L’Etat-Providence sur fond de néo-libéralisme économique

Budget 2024-25

Le budget 2024-25 a élargi l’Etat-providence. Toutefois, le gouvernement ne s’est pas donné les moyens fiscaux de sa politique sociale

By Prakash Neerohoo

Le budget 2024-25 a attiré beaucoup de commentaires, les uns positifs et les autres plus critiques. Globalement, les commentaires positifs portent sur les cadeaux distribués à tour de bras à des groupes ciblés de l’électorat (retraités, femmes, jeunes de 18-25 ans, planteurs, pêcheurs, etc.). Les commentaires critiques ont trait à l’absence de mesures structurelles pour remettre le pays sur les rails en vue d’un développement équilibré, inclusif, équitable et durable.

Alors que les personnes optimistes voient dans la politique sociale quelque peu généreuse des motifs de soulagement face à la cherté de la vie, les personnes pessimistes ne voient pas d’embellie dans l’érosion du pouvoir d’achat écorché par l’inflation galopante et la dépréciation inexorable de la roupie (46% depuis 2014).  En apparence, ce budget améliore de façon appréciable l’Etat-Providence en déployant un vaste éventail de prestations sociales, de concessions fiscales et de subventions diverses.

Mais fondamentalement, il ne change pas grand-chose à la politique économique, laquelle reste engluée dans un carcan de vieilles certitudes et de concepts archi-éculés. Au fond, ce budget consacre le néo-libéralisme économique des dix dernières années, fondé sur :

  • la fiscalité directe légère,
  • la facilitation des affaires,
  • l’immigration de compétences étrangères,
  • le modèle de développement axé sur l’immobilier, et
  • le laxisme en matière de régulation environnementale.

Budget-manifeste

Un budget annuel représente davantage qu’un exercice comptable visant à (re)équilibrer les dépenses et les revenus. Il définit les orientations économiques pour l’année financière à venir en matière de fiscalité et de priorités d’investissement public. Or, ce budget apparait comme le manifeste électoral d’un gouvernement arrivant à la fin de son mandat. Depuis l’annonce de vingt mesures pré-électorales par l’Opposition parlementaire, on s’attendait à ce que le gouvernement propose sa propre panoplie de mesures populistes afin de ne pas se laisser dépasser.

Ainsi, le budget 2024-25 a élargi l’État-providence horizontalement (avec de nouvelles prestations sociales) et verticalement (en majorant les prestations existantes). Toutefois, le gouvernement ne s’est pas donné les moyens fiscaux de sa politique sociale.

On ne trouve pas dans le budget de nouvelles sources de revenu, à part une nouvelle taxe de 2% sur le chiffre d’affaires des sociétés au-dessus de Rs 50 millions par an pour financer des actions visant à mitiger le changement climatique. En passant, cette mesure fiscale spécifique est salutaire, vu que les sociétés privées sont principalement responsables de la dégradation de l’environnement avec tous ces projets immobiliers lancés tous azimuts au détriment des écosystèmes naturels. Toutefois, on ne sait pas à ce stade si cette mesure s’appliquera aux sociétés d’exportation et sociétés offshore qui paient l’impôt sur le revenu à 3% (contre le taux général de 15%).

Il faut aussi noter certaines contradictions dans la politique visant à mitiger le réchauffement climatique, notamment cette nouvelle mesure d’étendre les facilites hors-taxe pour l’achat d’un véhicule tous les sept ans aux prêtres inscrits de toutes les religions, ce qui va à l’encontre de toute politique de transport en commun (autobus, tramway) visant à réduire la congestion routière.

Le gouvernement aura beau parler de la nécessité de balancer le progrès social et la croissance économique, l’expansion de l’État-providence se fait au prix d’un déficit budgétaire massif de Rs 62,8 milliards en 2024-25 (les dépenses de Rs 273,3 milliards moins les revenus de Rs 210,5 milliards) et, partant, d’un endettement public accru (Rs 575 milliards, soit 80% du PIB).

La soutenabilité financière de l’État-providence demeure une cause d’inquiétude dans le long terme avec le vieillissement de la population. Le budget ne donne pas un décompte des dépenses et des revenus estimés pour 2024-25. Le rapport de la MRA sur les recettes fiscales pour 2023-24 n’est pas disponible non plus. Comment le gouvernement va-t-il financer le déficit en 2024-25 ? Le rapport du FMI mentionne un prêt de $250 millions (Rs 11, 3 milliards) de la Banque Mondiale pour financer le budget.

