« Voilà ce qui nous guette : un naufrage !
|Interview : Jean Claude de l’Estrac, Journaliste
C’est comme pour le Wakashio ; le danger était annoncé, il était devenu imminent, on a continué à danser au balcon de l’hôtel du gouvernement… »
* ‘C’est la question de savoir qui sera le chef du gouvernement d’alternance qui importe le plus à l’électeur. Ce choix est l’épine au pied de l’opposition’
* ‘Bérenger est plus acceptable aujourd’hui à l’électorat travailliste, l’électorat jeune en tout cas, que Ramgoolam à l’électorat du MMM’
Plusieurs spécialistes affirment que la pandémie aura nécessairement des effets négatifs, voire dévastateurs, sur l’économie mondiale. La République de Maurice était déjà fortement endettée avant l’arrivée de la Covid-19. Est-ce que le Gouvernement a pris les dispositions nécessaires en termes de mesures de préparation et de prévention ? Jean Claude de l’Estrac donne son point de vue. Il nous parle également du regroupement du PTr, du MMM et du PMSD pour se présenter comme gouvernement d’alternance et de la question de leadership d’une éventuelle alliance de ces trois partis…
Mauritius Times : Selon vous, les conditions politiques sont-elles réunies à ce stade pour la mise en place d’un regroupement du PTr, du MMM et du PMSD pour se présenter comme gouvernement d’alternance ?
Jean Claude de l’Estrac : Ce regroupement est sans doute un impératif, mais les conditions optimales sont loin d’être réunies.
D’abord les conditions objectives : ces partis sortent affaiblis d’une récente défaite électorale, et même si la majorité gouvernementale n’a obtenu que 37% de suffrages, même si sa gestion est très contestée par une partie de l’électorat, elle affiche une tranquille assurance qui vient du fait qu’elle pense bénéficier de la durée.
Et puis, dans notre système quasi présidentiel, c’est la question de savoir qui sera le chef du gouvernement d’alternance qui importe le plus à l’électeur. Ce choix est l’épine au pied de l’opposition.
* La rapidité avec laquelle cette plateforme a été mise en place est quand même assez surprenante. Il y a comme un empressement de la part des dirigeants de ces trois partis. Qu’est-ce qui expliquerait cela, à votre avis ?
Je pense que les difficultés du nouveau gouvernement à s’imposer, la série de mauvaises nouvelles, le déferlement de scandales, les choix hasardeux et les nominations honteuses ont incité les partis de l’opposition parlementaire à se regrouper rapidement pour mieux contrer le pouvoir et l’affaiblir davantage. C’est leur intérêt commun. Mais cette rapidité n’est pas un gage de pérennité et de solidité.
* Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier Duval ont, d’un commun accord, choisi de faire abstraction pour l’instant de la question de leadership d’une éventuelle alliance. Repousser à plus tard cette décision ne résout pas le problème, et ne ferait que confirmer la perception de l’absence de consensus sur la question, non ?
Exactement. C’est la question qui risque de faire capoter cette alliance. Soyons clairs : si Navin Ramgoolam insiste pour diriger cette alliance et se présenter comme le Premier ministre de l’alternance, l’alliance est morte. Le MMM ne sera pas en mesure de cautionner ce choix ; ce qui reste de son électorat est certainement hostile à cette éventualité.
Il est évident qu’il n’y a pas encore de consensus sur la question, mais l’alliance a le temps de voir venir. Notre histoire politique nous enseigne que les recompositions électorales, les réalignements politiques se déroulent surtout en deuxième partie d’un mandat quand une partie de l’électorat, opportuniste et cynique, sent tourner le vent.
* Il n’y a pas que l’électorat du MMM. Voyez-vous l’électorat rural soutenir un autre rapprochement entre le PTr et le MMM ?
Je n’ai pas de certitudes, mais j’ai la conviction que Bérenger est plus acceptable aujourd’hui à l’électorat travailliste, l’électorat jeune en tout cas, que Ramgoolam à l’électorat du MMM.
Je parle globalement, je ne parle pas de leadership. Sur ce point, je crois que l’électorat les renvoie dos à dos mais pas pour les mêmes raisons.
* La base du PTr et du MMM reste silencieuse. Et, il n’y a eu jusqu’ici aucun signe de contestation venant des Travaillistes ou des Militants, généralement plus bruyants. Qu’est-ce qui explique cela, selon vous ?
Parce qu’il n’y a pas encore d’enjeu. Les électeurs ne sont pas dupes, ils savent que les élections ne sont pas pour bientôt, sauf énorme imprévu.
Et puis, les activistes de ces partis sont les premiers à vouloir connaitre l’identité du chef qui mènera les troupes à la prochaine bataille.
* Par ailleurs, les choses ne sont pas très claires au sein du PTr. Le retour en force de Navin Ramgoolam – c’est lui qui reprend le contrôle de l’agenda du parti – semble avoir coupé les jambes au groupe parlementaire et au leader de l’opposition. C’était prévisible ?
Parfaitement. Personne au parti travailliste ne fera partir Ramgoolam s’il ne le veut pas. Et plus on s’agitera autour de lui pour le faire partir, plus il campera sur ses positions. C’est son tempérament.
Quand on se rapprochera vraiment des échéances, on peut penser qu’il prendra la juste mesure des choses pour mettre dans la balance l’avenir de son parti et son sort personnel.
J’imagine que Ramgoolam doit se dire que Pravind Jugnauth sera tellement discrédité, arrivé à la fin du mandat, que du coup, il retrouvera une certaine grâce aux yeux de ses électeurs traditionnels.
