Où en sommes-nous vraiment politiquement à Maurice ?

Par-delà les sondages…

Eclairages

Par A. Bartleby

Un récent sondage de la situation politique a fait couler beaucoup d’encre ces dernières deux semaines. Les principales conclusions de ce sondage sont que près de 68% des sondés attendent l’émergence d’un nouveau leader politique, que le MSM caracole en tête des intentions de vote avec 19,5% d’adhésion au niveau des partis individuels, que l’alliance de l’opposition parlementaire est actuellement en tête des intentions de vote pour les prochaines élections générales avec 36% et que les nouveaux partis ont du mal à dépasser le seuil des 5% d’adhésion.

La première chose à noter est que le sondage ne déclare pas sa méthodologie, ne dévoile pas ses questions et ne dit rien de l’échantillonnage utilisé. Il parle de 1000 sondés, mais ne donne pas le profil de ces sondés, ce qui rend impossible de savoir si l’échantillon est représentatif ou non de la multitude des opinions politiques. En effet Maurice, malgré la petite taille de son territoire, est un pays d’une grande complexité politique.

La dimension identitaire du vote, sa géographie aussi, avec une division toujours active entre ruralité et urbanité, la dimension idéologique qui reste importante dans certains milieux socio-économiques et les adhésions historiques font qu’il est difficile d’avoir une lecture claire des tendances politiques actuelles. Surtout que les bases historiques des partis dits traditionnels ne cessent de s’effriter au fur et à mesure des élections générales.

Celles de novembre 2019 avaient d’ailleurs été intéressante de ce point de vue. Le MSM et ses alliés avaient dégagé une majorité avec 37% des votes, ce qui avait constitué un score faible par rapport aux précédentes majorités. En effet, à y regarder de plus près, il faut en moyenne 45% des votes afin de pouvoir constituer une majorité solide à l’Assemblée nationale.

Plusieurs facteurs avaient déterminé les résultats des élections générales de 2019, et le fait qu’une majorité avait pu être dégagée avec moins de 40% des suffrages exprimés. Le fait déjà que ces mêmes élections n’avaient pas été une lutte entre deux grands blocs d’alliance mais une lutte à trois avait forcément déjà posé les bases d’un fléchissement des scores vers le bas. Ainsi, le MSM et ses alliés, l’alliance entre le PTr et le PMSD d’un côté, et le MMM se présentant seul, a de facto orienté l’issue du vote.

De plus, le positionnement de certains nouveaux partis ou de certains candidats indépendants a également influencé les résultats, grattant dans les bassins historiques de certains partis et permettant ainsi de resserrer les marges. Ce fut le cas des candidats comme Patrick Belcourt, Oliver Thomas et Eric Guimbeauqui ont tous les trois fait des scores dépassant les 3000 votes dans les circonscriptions 19, 20 et 17 respectivement.

Ces scores, combinés à l’éclatement des votes en trois grandes parts, ont suffi pour bouleverser la donne, et produire des écarts bien plus serrés qu’à l’accoutumée. Cela explique, par exemple, comment certains candidats se sont tenus dans un mouchoir de poche, avec des écarts de moins de 50 votes entre le troisième et le quatrième dans certains cas.Si l’on rajoute à cela le taux d’abstention record de 22,5%, nous constatons que 7 électeurs sur 10 n’ont pas voté pour la majorité gouvernementale.

Ce fait inédit est la conséquence des élections triangulaires dans notre système ‘First-Past-The-Post’ (FPTP), hérité de la tradition wesminstérienne britannique, qui pourrait continuer à être poussé jusqu’à ses limites. En d’autres termes, le système FPTP pourrait produire la situation ubuesque où un parti pourrait obtenir une majorité solide à l’Assemblée nationale avec une infime minorité des votes. Ce scénario semble relever de la folie, mais les tendances politiques actuelles tendent vers cela, et la logique du FPTP le permet de manière intrinsèque. Ce qui est sûr, c’est que la combinaison de l’érosion des bases, l’émergence de nouveaux partis capables de gratter quelques centaines de votes et l’abstention produisent une situation qui ne fera que tendre vers les limites du système FPTP. 

