« Navin doit se réveiller. Revoir les structures essentielles de son gouvernement, comme de son parti…

Interview: Yvan Martial, journaliste et historien

… en 2014, nous entrerons en campagne électorale. Navin et son PTr doivent aborder ce dernier virage en position de vainqueur… »

« Paul Bérenger est le seul chauffeur à bord de l’autobus militant MMM. Il va où il veut, à la vitesse de son choix. Il y embarque qui il veut et débarque ceux qui ne lui plaisent pas »

« Le PTr bouffera le MMM, comme il a bouffé le CAM de Razack Mohamed, à partir de 1960, ne laissant apparaître qu’un symbolique croissant de dernier quartier »

 

Le récent sondage de l’express pourrait étonner certains et conforter d’autres. Dans quelle mesure la popularité du Premier ministre reposerait-elle sur ses actions présentes et de quelle manière bénéficierait-il de la popularité des grands leaders travaillistes du passé ? Pour nous éclairer, nous avons invité Yvan Martial, journaliste et historien, qui est en train d’écrire l’Histoire du Parti Travailliste.

Mauritius Times : Vous écrivez présentement l’Histoire du Parti Travailliste, à partir des pages du journal Advance des années 1940/1950. Les dirigeants actuels du PTr se vantent du passé glorieux du parti, bâti sur des principes, des valeurs et un engagement à servir le peuple. Est-ce effectivement le cas ?

Yvan Martial : Parlons Histoire. Toute Histoire de quelque chose, d’un pays, d’un parti politique, d’une communauté religieuse, d’un établissement scolaire, d’un club sportif, est un trésor. Nul n’est, toutefois, obligé de me croire et de s’intéresser à ce trésor.

Vous connaissez l’histoire de ce fieffé paresseux. Ces amis lui disent : « Va à Port Louis. Il y a de meilleures possibilités, qu’au village, de trouver un emploi bien rémunéré et de se faire une quantité de fric en peu de temps. Dans Port Louis, to ramasse cash en bas roches ! » Notre fainéant prend l’autobus et arrive à Port Louis. Il fait trois pas et découvre un billet de Rs 2 000 que quelqu’un a laissé tomber par mégarde. Il se baisse pour le ramasser mais se ravise en disant : « Ayo ! si mo commence travail bonne hère coume ça, mo pou reinte mo lé corps ! » Et il poursuit son chemin…

Un simple citoyen peut ne pas s’intéresser à l’Histoire, si celle-ci ne le passionne pas. Cela n’est plus possible, quand quelqu’un s’engage dans une entreprise, veut y consacrer sa vie, grimper dans les échelons hiérarchiques, ambitionner les plus hauts postes à responsabilités, de direction et de décision.

Pour participer au bon fonctionnement d’une quelconque entreprise, nous ne devons rien ignorer de son passé, glorieux ou pas, de son parcours, des faits marquants de celui-ci, des hommes qui l’ont dirigée à ce jour, de ceux – y compris les plus humbles, les plus modestes – qui ont assuré son fonctionnement, jour après jour, ses heures de gloire, comme les tempêtes qu’elle a essuyées.

Nous devons surtout connaître le pourquoi fondamental de sa fondation, sa raison d’être, ses objectifs initiaux, des changements de cap ultérieurs, des restructurations. Il nous faut savoir quelle direction prendre à l’avenir, pour ne pas détourner l’entreprise de sa raison d’être fondamentale. Nous devons anticiper le futur de l’entreprise que nous voulons diriger. Pour cela, il nous faut tout savoir de son présent, de la situation actuelle, de l’état des lieux. Nous devons pareillement savoir comment elle arrive, au fil des ans, à son état présent, pour pouvoir apprécier, à leur juste valeur, les chances de garder la bonne direction, à l’avenir. C’est dire qu’on ne peut pas savoir quelle direction prendre demain, si nous ignorons tout du passé, de l’Histoire, de notre entreprise.

