Interview Me Yousuf Mohamed

Interview : Me Yousuf Mohamed

« Nous sommes tous des Mauriciens malgré le Best Loser System »

PR : « Cela rendra la majorité instable et ce sera la pagaille totale »

BLS, recensement de la population, actualisation des informations sur la population mauricienne, respect ou non-respect des droits de minorités, instabilité programmée : autant de réactions que suscite la démarche de Rezistans ek Alternativ auprès du Comité des Droits de l’Homme des Nations unies. Dans quelle mesure l’ignorance ou la méconnaissance de l’Histoire de la République pourrait entraîner des conséquences néfastes pour la population mauricienne? Yousuf Mohamed, homme politique et homme de loi, ayant une connaissance solide du terrain répond à nos questions.

Mauritius Times : Selon les dernières nouvelles, la caravane des partisans de la réforme électorale serait en train de poursuivre son chemin et ne semble pas prête de s’arrêter. Quel effet cela vous fait-il, M. Mohamed ?

Me Yousuf Mohamed : C’est un pays de droit ; si le droit doit s’appliquer en leur faveur – ce sera au juge, et pas à moi, de prendre la décision. Les responsables de Rezistans ek Alternativ ont frappé à la porte du Privy Council, mais ils ont perdu leur cas contrairement à ce qu’ils ont prétendu dès leur retour à Maurice.

Il faut bien se rappeler que le Privy Council avait soutenu que l’affaire soulevait une question politique ; celle-ci relève des législateurs et le Privy Council ne pouvait pas se substituer au Parlement. Il appartient donc au Parlement de prendre la décision qu’il juge nécessaire.

Par la suite, Rezistans ek Alternativ est allé devant le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies. Ce comité a déclaré qu’il ne peut pas trancher en l’absence du dernier Population Census, etc., et qu’il faudrait faire un autre recensement. Par ailleurs, selon un article paru dans le Star de dimanche dernier, je note que, malgré l’amendement de la loi en 1982, la question d’appartenance ethnique est depuis toujours posée aux Mauriciens lors de l’exercice de recensement qui est effectué par le Bureau des Statistiques chaque dix ans. J’ai personnellement noté cela dans les formulaires du Bureau des Statistiques. C’est peut-être pour cela que Ramgoolam a déclaré qu’il ne veut pas « réactualiser la position ». Il a raison de dire qu’il ne veut pas réactualiser puisque cela a déjà été actualisé. Donc le recensement a toujours lieu, mais pour le besoin de choisir les Best Losers, on s’appuie sur celui effectué en 1972. Cela constitue, à mon avis, une tricherie, ce n’est pas honnête. Il se peut bien que les minorités soient les perdants.

Ceci dit, Rezistans ek Alternativ a porté l’affaire devant la Cour suprême, et il appartiendra aux juges de trancher. « I am but a very small cog in the whole machinery, my voice does not count… », mais je souhaiterais quand même dire qu’il ne faut pas “gratte lé dos malheur”. On a eu des troubles dans le passé et je ne voudrais pas que l’Histoire se répète.

* Je note un certain affaiblissement dans votre position…

Non, je ne suis pas affaibli, je suis désespéré devant l’attitude qu’adoptent nos gouvernants. Ils veulent tout chambouler. Cela probablement en raison des pressions qu’exercent Rezistans ek Alternativ et certains éditorialistes. Personnellement, je ne vois pas la nécessité de tout cela. « The system has served us well… » Pourquoi faut-il donc tout changer ? Laissez-moi vous dire que j’ai pris contact avec un certain nombre de Musulmans et nous avons pris la décision de lancer un mouvement de protestation au cas où ces changements devraient intervenir. Je vous assure qu’il y aura un certain nombre de protestations, de rallyes, de meetings publics et même privés…

* Maintenez-vous, M. Mohamed, que la grande majorité des Musulmans sont en faveur du maintien du Best Loser System (BLS) ?

Je sais qu’ils sont en faveur du maintien du BLS, et personne ne peut soutenir le contraire. Rappelez-vous de ce grand meeting qu’on a tenu dans le centre Goomany et cette nombreuse assistance présente à cette occasion.

Quand Shakeel Mohamed s’est prononcé en faveur d’une réforme, tous ceux présents étaient contre. Ils avaient soutenu mon point de vue sur la question, c’est-à-dire le maintien du Best Loser System. Je vous signale que les autres dirigeants musulmans présents – les Reza Uteem, Abdullah Hossen, Showkatally Soodhun, Reza Issack, etc., s’étaient tous également prononcé en faveur du maintien du BLS.

