensemble. Donc, on ne peut parler d’un quelconque paradigm shift. Les principaux objectifs sont :

–       diminuer la compétition et le stress générés par la sélection au niveau du CPE,

–       augmenter l’accès du primaire au secondaire,

–       réduire le fardeau des leçons particulières.

Est-ce que ces objectifs seront atteints ? Qu’adviendra-t-il de la qualité de l’éducation ? On n’est pas encore en présence des changements qui vont intervenir au niveau du curriculum, des Teaching and Learning Methodologies, du système d’Assessment et les modalités pour l’accès du Grade 6 au Grade 7 et du Grade 9 au Grade 10.

N’oublions pas que la compétition sera bel et bien présente au niveau du Grade 6 et Grade 9, et puisqu’il y aura sélection, les leçons particulières seront inévitables.

* Si le remplacement du CPE, tant décrié depuis des lustres par le Primary School Achievement Certificate ne va pas éliminer ou même mitiger l’impact de l’élitisme, donc de la rat race vers les Star Schools/Académies ou les leçons particulières, qu’est-ce qui va donc changer ?

La CPE, tout comme le PSAC, ont deux fonctions : certification et sélection. La sélection engendre la compétition. Ce sera identique pour passer du Grade 9 au Grade 10. La compétition, donc, sera bien présente à ces deux étapes.

Un autre problème va surgir avec le critère de proximité pour accéder au Grade 7 : les enfants des régions rurales seront défavorisés et cela ne va pas dans le sens de l’équité.

Avec la compétition, les leçons particulières ne vont pas diminuer. Le risque que les leçons particulières vont envahir la vie des jeunes est bien réel.

L’autre risque, tout comme c’était le cas avec le projet Obeegadoo, est que avec une fourchette de 25 points (Grade A : 75-100 points), l’élève va relâcher ses efforts et cela aura une incidence directe au niveau de la qualité de la performance.

Déjà, au niveau du CPE, au lieu d’un ‘Normal Bell shaped distribution curve’, on a un ‘U shaped distribution curve’, ce qui indique que même si les élèves réussissent, la qualité n’est pas au rendez-vous.

Est-ce qu’on assistera au retour du nivellement par le bas ?

* Pour revenir à la nature élitiste de notre système d’éducation, certains sont d’avis que l’approche élitiste ne sert même pas les intérêts et les ambitions de Maurice 2015 et encore moins ceux du pays à l’horizon 2030, cela en raison de la performance relativement médiocre au niveau secondaire. P Soobarah a fait état de cela dans un récent article dans le MT : ‘Far too few are oriented towards Computer Studies, far too few achieve good grades in Maths or in the science subjects. The secondary education system is not producing qualified youths in sufficient numbers to meet our needs…’ – et pour réussir le “second miracle économique”. Qu’en pensez-vous?

Monsieur Soobarah a parfaitement raison dans son analyse. Le système éducatif doit évoluer avec les exigences du nouvel ordre économique mondial. Cela doit être reflété dans l’élaboration des programmes d’études. En 2005, nous avions fait ce constat et on avait commencé à prendre des initiatives pour remédier à cet état de choses.

Ma première initiative en tant que ministre avait été le lancement, en novembre 2005, du débat national sur la réforme du curriculum pour les niveaux pré-primaire, primaire et secondaire. Un document Towards a Quality Curriculum-Strategy for Reform avait été publié. Je vous cite un extrait du document :

« In order to help students develop a broad educational outlook, it is proposed that apart from Maths, English and French, General Science become compulsory for those students who are not opting for any pure science. Conversely, those who are opting for pure science (Chemistry, Physics, Biology) will have to take either one literature or one social science ».

Suivant cette recommandation, on a introduit une matière scientifique obligatoire pour tous les étudiants jusqu’en Form V. Auparavant, les élèves du niveau secondaire abandonnaient les sciences en Form III.

D’autres initiatives avaient aussi été enclenchées. Par exemple, le School IT Project (SITP) faisait provision d’un IT Lab dans toutes les écoles primaires. Tous les SSS et les MGSS étaient dotés d’au moins 20 PC et deux imprimantes ; le Physics ICT Data Logging Project en intégrant l’ICT avait été lancé dans 12 collèges, incluant Rodrigues ; le iNET project pour encourager les écoles primaires et secondaires à travailler en réseaux. C’étaient des initiatives dans la bonne direction. Je ne sais pas ce qui s’est passé après mon départ en 2008 du ministère de l’Education

Mais il faut s’attaquer au problème en amont, c’est-à-dire à partir de la Early Childhood Education — le stade où se développe le cerveau de l’enfant à 90%.