Un parti politique n’échappe pas à cette règle. Qui pourra avoir confiance et même du respect pour un dirigeant du Parti Travailliste, si, en raison de son ignorance, il se met à dire du mal de Maurice Curé, d’Emmanuel Anquetil, de Renganaden Seeneevassen, de Harilal R. Vaghjee, ou de Seewoosagur Ramgoolam, par exemple ?

Le passé d’un parti politique est-il glorieux ? Oui et non ! Il y a incontestablement des réussites populaires, qui continuent à frapper l’imagination populaire, à inspirer le comportement, surtout électoral, de masses importantes, sinon décisives, de citoyens.

Un passé glorieux peut également couvrir des zones d’ombre, des périodes, des anecdotes peu flatteuses. Les dirigeants de tout parti politique ont parfaitement raison de magnifier les pages les plus glorieuses de leur Histoire. Ils ne doivent toutefois pas s’aveugler, au point de refuser systématiquement de voir les taches et même les tares de leur parti. Ils doivent tout connaître des erreurs du passé, de leurs causes, de leurs conséquences fâcheuses, pour faire en sorte que ces regrettables erreurs ne se renouvellent pas à l’avenir.

Un parti politique n’est pas seulement piloté par ses dirigeants actuels. Il repose aussi, et en grande partie, sur la confiance que lui accorde une partie importante de la population, de l’électorat. Cette confiance populaire peut être remise en cause, à tout moment. Les masses populaires sont le terreau dans lequel s’enfoncent les racines humaines de tout parti politique. Si ce dernier se coupe de ses racines populaires, il s’étiole, s’épuise, perd sa raison d’être et court le risque de disparaître à brève échéance.

Les dirigeants politiques ne doivent jamais prendre pour acquis la confiance populaire, à un moment donné. Le Peuple conserve parfois son attachement à un parti politique, malgré ses défauts, paraissant même incorrigibles. Il le fait faute de mieux, parce qu’il ne voit pas ailleurs, une solution de rechange, une quelconque roue de secours, un meilleur parti, un meilleur leader, pour mieux combler ses profondes aspirations politiques et citoyennes, pour apaiser le profond dégoût que peut susciter une chaîne sans fin de scandales politiques, les uns plus révoltants que les autres.

Pendant longtemps, le peuple peut se dire « pèse nénez boire dé l’huile » parce que les partis concurrents sont pires que le parti politique, auquel il persiste à s’accrocher, malgré ses défauts persistants. Survient un nouveau parti, un nouveau leader, paraissant plus prometteur, que des dirigeants politiques s’endormant sur leurs lauriers, sur leur glorieux passé. Vous serez surpris, alors, à la vitesse avec laquelle le peuple, hier encore, à la dévotion d’un parti, d’un leader politique, ayant fait son temps, le laissera tomber comme une vieille chaussette inutile ou devenue trop crasseuse, pour plébisciter cette promesse de renouveau.

* Le passé, toutefois, est bien souvent plus glorieux que le présent – malgré les bonnes intentions des dirigeants actuels des institutions sociales ou politiques. Est-ce aussi le cas pour le PTr ?

Le passé est-il plus glorieux que le présent ? Difficile de le dire. On peut aussi s’interroger sur l’utilité de faire cette comparaison. Le passé est glorieux quand, à la relecture de faits passés, à telle ou telle époque, on s’aperçoit qu’une quelconque institution humaine, parti politique ou communauté religieuse, mouvement social ou œuvre philanthropique, a su parfaitement mettre le doigt sur les plaies les plus criardes, les plus paralysantes d’une quelconque société, à un moment donné, et qu’elle a parfaitement su susciter l’enthousiasme des masses populaires requises, pour guérir radicalement ces plaies sociétales cancéreuses, pour permettre, à tous, de sortir de ce guêpier et progresser vers un monde meilleur et plus fraternel.

Malheur, toutefois, à cette même institution, si elle se prévaut de son succès mérité, pour s’endormir sur ses lauriers. Pendant qu’elle dort paresseusement, d’autres fléaux font leur apparition et commencent leurs ravages. Les sauveurs d’hier deviennent les dormeurs d’aujourd’hui, incapables d’empêcher la même société de sombrer dans de nouveaux fléaux, pires que ceux d’avant. Le succès devient déroute, voire catastrophe.