Sommes-nous ainsi condamnés à subir les conséquences de ce système et de ses ramifications ? Pas forcément. Toutes les réflexions autour d’évolutions constitutionnelles s’inscrivent d’ailleurs dans cette volonté de faire bouger les lignes et de faire évoluer les choses. Le problème fondamental de ces propositions est qu’il faut une majorité de trois-quarts à l’Assemblée nationale pour les implémenter, ce qui est pour l’instant impossible. De plus, nous avons tous pu constater le résultat de la proposition de la Deuxième République portée par l’alliance PTr-MMM en 2014 : un rejet massif de toute évolution constitutionnelle qui découle d’une peur viscérale d’une instabilité chronique ou du moindre changement des rapports de pouvoir, et notamment des rapports de pouvoir identitaires, à Maurice.

Bhadain, Belcourt et le plafond de verre des fameux 5%

D’où viendra donc ce changement supposément attendu par 68% des Mauriciens ? Sommes-nous prêts pour l’émergence de nouvelles forces politiques ou est-ce que la voie du progrès passera par le renouvellement du personnel politique au sein des partis traditionnels ? Ces questions ont du sens dans la mesure où nous nous trouvons dans une situation où certains partis émergents sont en train de se construire des bases et que les partis traditionnels recrutent des jeunes qui formeront dans quelques années des noyaux durs au sein de ces mêmes partis.

Concernant les partis émergents, il est intéressant ici d’analyser le cas de Roshi Bhadain et de Patrick Belcourt, qui sont actuellement dans une alliance. Les deux hommes ont des parcours politiques différents.

Primo, Roshi Bhadain, élu sous la bannière du MSM en 2014 qui a occupé un poste ministériel d’envergure. Malgré les controverses qu’il a suscitées au pouvoir, cette expérience du gouvernement et l’image d’un homme politique combatif sont ce qui lui donne une certaine légitimité au regard d’une section de l’électorat qui voit en lui une alternative potentielle au poste de Premier ministre.

Secundo, Patrick Belcourt, qui a lui un parcours politique différent. Sans être passé par un parti traditionnel, il a réussi à se constituer une petite base dans la circonscription numéro 19, lui permettant de faire un score extrêmement intéressant lors des élections de 2019. Est-ce que cela signifie qu’un tandem Bhadain/Belcourt pourrait faire exploser le plafond de verre des fameux 5% ? Rien n’est moins sûr.

C’est une chose d’avoir la capacité de rassembler quelques désillusionnés du système, c’est une autre chose de transformer cette alliance conjoncturelle en une force politique capable de rassembler une majorité afin de conquérir le pouvoir. Cette conquête repose forcément sur des individus capables de rassembler, mais cela ne suffit pas.

La conquête du pouvoir passe avant tout par la constitution d’un appareil politique capable d’occuper un territoire et d’organiser l’adhésion politique et idéologique requise pour avoir une force de frappe lors d’une élection. Ce dernier point est la raison pour laquelle un parti comme Resistans ek Alternativ ne parvient pas à se hisser au niveau d’une force politique majeure dans le paysage mauricien. Ils ont des figures charismatiques, des idées intéressantes et sont plutôt bien organisés, mais leur lecture idéologique du paysage mauricien est perçue comme en déphasage avec nos réalités.

Quel chemin existe-t-il donc pour les Bhadain et les Belcourt qui se positionnent actuellement dans l’espace politique ? Ils n’ont en réalité d’autre choix que de faire assez de bruit afin de se donner les moyens d’intégrer une alliance avec une locomotive à l’approche des prochaines élections. Encore une fois, il faudrait différencier entre les deux puisque leurs parcours sont différents.

Dans le cas de Roshi Bhadain, il est dans la délicate situation où aucun parti traditionnel n’a démontré un intérêt quelconque en faveur d’une alliance avec lui et son Reform Party. Le personnage est considéré comme politiquement incontrôlable, et il est probablement entré dans un piège dont il ne sortira pas.

