Affaire Medpoint: “Pour avoir été le ‘chairperson’ du ‘Parliamentary Committee’ de l’ICAC, je sais que cet organisme fonctionne avec sérieux et de manière professionnelle » 

Interview : Me Yatin Varma, Attorney General

   « Toute cette propagande visant à faire croire que l’on cherche à diminuer les pouvoirs des juges relève du ‘bluff’, d’un ‘ego trip’ de certains ayant des ‘vested interests’ » 


Tables d’écoute :
« Ça n’existe que dans l’imaginaire de certains »


Vivons-nous dans un Etat policier comme l’affirment certains politiciens ? Nos conversations téléphoniques sont-elles écoutées ? Dans quelle mesure l’ICAC travaille-t-elle de manière indépendante dans l’affaire Medpoint ? Où en sont les débats et les consultations à propos de la réforme du judiciaire, notamment du Constitution (Amendment) Bill ? L’Attorney General, Yatin Varma répond à nos questions.


Mauritius Times : Quelle opinion faites-vous des arguments de Me Gayan dans une interview accordée à week-end ? Il parle d’un « climat malsain, de frayeur qui s’est installé dans le pays » et instauré de manière « subtil… efficace » sans doute par l’Etat…

Me Yatin Varma : Me Gayan fait fausse route. Je ne comprends pas où il va chercher cela. Il y a une certaine continuité dans l’action gouvernementale sous le leadership du Dr Navin Ramgoolam, cela depuis 1995 à ce jour, en vue de rehausser le niveau de vie des citoyens, et de sortir le plus grand nombre du ‘poverty trap’. Cette action connaît un certain succès, nous connaissons à Maurice, à l’opposé de beaucoup d’autres pays, un climat social harmonieux et paisible. Il ne faut donc pas chercher à semer la zizanie, chercher à provoquer ou même aspirer à voir des soulèvements à Maurice comme c’est le cas ailleurs présentement. Je pense qu’il faut aussi faire confiance à nos institutions ; elles sont en train de remplir leur rôle convenablement, il faut surtout les soutenir et les encourager dans l’accomplissement de leurs tâches.  

* Me Gayan va plus loin : il soutient qu’il est convaincu que certaines conversations téléphoniques sont écoutées. En d’autres mots, cela veut dire l’existence de tables d’écoute, pratique mise en place par les services de l’Etat. Vous savez que beaucoup de Mauriciens partagent ce sentiment…

Attention, il ne faut pas faire fausse route. Anil Gayan a été ministre en plusieurs occasions, et s’il détient des informations privilégiées et sûres quant à de telles pratiques qu’il juge inacceptable dans une démocratie depuis cette époque-là, il aurait dû dès lors en parler et les dénoncer publiquement. Je considère tout à fait inacceptable et irresponsable toute tentative de qui que ce soit visant à faire croire aux Mauriciens que Maurice serait devenu un Etat policier. Tel n’est pas le cas, et la très grande majorité des Mauriciens partagent le même sentiment que moi puisqu’ils le vivent au quotidien…  

* Vous pouvez donc confirmer que tel n’est pas le cas ?

Tout à fait ; ça n’existe que dans l’imaginaire de certains. Mais si Me Gayan persiste à croire dans l’existence d’une telle pratique, il n’y a rien qui l’empêche de faire une déclaration à la police. Je le répète : c’est dangereux et inacceptable de lancer des accusations de manière irresponsable ou d’essayer de rendre soupçonneux la population

* Lorsqu’il parle de conversations téléphoniques qui seraient écoutées, vous conviendrez qu’il ne s’agit pas du passé, mais du présent – c’est-à-dire ceci se passerait sous le présent régime ?

J’ai été backbencher durant le deuxième mandat du Dr Navin Ramgoolam et aussi Président du Comité parlementaire de l’ICAC ; je suis Attorney General depuis 2010… je récuse de façon catégorique de telles affirmations.

* Autre sujet qui domine l’actualité : l’affaire Medpoint. L’enquête a franchi une nouvelle étape avec l’arrestation du Chief Government Valuer Yodhun Bissessur et le Principal Government Valuer Aneerood Jeehodhun. D’un point de vue strictement légal, quelle opinion faites-vous de la tournure des événements et de la stratégie de l’ICAC par rapport à cette affaire ?

