Témoignage des deux derniers pionniers d’une aventure inédite de 1954

60 ans de Mauritius Times : Ce qui compte, c’est l’humain !

60 ans d’existence et de parution régulière chaque vendredi d’un hebdomadaire : c’est d’abord et avant tout une entreprise humaine non-négligeable et le dévouement d’une équipe à une cause juste.

 60 ans d’un parcours parsemé de hauts et de bas : c’est aussi l’occasion de faire une incursion dans le passé, de retourner à la source et de redécouvrir ce qui constitue le socle même du journal Mauritius Times. Pour cela, nous sommes allés à la rencontre de deux hommes, Monsieur Guruduth Moher (né le 13 janvier 1924) et Monsieur Beesoonduth Hazareesing (né le 11 août 1927), tous deux ayant aidé et assisté la cheville ouvrière du journal, Vikram (Beekrumsing) Ramlallah, avant le lancement de Mauritius Times dans la première moitié du 20e siècle.

Les prémisses

En tête de liste, Vikram Ramlallah reconnu pour sa vision et sa ténacité, voire pour sa témérité, ce qui lui permet de mener à bien une idée novatrice. Il s’agit de proposer au lectorat mauricien un journal d’opinions pour prouver que chacun est libre de donner son point de vue tout en respectant autrui à un moment où ceux qui sont attaqués par la presse locale, notamment Le Cernéen, n’ont aucun forum d’expression.

Fort de son projet d’établir un nouveau journal dans le paysage de la presse écrite mauricienne, Ramlallah recherche activement l’opinion de certains membres de sa famille, de ses proches, de ses amis, et de ceux en lesquels il perçoit les compétences journalistiques qui pourraient servir le projet. M Moher nous donne des détails sur cette étape initiale du projet :

« Je connaissais l’épouse de Ramlallah car elle était ma cousine. J’étais plus jeune qu’elle. Nous avons grandi dans la même maison depuis que j’avais l’âge de sept ans. Nous étions amis et nous étions toujours ensemble depuis mon enfance jusqu’à mon mariage. C’était ma sœur, voyez-vous. Je l’appellais didi.

Venons-en maintenant à Mauritius Times. Ramlallah travaillait comme enseignant à l’école Maheswarnath à Triolet. J’étais aussi enseignant à l’école primaire, et ensuite, inspecteur général. Les liens se sont soudés naturellement entre Ramlallah et moi-même.

A l’époque, il y avait deux journaux, Le Mauricien et Le Cernéen. Ramlallah habitait à Montagne Longue. Il s’intéressait à la politique. Il avait plusieurs voisins comme les Bhagat, par exemple. Ensemble, ils ont décidé de créer Mauritius Times. Ramlallah m’en a parlé à la maison. »

Quant à M Hazareesing, il nous explique les circonstances de sa première rencontre avec B. Ramlallah :

« J’écrivais pour un journal indien, le Calcutta Chronicle. J’avais écrit sur Sookdeo Balgobin, élu comme membre de l’Assemblée législative. A ce moment-là, c’était un article prisé. Ramlallah, je suppose, a su par le truchement de Nalanda que j’écrivais pour des journaux en Inde. Je signais toujours mes articles et j’y insérais aussi mon adresse : Verdun, Mauritius. So Ramlallah knew that there was someone in Verdun who could give him some hints. Je ne connaissais pas Ramlallah. Nous ne savions même pas que nous étions parentés à ce moment-là.

Un jour, un bonhomme est arrivé à Dagotière où je suis né. C’était un hameau, un village enclavé. Quelqu’un lui a montré le chemin et l’a mené à moi. La coïncidence voulait que c’était mon père lui-même. Ramlallah m’a dit :

–       J’ai lu quelques uns de vos articles. J’ai envie de lancer un journal ici.

Je lui ai répondu :

–       Votre idée n’est pas seulement grande mais aussi conviviale. Mais je suis en partance pour l’Inde.

C’était fin juillet 1953 que j’avais reçu sa visite. Mais je devais partir début août pour l’Inde. Je lui ai demandé rassembler toutes ses idées et ensuite, nous pourrions en discuter avant mon départ. Nous nous sommes rencontrés au Nalanda un samedi. Même si l’idée était grande, il y avait beaucoup de risques. La vie d’un journal à Maurice, que ce soit Radical ou Advance, est de 20 à 25 ans. »

M. Hazareesing évoque avec passion son intérêt pour le pays de ses ancêtres, développée à partir de ce que lui racontait son père et sa grand-mère sur ses ancêtres et leur pays d’origine. Dans le cadre d’une bourse d’études, il a la chance de se rendre en Inde où il suit la Gandhian Scheme of Basic Education. Il vit une année dans les villages indiens avec les citoyens ordinaires, se levant à quatre heures du matin, réveillant les villageois, et faisant le travail d’un laboureur. Ce séjour en Inde le transforme radicalement. Il nous raconte son retour à Maurice.