Un mouvement réformiste fait un excellent travail, pendant le premier tiers du 20e siècle, pour combattre, avec une énergie exemplaire, les fléaux sociaux de l’époque que sont l’illettrisme et l’ignorance des droits de l’homme, du travailleur et du citoyen.

De véritables missionnaires sillonnent l’île à pied, à bicyclette, en autobus, pour prêcher la bonne nouvelle de l’alphabétisation, de l’éducation des enfants, filles comprises, de l’hygiène domestique, des vertus du travail, de l’argent honnêtement gagné, de l’épargne, de la fructification optimale des économies. Grâce à ce zèle missionnaire, à ce dévouement, à cet altruisme exemplaire, des masses populaires, qui, hier encore, végétaient dans une sorte d’abrutissement soporifique et fataliste, deviennent de véritables moteurs du bond en avant de notre société mauricienne. Que font les enfants, les émules, les successeurs, les remplaçants de ces pionniers providentiels ? Ils dorment sur les lauriers du glorieux passé de leurs illustres aînés et prédécesseurs.

Pendant ce temps, notre société sombre sous une avalanche de nouveaux fléaux sociaux, dont la drogue, l’alcoolisme, la violence domestique, la pornographie à portée de main, des cliques, de la frénésie de consommation, de l’argent facile, des arnaques de toutes sortes, d’égoïsme politique.

Des politiciens s’écrient « Je ne viens pas pour servir mais pour me servir, pour me remplir les poches ! » On s’empresse de les nommer ministre ou directeur de compagnie d’Etat, avec limousine de fonction, chauffeur avec livrée. Et les voilà au sommet de leur arrogance. Et on s’attend à ce que le Peuple manifeste sa joie, son enthousiasme, sa gratitude. On en veut au Peuple, en haut lieu, s’il manifeste découragement, désespoir, révolte, désir de changement de régime. Nos dirigeants, pas seulement politiques, n’ont jamais le droit de prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages et boiteux.

Est-ce le cas pour le PTr ? Il ne nous appartient pas, à nous, Peuple de Maurice, simples citoyens, de faire l’examen de conscience, l’autocritique, du PTr, parti au Pouvoir de surcroît. Malheur à lui, comme à ses dirigeants, s’ils perdent cette capacité de se remettre en question, de se mettre à l’écoute, non pas des flatteurs et des parasites embusqués, mais de ce que pense en vérité le Peuple.

Nul, fût-il un simple journaliste, ne peut avancer, ni progresser, s’il préfère écouter et prendre en considération les compliments flatteurs, intéressés. Si nous voulons nous améliorer, nous bonifier, nous avons intérêt à prendre au sérieux les critiques les plus acerbes, les plus virulentes, les plus indigestes, même si elles nous paraissent injustes, imméritées. Naturellement plus facile à dire qu’à faire ou à mettre en pratique. Le prix du progrès et de l’amélioration est là et nulle part ailleurs. Cette vérité demeure incontournable : pas de progrès possible, sans post mortem !

* Qu’en est-il du MMM ? Les alliances ou mésalliances contractées par le MMM, durant ces 30 dernières années, ont probablement contribué à diluer l’essence du militantisme du parti des années 1970. Qu’en pensez-vous ?

Tout parti politique appartient à son fondateur, ou à son leader historique ou actuel. Il en fait ce qu’il veut, puisque c’est sa propriété exclusive. Il n’a de comptes à rendre à personne.

Tous ceux qui ont contesté cette réalité (je ne dis pas « vérité ») incontournable, ont dû prendre, par la suite, leurs cliques et leurs claques, devenir des transfuges, ou disparaître de l’arène politique.

Paul Bérenger est le seul chauffeur à bord de l’autobus militant MMM. Il va où il veut, à la vitesse de son choix. Il y embarque qui il veut et débarque ceux qui ne lui plaisent pas. L’entretien du véhicule est de son seul ressort (freins compris). Les passagers on board affichent une mine souriante, bien que leur autobus sillonne davantage les caro cannes que les avenues royales du Pouvoir politique. L’espoir de jours meilleurs fait vivre, même les imbéciles, à défaut de pouvoir toujours croire dans l’avènement du Grand Soir, promis par Marx and anors.