Une enquête a été initiée par l’ICAC à partir du moment que des allégations ont été faites. L’enquête est en cours ; ce qui est arrivé fait partie de cette enquête. La presse nous informe que d’autres interrogations sont prévues dans le futur. Laissons le soin à l’ICAC de terminer son enquête, et on verra…

Quant à la stratégie de l’ICAC, toute enquête est conduite sur la base d’une stratégie quelconque. Je ne peux pas me prononcer sur celle adoptée par l’ICAC pour la bonne et simple raison que je n’y connais rien. N’oubliez pas que c’est une institution indépendante qui agit selon des attributions prescrites dans la loi. Par conséquent, je ne peux pas savoir comment l’ICAC compte s’y prendre par rapport à cette affaire.

* Vous êtes au courant que les syndicalistes sont déjà montés au créneau pour décrier l’arrestation de ces deux fonctionnaires. Ils ne peuvent pas concevoir que MM Bissessur et Jeebodhun aient obtenu quelque « personal gratification » dans cette affaire, donc ils ne comprennent pas la raison de ces arrestations. Votre opinion ?

Il est trop tôt de faire quelque commentaire. Il y a une enquête qui est en cours, il faut que l’enquête soit bouclée pour se prononcer… car on n’en connaît pas les tenants et aboutissants…

* Des noms ont été cités par rapport aux directives données pour effectuer une deuxième évaluation de la clinique Medpoint. On a l’impression que ces arrestations ont été faites afin de forcer ces deux fonctionnaires à cracher le gros morceau. Qu’en pensez-vous ?

Je ne pourrais me prononcer davantage sur cette question. Au risque de me répéter, je vous dirai qu’il y a une enquête en cours, il faut donc attendre la conclusion de cette enquête pour être en mesure de se prononcer.

* Certains de vos amis du Parti ont dit leur « embarras » par rapport à l’affaire Medpoint. Est-ce un sujet d’embarras pour vous également ? Et, anticipez-vous des répercussions politiques graves au cas où ces deux fonctionnaires dévoileraient toute la vérité ?

Comme le Premier ministre l’a bien fait ressortir, on se doit d’attendre que l’enquête soit bouclée avant de faire des commentaires. Je vais m’en tenir à cette position. Quant aux répercussions politiques, je ne souhaite pas me lancer dans des spéculations… Voyez-vous, il faut garder en tête que cette enquête a été initiée par l’ICAC de son propre chef ; certaines personnes ont été interrogées, la presse nous apprend que d’autres personnes feront l’objet d’interrogatoires de l’CAC dans les jours à venir. L’enquête avance, il se pourrait qu’il y ait des inculpations, et l’affaire sera sans doute entendue par les instances de justice… il y a donc tout un processus mis en branle. Donc, on ne peut rien dire à ce stade ; il y a des institutions qui fonctionnent en toute indépendance à Maurice, et il nous faut leur accorder notre confiance. Pour avoir été le ‘chairperson’ du ‘Parliamentary Committee’ de l’ICAC, je sais que cet organisme fonctionne avec sérieux et de manière professionnelle — , et je pense que l’enquête est en bonne voie.

* Autre sujet qui fait débat : le Constitution (Amendment) Bill. C’est surprenant que la résistance s’organise maintenant alors que le ‘draft’ de ce Bill avait été circulé depuis l’année dernière. C’est la peur de l’Establishment, de la hiérarchie, comme l’avance Me Anil Gayan qui fait tiquer même les gens de la profession libérale ?

C’est conformément aux recommandations de la Commission présidentielle présidée par Lord Mackay of Clashfern sur la réforme du système judiciaire que provision sera faite pour que la Cour suprême soit constituée d’une Cour d’appel séparée et d’une Haute Cour qui comprendra une Division civile, une Division commerciale, une Division criminelle et une Division familiale et pour permettre à une personne insatisfaite d’une décision de la Cour d’appel à s’adresser au Judicial Committee du Privy Council. Cela, en vue de corriger une anomalie dans notre système : ce sont les même juges de la Cour suprême qui siègent en appel, d’où cette perception de promiscuité entre les juges d’une même Cour qui écoutent les affaires en première instance et dont les jugements sont écoutées en appel par leurs collègues. Ce problème de promiscuité avait été soulevé par Lord Mackay d’où la proposition visant à créer une Cour d’appel et une High Court, mais tous deux faisant partie de la Cour suprême.