Ce qui m’attriste le plus, c’est cette exclusion pratiquée vis-à-vis de nos enfants qui sont notre avenir. Je souhaite vivement que Mme la ministre revoie sa copie et intègre ce secteur névralgique dans son projet.

Le travail de base a déjà été fait et je salue les efforts de tous ceux qui ont contribué à l’élaboration du Pre-Primary, Primary et Secondary et TVET Curriculum.

La véritable réforme du système éducatif aura dû démarrer avec une réforme en profondeur du curriculum intégrant le pré-primaire, le primaire, le secondaire, la Technical and Vocational Education and Training (TVET) et le tertiaire.

Au ministère, il existe un autre document – Education and Human Resources Strategy Plan 2008-2020, qui trace les grands axes pour l’ensemble du système éducatif.

Etant éducatrice de profession, la ministre aurait dû valoriser ce travail exécuté par les officiers du ministère et non pas se contenter d’un raccourci. La pédagogie n’aurait pas dû céder la place à la politique partisane.

* Et le “second miracle économique”, vous en faites quoi, M. Gokhool? Ambitieux, mais réalisable ? Ou “surréaliste”, comme l’affirme Rama Sithanen?

C’est l’ambition du Gouvernement de réaliser un « second miracle économique », mais il ne faut pas oublier que les conditions aujourd’hui ne sont pas les mêmes. Les grandes puissances économiques peinent à réaliser un taux de croissance élevé, tandis que d’autres révisent à la baisse leurs prédictions.

Ambitieux pour l’avenir, oui. L’économie a toujours bougé vers ce qu’on peut appeler une Multi-Pillar Economy, et plus de « value adding activities ». Mais il faut être réaliste quant au présent. La précarité de l’emploi, un taux de chômage élevé parmi les jeunes et les femmes, l’endettement des ménages, et la pauvreté sont autant de priorités qu’on ne devrait pas négliger.

There must be a balance between long-term considerations and short-term priorities.

* Une ‘Economic Mission Statement’ pour faire suite au Discours Programme en janvier 2015 et celui du Budget en mars dernier : c’est la dernière carte qu’a joué le Premier ministre en vue de ‘kickstart’ le développement économique. C’est ce que disent les gens de l’opposition. Ont-ils raison ?

L’Alliance Lepep avait promis le nettoyage et le développement. En ce qui concerne le nettoyage, la population attend toujours un coup d’éclat. Il n’y a pas eu de deliverables impressionnants jusqu’à présent. Je note une certaine impatience de la population sur ce chapitre.

Quant au développement économique, l’attente est grande. Le Premier ministre a dû se rendre compte du changing mood de la population pour venir avec son ‘Economic Mission Statement’.

L’Opposition surveille de près cette situation et je ne serais pas surpris si elle commence à s’attaquer à la performance du gouvernement.

* Le leader du PTr semble être du même avis que ses amis dans l’opposition en ce qui concerne cette dernière carte de SAJ. Il se pourrait qu’il estime que ce “second miracle économique” est franchement irréalisable et que le temps lui est maintenant propice pour effectuer un retour sur la scène politique, d’où sa présence à Sebastopol durant le week-end. Comment réagissez-vous à cela ?

Les commentaires du leader du PTr sur la « Economic Mission Statement » indiquent clairement qu’il ne croit pas au « second miracle économique ». Je suis certain que, sur ce dossier, il bénéficie des analyses de ses conseillers en économie.

D’autre part, avec la condamnation du Leader du MSM dans l’affaire MedPoint, la situation politique n’est pas favorable au Gouvernement.

Il y a aussi les sorties de Rama Valayden pour le compte du PTr.

Si dans les jours à venir, le leader du PTr entame d’autres sorties du genre Sebastopol, ce sera une indication claire qu’il va sortir tôt ou tard de son hibernation politique.

* Dernière carte ou non, ‘a lot of water will flow under the bridge’ dans les mois à venir. Cela dans un contexte politico-économique truffé de multiples incertitudes et de ‘unknowns’ avec le prix fort à payer pour l’affaire BAI et ses conséquences sur la Trésorerie publique, le jugement dans l’affaire MedPoint et ses conséquences sur l’Alliance Lepep, les tracasseries de Navin Ramgoolam avec les enquêtes policières… On abordera la campagne électorale plus tôt que prévu, semble-t-il ?

La population a voté pour le changement afin qu’il y ait une amélioration palpable dans sa situation économique et sociale et aussi dans l’administration des affaires de l’Etat. Ce qui compte, ce sont des résultats concrets.

Si les projets tardent à se matérialiser, il y aura un effritement dans le soutien qu’accorde la population au Gouvernement. Si le changement ne se manifeste pas comme prévu, le phénomène « virer mam » pourrait gagner du terrain dans l’autre sens.

 

  • Published in print edition on 11 September 2015

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