14e mois : la politique du compromis l’emporte
|Promesses électorales
Si le boni de 14e mois était le prix à payer par le présent gouvernement pour sauver la démocratie, c’est alors une charge à court terme pour un bénéfice à long terme
Par Prakash Neerohoo
Après un laborieux exercice d’évaluation des finances publiques qui a révélé des squelettes dans les placards – plus nombreux et plus terrifiants qu’on ne le croyait -, le gouvernement a finalement tranché sur la question du boni de 14e mois à payer en décembre 2024. L’état des finances publiques ne permettant pas un boni de 14e mois universel, contrairement aux promesses électorales, il a fait un compromis : limiter ce boni supplémentaire (qui est d’ailleurs en sus du 13e mois) aux employés des secteurs public et privé touchant moins de Rs 50 000 par mois.
“Le boni de 14e mois est conceptuellement une idée saugrenue. Elle fut proposée par un gouvernement sortant en perte de vitesse qui avait promis monts et merveilles à l’électorat afin de regagner le pouvoir, quitte à précipiter le pays dans la banqueroute financière. S’inspirant de la devise « Après moi le déluge », il a pratiqué une politique de la terre brulée en faisant des promesses monétaires mirobolantes à gauche et à droite sans se soucier de leur financement. Ce faisant, il a piégé en quelque sorte le gouvernement alternatif (Alliance du Changement) en l’obligeant à lui emboiter le pas…” P – Mauritius Business Resource
Ce compromis est plutôt une cote mal taillée parce qu’il n’est pas accepté par tous, y compris des patrons et des syndicats. Le gouvernement a trouvé le juste milieu entre le patronat, qui contre-proposait un boni plafonné à Rs20500, et des syndicats trop revendicatifs.
En effet, le ciblage du boni de 14e mois en faveur des salariés au bas de l’échelle a fait des mécontents parmi les employés qui touchent plus de Rs50000 par mois. Ils croyaient à l’avènement du Père Noel en cette fin d’année. Or, le déficit budgétaire de l’Etat (révisé à 8% du PIB en 2024-25) et la situation financière précaire des PMEs (petites et moyennes entreprises) imposaient une ligne de démarcation quelque part dans le barème des salaires.
Le seuil de Rs 50 000 semble raisonnable dans la mesure où neuf sur 10 employés dans le pays bénéficieront du boni de 14e mois. Un seuil de Rs 20 000 (équivalant au salaire minimum) aurait défavorisé la couche inférieure de la classe moyenne alors qu’un seuil de Rs 100 000 aurait été trop généreux, coûtant très cher à l’Etat et aux PMEs. La formule de boni choisie coûtera au moins Rs7 milliards au gouvernement en termes de 14e mois aux fonctionnaires et aux bénéficiaires des prestations sociales (pensions de vieillesse, de veuve, d’invalide et d’orphelin). Le secteur privé devra débourser davantage.
Idée saugrenue
Il faut dire que le boni de 14e mois est conceptuellement une idée saugrenue. Elle fut proposée par un gouvernement sortant en perte de vitesse qui avait promis monts et merveilles à l’électorat afin de regagner le pouvoir, quitte à précipiter le pays dans la banqueroute financière. S’inspirant de la devise « Après moi le déluge », il a pratiqué une politique de la terre brulée en faisant des promesses monétaires mirobolantes à gauche et à droite sans se soucier de leur financement. Ce faisant, il a piégé en quelque sorte le gouvernement alternatif (Alliance du Changement) en l’obligeant à lui emboiter le pas concernant la promesse du boni de 14e mois.
Certains diront que l’Alliance du Changement n’aurait pas dû faire une promesse universelle qu’elle savait déraisonnable, compte tenu de la situation financière du pays. C’est un jugement a posteriori. Même si l’on connaissait la gravité des finances publiques avant les élections, fallait-il prendre le risque d’un retour au pouvoir d’un gouvernement autocrate en refusant de le combattre sur son terrain ?
Sauver la démocratie après 10 ans de tyrannie était un choix de civilisation. Cela imposait une bataille à armes égales, quitte à faire de la surenchère électoraliste. Si le boni de 14e mois était le prix à payer par le présent gouvernement pour sauver la démocratie, c’est alors une charge à court terme pour un bénéfice à long terme (short-term pain for a long-term gain). Dans ce sens, le boni de 14e mois est un choix d’économie politique.
