Le mal commis est un malheur suspendu ; le bien accompli est un trésor caché. [Proverbe malgache]

République de Maurice : la flexibilité incroyable des valeurs

Traditionnellement, les valeurs permettent aux individus de bien distinguer entre le Bien et le Mal ; elles permettent de vérifier qu’un être humain est bien ou mal intentionné envers lui-même, envers son prochain, envers son environnement (la flore et la faune), envers Dieu.

Certains pensent que les valeurs englobent le respect de la vie, le respect de soi, le respect des plus faibles, le respect de la propriété personnelle et collective ; le respect du travail, l’honnêteté dans les interactions, la dignité, la loyauté et le sens de l’honneur ; le respect des religions, la tolérance, le respect des différences et la recherche de la justice pour tous. Les valeurs recouvrent plusieurs pratiques citoyennes et/ou religieuses. Quelques exemples : « Ne pas voler », « Ne pas mentir », « Ne pas être égoïste », « Ne pas avoir de pensée malintentionnée »,…

Transmission des valeurs

Autrefois, à Maurice, les parents, la famille, les enseignants et aussi les religieux (imams, pandits, pasteurs, prêtres) étaient les garants de la transmission des valeurs. C’était l’époque où il y avait un contrôle social. La majorité des Mauriciens avaient honte d’avoir recours au Mal. Les gens en avaient peur : ils ne souhaitaient pas que le voisin découvre un jour qu’ils avaient fait « quelque chose de mal »… La honte, c’était la gêne, la disgrâce, une humiliation inacceptable annonçant la déchéance de l’être humain…

Par conséquent, les valeurs étaient intériorisées et faisaient partie intégrante des faits et gestes des individus. Chacun apprenait à se tenir au sein de la famille, à se comporter correctement en société selon une norme sociale et à adhérer à l’éthique professionnelle de son lieu de travail. L’enseignement avait parfois lieu en bonne et due forme ou alors, l’on apprenait à travers l’observation silencieuse des pratiques et des interactions entre adultes. Les Senior Citizens disent : « Nous ne parlions pas, nous ne discutions pas. Nous connaissions les limites à respecter dans chaque situation. »

Petit à petit, nos valeurs ancestrales se sont modifiées en fonction de ce qui se passe dans le monde : guerres ethniques, tueries et génocides ; Wall Street, les banquiers et la thésaurisation des riches; FMI, Banque mondiale et augmentation de la misère; exploitation massive continue de l’Afrique par des grandes puissances internationales et des politiciens véreux; exploitation des travailleurs étrangers et des enfants, prostitution infantile et pédophilie, partout dans le monde…

Dégradation et perte des valeurs

Nous avons basculé dans ce que l’on nomme le « développement économique ». Le « Tigre de l’océan Indien » est devenu un « pays en voie de développement » et n’appartenait plus au tiers-monde… Nous nous sommes « modernisés » sans mettre de balises pour protéger nos valeurs : rien n’a été prévu sur le plan politique et social pour contrecarrer les impacts négatifs sur la famille. Les femmes ont continué à quitter le toit familial pour se rendre au travail. Il n’y avait plus de chômage.

Le niveau de vie a augmenté mais pas le niveau moral. Les hommes n’ont jamais quitté les tavernes d’arack. Au contraire, les femmes ont aussi développé le goût de la bouteille… Les grands-parents sont devenus un fardeau encombrant et une lourde dépense financière. Toutefois, les garderies et les leçons particulières n’ont pas pu remplacer les liens affectifs solides entre les grands-parents et les petits-enfants… Au contraire, chacun pensant à soi, les leçons se sont transformées en « rampaging corruption », engendrant une perte de certaines valeurs dans le système éducatif.

A ce moment-là, la classe politique a rajouté du venin au poison qui brûlait déjà le tissu social à petits feux. Certains ont parlé des leçons comme étant un « mal nécessaire » et d’autres ont affirmé haut et fort que « moralité pas rempli vant »… La greffe du « Mal » avait si bien pris que la population n’a pas pensé à son rejet. Presque tous avaient oublié que le Mal ne favoriserait, en fin de parcours, qu’une poignée de privilégiés… Ils disaient : « Ici, ça n’arrivera jamais. »

Matérialisme débridé

La masse s’est littéralement jetée sur la « commodification » de tout, y compris des relations humaines. Il y a eu et il y a toujours une lutte pour acquérir et posséder des signes extérieurs de richesses : bungalows, téléphones portables, voitures de luxe. La société de consommation procure sans compter bouteilles d’alcool de luxe, drogues, gambling stores et betting shops, salons de massage en tous genres, vente de ses propres enfants au commerce du sexe, …

Nous avons basculé dans « la démocratisation du Mal » avec l’ultralibéralisme et Ia marchandisation des droits d’utilisation des terres et autres biens publics. On a démocratisé la question que se posaient, auparavant, uniquement certains capitalistes traditionnels : « Moi, personnellement, qu’est-ce que j’ai à gagner de cette transaction et/ou de cette relation pour augmenter mes ressources matérielles? »