Nous sourions, compréhensifs, au spectacle de la béatitude qui illumine le visage des passagers à bord de l’autobus MMM. Ils semblent ravis. Nous sommes contents pour eux. Leur parcours est pourtant peu flatteur. Dix ans de partage de Pouvoir, contre plus de 30 ans de caro cannes. Guère flatteur, si l’on compare leur performance à celle du poulailler bleu PMSD : 30 ans de partage de pouvoir en un demi-siècle d’histoire politique.

Qui peut nous empêcher de conclure que le MMM préfère et de beaucoup la solution de facilité de l’opposition stérile, car peu constructive, aux enjeux cruciaux d’un Pouvoir horriblement responsable. Le Pouvoir terrifie le MMM. N’oublions jamais l’épisode révélateur du poêlon trop chaud, pour mains trop fluettes. Caricature peut-être abusive mais révélatrice quand même. En fait, le MMM est allergique aux décisions, aux mesures, pouvant se révéler impopulaires. C’est ce qui se passe quant on bâtit une stratégie électorale et de prise de pouvoir principalement sur des promesses qu’on ne pourra pas tenir. Il n’y a qu’à voir la binette que fait, actuellement, François Hollande. Non pas le Pays Bas mais le Président Bas.

Tout autre est la culture du Pouvoir du Parti Travailliste. Il n’a nul besoin de faire des promesses. Il lui suffit de dire à l’électorat, amarré à lui, depuis 1950 : « Regardez bien à qui votre Pouvoir politique ira, si vous ne votez pas pour le PTr, aux prochaines Législatives ! » Message reçu 5 sur 5. Même pas besoin de faire un meeting, comme le 1er-Mai dernier.

Il y a les rares candidats sacrifiés dans des circonscriptions (de plus en plus rares) considérées comme des fiefs mauves. Il suffit à Navin Ramgoolam de dire aux hésitants, si possible 48 heures avant le scrutin : « Oubliez tel ou tel candidat qui vous déplaît. Faites comme si j’étais votre candidat. J’aurai besoin de lui pour gouverner, avec une majorité confortable. Si vous refusez quand même de voter pour le candidat de mon choix, pas besoin de voter pour moi. Votez pour l’adversaire. Donnez-lui le Pouvoir. Mais ne venez pas, après, vous plaindre auprès de moi ».

Inutile de décrire l’état d’abandon dans lequel se retrouvent les circonscriptions ayant osé voter pour banne-là ! Heureusement que l’Homme ne vit pas seulement d’éléphants blancs, ni de bâtiments de prestige, tels celui abritant une vente aux poissons à la criée et dont personne n’en veut.

Le PTr a aussi l’avantage sur le MMM de pouvoir se dérober devant les mesures impopulaires. Prenons l’exemple du Rapport PRB, corrigé, amélioré par Manraj, un fonctionnaire, n’ayant, sans doute, jamais géré une entreprise commerciale ou industrielle, se devant d’être rentable, face à une concurrence impitoyable.

Des travailleurs non qualifiés touchent un salaire double que leurs homologues du secteur privé. Nous vivons, pourtant, dans un monde en crise économique. Nos principaux acheteurs subissent les affres de la dépression. Notre taux de chômage se dirige au-delà des 10%. Cela n’empêche pas le gouvernement travailliste de faire preuve de largesses, avec l’argent des contribuables « Banne-là paieront ! » Nous crierons. Nous hurlerons même. Partout. Sauf dans la rue. Sauf là où il faut. Et la vie continuera, comme si de rien n’était. Comme cela a toujours été le cas. C’est la terrifiante force d’inertie du PTr. Il sait que nous ne pouvons rien contre lui. Nous lui cédons un Pouvoir absolu qu’il n’a même pas besoin de nous réclamer. Nous lui offrons cela, sur un plateau rouge.

