Budget 2016-17 : Finalités Sociale et Politique

Dans la conjoncture actuelle cet exercice est particulièrement périlleux et pourrait être déterminant dans l’évolution de la situation non seulement économique aussi bien que politique du pays

Personne ne conteste aujourd’hui la grosse tendance vers une détérioration constante de l’environnement social à Maurice. Nous y sommes confrontés de manière quasi quotidienne dans les reportages des médias rapportant les trop nombreux cas de déliquescence du tissu social – allant des vols à la tire, aux crimes les plus crapuleux en passant par les cambriolages de plus en plus audacieux et en bandes organisées, sans pour autant oublier la violence dans les ménages ainsi qu’à l’école.

Ajoutez à cela le trafic de la drogue qui gangrène la jeunesse et la tragédie des accidents fatals sur nos routes et nous ne sommes pas loin d’un scenario quasi catastrophique. Les médias jouent leur rôle lorsqu’ils font état de ces nombreux événements malheureux et rien ne sert de leur jeter l’opprobre en prétendant que ce sentiment de profond malaise qui en résulte leur serait attribuable.

Rien ne sert non plus à pratiquer le jeu favori des politiques qui consiste à pointer du doigt les adversaires et prétendre qu’un simple changement de gouvernement serait « la » solution à cette situation tragique. Brosser un tel tableau peut paraître alarmant voire désespérant mais il n’en demeure pas moins nécessaire d’en faire état et ne pas s’enfoncer encore plus, la tête dans le sable, en prétendant que ce ne sont là que des épiphénomènes qui sont dus au manque d’efficacité des forces de l’ordre ou de l’arsenal répressif. D’où, par exemple, l’appel à la barbarie de la politique d’« un œil pour un œil » que constitue la réintroduction de la peine de mort dans notre système de justice.

Face à un constat si accablant et à l’énormité du problème auquel nous sommes confrontés, il est tentant de se tourner vers un « individualisme forcené » qui consiste à continuellement se plaindre de tout ce qui ne va pas tout en se réfugiant dans une démarche qui consiste à rechercher des solutions pour soi et pour ses proches immédiats. Ce genre de comportement qui est, par ailleurs, soutenu par une idéologie ambiante ultralibérale du chacun pour soi découle souvent d’un constat d’impuissance à changer les choses et se justifie par le « pragmatisme et le réalisme ».

C’est ainsi qu’un ancien dirigeant de Nestlé devait déclarer lors d’une réunion du Forum économique mondial à Davos, « qu’on soit un individu, une entreprise ou un pays, l’important pour survivre dans ce monde, c’est d’être plus compétitif que son voisin. » Ceci aurait été parfaitement justifiable si, selon la théorie originale d’Adam Smith, cette recherche individuelle de croissance du bien-être de chacun mise en compétition avec son voisin avait pour finalité la croissance de la somme de bien-être au niveau national.

Or, ce qui était vrai dans un contexte historique et surtout religieux (le Puritanisme qui a façonné l’émergence du capitalisme anglo-saxon privilégiait l’épargne et la discipline de vie rigoureuse) donné est loin d’être approprié pour une époque où le gaspillage et la satisfaction immédiate – non pas de ses besoins mais de ses envies – sont devenus le moteur d’une société de consommation effrénée, faisant fi du sort de tous ceux qui par faute de pouvoir d’achat sont incapables de participer à cette grande mouvance et se retrouvent ainsi marginalisés.

Tout ceci pour démontrer que cette crise sociétale (car c’est bien de cela qu’il s’agit) est complexe et profonde et appelle par la même occasion des solutions correspondant à cette complexité et à sa multi-dimensionnalité. Le recours à des experts demeure certes un des éléments de réponse mais une approche bureaucratique voire technocratique s’est souvent prouvée inefficace tant que ne sont pas réunies les autres conditions nécessaires à un dénouement positif.

Il s’avère que de plus en plus dans une économie mondialisée et suite à la révolution dans le domaine de la technologie de l’information, que ni le capital, ni le travail, ni le fait de détenir les matières premières, ne constituent en soi le facteur économique déterminant. Le plus important, c’est la définition d’une relation optimale entre ces trois facteurs. Or, dans la détermination de ce rapport optimal, nous pénétrons dans le domaine des rapports de force entre le patronat, les travailleurs et l’Etat et donc de plain-pied dans le champ de l’idéologie et de la politique.

L’analyste Ignacio Ramonet cerne de manière succincte la lourde tâche de ceux qui veulent s’attaquer à ce nouveau capitalisme, qu’il décrit comme « la marchandisation généralisée des mots et des choses, des corps et des esprits, de la nature et de la culture, ce qui provoque une aggravation des inégalités ».

Pour revenir à des questions plus prosaïques, le prochain budget du gouvernement devrait nous donner une indication claire de la voie qu’il compte suivre du moins dans l’amorce d’une résolution de la crise socio-économique décrite plus haut. Tout en reconnaissant que le ministre ne détient pas de baguette magique, les mesures budgétaires devraient au minimum poser les jalons de la voie qu’il compte suivre durant son mandat.

Pour les progressistes, la centralité de la question de la réduction des inégalités et le combat contre la marginalisation d’une frange de plus en plus importante de la société sera l’aune auquel se mesurera la volonté du gouvernement à trouver des solutions équitables et durables sous peine de voir une désarticulation accentuée de la nation mauricienne. La mise en œuvre de la question du salaire minimal fondée sur le précepte d’une nouvelle politique de faire de la République de Maurice « a high income economy » serait souhaitable.

De même que l’on pourrait s’attendre à des mesures visant à réduire la fracture grandissante entre, d’une part, les grands possédants et une élite bureaucratique parfaitement intégrée dans la mondialisation et, d’autre part, une classe moyenne qui ne cesse de se réduire comme une peau de chagrin. La non- convergence des intérêts économiques entre la classe moyenne et une petite élite économique privilégiée rend très compliquée la définition de l’intérêt national et fragilise la mobilisation des forces vives nécessaires pour une relance économique tous azimuts. Dans ce contexte, la révision du système d’imposition en faveur d’un régime plus équitable envers la classe moyenne demeure d’actualité.

Un budget est un instrument de politique économique qui devrait s’insérer dans une vision à moyen terme de l’action gouvernementale. La présentation du prochain budget prend un caractère particulier de par le fait que c’est un nouveau ministre qui en aura la responsabilité et qui devrait donc le marquer de son empreinte. Dans la conjoncture actuelle cet exercice est particulièrement périlleux et pourrait être déterminant dans l’évolution de la situation non seulement économique aussi bien que politique du pays.

* Published in print edition on 17 June 2016

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