Que Justice Soit Faite!

L’affaire Michaela MacAreavey

Par Joseph J.A. Varondin

Maintenant que les tambourins, les buccins et les tocsins des zélotes auto-proclamés de Thémis (Muse aveugle de la justice) se sont tus, revenons un moment sur l’affaire Michaela MacAreavey, cette jeune irlandaise en voyage de noces, assassinée dans sa chambre d’hôtel cinq étoiles. Pas dans un bidonville! Après le verdict d’acquittement de la Cour d’Assises de Port Louis dans cette affaire autant macabre que mystérieuse, à lire la presse nationale, Maurice a manqué à son obligation de justice.

Tout le monde, du bas en haut du panier insulaire et inversement, semble outrageusement indigné par ce que l’on considère, urbi et orbi, comme un déni de justice. Les présumés coupables ont été acquittés par des jurés qui, selon ce qui se dit et s’écrit, auraient dû les condamner au lieu de les “blanchir”. A lire dans le marc de café du tohubohu médiatique, tout un chacun s’attendait à un seul verdict prédéterminé : “coupables”, avec une sanction exemplaire: “prison à perpétuité”. Le repos éternel de l’âme de la victime était à ce prix et on a eu l’audace hérétique de la dérober de manière impie par un verdict sacrilège.

Quant à l’avenir lumineux du tourisme mauricien qui était à ce prix également, il s’en serait retrouvé gravement menacé ipso facto. D’où, à des niveaux les plus inquiétants, les réactions épidermiques hostiles aux jurés de la Cour d’Assises, à ses magistrats, à la Cour elle-même et in fine à la justice mauricienne, tous jugés coupables in solidum de forfaiture judiciaire. N’oublions pas les sarcasmes balancés à la tête des investigateurs de la police criminelle de Maurice pour leur incompétence révélée.

Si tel était le verdict qu’il fallait rendre pour l’honneur de Maurice, c’est-à-dire celui qui déclare d’office coupable et envoie en prison sans appel, on aurait dû alors, soit instruire ante casum les jurés d’avoir à décider dans ce sens, soit simplement envoyer sine judicio les prévenus – cependant présumés innocents selon l’habeas corpus – mais déjà déclarés assassins coupables – selon la vox populi – directement à Alcatraz. Ainsi l’affaire était adjugée dans l’allégresse rédemptrice et à la satisfaction nationale louangée par la trompette publique. Dans la meilleure des Républiques !

Ce vœu collectif ne s’est point réalisé

Mais voilà ! La Justice avec un grand “J” n’a été ni aveugle ni borgne. Elle n’a ni louché ni fermé les yeux. Elle a regardé le problème en face et l’a examiné sans passion. Elle a été sourde d’une oreille, attentive de l’autre. Elle a dit que face à la victime et au crime qui doivent appeler la sanction judiciaire, il y a ceux qu’on soupçonne de culpabilité ou qu’on suppose d’en être les auteurs, qui doivent être jugés de manière impartiale.

Dans un crime, il y a deux parties, la victime et le(s) meurtrier(s). Mais s’il est facile d’identifier la victime, il est parfois impossible de désigner le(s) coupable(s). Du moins dans l’immédiat d’un procès. Avant d’aller en Cour, des hommes de l’art instruisent l’affaire, ils sont policiers et magistrats formés et désignés dans ce but. Quand le dossier est jugé “solidement bouclé”, celui qui en a la compétence, envoie alors les présumés coupables devant les juges et les jurés. Toute cette procédure peut durer des années.

Pas d’atermoiements ni de manœuvres dilatoires, mais moins il y a précipitation, plus elle est sereine et fiable. Le souci constant des hommes de l’art est d’éviter l’erreur judiciaire. Chez certaines nations, on va jusqu’à proclamer: “mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison”. Si la justice doit être plus impitoyable que clémente, elle doit être sûre de son fait avant de trancher dans le respect de la loi et de la morale. C’est ce qu’a fait la justice mauricienne, sans chercher à connaître la position sociale de la victime ni celle des présumés coupables.

Or, il semblerait que les enquêtes policières dans la présente affaire ne soient pas fiables car pas menées avec la rigueur exigée dans un tel cas. C’est ce qui ressort du moins des commentaires publics puisqu’on est allé jusqu’à faire grief aux avocats de la défense d’avoir réussi à sauver la tête de leurs clients en exploitant les failles et les carences des investigations menées par ceux qui en avaient la compétence et la responsabilité. Mais diable ! Un avocat de la défense est payé pour défendre son client par tous les moyens car ou il accepte de plaider parce que pour lui tout client présumé criminel est également présumé innocent ou victime de circonstances indépendantes de sa volonté, donc bénéficiaire de circonstances atténuantes. Ou alors, il refuse l’affaire. Un avocat de la défense ne fait pas dans les sentiments. C’est un mercenaire amoral, voire immoral, qui est payé pour transformer un coupable en innocent. Ou quasiment. Même en contradiction avec les lois. C’est là qu’est son génie.

C’est là également la justification de ses honoraires. Personne ne paie un avocat pour perdre. On le paie pour gagner et faire perdre l’adversaire. Tout le monde sait que les lois sont inflexibles et inviolables mais que les avocats se doivent d’être d’excellents trapézistes. Alors reprocher ceux qui ont réussi à sauver leurs clients de la prison en exploitant les faiblesses d’un dossier soi-disant infaillible de l’accusation, relève de la mauvaise foi, voire de la diffamation. Les avocats de la partie civile ont perdu. Ils n’ont pourtant pas démérité. La fortune ne leur a pas souri. Ils ont été battus. L’honneur est sauf. Comme à Vieux Grand Port. C’est de bonne guerre.