Prestations sociales

Le budget a augmenté les prestations sociales de base (pension de vieillesse et allocations aux veuves, invalides et orphelins) de Rs 500 par mois à partir du 1er juillet et de Rs 1000 par mois à partir du 1er janvier 2025.  Comme indiqué dans le tableau (voir: Table 1: Cost of Social Benefits as of Jan 1, 2025 – Tableau 1 : Coût des prestations sociales au 1er janvier 2025), le coût de ces prestations atteindra Rs 64, 5 milliards par année (civile) à partir du 1er janvier 2025 contre Rs 58,5 milliards avant le budget, soit une hausse de Rs 6 milliards (10,3 %).

Le gouvernement accorde d’autres allocations sociales à partir de sa caisse générale (Consolidated Revenue Fund), qui inclut les fonds collectés par la Contribution Sociale Généralisée (CSG), une taxe sur les salaires des employés du secteur privé. Le Tableau 2 – Coût des allocations sociales (Table 2 – Cost of Social Allowances) contient une liste non-exhaustive des allocations sociales mentionnées dans le budget, lesquelles coûteront Rs 15, 3 milliards par an.

Faisant fi de la proposition du FMI à l’effet que la CSG soit réservée au paiement de la pension de retraite dans le secteur privé, le gouvernement continuera à puiser dans le fonds de la CSG pour payer diverses allocations sociales. Une somme totale de Rs 9,7 milliards sera puisée du fonds de la CSG, soit le même montant de CSG collecté en 2022-23.  Donc, le fonds de la CSG n’a pas d’argent pour payer la pension de retraite dans le secteur privé.

Citant Jean Tirole, économiste français qui a reçu le Prix Nobel d’Économie en 2014, le ministre des Finances a dit que l’économie est au service du bien commun. Dans son livre « Economie du Bien Commun », Jean Tirole écrit ceci :

« L’économie est au service du bien commun ; elle a pour objet de rendre le monde meilleur. A cette fin, elle a pour tâche d’identifier les instruments et les politiques qui promouvront l’intérêt général. C’est pourquoi la recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général. »

Pour Jean Tirole, l’économie de marché seule ne peut résoudre tous les problèmes. Il parle du droit à la santé, de l’égalité des chances devant l’éducation et des droits de l’homme, entre autres principes du bien commun.

Privatisation

A ce chapitre, Maurice recule de plus en plus. La privatisation des services publics (santé et éducation) menace l’intérêt collectif. Le nombre croissant de cliniques et d’hôpitaux privés dans le pays, dont la création est encouragée par l’État avec des plans incitatifs, font concurrence aux hôpitaux publics en attirant les patients bien nantis. Il y a une désaffection grandissante envers l’hôpital public.

La privatisation de l’éducation menace la viabilité de l’école publique. Le budget a introduit une déduction fiscale de Rs 60 000 par an par élève pour les familles admettant leurs enfants dans une école privée. Cette mesure accentuera les inégalités de classe dans l’éducation avec, d’une part, les enfants moins lotis confinés à l’école publique et, d’autre part, les enfants nantis recevant une instruction de qualité dans l’école privée. Déjà les taux d’échec aux examens de SC et de HSC sont forts dans l’école publique.

Dans sa vision du bien commun, le gouvernement n’est même pas fidèle aux principes de la social-démocratie, qui vise à établir une société égalitaire fondée sur la redistribution des richesses et des services publics financés par la fiscalité progressive, et non pas en majeure partie par la fiscalité indirecte régressive (TVA) et les taxes d’accise.

Le ministre se targue des Rs 4,9 milliards de crédits affectés aux subventions sur le riz, la farine et le gaz ménager. Or, les consommateurs paient Rs 7,20 par litre de carburant (diesel et essence) pour financer ces subventions. C’est l’argent qui est contribué par les contribuables qui leur est retourné.

Le budget donne des cadeaux aux jeunes de 18-25 ans (Internet gratuit, don de Rs 20 000 à ceux qui atteignent l’âge de 18 ans), mais n’apporte pas de réformes pour assurer le droit à l’emploi fondé sur la méritocratie dans le secteur public. Les jeunes talentueux émigrent de plus en plus pour chercher l’herbe verte ailleurs. A l’exode des cerveaux, les autorités ont trouvé une solution de facilité : encourager l’immigration de travailleurs et de cadres étrangers.

Maintenant les retraités étrangers résidant à Maurice dans les résidences IRS, PDS et RES pourront concurrencer les Mauriciens en ce qui concerne l’accès à l’emploi et à la propriété privée. Il y aura un déclassement social des mauriciens en faveur des étrangers, ce qui est une menace à la cohésion sociale dans l’avenir.

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