Dans le cas de Patrick Belcourt, il a également raté le coche en réalité. C’est au lendemain des élections de 2019 qu’il aurait dû se rapprocher d’un parti traditionnel, et il aurait eu toutes les chances de négocier un positionnement avantageux pour lui. N’ayant pas fait cela, il est lui aussi condamné à une errance politique qui risque d’être longue.Dans son cas, il pourrait renverser la vapeur sur les prochaines années.

l’émergence de figures fortes: Obeegadoo, Collendavelloo, Ganoo et Ramano

 Par ailleurs, il y a un phénomène politique qui émerge depuis quelques années et qui est très peu commenté, celui de l’émergence de figures fortes. Steven Obeegadoo, Ivan Collendavelloo, Alan Ganoo et Kavi Ramanoen sont des exemples. Ils ont tous longtemps opéré au MMM, apprenant les rouages de la politique, avant de se mettre à l’avant comme des individus capables de négocier des alliances en leurs propres noms. Ils ont un certain « branding » qui fait qu’un parti comme le MSM voudrait les avoir à ses côtés.

Ce « branding » repose sur plusieurs choses : l’expérience de terrain dans un vrai parti politique, l’expérience dans un gouvernement où ils ont démontré leur capacité à occuper des ministères, le fait qu’ils se soient constitués des bases qui les ont suivis lorsqu’ils ont quitté le MMM et le fait aussi qu’ils soient positionnés dans des circonscriptions urbaines (sauf pour Ganoo) où ils peuvent jouer les trouble-fêtes.

Dans le calcul électoral de 2019, il était clair que le MSM souffrait d’un défaut d’ancrage dans les circonscriptions urbaines, et ces individus ont ramené exactement cela. Il faudrait voir comment évolueront les choses à partir de là, mais il y a quelques individus capables d’être en position des Obeegadoo/Collendavelloo/Ganoo/Ramano dans les partis de l’opposition parlementaire. Nous pensons ici notamment à Shakeel Mohamed, à Osman Mohamed, à Michael SikYuen, à Reza Uteem ou encore à Adil Ameer Meeah. Ces individus ont ce qui est requis pour lâcher leur parti et se mettre dans une alliance avec un bloc capable de remporter les élections générales. Et il se pourrait bien que la tendance imprimée par les anciens du MMM lors des élections de 2019 devienne une tendance réelle pour le moyen terme. Bhadain et Belcourt pourraient, par exemple, suivre cette voie si elle se précise.

PTr et MMM: Le défi de la transition

Quant aux partis traditionnels, il est clair pour toutes les personnes qui connaissent un peu le terrain politique, et qui ne mesurent pas la température politique du pays à travers quelques postes sur les medias sociaux, dont Facebook, que les partis traditionnels sont là pour rester pendant un bon moment. Il ne faut pas sous-estimer le fait que ces partis ont une histoire politique, des idéologies acceptables à l’électorat et des expériences de gouvernement. Ceux-ci joue un rôle extrêmement important aux yeux de l’électorat lorsqu’une élection approche.

Et à y regarder de plus près, par-delà les fils et filles à papa, ces partis recrutent activement des jeunes depuis quelques années. Certains de ces jeunes sont même déjà très bien positionnés pour occuper des responsabilités d’envergure dans le moyen terme, surtout que le leadership de ces partis sera appelé à se renouveler progressivement sur les deux prochaines décennies.

Dans le cas du PTr et du MMM, au-delà du défi des prochaines élections, la direction actuelle de ces deux partis vontdevoir régler un autre défi aussi sinon plus important au niveau de la succession des deux leaders. Dans le cas du PTr, Navin Ramgoolam n’a pas de successeur désigné et nous devinons que ce parti risque d’être plongé dans des luttes intestinales lorsque l’actuel leader se retirera, d’une manière ou d’une autre. Mais ces luttes intestinales permettront au parti de se renouveler. C’est à partir de telle bataille politique que des figures fortes pourraient émerger, du moment qu’ils soient également des individus capables de proposer des solutions politiques aux problèmes actuels. Il reste à voir cependant si Navin Ramgoolam s’attellera sérieusement à préparer la transition au niveau du leadership du parti – un leadership acceptable et crédible – qui saura “keep the party together”.

Dans le cas du MMM, tout laisse à penser que le Bérengisme pourrait triompher avec la fille suivant le père dans une opération que beaucoup de militants de la première heure soutiennent en privé équivaudrait à un acte de sabordage ultime du parti. C’est d’ailleurs exactement ce qu’attendent les anciens du MMM, aujourd’hui en alliance avec le MSM de Pravind Jugnauth, afin d’accueillir les Militants désillusionnés.