« Je suis rentré à Maurice après avoir fait mes études. Là, j’ai vu Vikram Ramlallah. C’était la première personne que j’ai vue à mon retour. Je lui ai demandé :

–       Où en êtes-vous avec votre projet ? »

Il m’a dit :

–       Ca tient bon.

Il tenait toujours à lancer un journal. C’était en 1954. Je lui ai alors demandé de me donner un aperçu du travail qu’il avait déjà abattu pour étudier le dossier. Nous ne devions pas nous jeter dans une mare sans fond. Avec le journalisme, vous êtes présent dans la maison de chacun. Alors, il faut savoir gagner leur sympathie d’abord et ensuite leur reconnaissance.

Je n’avais aucune idée de la manière dont le projet allait se concrétiser. Je savais qu’un journal était publié sur papier mais, à part cela, le concepteur du journal, c’était bien Vikram. Personnellement, je n’avais pas d’expérience dans ce domaine. J’avais fait du journalisme et il y avait un journaliste qui m’avait beaucoup impressionné (en Inde). C’était le fils du Mahatma Gandhi qui était le rédacteur en chef du Hindustan Times. Il m’avait donné ce conseil : Be yourself.

Alors, j’ai transmis ce conseil à Vikram :

–       Be yourself. Don’t borrow any idea from anybody. Whether your paper will fail or not, that is a different issue. If you are yourself, you will attain something in life that very few people attain. Voyez-vous, il ne faut pas prendre un entonnoir et mettre du second-hand knowledge dans votre esprit. When you are yourself, you are original.

Ramlallah a bien accueilli cette recommandation. »

M Hazareesing lui prodigue quelques autres conseils, notamment l’importance de s’entourer de personnes compétentes afin d’éviter les embûches. Il lui parle de l’importance de travailler avec un avocat ou un conseiller légal pour s’occuper de tout ce qui relève des cas de diffamation, entre autres. Il contactera donc Somduth Buckhory. Puis, il faut aussi un historien. Ce sera donc le Doojendranath Napal qui était le directeur d’un établissement secondaire, le Neo College, à l’époque.

Ainsi, au gré des rencontres imprévues ou inattendues, et aussi à travers des rencontres ponctuelles ou voulues avec de jeunes intellectuels, Vikram Ramlallah renforce sa conviction en son projet. Autour de lui, tous reconnaissent l’importance de ce projet et la nécessité de combler un vide dans le monde des médias. Dès lors, pour consolider son projet, Ramlallah invite un certain nombre de jeunes de 20 à 25 ans, la grande majorité appartenant au monde enseignant, à une rencontre à Port-Louis.

La rencontre décisive

La rencontre décisive a lieu en 1954, un samedi au Nalanda. Vikram Ramlallah est entouré de plusieurs collaborateurs et la majorité d’entre eux appartiennent au monde éducatif. M. Moher nous raconte :

« A l’époque, au Nalanda on vendait des livres. Le groupe décide de lancer Mauritius Times pour faire entendre une autre voix par rapport au Cernéen et au Mauricien. Nous avons fait une réunion à l’arrière de Nalanda. Le thème de la réunion était l’ouverture d’un journal. Il y avait Ramlallah, les Bhagat de Montagne Longue, Sewgobin Sharma, et d’autres dont j’ai oublié les noms. »

M Hazareesing nous explique que tous, ce jour-là, avaient une conscience aiguë des défis à relever : « Nous savions que cela allait être une aventure difficile. » Il fallait donc rassembler les idées, discuter des difficultés éventuelles et réfléchir aux moyens à mettre en place pour les aplanir, définir la structure organisationnelle et la philosophie du journal.

« Le journal se veut proche de la classe des travailleurs car, à l’époque, il n’y avait aucun journal pour défendre les intérêts des travailleurs », indique M Moher.

La décision est entérinée. C’est le début d’un projet d’envergure pour l’équipe. « Ramlallah donne sa démission comme instituteur pour s’occuper de cette entreprise », signale M Moher.

Le premier tirage

M. Moher donne des détails sur les débuts modestes de l’équipe et leur organisation dans des locaux étroits.

« Vis-à-vis de Nalanda, il y avait un petit bureau et une petite presse. A l’étage, au-dessus de la petite presse, il y avait un bureau. A la librairie Nalanda, dans le petit couloir, l’on y allait pour composer les lettres. A l’étage, on éditait des articles. Il y avait un petit bureau et on a acheté une petite imprimerie. Il y avait une atmosphère conviviale. On montait et on descendait plusieurs fois, naviguant entre bureau et imprimerie.»