* Par ailleurs, Lindsay Rivière nous disait récemment que Navin Ramgoolam ne s’intéressera à la conclusion d’une alliance formelle avec le MMM et le PMSD que s’il la dirige — ce qui fera aussi l’affaire de son adversaire direct, le MSM, n’est-ce pas ?
Lindsay Rivière a raison. Dans les circonstances actuelles, c’est la posture de Ramgoolam. Mais je n’écarte pas un changement dans le cas d’une évolution dramatique de la situation.
* Au fait, il paraît que certains Travaillistes seraient plutôt en faveur d’un rapprochement avec PravindJugnauth aux prochaines élections, estimant que Navin Ramgoolam a fait son temps. Voyez-vous cela aboutir avec le temps ?
C’est une hypothèse que je n’écarterais pas. Si l’électorat, pour lequel l’hôtel du gouvernement est le symbole, appréhende la perte du pouvoir à cause d’une dispersion des voix aux élections, il est fort probable que des influenceurs seront à l’œuvre pour rapprocher les positions afin de sauvegarder ce qui est essentiel à ses yeux.
* Le Gouvernement a encore quatre ans pour redresser sa situation et aller aux élections. Mais il ne semble pas avoir quelque intention de changer grand-chose à ce qu’il fait ou à sa manière de faire. Cela vous surprend-il ?
Oui. Je ne croyais pas Pravind Jugnauth aussi arrogant et têtu. Il ne se reconnaît aucune faute, jamais. S’il parvient, comme vous le dîtes, à « redresser » la situation – ce qui implique qu’elle part de travers – il sera acclamé comme un grand leader.
Mais si la situation continue à se dégrader, si le chômage continue à augmenter, si le pouvoir d’achat continue à baisser, si le pays se paupérise, si ses acolytes continuent à cannibaliser l’Etat, il sera le Premier ministre le plus honni de notre Histoire.
* Toutefois, il ne faut pas écarter la capacité du Gouvernement, disposant d’une équipe motivée et de moyens considérables, à gérer cette situation, cela avec le soutien et la bienveillance de la MBC-TV… Votre opinion ?
J’en doute ! Je n’ai pas le sentiment que le Premier ministre a réuni autour de lui les meilleures compétences du pays pour l’aider à gérer une situation d’une extrême complexité au plan mondial comme au plan national.
Je ne sais de quels « moyens considérables » vous parlez : si l’on n’y prend garde, le pays manquera de devises étrangères bientôt ; il va falloir emprunter, s’endetter davantage. La bienveillance imbécile de la MBC-TV n’y fera rien !
Je ne souhaite pas jouer à l’oiseau de mauvais augure, mais j’ai de très grosses inquiétudes pour le futur de notre pays. Tout n’est pas de la faute du gouvernement, tout n’est pas non plus la faute de la Covid-19. Beaucoup des dysfonctionnements actuels du pays sont le résultat des manquements du gouvernement, de ses choix aberrants, de ses folles dépenses et de la médiocrité de certains pans du service public.
Je ne digère toujours pas ce non-sens qu’est la Contribution Sociale Généralisée ; j’avais dénoncé cette injustice qui fait peser sur nos enfants le poids de nos propres inconséquences.
L’injustice aussi qui oblige nos entreprises qui contribuent déjà à des fonds de pension privés et qui doivent injecter de l’argent frais pour éponger leur passif, à devoir maintenant contribuer au nouveau fonds imposé par le ministre des Finances. Sans compter l’imposition des employés du privé pour payer la pension des privilégiés de la fonction publique.
* Au fait, selon la plupart des experts, le pire de la crise économique mondiale est encore à venir. Il y a donc des jours difficiles devant nous, cela tant que les signes de reprise ne seront pas présents. Avec moins d’argent disponible dans les caisses de l’Etat à des fins d’assistance directe aux chômeurs et autres dans les mois à venir, les choses risquent de se compliquer sur le plan social. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais quoi penser de l’apparente inertie du gouvernement. C’est comme pour le Wakashio ; le danger était annoncé, il était devenu imminent, on a continué à danser au balcon de l’hôtel du gouvernement ; et ce, jusqu’au naufrage et le déversement du fioul. Voilà ce qui nous guette : un naufrage !
* Des employés d’Air Mauritius ont manifesté dans les rues de Port- Louis pour exprimer leur indignation devant la décision « unilatérale » des administrateurs de procéder avec une nouvelle baisse de salaires, après celles de 40% à 60% imposée en juillet. Malgré la multitude des mesures prises, Air Mauritius continue à enregistrer des pertes de Rs 300 par mois en raison de la pandémie de Covid-19. Etes-vous optimiste quant à la possibilité d’un redressement de la compagnie par des administrateurs avec le soutien financier du Gouvernement ?
C’est très dur pour les employés d’Air Mauritius, mais ils sont aujourd’hui les employés d’une compagnie en faillite menacée de disparition. Ils n’ont aucun pouvoir de marchandage. Le pire, c’est l’absence de perspective.
Quel est le plan stratégique des administrateurs, celui du court terme, tant que durera la Covid-19 et les frontières fermées de nos principaux marchés ? Et le plan de sortie de crise quand sera-t-elle de mise ?
Je ne sais si ce tandem d’administrateurs, sans expertise de l’aérien, sera capable de formuler des plans efficaces par ces temps de profondes mutations du trafic aérien mondial.
De plus, l’Association internationale du transport aérien estime maintenant que ce n’est pas avant 2024 que l’on peut espérer un retour du trafic aérien d’avant-crise. Il est estimé que le trafic chutera de 63% cette année !
Comment être optimiste ? Il est impensable que le Gouvernement puisse étendre le Wage Assistance Scheme pour encore 36 mois !
* Published in print edition on 30 October 2020
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