Sans aucun doute, les institutions ont chancelé vers le Mal. Quand une institution possède des valeurs, elle a un taux élevé de productivité. Les employés sont engagés car ils sont satisfaits de leur situation professionnelle et du traitement qui leur est accordé. La hiérarchie s’efface pour laisser la place à la compétence. Il n’y a pas de tricherie. Chacun accepte ses limitations et aussi les succès de l’autre sans jalousie. Le travail collaboratif ne cède pas la place à la personnification du Mal : un networking ethnique ou un lobby d’incompétents. L’éthique professionnelle est balayée : l’individu utilise l’institution pour obtenir autant d’avantages et de facilités qu’il peut pour lui-même. Il change de veste politique comme il change de chaussettes… Les opportunistes roder-boute utilisent le Mal en se moquant des valeurs et/ou les flexibilisent à outrance pour s’auto-satisfaire, ne sachant pas encore qu’ils se sont empêtrés dans le Mal en toute transparence,…

Puisque nos valeurs se sont diluées en l’absence d’un cadre régulateur solide au niveau politique et social, la famille, elle, est devenue l’antre où le Mal est accueilli sous toutes ses formes à bras ouverts au point de devenir, dans certains cas, le lieu même de production du Mal. Lorsque l’on est dans la société, ce que pensent les voisins n’a plus aucune importance. L’enjeu principal, c’est de s’enrichir par n’importe quel moyen, se remplir les poches de billets, garnir son compte en banque avec de l’argent « mal gagné », se positionner avec l’aide du « Mal » au plus haut niveau uniquement pour toucher un salaire mirobolant sans aucune honte, sans aucun état d’âme… Tous les coups sont permis. Les vétérans du Mal frappent encore et encore sans aucune honte,… pour en mettre plein la vue… et indiquer que les Colons – anciens et nouveaux – sont toujours là pour régner.

Recherche d’un bouc-émissaire

A la fin du 20e siècle, la masse rejette tout en bloc sur le système éducatif. Certains, fidèles à leurs habitudes, profitent pour politiser et accuser uniquement les établissements publics. Il faut bien trouver un bouc émissaire pour se donner bonne conscience… Entretemps, l’on continue d’acheter des cadeaux onéreux pour ses enfants pour compenser le manque affectif, on les jette régulièrement dans le dépotoir des leçons particulières afin d’y enterrer en même temps ses propres responsabilités parentales… Sur le plan social, les suicides et toutes les formes de violences éclatent au grand jour. Dans une République aux valeurs amovibles, fluctuantes et de plus en plus floues, la classe politique, elle, continue sur sa lancée « moralité pas rempli vant »….

Les jeunes sont désemparés face à l’absence de valeurs chez beaucoup de professionnels. Ils craignent pour leur avenir. Victimes du Mal, ils font un constat désolant et dur à entendre : « Ceux qui font le Bien sont si peu nombreux dans notre pays. C’est l’exception qui confirme la généralisation du Mal. » Ils savent que la démocratisation du Mal ne présage rien de bien pour la République, ce qui explique que beaucoup vivent au jour le jour… Ils n’attendent plus rien de personne et ne s’engagent plus…

Questions

Tout être humain provient d’une famille, d’un milieu communautaire et/ou religieux. Toute institution est composée d’hommes et de femmes, issus de ces milieux. Tous vivent dans la même société. Quand les valeurs y sont réduites comme une peau de chagrin au point de ne presque plus exister sauf pour le « faire-paraître », le « faire-croire » et le « se-faire-remarquer », qu’advient-il alors du pays ? Quelle voie poursuit une société déréglée et déréglementée ? Vers quelle destination se dirige la République qui ne véhicule aucune valeur ou si peu ?

Faudrait-il enseigner les valeurs aux jeunes afin qu’ils en soient porteurs et qu’ils garantissent la fiabilité des familles, des normes sociales, de nos institutions, en perte de crédibilité chaque jour que Dieu fait ? Faudrait-il réintroduire des valeurs professionnelles au sein des institutions mauriciennes publiques, privées ou parastatal bodies ? Y a-t-il urgence à revoir le mode de fonctionnement en politique ?

Et, au rythme où se déroule l’effritement des valeurs actuellement, sachant que ceux qui ont recours au Mal, dépassent souvent leur gourou idéal, il faudrait se demander : « Qui va enseigner ces valeurs aux jeunes afin qu’ils puissent reprendre le flambeau en temps voulu?»

Telles sont les questions qui viennent à l’esprit quand l’on pense aux « affaires » en période pré-électorale, notamment celles directement liées à l’accaparement – les cadeaux faits aux « proches » pour honorer le « Mal » et faire valoir sa supériorité, la soif du pouvoir et l’enrichissement au moyen du Mal, avec pour résultat un appauvrissement exponentiel des valeurs familiales, sociales, institutionnelles, politiques,…

Pourrions-nous retrouver un jour nos valeurs disparues ou en voie de disparition ? Est-il normal d’attendre ce jour avec patience et foi sans broncher, comme des autistes ? Les Mauriciens attendent-ils un guérisseur étranger qui exhorterait « le Mal » à quitter les entrailles de la République en criant : « Je t’expulse » ? Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir à l’horizon ?

Pendant ce temps, un petit groupe de citoyens ordinaires ont foi dans la résistance des esclaves marrons et des travailleurs engagés. Ils respectent la lutte engagée pour l’indépendance et glorifient les valeurs fondamentales et les valeurs citoyennes immuables. Ils continuent leurs actions sur le terrain. Ils dénoncent avec insistance la flexibilité inouïe des valeurs. Si « le Mal est facile, le Bien demande beaucoup d’efforts », ressemblant souvent à un éternel recommencement… Ils doivent tout mettre en œuvre pour être à la hauteur de ceux qui ont donné l’exemple du Bien, à Maurice ou ailleurs dans le monde, ces garants de notre humanité et de la survie de notre planète.

 


* Published in print edition on 7 February 2014

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