L’équipe doit prendre une décision par rapport au jour de parution du journal. Ce sera le vendredi comme l’explique M Hazareesing :

« The day came when the newspaper was ready to hit the street. Le 15 août était le jour de l’indépendance de l’Inde et c’était un dimanche. A ce moment-là, les activités étaient réduites. Nous avons pris la décision de dater le journal le 14 août, ce qui était un samedi. Mais samedi était toujours un jour de travail et les journaux étaient lus, très souvent, en grande partie, les vendredis. Les journaux circulaient aux quatre coins de l’île ce jour-là. Alors, nous avons opté pour les vendredis.

A l’origine, nous avions ciblé un lectorat : les étudiants. Comme tous les journaux étaient en français, sans exception, alors Mauritius Times, automatiquement, allait paraître en anglais. Nous avons commencé par les étudiants du Neo College et ensuite du Bhujoharry College à Port-Louis. Ils étaient des lecteurs assidus de Mauritius Times. »

Contributeurs et lectorat

M. Moher est un collaborateur régulier et se retrouve chaque après-midi dans le petit bureau pour scruter les lettres et documents envoyés par le public. Il vérifie les compositions afin d’en éliminer les erreurs.

« Nous vérifiions s’il y avait des allégations ou autres. Il n’y avait pas vraiment de problèmes entre nous. Nous étions un groupe d’amis. Nous discutions parfois de l’impact d’un article, d’un paragraphe, d’une phrase sur les lecteurs. Mais nous évitions de froisser aussi ceux qui envoyaient des textes et, très rarement, nous décidions de modifier la tournure d’une phrase, par exemple. »

M Hazareesing, lui, contribue de temps à autre en y déposant en mains propres un article. L’avocat Somduth Buckhory écrit l’éditorial mais il utilise un pseudonyme à cause de son emploi dans la fonction publique. C’est aussi le choix de plusieurs autres collaborateurs : la plupart préfère garder l’anonymat. « Parmi les collaborateurs, il y avait aussi les Sooriamoorthy, Somoo, Ram Ruhee et Pandit Ramloll, etc. Kher Jagatsingh s’est joint à l’équipe rédactionnelle par la suite. », se souvient M. Moher. Le journal ne rencontre pas de problème avec les autorités mais il y a des périodes difficiles que M Moher ne souhaite pas évoquer.

A cause de son attachement pour le journalisme, suite à sa retraite comme inspecteur des écoles primaires, M Moher s’occupe de la vente des journaux. Il est le témoin tantôt de la disparition de certains journaux et tantôt de la disparition progressive de lecteurs réguliers de certains journaux. Il raconte avec une émotion à peine voilée :

« Quand Mauritius Times a pris une grandeur assez avancée, je pouvais me retirer. Nous étions alors en 1958. Plus tard, quand je vendais des journaux, j’avais observé que la plupart des lecteurs de Mauritius Tmes étaient des hindous. La plupart des hindous appartenait à la classe des laboureurs. Mais aujourd’hui, les hindous sont ceux qui lisent le moins, à part quelques intellectuels. Les Chrétiens, eux, ils ont l’habitude de lire des journaux. Ce qui explique que les journaux doivent parfois faire face à des difficultés financières. J’achète toujours Mauritius Times même si je ne peux plus lire. Mauritius Times, on l’appelait parfois le journal Moher… »

Et 60 ans plus tard…

M Hazareesing se souvient avec beaucoup d’humilité des moments difficiles de Mauritius Times qui a résisté contre vents et marées à tous les obstacles.

« A partir de là, voyez-vous, Mauritius Times est devenu une institution en elle-même, qui va donc célébrer son 60e anniversaire, one of the longest media serving newspapers of Mauritius. C’est la fierté de Ramlallah. All the credit goes to Vikram. Si ce n’était pas par la ténacité de Ramlallah, le journal aurait pu connaître un autre destin et finir comme une feuille de chou… pour citer NMU qui critiquait Jaynarain Roy. »

Il avance que les problèmes de discrimination existent dans tous les coins de la planète et il faut rester vigilant dans le monde contemporain. Il faut lire les journaux du passé pour mieux comprendre le présent. Quant à M Moher, sa passion et son dévouement pour le journal sont encore intacts sauf que l’âge lui fait défaut. Il n’hésite pas à declarer ceci :

« Voyez-vous, if tomorrow the paper is threatened to die and needs something, I’ll give the whole thing to Mauritius Times. Ce journal est encore important aujourd’hui. ”

 


* Published in print edition on 14 August 2014

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