Des dictateurs bien établis

Chronique de Jean-Baptiste Placca

Comment taire l’indicible perplexité dans laquelle nous plongent les images de la fin, tragique, du colonel Kadhafi ? C’est tout à l’honneur des organisations de défense des droits de l’homme d’exiger que l’on s’assure qu’il ne s’agit pas là d’un crime de guerre.

Il faut, évidemment, respecter le sentiment de soulagement des Libyens : il ne viendrait d’ailleurs à l’idée de personne de les suspecter de feindre d’être heureux. Et la liesse populaire que l’on observe d’un bout à l’autre de ce pays n’est définitivement pas l’expression d’un peuple qui vient d’être frappé par un grand malheur… Et d’ailleurs, à ceux qui leur parlent des circonstances de la mort de Kadhafi, les Libyens rétorquent systématiquement que l’on ferait mieux de penser aux dizaines de milliers de morts inscrits au passif de son régime.

Il n’empêche ! Les images de sa mort sont bouleversantes et bouleversent tout particulièrement en Afrique noire, où le dirigeant libyen avait une certaine popularité. Il était aimé, sincèrement, par des millions d’Africains, qui appréciaient sa posture de défiance vis-à-vis de l’Occident. Un courage qu’ils ne trouvent pas toujours aux dirigeants de leurs propres pays. Kadhafi était aussi aimé pour son panafricanisme volontariste. Et, si ses pairs l’avaient suivi, les Etats-Unis d’Afrique seraient sans doute aujourd’hui une réalité, au moins sur le papier.

Ils se seront totalement rachetés !

Et puis, comment oublier que la Libye de Kadhafi, ces quinze dernières années, a investi, en Afrique noire, plus que chacune des grandes puissances occidentales, souvent, dans des secteurs délaissés, y compris par les institutions de financement du développement ?
Au début de cette année 2011, Kadhafi était encore un homme puissant, qui entretenait de bonnes relations avec les grands de ce monde. Pour son grand malheur, certains membres permanents du Conseil de sécurité ont estimé devoir se racheter par rapport aux reproches qui leur ont été faits sur le retard à soutenir les Tunisiens et les Egyptiens, hirondelles du « printemps arabe ». Avec la Libye, ils se seront totalement rachetés !

D’où, d’ailleurs, le scepticisme des Africains quant à la sincérité de leur discours sur la soif de démocratie des peuples. La question est de savoir si tous les peuples tenus en respect par des régimes despotiques peuvent espérer bénéficier de leur part de la même sollicitude que le CNT libyen. Mais, en même temps, est-ce vraiment si important ? En Tunisie et en Egypte, les peuples n’ont pas eu besoin d’appui militaire de l’Otan pour éjecter Ben Ali et Moubarak, qui étaient, eux aussi, des dictateurs bien établis.

Jean-Baptiste Placca
MFI


* Published in print edition on 28 October 2011

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