* Mais la question se pose toutefois : comment peut-on savoir si telle ou telle communauté – du moins la grande majorité –, souhaite l’abandon ou le maintien du BLS en l’absence de données scientifiques pour soutenir ces affirmations ?

Je n’ai pas entendu du sein de la communauté musulmane des individus ou même des groupes venir de l’avant pour dire qu’il faut abolir le BLS. Il n’y a pas que les Musulmans, M. Eliezer François, M. Tsang Man King et tant d’autres sont pour le maintien du BLS. N’oubliez pas que Sir Anerood Jugnauth est également contre son abolition.

Bérenger a ramené le nombre de Best Losers à quatre ; maintenant j’apprends que, selon sa dernière proposition, il serait en faveur de la formule : 62 (FPTP) – 20 (PR) – 8 (députés correctifs). La légitimité de ces huit députés correctifs pose problème, n’étant élus ni dans une circonscription ni ne figurent sur la liste du parti. Vous pouvez déjà facilement anticiper la pagaille qui s’ensuivra après les élections.

Certains qui n’ont pas été candidats vont se prosterner devant les leaders des partis, et il y aura aussi toutes sortes de lobbies qui exerceront des pressions pour exiger leur part ! Et c’est ainsi qu’on prétend éliminer le communalisme ! Rezistans ek Alternativ et tant d’autres personnes sont contre la dernière proposition de Paul Bérenger. Pour moi, « it verges on stupidity…»

* Est-ce que cette dernière proposition viendra, à votre avis, effectivement renforcer le communalisme ?

Tout à fait, mais aussi le sectarisme. On veut abolir un système (le BLS) qui est intégré dans la Constitution et qui a fait ses preuves pour proposer un mode de désignation différent afin de choisir huit députés correctifs qui n’ont pas été élus et qui ne figurent pas sur la liste des candidats. Donc c’est le leader du parti et non pas l’électorat qui décidera.

C’est un pouvoir excessif qu’on accorde aux leaders des partis. Le risque que ces derniers agissent de façon dictatoriale et que seulement des ‘Yes-Men’ soient choisis par les leaders pour devenir des députés correctifs est bien grand. Vous pouvez facilement imaginer les leaders dire aux députés correctifs potentiels : « You will play the game as I, the Leader, say, sinon vous êtes éliminé », n’est-ce pas ? C’est sûr que les leaders ne vont pas choisir des « grandes gueules » comme moi…

* Il se pourrait, M. Mohamed, que le profit de l’électorat, ses attentes, ses préoccupations et ses ambitions aient subi des changements avec le temps. Les jeunes, probablement, réfléchissent différemment de l’électorat qui défend le passé et qui souhaite le statu quo. Ne le pensez-vous pas ?

Je peux vous affirmer que 99% de la communauté musulmane veut le maintien du BLS. Allez demander aux gens à travers l’île : ils vont confirmer cela.

En ce qui concerne la jeune génération, elle doit connaître l’Histoire. La jeune génération veut sa tranquillité ; elle sait également que le BLS n’a jamais dérangé qui que ce soit. De là à dire que le ‘mindset’ des jeunes est différent et qu’ils veulent le changement… Ce n’est pas vrai.

Nous sommes tous des Mauriciens malgré le Best Loser System. Je suis Mauricien malgré le BLS. Bérenger a fait son entrée au Parlement grâce au BLS, Duval aussi, mon père, moi-même et tant d’autres… y compris M. Sik Yuen. Laissez moi vous dire une chose : la communauté qui profite le plus du BLS, ce n’est pas la communauté musulmane, c’est la Population générale et les Chinois. Si vous voulez abolir, allez-y, mais attention ! Ce sera la pagaille, il y aura des bagarres.

La question que je pose est la suivante : avons-nous des garanties qu’après l’abolition du BLS, les leaders vont porter leur choix sur des candidats musulmans ? Quelle garantie avons-nous qu’il y aura un Musulman au No 10, par exemple ? J’ai été candidat au No 8 pendant un certain temps ; ensuite il y a eu Soobadur. Qu’est-ce qui s’est passé par la suite ? Après c’était fini, il n’y a pas eu de candidat musulman depuis.

* Mais il faudra bien faire confiance aux leaders ?

Bien sûr, je fais confiance à Navin Ramgoolam, mais pas en quelqu’un comme Anerood Jugnauth parce qu’il avait dit dans le passé que les Musulmans n’étaient pas récupérables parce que ces derniers avaient voté dans leur majorité pour le MMM. N’oubliez pas aussi qu’il n’avait pas hésité à faire fouiller les pèlerins à leur retour de l’Arabie Saoudite.