Pour en revenir au MMM et à la béatitude de ceux qui sont encore on board, les derniers des Mohicans…pardon !… les derniers des Militants…Soixante ans d’âge et plus…, nous ne pouvons nous empêcher de penser à la longue liste des contestataires mauves qui ont été expulsés, à un moment ou à un autre.

Réitérons surtout notre estime aux anciens militants, ayant pu se recréer une nouvelle destinée, de nouvelles compétences, hors du MMM. Ils nous prouvent qu’ils étaient un plus pour ce parti, que ce dernier a préféré boycotter, expulser, parce qu’ils faisaient de l’ombre à l’inamovible Bérenger. Là où il y a inamovibilité, il ne saurait y avoir de Démocratie.

Aux derniers des Militants, je dédie ce scénario futuriste et donc hypothétique : Yatin Varma cède le poste d’Attorney General à Ashock Jugnauth, le pestiféré électoral, contesté par Raj Ringadoo, et combattu par le PTr, allié du neveu, Pravind.

Le Remake 2000 vacille. Paul Bérenger démissionne comme député. L’ami et très respecté Kailash Purryag, nouveau Karl Offmann, lui cède la place. Voilà Bérenger réduit au Réduit. Ce qui reste du PMSDuval paye le coût de sa contestation financière et touristique. Le MMM de Ganoo fait alliance avec le PTr de Navin Ramgoolam. La pilule est moins amère, sans Bérenger. Le PTr bouffera le MMM, comme il a bouffé le PMSD de Gaëtan Duval, à partir de 1970, ne laissant qu’une carcasse symbolique, lui donnant des allures de parti national.

Le PTr bouffera le MMM, comme il a bouffé le CAM de Razack Mohamed, à partir de 1960, ne laissant apparaître qu’un symbolique croissant de dernier quartier. Un leader internaute, surfeur hors pair sur le NET, innovera dans la mobilisation virtuelle des troupes électorales et saura remplir le vide créé par la désertion du caro cannes par les derniers des Militants. Vacuum politique qui n’est pas sans rappeler celui, créé par la désertion analogue du PMSD en 1969 (44% des voix en 1967). Une femme travailliste, Premier ministre après Navin Ramgoolam, bouffera le Parti des Internautes, selon les meilleures traditions travaillistes. Et ainsi de suite. Histoire politique à raconter aux enfants sages pour leur faire peur.

* On parlait des alliances ou mésalliances contractées par le MMM, durant ces 30 dernières années, qui auraient contribué à diluer l’essence du militantisme du parti… Peut-on dire la même chose pour le Parti Travailliste ? Le responsable de l’aile jeune de ce parti, Nita Deerpalsing soutient que « même si on ne peut pas généraliser les problèmes de société à un seul parti », le PTr n’est pas non plus épargné par « la maladie d’orgueil qui gagne le pays »…

Le PTr est de tous nos partis, celui qui connaît le moins de problèmes de renouvellement de cadres. Hormis une vieille garde, dynastique même inamovible ou presque, son leader, notre Premier ministre, se débarrasse aisément des canards boiteux, sinon des brebis galeuses, rouges. Il les oublie aisément, à l’heure du renouvellement des tickets électoraux, à la veille du dépôt de candidatures. Quelle est sa recette pour pouvoir donner ce coup de balai providentiel, sans soulever trop de poussières asphyxiantes ? Nous sommes réduits aux conjectures, les unes plus fantaisistes que les autres. Dossiers scabreux ? « La ké fer-blanc » ? Lobby socioculturel en déconfiture ?

Le leader rouge a l’embarras du choix. Choix dicté par des exigences clientélistes. Là-dessus, nous n’avons rien à apprendre au PTr.

Le hic, c’est que rares sont les nouveaux bénéficiaires du ticket électoral rouge, le meilleur sésame connu sur le territoire mauricien, à pouvoir faire preuve de la moindre culture travailliste, pour ne pas avoir à blasphémer, en parlant, ici, du besoin de servir le Peuple. Ce sont d’illustres inconnus que l’électorat travailliste plébiscite aveuglément, pour que le Pouvoir politique ne tombe pas entre les mains de banne-là. Ils quitteront notre Parlement, sans laisser la moindre empreinte. On se souviendra d’eux, à leur mort, à l’occasion d’un bref obituaire, rédigé souvent par le secrétariat de l’Assemblée nationale. Une formule stéréotypée. Il n’y a plus qu’à remplacer le nom du précédent défunt, par celui du suivant et à transmettre les condoléances tripartites aux veuves et héritiers.

