À Travers le Temps
|Carnet Hebdo
Par Nita Chicooree-Mercier
Le son des “dholoks” résonne ici et là, rappelant que l’hommage à Lord Ganesh se poursuit toute la semaine, depuis que Ganesh Chaturthi a débuté dimanche dernier sur les côtes de l’île.
Une ferveur palpable dans les chants des dévots, vêtus de nouveaux habits flamboyants et colorés, accompagne cette cérémonie divine. L’atmosphère festive, empreinte de spiritualité et parfumée d’encens, réchauffe les cœurs et illumine les esprits en ce dimanche après-midi frais et doux à Mont Choisy, où des stands invitent passants, dévots, participants, promeneurs et touristes curieux à partager des mets pour marquer l’occasion. Une pléthore de plats épicés, “puris”, “rotis” et “biryanis” sont servis à volonté. Des pâtisseries sont offertes même à ceux coincés dans la circulation au volant de leur voiture ou dans des bus embouteillés, apaisant ainsi leur impatience.
Tout au long de l’année, de nombreuses fêtes traditionnelles et dévotionnelles mobilisent les foules dans les espaces publics. Récemment, la circulation a été bloquée par une marche, accompagnée de pétarades de motos pilotées par des jeunes gens brandissant des drapeaux à Triolet. D’autres événements similaires, relayés par la MBC, témoignent de l’enthousiasme populaire pour ces célébrations de masse accompagnées de musique.
Sous un ciel gris, les braves gens vaquent à leurs occupations quotidiennes avant de rentrer chez eux en fin de journée. Devant le snack ‘Chez José’, quelques passants conversent joyeusement en attendant d’être servis. Le jeune homme qui tient l’échoppe, vêtu d’un tee-shirt Lacoste et arborant une coupe de cheveux à la mode, semble à peine sorti de l’adolescence. Je l’imagine mal préparant avec “belna”, “chawki” et “tawa” des gâteaux, sandwichs et “rotis”.
– C’est vous qui préparez tout cela ? je demande.
– Non, c’est ma mère, répond-il calmement.
Une jeune femme, toute souriante, explique aux clients que lorsque les études ne sont pas le fort des jeunes et qu’ils ne savent pas quoi faire de leur vie, il faut prendre des décisions à leur place, pour les guider sur la bonne voie.
Voilà qui est bien dit !
Le jeune homme s’occupe des achats, de la gestion des stocks, aide à la cuisine et sert les clients. Il esquisse un sourire, gêné par le résumé public de sa vie devant une assistance qui lui est étrangère.
– Bravo ! Je félicite sa mère pour les “rotis” et les légumes.
Originaire de Pointe-aux-Piments, elle m’explique que là-bas, les “rotis” et les “puris” font partie intégrante des habitudes alimentaires de tout et chacun. Les temps ont bien changé, les gens aussi. Sa sœur ajoute :
– Mon bonhomme exige des “rotis” et des “caris” de viande trois à quatre fois par semaine. Sinon, il n’est pas content.
Elle obéit sans broncher. Ne dit-on pas que “le chemin du cœur d’un homme passe par son estomac” ? Les plaisirs culinaires flattent le palais et touchent l’estomac, surtout lorsqu’il s’agit de messieurs aux égos proverbiaux. Cependant, espérer que ces délices les rendent, du moins dans de nombreux cas, plus bienveillants envers celles qui se plient à leurs volontés… mieux vaut attendre avec une bougie rouge, dit-on !
En tout cas, bravo à ce beau monde de gérer leur petite entreprise et empêcher l’oisiveté, mère de tous les vices, de s’emparer des jeunes désœuvrés. Et bravo pour la maîtrise de l’art de faire des “rotis” ! Un savoir-faire que l’auteure de ces lignes n’a jamais réussi à acquérir, malgré des années d’effort.
Mes maladresses d’adolescente avec la pâte collent encore à ma peau. Difficulté à étaler une pâte bien ronde, à la décoller du “chawki”, à gérer la juste quantité d’eau, ou encore à la cuire parfaitement sur le “tawa”. Trop fine, elle cuit trop vite et se durcit ; trop épaisse, c’est un désastre.
Ce qui est drôle pour les témoins d’une tentative d’un des leurs à donner une forme convenable à la pâte étalée sur le “tawa”, c’est d’observer la forme des cartes des îles sous leur regard amusé.
Un de nous s’exclame : Tiens, voilà que tu fais un “map Moris” !
En général, l’aîné de la fratrie est irrité par ce genre de commentaires alors qu’il s’évertue à confectionner quelque chose de mangeable pendant l’absence des parents pour une ribambelle de sœurs et de frères, dont certains traversent l’âge difficile de l’adolescence. C’était donc avec un rotin bazar à la main qu’il veillait à ce que nous ingurgitions les mets transformés en bouillie, et les “rotis” – “map Moris” ou pas.
En plus du “map Moris”, l’auteure de ces lignes, la moins douée avec les mains, a réussi très récemment encore à donner la forme de la carte de Rodrigues, tantôt la carte de la Réunion, et comble de catastrophe, lorsque la pâte, trop molle, s’étire en longueur, tout en vertical, elle fait honneur à Madagascar.
A l’époque, les parents avaient déjà émis leur verdict : « Il y a des gens à qui on ne peut rien demander. »
C’est assez curieux de passer à la troisième personne pour passer un jugement, c’est certainement une manière d’atténuer la sévérité d’un jugement peu flatteur. Il ne faut surtout pas penser que ce tour des îles Mascareignes sur le “tawa” soit une raison d’abandonner “belna” et “tawa”. Loin de là !
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L’émission Grandes Lignes, une production locale de la MBC, apporte une bouffée d’air frais. Nous voyons avec plaisir que les étudiants en arts de la MGI s’inspirent de textes d’auteurs locaux pour exprimer, à travers la peinture, leur interprétation des vers et de la prose poétique. Leurs mots en créole, utilisés pour expliquer leurs œuvres, sont un régal à écouter, loin des invectives politiques et du vocabulaire indigent des interviews publiques. L’intervention de ces artistes rend le créole agréable à l’oreille. Est-ce que c’est l’art qui transforme la langue, ou l’inverse ?
Les productions locales de la MBC mériteraient d’être vendues à des chaînes francophones, avec des sous-titres. Bravo à toute l’équipe qui réalise cette émission !
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Les temps n’ont pas vraiment changé, ni les gens. Il y a des décennies, un swami disait à la MBC : « À l’époque moderne dont vous parlez, c’est le même soleil qui brille depuis des millénaires. »
Les besoins et les aspirations des individus ne changent pas. Certains lieux et certaines familles échappent aux assauts du modernisme. Dans ces foyers, le bhojpuri est toujours parlé, les aînés sont choyés, et les frères partagent leur maison, tandis que la sœur, même muette ou veuve, a sa place dans la cour familiale ; elle est aimée et protégée avec toute l’attention et l’affection de la fratrie.
Une organisation qui ne jette personne à la rue fait penser aux valeurs qui tiennent la société, et que la machine du temps fait remonter à une période très ancienne jusqu’au lointain lieu d’origine, le Bihar. Ces lieux et ces familles, disséminés un peu partout sur l’île, préservent les valeurs ancestrales dans la société contemporaine.
La qualité de vie promue aujourd’hui par les autorités ne peut se limiter aux seuls aspects matériels. D’autres structures doivent être pensées et mises en place pour ancrer des repères socioculturels solides.
Mauritius Times ePaper Friday 20 September 2024
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