Les Jurés ont sauvé l’honneur

Sauf rebondissement dans l’affaire MacAreavey, sauf nouvelle instruction et nouveau procès, la Cour d’assises pour l’heure a rendu justice à des hommes que l’enquête policière avaient présentés comme coupables et les jurés ont fait leur devoir “en leur âme et conscience”. Ils n’ont pas condamné d’office des citoyens mauriciens de condition modeste, des ti dimounes, des gens de couleur de surcroît, parce qu’il fallait donner satisfaction aux attentes vengeresses des familles européennes d’une victime européenne qui croient que l’on est encore au temps des colonies quand le Blanc avait toujours raison et l’indigène toujours tort.

Nous n’écrivons pas ces lignes à la légère. Déjà tout le monde sait que les USA refusent que leurs ressortissants soient jugés par les tribunaux des pays où ils ont commis des actes contraires à la loi. Cela s’est vérifié à Maurice même avec un « marine » voleur de bicyclette. En Inde également avec l’évasion du directeur américain de l’usine de l’Union Carbide à Bhopal pour échapper à la justice indienne après avoir causé la mort de milliers de personnes dont un nombre effarant d’enfants. Déjà on voit la France qui décrète ses ressortissants condamnés à l’étranger, innocents et victimes de magouilles judiciaires comme hier en Iran et aujourd’hui au Mexique. Cela se voit avec Israël qui viole les frontières et les lois de pays tiers pour récupérer ses ressortissants coupables de délits et les soustraire à la justice locale.

Les jurés mauriciens autant que les juges, les magistrats et les avocats ont sauvé l’honneur de Maurice en ne cédant pas aux pressions et aux insultes orales et écrites venues de toutes parts. Ils n’ont pas cédé aux opinions injurieuses exprimées en public comme en audience par les journalistes et observateurs irlandais et occidentaux qui voulaient leur faire la leçon en permanence ou, mieux, juger les prévenus mauriciens à leur place pour rendre une justice conforme à leur diktats de “nations civilisées”. Les jurés ont sauvé l’image d’une justice mauricienne intègre. Ils n’ont pas exercé une justice colonisée et mercantile qui soi-disant “épargne l’honneur mauricien et le tourisme local d’une marque d’infamie et le condamne à la récession”.

On n’a pas cessé de le répéter: Une touriste irlandaise a été occise dans son hôtel et voilà le tourisme mauricien condamné à péricliter! Mais c’est quoi l’Irlande ? Un pays ruiné par la crise qui n’envoie visiblement pas des fournées compactes de visiteurs à Maurice mais, plus certainement, des cargaisons de jeunes émigrés vers le Canada et l’Australie. Comme au temps jadis du mildiou et du Titanic. Aurait-on organisé le même charivari médiatique pour une touriste réunionnaise dont le pays, proportionnellement, envoie plus de visiteurs à Maurice que I’Irlande?

On a voulu d’une justice rapide et répressive pour sanctionner l’affaire MacAreavey et l’on a eu le contraire, une justice juste et libre. Pour autant… des victimes comme Vanessa Lagesse, la jeune Dantier et les fusillés de Bassin Blanc, parmi tant d’autres, comme l’assassiné des vaults de la MBC, attendent depuis des années que justice leur soit rendue et on les a déjà oubliées. Ils ne sont que des Mauriciens. Et tous ces cadavres de gens tellement ordinaires que l’on ramasse dans les taudis multiples et les champs de canne sans faire plus de cas que des chiens écrasés sur les routes, ont-ils droit à une justice juste, eux ? Ils ne sont que des ti dimounes, sans existence visible. Les jurés ont sauvé des ti-dimounes non d’une erreur mais d’un quasi crime judicaire. Honneur à eux !

Casser le thermomètre

On veut supprimer les jurés, ces femmes et ces hommes, reconnus dans tous les pays civilisés, qui humanisent le professionnalisme des magistrats , les protègent des pressions du pouvoir et rendent la justice au nom de la nation en tant que citoyens responsables! On fait venir des policiers irlandais pour faire le travail que les policiers mauriciens sont sensés incapables de faire! On dénigre les avocats de la défense! On casse les thermomètres pour guérir la fièvre ! C’est du délire collectif. On n’a pas pris d’assaut le Palais de Justice sous bannière irlandaise, c’est déjà pas mal.

En conséquence, s’ils ne savent que cogner, ce sont les policiers mauriciens que l’on doit envoyer en formation spécialisée là où cela se doit. Même à Dublin ! Ce sont les citoyens qu’on devrait mieux préparer à leurs devoirs d’hôtes du tourisme. Ce sont les médias qu’on devrait rappeler à la décence, voire poursuivre en Cour quand ils se révèlent indignes, barbares et coupables d’excès malsains, comme cette gazette, qui a profané le cadavre de la victime d’un crime en publiant la photo… . La justice est une affaire trop sérieuse par la laisser entre les mains des seuls puissants et de leurs hérauts de circonstance. A Maurice comme ailleurs.


* Published in print edition on 3 August 2012

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