Ainsi les jugements de la High Court, des District Courts, de la Cour intermédiaire, etc., seront écoutés par des juges d’une Cour spécialisée, c’est-à-dire la Cour d’appel. Je dois ajouter que le Constitution (Amendment) Bill et le Judicial and Legal Provisions Bill (qui vise à modifier la composition de la Judicial and Legal Service Commission, pour inclure le DPP, le Solicitor General, un membre du barreau et un membre du public – c’est-à-dire ‘the persons who are applying the law, the legal man who is using the law and a member of the public who is the recipient of the law’) ont été circulés pour consultation publique vu l’importance et la sensibilité des amendements proposés. Cela a été fait avec le consentement du Conseil des ministres.

Ainsi, on a recherché le point de vue du judiciaire, du Bar Council, de la Law Society, de la Chambre des notaires, la Law Reform Commission, le Bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), les membres du public, etc. On a reçu des représentations de la part de tous ceux qui ont un intérêt dans cette question, et leurs points de vue ont été pris en considération. Je vous signale également que le Bar Council a tenu une assemblée générale (où la Chambre des notaires et la Law Society étaient présents) l’année dernière sur toute la question, et ils étaient tous unanimes à soutenir les amendements proposés. Il n’y a jamais eu quelque voix discordante durant toute la période de consultation, et qui plus est, le Chef Juge m’a communiqué officiellement son accord avec les amendements proposés. Alors que le chef du judiciaire vient nous apporter son accord, je ne peux comprendre cette résistance venant de quelques personnes à ce stade.

* Voulez-vous dire que sans l’accord du Chef Juge, le gouvernement aurait fait marche arrière ?

Non, la question ne se pose pas, mais c’est toujours souhaitable de recueillir le soutien de tous les ‘stakeholders’, mais surtout ceux du judiciaire puisque cette réforme concerne en premier lieu le judiciaire lui-même. En ce qui concerne cette ‘belated’ résistance, certaines personnes soutiennent qu’il y a des ‘vested interests’ en jeu. J’imagine qu’il peut aussi avoir conflit d’intérêts, puisqu’il y a certains juges qui se retrouveront au sein de la Cour d’appel alors que d’autres dans la High Court.

* Vous dites que tous les ‘stakeholders’ ont été consultés, entendez-vous par là que tous les juges l’ont été ?

Ecoutez, en tant que Attorney General, j’ai consulté le chef du judiciaire, c’est-à-dire le Chef Juge, qui nous a fait part, vendredi dernier, de son accord avec les amendements proposés. C’est ainsi que nos consultations avec toutes les institutions concernées ont lieu à travers leurs responsables.

* Je vous signale que le Juge Balancy avait, dans une interview de presse, en juin dernier, dit son désaccord avec la décision prise d’étendre l’âge de la retraite de 62 à 67 ans. Selon le ‘draft’ circulé en décembre dernier au sein du Bar Council, on compte maintenant l’étendre à 71 ans, mesure qui va sans doute frustrer tout juge aspirant à une nomination légitime éventuelle au poste de Chef Juge ou de Senior Puisne Judge. Vos commentaires ?

Il y a eu des réserves exprimées sur cette question lors des consultations, et je ne crois pas que l’on ira de l’avant avec l’extension de l’âge de retraite à 71 ans. On va le maintenir à 67 ans.

* Des réserves ont aussi été exprimées quant à la composition de la Cour d’appel et de la High Court, dans le sens que cela va créer une situation où l’on va se retrouver avec deux catégories de juges, une sorte de hiérarchie parmi les juges… alors que la Section 7(1) de la Courts Act prévoit que « all judges shall have equal power, authority and jurisdiction » ?

Il n’y aura qu’une seule catégorie de juges – les juges de la Cour suprême. Toutefois, la Cour suprême sera divisée en deux instances : une Cour d’appel et une High Court. Une telle division existe déjà avec les Family, Criminal, Commercial… divisions. Je souhaiterais ajouter qu’au-delà des ‘stakeholders’ directement concernés par notre projet de loi, j’ai aussi eu des consultations avec le Leader de l’opposition et l’honorable Alan Ganoo, qui ont exprimé leurs accords de principe sur les amendements proposés. On peut ainsi dire que nous avons pu avoir tous les ‘stakeholders onboard’ à l’exception de quelques-uns ayant des ‘vested interests’. Ce qui compte pour le gouvernement, c’est d’abord et avant tout l’intérêt du pays, pas celui de l’individu. On n’a aucun problème avec les critiques, mais qu’elles ne soient pas de mauvaise foi ou motivées par des ‘vested interests’ ou des questions relevant de l’ego de certains.

* Valeur du jour, les jugements de la Industrial Court, de la Cour intermédiaire ou des District Courts, etc., sont écoutés en appel par la Cour suprême. Avec le projet d’amendement, ces jugements et ceux de la High Court ne seront dorénavant entendus que par la Cour d’appel. On soutient qu’avec cette nouvelle disposition, la High Court deviendra une ‘Glorified Intermediate Court’. Que répondriez-vous à cela ?

La Cour d’appel sera appelée à écouter uniquement les pourvois en appel, ce sera une cour d’appel spécialisée. Il n’y a pas lieu de passer par la High Court pour se faire écouter par la Cour d’appel, car cela équivaudrait à créer deux ‘layers’ — ‘this will defeat the whole purpose of the exercise’. Je le répète : nous aurons une seule Cour suprême, mais divisée en deux instances. Je peux comprendre que certaines personnes soient offusquées par ce projet d’amendement – c’est une question d’ego – du fait que certains juges écouteront les cas en appel, d’autres ne le feront pas…

* Ce qui va à l’encontre de la Section 7(1) de la Courts Act qui prévoit que « all judges shall have equal power, authority and jurisdiction », n’est-ce pas ?

‘The right to hear appeals or to hear cases does not rest with the judges ; it rests with the Chief Justice.’ Il faut tenir cela en ligne de compte. Toute cette propagande visant à faire croire que l’on cherche à diminuer les pouvoirs des juges relève du ‘bluff’, d’un ‘ego trip’ de certains ayant des ‘vested interests’. Croyez-moi, nous avons travaillé ces amendements, y compris leurs aspects constitutionnels, avec toute l’attention nécessaire. Si le chef du judiciaire lui-même a donné son accord sur les amendements proposés, ce n’est pas quelques voix discordantes venant de la rue qui parviendront à stopper une réforme qui est dans l’intérêt public.

* Ne serait-il pas souhaitable qu’une Cour d’appel soit constituée par des juges à la retraite ?

Non, je ne suis pas de cet avis.

* Pourquoi ? Il me semble qu’en Angleterre, même les membres du barreau, comme Cherie Blair, ont la possibilité d’être nommés en tant que ‘High Court Judges’…

Nos juges ont acquis beaucoup d’expérience, ce sont des personnes très compétentes qui accomplissent leur métier de manière très correcte. Il est évident que les juges de la High Court prendront la place de ceux de la Cour d’appel suivant le retrait de ces derniers du judiciaire.

* Ce qui amène une certaine hiérarchie dans le système ?

Il existe une certaine hiérarchie dans tout système. « But they will all be Supreme Court Judges. Some will sit on the Court of Appeal, others on the High Court, and both Courts will form part of the Supreme Court of Mauritius.’

En ce qui concerne le cas britannique, je vous signale que les membres du barreau avec cinq années d’expérience peuvent postuler pour le poste de juge à Maurice. Mais je ne peux pas commenter les nominations faites par la ‘Judicial and Legal Service Commission’, une institution qui agit en toute indépendance.

Permettez-moi d’ajouter qu’il est aussi temps de changer la donne en ce qui concerne la nomination des juges – ‘we cannot allow this system of judges appointing judges, magistrates, etc., to go on’. Ou même le personnel du DPP et du bureau de l’Attorney General. N’oubliez pas que le ‘chairperson’ de la ‘Judicial Appointments Commission’ en Angleterre n’est pas quelqu’un ‘holding judicial office’.

Il nous faut ouvrir l’éventail – we cannot get stuck back in time… we have to move with time.’ Il nous faut apporter une réforme de notre judiciaire – ‘it’s now or never’.


* Published in print edition on 8 April 2011

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