Navin Ramgoolam est conscient de ce manque de culture travailliste parmi ses agents et parmi les jeunes Travaillistes, aspirant au poste de ministre un jour, pour s’asseoir à l’arrière d’une limousine de fonction. C’est déjà un début encourageant car prometteur. Il fait, en la circonstance, preuve d’une perspicacité politique que pourraient, que devraient, lui envier d’autres leaders politiques.

Il ne devrait quand même pas être sorcier de mettre en place des écoles régionales de parti politique (Nord et Port Louis ; Est-Ouest et Basses Plaines Wilhems ; Sud et Hautes Plaines Wilhems) où, à raison de deux ou trois heures par week-end, tous ceux, aspirant à jouer un rôle actif et fructueux au sommet de la hiérarchie du parti pourraient, devraient, s’initier à cette culture du parti, au service véritable du Peuple, et obtenir une réponse satisfaisante aux questions qui les turlupinent. Ces cahiers de présence et d’assiduité pourraient atténuer l’embarras du choix de Navin Ramgoolam, à l’heure du choix préélectoral.

Quant à la « maladie d’orgueil qui gagne le pays » et qui affecterait le PTr, je ne puis que vous renvoyer à Nita Deerpalsing. Sommes-nous seulement encore capables de « souffrir d’orgueil », alors que la veulerie la plus grande nous menace, si elle ne nous ronge pas déjà. Je ne peux que vous référer aux pires fléaux qui cancérisent déjà notre société mauricienne, que nos meilleurs travailleurs sociaux de 1913 et des années suivantes auraient combattus, avec toute l’énergie dont ils étaient capables, s’ils pouvaient encore lutter parmi nous, aujourd’hui, si seulement nous étions capables de nous inspirer de leurs combats providentiels et messianiques pour les rééditer utilement.

* En ce qui concerne ces problèmes de société, pensez-vous qu’on fait dans l’exagération si on considère les critiques lancées quotidiennement dans la presse ou les blogs par rapport aux affaires qui dominent l’actualité ces jours-ci ? Tout porte à croire qu’on cherche à tout prix un coupable politique au lieu de laisser le soin aux institutions de faire leur travail ?

Ne sachant pas ce qu’est un blog, je laisse cet aspect des choses au futur Parti des internautes. Les critiques que notre presse « exagère » à loisir, m’intéressent davantage. La presse est une réalité tangible, sur laquelle on peut se fonder. Nos collections de journaux existent, depuis 1832 et même avant. Il suffit de les défricher pour ressusciter des pans entiers du vivre en commun, souvent exemplaire, des générations nous ayant précédés. Elles nous lèguent un pays Maurice paradisiaque ou presque (C’est du moins ce qu’en pensent nombre de visiteurs étrangers et non des moindres). Faisons un point d’honneur de léguer aux enfants de nos enfants un pays Maurice amélioré, à tous points de vue, surtout en ce qui concerne notre coexistence pacifique, qui doit devenir de plus en plus fraternelle.

Notre presse écrite, même agonisante, demeure un formidable outil de communication de masse. Nous, journalistes, remplissons plus ou moins bien notre noble mission de fournir une information première de base, à nos lecteurs, sinon à la population, capable de réflexion et de réaction.

Nous remplissons bien moins, faute de temps, de ressources financières, de ressources humaines et même de public assez talentueux, notre seconde mission qui est d’offrir une seconde lecture plus synthétique, plus analytique, des informations brutes déjà données. Je pense à des numéros spéciaux à la fin d’un semestre, d’une année, à l’occasion d’événements exceptionnels, à la fin d’un mandat législatif, par exemple, des dossiers sur des problèmes d’actualité, sur des secteurs économiques, des dossiers qui ne sont pas de simples prospectus publicitaires, vantant les bidets Machin Truc ou le nouveau restaurant, servant du phoque fumé ou du lama braisé.

