L’air du temps

Il y a un « tipping moment » où tout bascule et tout échappe aux meilleurs efforts du pouvoir en place de redresser une barque qui dérive et tangue, déjà vouée à une perdition prochaine

Parmi les grandes nations du monde occidental, les particularités des États-Unis au plan politique et ses équilibres de pouvoir n’en font pas un modèle de démocratie dont les leçons et les analyses sont exportables ou même compréhensibles ailleurs dans le monde.

Pourtant, au regard de la dernière campagne électorale, aux cris et chants déchaînés de « lock her up! » ou de « crooked Hilary », alimentée par un désir de changement, une défiance profonde sinon même un rejet brutal des élites enracinées à Washington et des slogans au populisme ravageur, l’incroyable Mr Trump va se hisser au pouvoir. Au grand dam de ces élites libérales qui n’ont pas vu venir cette vague de rejet plus que d’acceptation, Trump n’ayant au fond, avec un grand flair politique, que capturé « l’air du temps » contre ces élites coupables, aux yeux d’une fraction importante de l’Amérique profonde, de tous les méfaits tels que la mondialisation, le terrorisme, l’immigration et d’être obnubilées par leurs combines et stratégies de survie dans les coulisses du pouvoir à Washington.

Qu’importe si Trump, bien embarrassé de construire son fameux mur payé par les mexicains, se révèle incapable de mener à bon port une législation-clef pour amender ou remplacer le « Obamacare » tant décrié durant sa campagne électorale, qu’importe qu’il ait bénéficié du soutien tacite ou explicite de Putin, l’homme est au pouvoir.

L’air du temps et la condamnation des élites politiques trop éloignées des préoccupations citoyennes ont fait de l’improbable une réalité. Qu’importe s’il a recruté et limogé des dizaines de subalternes à la Maison Blanche, qu’importe l’impression de chaos, ses tweets désopilants et ses fanfaronnades publiques, qu’importe ses agressions hebdomadaires contre les médias accusés de faire en permanence du «fake news» contre son pouvoir autoritaire, même l’Amérique profonde désorientée par toutes ces controverses qui s’empilent, doivent vivre avec les conséquences de leur choix électoral: un énergumène politique à la Maison Blanche issu de « l’air du temps ».

terreau fertile

Dans le contexte des pays aux traditions plus anciennes en Europe, la mondialisation, la délocalisation des entreprises, la montée de la précarité et du chômage, l’immigration non-maîtrisée, l’afflux des réfugiés, les épisodes d’attentats terroristes d’inspiration salafiste ou jihadiste, ont offert un terreau fertile aux mouvements populistes cherchant à surfer les raidissements d’une société en mal-être.

C’est en partie sur ce fond de repli nationaliste frileux et du rejet des élites politiques et celles financières de la City que le Royaume-Uni a fini par céder au Brexit sans vraiment appréhender toutes les conséquences ni saisir tous les éléments du prix à payer pour l’économie et le quotidien des Britanniques. Eux aussi vont devoir vivre avec les conséquences de leur choix, issu de l’air du temps politique.

Dans l’Europe continentale, de la Grèce à l’Espagne, les populistes nationalistes, depuis une bonne vingtaine d’années, tentent de surfer ces vagues d’inquiétude et de restructurations des économies engagées dans la mondialisation, n’épargnant même pas les pays scandinaves les moins exposés. Seule l’Allemagne, ayant fait de la stabilité, des compromis et du devenir partagé des vertus inébranlables, voit l’inamovible Angela Merkel, modèle de simplicité et de probité, résister à l’usure du temps et voguer tranquillement de mandat en mandat.

En France, la tentation du populisme nationaliste et du rejet des élites, symbolisé par le Front National, a ratissé large dans les peurs et les insécurités grandissantes des Français écœurés par le sentiment d’alternances gauche-droite toutes impuissantes face à Bruxelles ou à la mondialisation financière. Seul un programme économique tâtonnant entre sortie de l’euro et retour du franc et une performance désastreuse de Marine Le Pen face au néophyte Macron, ont retenu les digues, même si en retour, une fraction des Français s’inquiètent des reformes structurelles à venir dans l’ère du mouvement en marche. L’air du temps, mine de rien, a balayé dans un même rejet droite, gauche et lepenistes et bouleversé la donne politique traditionnelle en France. On ne peut prédire si cette transformation inattendue mais dans l’air du temps, sera durable; ce qu’on sait avec certitude c’est que le pays devra vivre avec.

Y a-t-il donc un « air du temps » politique, d’autant plus difficile à cerner ou à définir que les racines souterraines qui la sous-tendent peuvent être complexes, spécifiques aux institutions, traditions et cultures de chaque pays ? Pourtant, on pourra difficilement nier que cet indéfinissable « air du temps » avait quelque chose à voir avec le raz-de-marée qui a balayé un Congress trop dynastique et a porté Modi aux cimes en Inde, il y a trois ans. Ajoutons que l’air du temps a contribué singulièrement à porter les improbables Trump et Macron, dans différentes circonstances, au faîte du pouvoir.

le désir du changement

Il serait possible d’y voir l’expression d’une désaffection circonstancielle ou d’une exaspération momentanée avec le status quo prévalant ou avec l’alternance politique proposée. Si cette exaspération trouve un exutoire même moyennement crédible, le désir du changement peut déjouer les pronostics les plus savants en se transformant en une vague souvent souterraine et imprévisible, mais qu’on ne peut arrêter.

Quelles qu’en soient les conséquences et le tribut à payer, on pourrait même considérer qu’il y a un « tipping moment » où tout bascule et tout échappe aux meilleurs efforts du pouvoir en place de redresser une barque qui dérive et tangue, déjà vouée à une perdition prochaine.

Avec un système électoral qui favorise les alliances et amplifie les changements d’humeur de la population, Maurice a bien connu des grandes manifestations de cet « air du temps », force souvent souterraine mais irrépressible pour le changement. A bien des égards, quatre des cinq dernières consultations électorales depuis 1995, peuvent légitimement se placer chacune dans « l’air du temps » qui a balayé toutes les combinaisons d’alliances de grands partis qui ont tenté vainement d’y résister: MSM-RMM-PMSD, PT-PMSD, MSM-MMM et PT-MMM.

Tous les partis, au pouvoir comme dans l’opposition, en sont parfaitement conscients, l’imaginaire collectif se nourrissant d’une somme de non-dits, de rancœurs accumulées, de libertés malmenées, de loufoqueries et d’erreurs stratégiques du pouvoir, le désamour avoisine dangereusement la désaffection et le rejet.

Le mauricien lambda n’est pas du genre à descendre dans les rues, il est même suffisamment rusé pour laisser planer l’incertitude, il peut ruer sur les réseaux sociaux mais il attend plutôt son heure. C’est peut-être cela, en présence d’une alternative crédible, qui donnera corps à la vague du changement qui est capable de balayer les calculs, les tactiques, les alliances, les exercices de communication et les stratégies des plus avisées.

L’air du temps : il vaut mieux s’en méfier!

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