Mais à y regarder de plus près et selon certaines têtes penseurs au sein du parti, le MMM n’a en réalité pas d’autre choix que de passer les rênes à Joanna Bérenger, si le parti ne veut pas devenir la propriété de ses députés de Port-Louis qui obtiendront enfin ce qu’ils et leur électorat recherchent depuis 1967 : le contrôle total d’un appareil politique d’envergure et surtout national. Ainsi, une Joanna Bérenger en tant que leader du MMM apparaît comme un moindre mal, même si le MMM risque dans ce cas de devenir la version bérengiste du PMSD…

PMSD et MSM… Xavier Duval en attente d’une offre “digne et sincère”

Le MSM et le PMSD sont eux dans des situations différentes.

Le PMSD n’a jamais essayé de se croire plus fort qu’il ne l’est réellement, acceptant volontiers d’apporter ses fameux 5 sous afin de faire la Roupie. Cette posture est exactement ce qui a fait la force politique de parti et ce qui lui permet de faire partie de tous les gouvernements. Mais les choses évoluent pour eux également. Le leader actuel commence à penser que son parti pourrait être bien plus que simplement 5 sous, surtout au regard de la tendance démontrée par le MMM. En gros, plus le MMM coulera, plus le PMSD aura des chances d’occuper l’espace laissé vide par les mauves et devenir (ou redevenir) le parti des minorités.

Même si des rumeurs persistantes font état du désir de Xavier-Luc Duval de passer la main, il ne serait actuellement pas insensible à une proposition du MSM lui allouant presque 18 à 20 tickets. Cette offre est historique et monumentale pour le PMSD; c’est aussi un signe clair envoyé au leader des bleus, qui a là l’occasion de renverser la vapeur avec le MMM et de devenir un parti bien plus important qu’il n’a été ces dernières décennies. La décision du leader du PMSD pourrait ainsi avoir un impact profond sur les rapports de pouvoir dans l’espace politique mauricien, et il faudra rester très attentif à cela.

Nous arrivons ainsi au MSM, le parti qui est pour l’instant le détenteur des clés du pouvoir à Maurice. Les choses paraissent plus simples au niveau du MSM. Pravind Jugnauth n’a que 62 ans et son leadership ne sera pas remis en question avant au moins 10 à 15 ans. Est-ce que le parti soleil préparera un leader en devenir progressivement au fur et à mesure de ces prochaines 10-15 années ? Il faudra attendre pour voir la tendance car il est bien trop tôt pour pouvoir se prononcer sur cette question.

Mais ce qui est certain, c’est que l’actuel Premier ministre parait avoir un ancrage beaucoup plus solide que le pensent certains observateurs, et notamment ceux qui ne comprennent pas la culture politique et identitaire du “Hindu Belt”. Le calcul est en réalité simple de ce point de vue. Les circonscriptions 4 à 14 ont un “voting pattern” d’une simplicité déconcertante : en votant pour 3 candidats, ils votent majoritairement pour un Premier ministre qui est un homme de religion hindoue et de la caste des Vaish qui s’appelle Jugnauth ou Ramgoolam. Et les supposés changements démographiques ne changeront rien à cela pour au moins les deux prochaines décennies.

Reste à voir si l’électorat fera l’impasse sur les affaires qui ont éclaboussé la gouvernance du MSM ces dernières années et l’épineux problème de la cherté de la vie qui affecte la grande majorité des Mauriciens, qu’ils soient des régions urbaines ou rurales. Le gouvernement MSM se donnera sans doute les moyens avec le prochain budget d’amadouer les électeurs, encore que le dernier discours du ministre des Finances sur les caisses vides de l’État pour alimenter l’augmentation promise en 2019 de la pension de vieillesse, a jeté l’émoi et l’incertitude dans cette partie de l’électorat. Là également, il faudra aussi voir si les mesures et autre promesses qui vont sans doute être annoncées au prochain et dernier budget de ce gouvernement, produiront l’effet escompté.

C’est d’ailleurs également pour cela que le retrait de Navin Ramgoolam, qui n’a pas d’héritier, éventuellement produira quelque chose de très intéressante sur l’arène politique. Mais tout cela se mettra en place petit à petit une fois les prochaines élections passées.


Mauritius Times ePaper Friday 10 November 2023

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