Nos sociologues et autres universitaires ne sont ici d’aucun secours ou presque, hormis ceux qui prennent la peine de rédiger leurs constats et observations et de les publier dans les journaux, qui consentent, encore, à publier leurs écrits.

Je dois saluer, ici, la haute qualité des articles d’opinion que Mauritius Times publie, semaine après semaine, non sans courage, poursuivant providentiellement la noble tâche de formation citoyenne de Beekrumsing Ramlallah. D’autres journaux ne peuvent pas en dire autant. Ils se gargarisent des mots de « Liberté de presse » mais pratiquent volontiers une impitoyable censure de toute opinion ne venant pas de leur sérail, censure que pourrait leur envier la presse nord-coréenne.

Malheur à tout leader politique qui ne prend pas la peine de feuilleter tous nos journaux paraissant, jour après jour (Rs 2 500 à monter, par mois).

Malheur à tout parti politique qui ne dispose pas d’un Think Tank, capable de digérer le meilleur, l’essentiel, de l’information médiatique hebdomadaire, de le résumer, sous formes de résolutions, positives ou négatives, l’usage du leader et des agents du parti.

Malheur à tout parti qui ne possède pas un manifeste électoral, qu’il met à jour, semaine après semaine, en fonction des dernières suggestions médiatiques de la semaine écoulée.

Malheur à tout politicien qui n’est pas convaincu que la presse écrite mauricienne, malgré ses exagérations, imperfections, erreurs même crasses, demeure sacrée parce qu’exprimant quelque part la pensée, la volonté, du Peuple mauricien.

Quant à nos institutions, elles n’ont de valeur et d’importance, qu’aux yeux du Peuple et de l’Opinion Publique, seulement quand elles savent faire preuve de l’Indépendance voulue, pour épingler un ministre fautif, au grand dam surtout du Premier ministre. En dehors de ce tableau de chasse révélateur, tout le reste est néant et parasitisme, aux frais des contribuables.

* Y a-t-il, à votre avis, à la base de toutes ces affaires, un problème d’orgueil, comme le soutient Nita Deerpalsing ? Ou est-ce la conséquence d’un certain « government fatigue » après sept années passées à la tête du pays ?

Je puis me tromper. En 1990, Navin est encore le fils de Seewoosagur Ramgoolam. En voulant lui décerner l’auréole de martyr (honteuse mais surtout inutile tentative de lui faire perdre son siège parlementaire, son fauteuil de chef de l’opposition, en congé d’études londoniennes), Anerood Jugnauth fait, avec Navin, ce que N.M.U. fait avec Seewoosagur Ramgoolam. Il le fait devenir le leader incontesté de la majorité mauricienne de foi hindoue.

1996. Navin, Premier ministre n’a pas encore l’étoffe de Premier ministre. 2000. Navin, chef de l’opposition, s’aguerrit. On retrouve, chez lui, la pugnacité de son père, entre 1935 et 1955. Il marque des points indélébiles ou presque. Il devient l’incontestable leader du PTr, ne devant rien à son père, en dépit de ses fréquents rappels : « Tout lé temps, mo papa ti dire moi… »

2005. Navin devient un Premier ministre novateur. Il devient surtout un expert dans l’art de rouler dans la farine ses adversaires politiques. C’est Pravind Jugnauth qui, je crois, invente l’inoubliable expression de la « langue cravate ». C’est tout dire.

2010. Navin marque le pas. Piétine. Hésite devant les scandales qui s’amoncellent devant lui. Il est moins combatif. Moins innovateur. Il est l’ombre du Navin de 2005. Par chance, pour lui, ses adversaires ne sont pas en meilleure forme physique que lui. On dit même que certains d’entre eux repassent déjà leur langue-cravate.