* Mais il semblerait que la réforme électorale telle que proposée par le MMM rencontre le soutien du leader travailliste…

Je ne le crois pas. Est-ce que Navin Ramgoolam s’est prononcé là-dessus ? Est-il favorable à la dernière proposition de Bérenger ? On ne le sait pas. Je constate d’ailleurs selon les articles de presse d’aujourd’hui (ndlr mercredi 26 septembre) que beaucoup de personnes au sein du PTr se sont élevé contre la proposition de Bérenger.

Valeur du jour, je n’ai pas encore pris connaissance de la position du leader du PTr. Mais si demain Ramgoolam se prononce pour l’abolition du BLS, c’est là que je vais déclencher des manifestations.

* Vous n’êtes pas sans savoir que le maintien du BLS dans notre système électoral nécessitera un nouveau recensement communautaire, comme l’a souligné le Comité des droits humains des Nations Unies. Vous n’y voyez aucun inconvénient ?

Les Nations Unies ont effectivement demandé cela, et je suis totalement en faveur de cela. D’ailleurs, je remercie Rezistans ek Alternativ pour leur démarche auprès des Nations Unies, car ils sont venus soutenir ma démarche à moi qui consiste à savoir si les minorités ont effectivement souffert pendant toutes ces années depuis 1982 en raison de la désignation des Best Losers sur la base du recensement effectué en 1972.

* Ne pensez-vous pas qu’un nouveau recensement communal va fragmenter davantage la population, comme le soutiennent beaucoup de personnes ?

Cette population est déjà fragmentée. Nous sommes Mauriciens quand nous souhaitons l’être, mais quand il s’agit de jobs, de promotion, des postes-clés, là on se met à choisir certaines personnes parce qu’on ne veut pas que cette majorité soit érodée.

Qu’en est-il des subventions religieuses ? N’est-ce pas communal tout cela ? J’ai déjà proposé de faire de l’île Maurice une seule circonscription. Ceci donnera la possibilité aux gens de choisir leurs 60 or 70 candidats qui vont ainsi représenter toute l’île Maurice. Résultat : vous n’aurez plus de circonscription à majorité hindoue ou musulmane ou population générale… Il y a à l’étranger des circonscriptions qui regroupent deux ou même trois millions d’électeurs – alors que toute l’île Maurice ne fait pas plus de 1,3 millions de personnes.

* Rama Sithanen, lui, soutient qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un système explicitement intégré dans la Constitution pour assurer la représentation de toutes les communautés, d’où son choix pour un mécanisme implicite. Il appartiendra, selon lui, aux leaders qui ont une vocation nationale d’assurer leurs responsabilités dans le choix de leurs candidats afin que ce BLS implicite reflète l’arc-en-ciel mauricien. Ce n’est pas suffisant, dites-vous ?

Vous n’allez jamais pouvoir vous débarrasser du sentiment communal des gens à Maurice. A moins que vous adoptiez ma proposition – faire de l’île Maurice une seule circonscription. Mais, là aussi, les gens voteront en faveur de leurs coreligionnaires. C’est cela l’île Maurice. « It’s ingrained in us ! »

Il ne faut pas être hypocrite à ce propos. Moi, je ne le suis pas, je suis franc – « I call a spade a spade… whether people like it or not ! » Mais dans le cadre de mes transactions et dans ma vie de tous les jours, je vis en tant que Mauricien. Je vais à la mosquée et je prie pour l’île Maurice, pour l’amélioration économique de mon pays parce que je suis patriote. Croyez-moi ou non : je le fais tous les jours parce que si Maurice n’est pas économiquement forte, personne ne va réussir – ni vous ni moi. Et pour que Maurice soit forte économiquement parlant, il y a besoin de « interdependence of communities… one community cannot live without the other. » C’est cela le côté réaliste de Yousuf Mohamed qui parle en son nom personnel et qui n’est pas leader de quoi que ce soit.

* Par ailleurs, la proposition du MMM concernant le nombre d’élus à la proportionnelle – 20 directement sous la proportionnelle plus huit députés correctifs , ce qui équivaut à avoir 28 députés élus à la proportionnelle – fait tiquer les Travaillistes du fait de l’instabilité que cela pourrait causer mais aussi en raison du risque que la proportionnelle ne renverse la majorité issue du vainqueur. Votre opinion ?

Je voudrais savoir ce qu’ils comprennent par la proportionnelle. « It’s based on what? Proportional to what? » Il existe plusieurs systèmes de représentation proportionnelle: communale, ‘party-wise’… On ne nous a pas dit ce qu’ils ont en tête. D’ailleurs, quand ils ont débattu à propos de cette question dans le temps à Londres dans le cadre des ‘Constitutional Talks’, avant l’avènement du Best Loser, ils avaient évoqué l’option de la représentation proportionnelle. Mais ils étaient obligés d’abandonner cela faute d’un accord sur les critères. Cela a été débattu et abandonné par Sir Seewoosagur Ramgoolam, Gaëtan Duval, Jules Koenig, Renganaden Seeneevassen, mon père lui-même, Sookdeo Bissoondoyal… Et maintenant on souhaite revenir là-dessus ! Est-ce que Navin Ramgoolam a étudié les procès-verbaux de ces ‘Constitutional Talks’? Qu’en est-il de Bérenger ? A-t-il étudié tout cela ?