Au plan strictement économique, il est difficile de justifier le boni de 14e mois. Dans deux articles précédents (l’un sous le titre « Is a 14th month salary a viable proposition » dans l’édition du 24 juin 2024 de ce journal, et l’autre sous le titre « La carotte électorale du boni de14e mois » dans l’édition du 8 novembre 2024), j’ai déconstruit la proposition en montrant comment elle est irrationnelle du point de vue économique.
Un boni supplémentaire sans aucun rapport avec la productivité ou la performance au travail est tout simplement une idée anti-économique. Elle existe seulement à Maurice ! Il faudrait à la place un boni de productivité en fonction de la performance évaluée selon des critères objectifs et/ou un plan de participation des employés aux bénéfices des entreprises dans le secteur privé. Ces deux systèmes de récompense du travail existent dans d’autres pays.
Ciblage des avantages sociaux
Mais ce qui est fait est déjà fait. S’il y a un aspect positif dans l’approche du gouvernement, c’est le ciblage du boni de 14e mois qui marque une certaine rupture avec le principe de l’universalité qui guidait jusqu’ici la politique officielle relativement aux avantages sociaux et aux subventions sociales (prix subventionnés du riz, de la farine et du gaz ménager).
En ces temps de déficits budgétaires massifs où les ressources financières sont rares, il serait souhaitable que le principe du ciblage s’applique à toutes les prestations sociales afin qu’elles soient accordées en fonction du revenu du bénéficiaire. Au nom de quelle morale peut-on justifier le paiement de la pension de vieillesse à un millionnaire ou un milliardaire qui a d’autres sources de revenu conséquentes (pension de retraite au travail, revenu professionnel, revenu d’entreprise, revenu de location, dividendes, gains de capital sur la vente de biens mobiliers ou immobiliers, intérêts bancaires, etc.) ?
Certains diront que la couverture universelle des avantages sociaux, comme un principe sacro-saint de l’État-Providence, est nécessaire afin d’éviter que la bureaucratie de l’Etat n’exerce un pouvoir discrétionnaire sur le sort des bénéficiaires, surtout sous un régime autocratique susceptible de pratiquer une discrimination quelconque. Or, il y a une alternative qui permet de protéger les intérêts des groupes vulnérables tout en récupérant une partie des prestations payées aux gens riches. C’est l’imposition de l’impôt sur le revenu sur les prestations sociales au-delà d’un seuil de revenu global qui soit acceptable pour mener une vie décente.
Exemption fiscale
La loi prévoit déjà une exemption fiscale de Rs 390 000 par contribuable sur le revenu net imposable (revenu brut moins les déductions permises pour les personnes à charge, les dépenses médicales, l’intérêt hypothécaire, etc.). Par exemple, si un individu a un revenu brut de Rs 500 000 et des déductions totalisant Rs 200 000, il ne paie pas d’impôt sur le revenu net de Rs 300 000. L’Alliance du Changement a fait deux promesses en apparence contradictoires :
(a) accorder une exemption fiscale sur les prestations sociales (pensions de vieillesse, d’invalide, de veuve et d’orphelin), et
(b) exempter le revenu annuel de moins de Rs 1 million de l’impôt.
Avec une éventuelle exemption fiscale sur le revenu de moins de Rs 1 million, il n’y aurait aucune raison de détaxer les prestations sociales car la majorité des bénéficiaires des prestations sociales ont un revenu global sous le seuil de Rs 1 million. La défiscalisation des prestations sociales ne profitera qu’aux contribuables fortunés.
L’Alliance du Changement devrait abandonner une autre promesse, celle d’accorder une exemption fiscale sur le revenu aux jeunes de 18-28 ans. Cette promesse est en contradiction avec l’exemption fiscale sur le revenu de moins de Rs 1 million car la plupart des jeunes de cette tranche d’âge ont un revenu sous ce seuil. Si un jeune a un revenu supérieur à Rs 1 million par an, il n’y a pas de raison de l’exempter de tout impôt.
Accorder une exemption fiscale selon le critère d’âge est une discrimination parce que la fiscalité directe est fondée sur la capacité financière (ability to pay) du contribuable. Elle va contre le principe de l’équité fiscale qui veut que tous les contribuables paient l’impôt selon leurs moyens à des taux d’imposition marginaux. Toute exemption fiscale est accordée en fonction du revenu et non pas de l’âge, du genre ou de la classe sociale du contribuable. D’ailleurs, la fiscalité directe à Maurice est trop légère (impôt de 2% au minimum avec une addition de 2% selon les tranches de revenu jusqu’au taux maximal de 20%) pour permettre toutes sortes d’exemptions clientélistes.
Mauritius Times ePaper Friday 20 December 2024
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