Navin doit se réveiller. Revoir les structures essentielles de son gouvernement, comme de son parti. Pourquoi pas la menace, suivie, toutefois, de l’exécution d’un remaniement ministériel, pour réveiller tous ceux, qui ont pris sommeil, dans l’exercice de leurs fonctions ministérielles. Nous sommes à mi-mandat de Législature. L’an prochain, en 2014, nous entrerons, au moins en esprit, en campagne électorale. Navin et son PTr doivent aborder ce dernier virage en position de vainqueur. C’est peut-être le moment de sortir la cravache et de se servir de ses éperons. Mais, tout cela n’est que l’opinion d’un simple journaliste.

* Le leadership du parti, toutefois, semble être épargné par les revers occasionnés par certains des siens au niveau du gouvernement. Avez-vous été surpris par sa cote de popularité, telle que démontrée par le sondage DCDM-Politis récemment ?

Les sondages ont ceci de commun avec la rose de Ronsard: « Ils ne durent que l’espace d’un matin ». Le principal gagnant du sondage DCDM-Politis est L’Express qui espère avoir pu prouver à Navin Ramgoolam que, si ce quotidien n’est pas acquis à sa cause politique, il est encore moins inféodé à celle du MMM de Paul Bérenger, de son « Remake » avec le MSM des Jugnauth. Je sais qu’il y a un Bon Dieu qui veille tendrement sur la destinée du PTr. Ce Bon Dieu est la majorité de notre électorat hindou. Mais même à Dieu, il ne faut pas demander l’impossible. Souviens-toi, Navin, du 11 juin 1982. « Beware the Ides of June ! »

* Un fait remarquable également noté à partir de ce sondage, c’est la performance de Arvin Boolell. L’après-Ramgoolam n’est certainement pas pour bientôt, mais pensez-vous que Arvin réussira là où Satcam n’a pu y arriver ? Y a-t-il des enseignements à tirer à partir de l’Histoire du PTr que vous êtes en train d’écrire par rapport à la question de succession?

Arvin possède de solides qualités humaines. Il est très serviable. Son dévouement médical, lors de l’accident de Sorèze, doit inspirer les meilleurs d’entre nous. Je le crois moins ambitieux mais plus serviable que son père, Satcam.

En politique, l’esprit de service doit toujours l’emporter sur les ambitions personnelles. Servir le Peuple, là où nous nous trouvons, même hors de la politique active, est un devoir qui s’impose à tous, à chacun d’entre nous.

Ambitionner de devenir le chef de quelque chose est un péché mortel. C’est tellement plus facile d’obéir et de servir que d’avoir à commander et à se faire respecter. La vie est courte. Pourquoi la rendre plus pénible ?

Il y a surtout cette pénible histoire de « mauvais acte de naissance ». Elle n’afflige pas seulement banne-là. Nous avons encore beaucoup à apprendre de ce qui se fait dans la Grande Péninsule où des ministres soumettent leur démission parce qu’un train déraille. L’effet papillon ? Ici, on ne connaît pas !

* Il semble qu’on est déjà en train de réfléchir sur l’après-Paul Bérenger au sein du MMM. Le nom d’Emmanuel, le fils du leader, est cité avec persistance ces jours-ci. Difficile de dire si ce sont des ballons-sondes ou non, mais on pourrait également se demander pourquoi Alan Ganoo ne serait pas le prochain leader ? Démérite-t-il vraiment par rapport aux autres ?

Emmanuel : du carburant pour l’hydre dynastique.

Alan : A-t-il le bon acte de naissance ?

* Les réactions des internautes sur les forums sociaux et les blogs des journaux n’ont pas tardé : « Top sa pays-là, fils de… fille de… sa mem ena dans politik ?… Politique pe vine family business dans Maurice… » Comment réagissez-vous à ces commentaires ?

Les blogs se trompent. Les coupables ne sauraient être nos dynasties politiques. Puisque nous les laissons faire ce qu’elles veulent. Nous sommes les coupables quand nous nous soumettons à ces illusions dynastiques. En France, on prend la Bastille pour mettre fin aux dynasties et autres privilèges oligarchiques. Imitons les Cromwell et autres Lénine. Révoltons-nous.

* On proteste, on rouspète… mais « le peuple admirable » — et docile –, finira par applaudir, n’est-ce pas ?

Quoi faire d’autre ?


* Published in print edition on 24 May 2013

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