* La proportionnelle augmente les chances électorales de son parti. C’est ce qui compte à la fin de la journée, n’est-ce pas ?

« You will never be able to govern with a thin majority. Because you never know, people can change sides any time. » Ce n’est pas réalisable. Cela rendra la majorité instable et ce sera la pagaille totale, car on pourrait bien se retrouver dans des situations semblables à ce qui s’est produit à Rodrigues ou bien en Italie. Je ne suis pas un prophète de malheur mais c’est mon devoir je d’avertir.

* Vous dites donc que les founding fathers de notre Constitution avaient raison et que leurs arguments tiennent toujours la route ?

Absolument, l’île Maurice n’a pas changé. Si on considère le communalisme, cela a empiré. Aujourd’hui, il y a des groupes socio-culturels, des groupes extrémistes, des têtes brûlées — ce qui n’existait pas dans le temps. Et là, je suis en train de vous dire que ces choses-là existent dans toutes les communautés, c’est comme cela. Vous avez, en plus, des mouvements castéistes, même les Tamouls veulent être reconnus comme une entité différente. « Where have we gone? Have we progressed? »

* Mais vous aviez dit dans une précédente interview que « we are already a nation, and we are doing quite well », n’est-ce pas?

« We are a nation. But when it comes to certain vested interests, we are not a nation anymore. For example, at election time, job time, promotion time… »

* “But we are doing quite well inspite of that » comme vous le dites vous-même…

« We are doing well, so why make it worse? If we are doing well, why change it?… It’s going to be worse! »

* En contrepartie de ce « cadeau » qu’accorde le Dr Navin Ramgoolam au MMM, il semblerait qu’il souhaiterait obtenir l’accord du MMM pour la mise en place d’une Deuxième République, avec le leader du PTr dans le fauteuil du Président de la République avec certains pouvoirs spécifiques, dont celui de la dissolution du Parlement. Qu’en pensez-vous ?

A ce moment-là, une telle démarche ne relèverait-elle pas de l’égoïsme de sa part? Il veut être Président avec certains pouvoirs et quid du PTr ? « Tell me what happens to the party… ? » Ce qui est bon pour le leader n’est pas nécessairement bon pour le PTr ni pour le pays. J’aime bien le Dr Ramgoolam, et si j’avais à choisir parmi Jugnauth, Bérenger et Ramgoolam, je choisirai toujours Ramgoolam, pas parce que nous sommes des amis ou que son père et le mien étaient comme deux frères, mais parce qu’il a le sens du devoir, un sens de responsabilité et qu’il est aimé de la population. Je crois que c’est lui qui mettra Maurice sur le chemin de la modernité. Et il le fait déjà.

Je serais déçu s’il acceptait la proposition de Bérenger. Ou bien s’il allait vers l’abolition du BLS. Et je ne suis pas le seul. La communauté musulmane le sera aussi. Je ne sais pas si je continuerai à participer aux élections si le BLS est aboli.

* Quels vont être, selon vous, les conséquences électorales de ce choix?

Vous savez ce que j’ai envie de faire ? Dans le temps, on avait dit aux Musulmans à Rivière des Anguilles de ne pas voter. Pourquoi devons-nous voter si nos droits ne sont pas respectés ?

* Et les conséquences ?

On va me dire que je suis anti-patriote en invitant les Musulmans de s’abstenir de voter. « No, I fight for them, I fight for the minorities. If your Constitutional rights are being trampled upon, why should you take part in elections?” Je suis sûr qu’une bonne partie de la Population générale va suivre. « Can you imagine what will be the consequences if only one community were to vote?”


* Published in print edition on 28 September 2012

An Appeal

Dear Reader

65 years ago Mauritius Times was founded with a resolve to fight for justice and fairness and the advancement of the public good. It has never deviated from this principle no matter how daunting the challenges and how costly the price it has had to pay at different times of our history.

With print journalism struggling to keep afloat due to falling advertising revenues and the wide availability of free sources of information, it is crucially important for the Mauritius Times to survive and prosper. We can only continue doing it with the support of our readers.

The best way you can support our efforts is to take a subscription or by making a recurring donation through a Standing Order to our non-profit Foundation.
Thank you.

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *