“Ce sera là la plus grande leçon de cette élection générale”

Quelle volonté de changement chez les Mauriciens?

Interview : Avinaash Munohur

* Diego Garcia ‘deal’: ‘Nous avons là les moyens d’une transformation profonde de notre pays’
‘Une aubaine de taille si elle nous permet de drastiquement moderniser nos infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires et digitales’

* ‘Nos libertés ne vont pas disparaître, mais elles vont évoluer. Tout comme vont évoluer les capacités des États à nous contrôler et à nous surveiller’


Alors que le pays s’approche des élections générales, l’atmosphère politique à Maurice est à la fois électrique et chargée d’incertitudes. Les enjeux sont multiples et complexes, tant pour le gouvernement sortant que pour l’opposition. Dr Avinaash Munohur, un observateur avisé de la scène politique, partage ses réflexions sur cette période cruciale. Après environ dix ans au pouvoir, Pravind Jugnauth se retrouve confronté à un bilan mixte, oscillant entre succès notables et controverses. Parallèlement, l’opposition devra s’efforcer de regagner la confiance d’un électorat qui cherche des perspectives nouvelles. La dynamique des partis extra-parlementaires apportant de nouvelles idées au débat, bien que minoritaires, pourrait également influencer le résultat final, À travers cette interview, nous explorerons les défis et les implications des prochaines élections, tout en examinant la nécessité d’une réflexion profonde sur notre modèle de gouvernance.


Mauritius Times: Il semble clair que nous sommes dans la dernière ligne droite avant les élections générales. Comment envisagez-vous ces élections ?

Dr Avinaash Munohur: Au lendemain d’une annonce aussi importante et historique que la reconnaissance de la souveraineté mauricienne sur les Chagos, nous devons forcément considérer que la donne a changé. Maintenant, il appartiendra au Premier ministre de capitaliser sur le « deal » conclu.

Est-ce qu’il a les moyens de financer ses promesses électorales ? Si c’est le cas, alors il aura un avantage certain sur l’opposition, surtout qu’il a su se positionner comme un Premier ministre qui honore sa parole.

Si ce n’est pas le cas, alors ces élections seront compliquées. D’un côté, Pravind Jugnauth devra composer avec un bilan qui s’étale sur presque 10 années, avec des réussites et des accomplissements certains mais également des scandales et des ratés – notamment de la part de ses ministres et députés. De l’autre côté, l’opposition parlementaire devra tenter de convaincre du bien-fondé d’une alliance qui n’a jamais bien fonctionné dans le passé.

Il est également indéniable que les partis extra-parlementaires vont avoir un impact sur la décision. Ces partis, à défaut d’avoir de vraies chances de prise de pouvoir, se positionnent sur des idées nouvelles qui font vivre le processus démocratique et qui permettent de nourrir un peu le débat politique. Depuis quelques élections, certains de ces partis démontrent même leur capacité à faire des scores importants.

Dans une situation où les choses sont extrêmement serrées, ces partis ont le pouvoir de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre dans plusieurs circonscriptions, notamment celles des zones urbaines.

Il n’est pas impossible que nous nous retrouvions dans une situation où aucun bloc n’obtiendra une majorité claire et que des tractations postélectorales pourraient bien avoir lieu pour former une majorité, ce qui pourrait produire une situation d’instabilité politique qui n’est pas souhaitable pour le pays. Mais nous ne sommes pas encore là.

Encore une fois, si le PM sait capitaliser sur le « deal » des Chagos, alors les choses seront radicalement différentes. Ce « deal » pourrait s’avérer une aubaine de taille si elle nous permet de drastiquement moderniser nos infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires et digitales. Nous aurons, dans ce cas, les moyens d’une transformation profonde de notre pays.

* L’opposition affirme que ces prochaines élections seront tout aussi cruciales que celles de 1967, bien que le contexte politique et social ait évolué. Partagez-vous cet avis ?

Absolument pas. Le monde a changé. Maurice a changé. Les enjeux sont radicalement différents, et nous vivons dans un contexte politique et économique qui ne ressemble en rien à ce que nous avons pu connaître lors des élections précédentes. Utiliser la comparaison avec 1967 ne semble servir qu’à une tentative de jouer sur une rhétorique dont l’objet est de masquer le manque de propositions solides pour l’avenir. La comparaison ne tient absolument pas, ce qui ne veut pas dire que ces élections ne sont pas importantes. Elles sont capitales à bien des égards.

Mettant les questions économiques et institutionnelles de côté pour un moment, l’un des grands enjeux de ces élections est celui du renouvellement du personnel politique, et notamment des leaders politiques. L’électorat avait fait le choix du renouveau et de la jeunesse en 2019, envoyant un message clair aux leaders du PTr et du MMM quant à leur propre position. Est-ce que ce même électorat reconduira ces deux vieux loups à nouveau au pouvoir sans que ces derniers ne montrent la voie du renouvellement ou bien fera-t-il encore confiance à un Pravind Jugnauth dont l’un des arguments de poids pour ces élections sera le renouvellement de son équipe – près de 60 % de nouveaux si on en croit ses récentes déclarations ?

Nous le saurons bien assez tôt, mais quoi qu’il en soit, beaucoup de Mauriciens et notamment cette fameuse majorité silencieuse – qui ne s’exprime ni sur les réseaux sociaux et ni dans les meetings – attendent encore de voir les candidats proposés aux postes clés avant de finaliser leur décision.

* Le point de vue de l’opposition sur l’importance des prochaines élections découle sans doute de ses préoccupations concernant le régime de gouvernance, jugé autocratique, instauré par l’actuel gouvernement. Ce n’est pas exagéré, n’est-ce pas ?

Cette tendance qui a commencé depuis le début des années 2000 n’a pu être inversée pour l’instant. Et si nous regardons un peu autour de nous, puisque Maurice n’est pas l’unique pays qui existe dans le monde, nous constatons facilement que cette même tendance existe dans à peu près toutes les démocraties modernes. La montée des extrêmes — droite et gauche — en Europe, le trumpisme et le wokisme aux États-Unis, ainsi que les mouvements islamistes au Proche Orient et au Moyen-Orient, sont des signes puissants que quelque chose ne va plus.

Il ne faut d’ailleurs pas être un génie pour se rendre compte que la forme sociale-démocrate de la démocratie libérale est en crise, et qu’un retour vers ce régime de gouvernance dans la forme qui fut la sienne dans la seconde moitié du 20eme siècle relève du “wishful thinking”. Notre époque est en fait marquée par la résurgence et la radicalisation des idées extrêmes. Ces dernières trouvent leurs sources dans les inégalités socio-économiques mondiales, mais également dans le fait que nous n’avons plus de certitudes sociales, culturelles et économiques communes. C’est là la face négative de la révolution digitale, où toute fausseté devient une vérité absolue si on la répète suffisamment.

C’est là d’ailleurs, selon moi, le plus grand défi actuel de la démocratie : comment endiguer l’impact des “fake news” et des “deep fakes” dans leur capacité à impacter les gens et leur capacité à influencer les opinions et les jugements ? Toute réponse à cette question implique forcément un type de contrôle des réseaux sociaux qu’aucun Etat n’est actuellement capable d’appliquer sans entraver les principes de la liberté d’expression.

Mais pour revenir au gouvernement, comme je le disais plus tôt, il n’a pas su enrayer cette tendance, qui était déjà bien en place avant. Comment reculer sur tout cela ? Il faut forcément que des hommes et des femmes de bonne volonté s’engagent et poussent pour des propositions qui sachent répondre aux défis actuels en matière de bonne gouvernance. Les leaders politiques ont également la responsabilité de pousser ces idées et de renouveler leurs équipes avec des gens capables et intègres.

Finalement, c’est uniquement par la volonté du peuple que ce genre de changement peut advenir et le peuple n’a démontré – pour le moment du moins – aucune envie de changement. Bien au contraire, l’électorat se complaît dans l’alternance actuelle.

* Il est toutefois essentiel de reconnaître qu’un immense travail de réforme et de consolidation est nécessaire en matière de gouvernance, que ce soit au niveau de nos institutions, de la justice, de l’État de droit, de la lutte contre la corruption, du système électoral ou même de notre Constitution. C’est un vaste chantier, n’est-ce pas ?

Le chantier est immense effectivement. Mais comme toute entreprise d’envergure, il faut le prendre par étapes. Déjà, il me semble qu’il est essentiel d’identifier les priorités absolues en matière de réformes institutionnelles et proposer un “roadmap” clair et précis sur les politiques qu’il faut mettre en place pour les entamer. Le problème fondamental se trouve ici dans le fait que nous n’avons pas de directions claires et précises en réalité.

La lutte contre la corruption, le renforcement des institutions, un système électoral modernisé s’inscrivent dans une vision sociétale plus large et répondent à une question essentielle : quelle société désirons-nous créer ? Or, je constate que cette question fondamentale est totalement absente du débat public.

C’est là que le bât blesse car nous ne voyons pas ces propositions émerger. Nous sommes bien plutôt pris dans une plainte permanente, chose qui ne mène nulle part. Mais les solutions existent. Cela fait des années que je parle de réformer le mode d’existence et de financement des partis politiques, par exemple, avec des propositions concrètes et faciles à implémenter. Est-ce qu’un parti politique a pris ces propositions – qui fonctionnent parfaitement bien ailleurs – au sérieux ?

Il en va de même pour la lutte contre la corruption lors de l’attribution des marchés publics. Il est extrêmement simple de mettre en place aujourd’hui un système en ligne pour toutes les soumissions et les évaluations. Les soumissions peuvent être anonymes et un système à points peut apporter l’objectivité nécessaire à l’évaluation de différents dossiers.

Dans ce cas de figure, c’est la soumission qui obtient le plus de points qui est naturellement choisie. Si une autre proposition est choisie à la place de celle qui récolte le plus de points, alors ce choix doit être obligatoirement justifié devant un comité indépendant. Ce système fonctionne parfaitement en France ou à Singapour par exemple. Pourquoi pas à Maurice ?

C’est par l’accumulation de réformes de ce type que nous arriverons à transformer la culture actuelle qui facilite trop souvent le copinage. Parce que c’est bel et bien de cela qu’il s’agit, d’une culture nationale où les politiciens ne sont qu’un maillon d’une chaîne dont les électeurs font également partie. Toute personne ayant vécu une élection de l’intérieur sait parfaitement bien de quoi je vous parle.

* Pour l’instant, nous sommes seulement confrontés à la surenchère de propositions sociales et gratuites des deux camps politiques. La question qui se pose concerne les coûts de cette surenchère et son impact sur l’économie à long terme, ainsi que sur notre société. Est-ce ‘sustainable’?

C’est justement à cause de cette surenchère que je parle de culture nationale. C’est malheureusement le mode sur lequel se négocie une élection à Maurice. Vous remarquerez que je ne parle pas de « gagner une élection » mais de « négocier une élection ». Cette subtile différence vous dit tout ce dont vous avez besoin de savoir sur la culture électorale mauricienne.

L’électorat est tellement habitué à des politiques de la gratuité qu’il semble aujourd’hui incapable de penser en dehors de ce cadre. Encore une fois, il n’y a là rien de nouveau. La mise en place de cette culture a commencé à la fin des années 1970 avec l’éducation gratuite, le 13ème mois de bonus salarial, le transport gratuit, etc.

Ces politiques nous ont plongés dans une situation où l’attente devient réelle à l’approche d’une élection, et tout parti politique – souhaitant se donner une réelle chance de gagner – doit se plier à cet impératif. Un exemple récent est la liste de propositions de l’Alliance du Changement concernant les pensions. Ces propositions ont tout de suite été suivies par la réplique du Premier ministre.

Comme par hasard, les partisans de l’opposition ont tout de suite trouvé que le PM mettait l’économie dans une situation précaire, alors qu’ils ne trouvaient rien à redire sur les propositions de leur camp. Il y a une grande hypocrisie dans tout cela, mais il y a surtout un grand pragmatisme au fond.

Le pragmatisme est que les deux camps savent parfaitement bien que la majorité de l’électorat attend des propositions qui vont dans le sens de la gratuité. Les deux camps savent aussi qu’il ne réagit pas aux propositions de réformes institutionnelles et de progrès économique de manière aussi enthousiaste qu’il réagit aux propositions où il a un gain financier immédiat à obtenir…

C’est, selon moi, un immense échec de notre politique d’éducation, qui, certes, délivre des diplômes — qui peuvent parfois même servir à obtenir un emploi — mais qui ne permettent pas à la majorité des citoyens de développer une pensée critique, ni de saisir les enjeux et les idées actuelles. Cela explique également le niveau souvent affligeant du débat politique à Maurice.

 

Mais pour revenir à votre question, est-ce que cette surenchère aura un impact négatif sur l’économie dans le long terme ? L’équation est très simple au fond. Il faut produire de la richesse pour la redistribuer. Si on redistribue plus que ce que l’on produit, alors on doit s’endetter. Le niveau d’endettement de l’économie mauricienne n’a cessé de croître ces dernières années. Il y a bien évidemment eu la Covid qui a forcé le gouvernement à soutenir les entreprises et l’emploi, mais la réalité est que la productivité ne cesse de baisser à Maurice depuis au moins deux décennies.

L’endettement en lui-même ne signifie rien, c’est la capacité à soutenir l’endettement qui compte. Et la capacité à soutenir l’endettement est directement liée à la productivité. Et le moyen privilégié par lequel nous contrôlons actuellement cette baisse de la productivité est par la libéralisation du secteur de l’immobilier qui compte pour 47% des FDI et par l’importation des savoir-faire.

De ce point de vue, l’immigration permet de contrer les effets du vieillissement de la population et du “brain drain”. Mais ce modèle n’est pas “sustainable”, ce qui nous met en face d’un immense défi si nous souhaitons renforcer notre économie : comment faire pour produire plus ? Et comment faire pour que moins de jeunes actifs produisent plus pour payer plus de bénéfices sociaux ?

* Donc, dans ce climat de surenchère politique, aucun parti ne s’attaque aux véritables enjeux pour le pays. Aujourd’hui, à la veille d’une élection générale qui sera importante pour Maurice, quelle est votre opinion?

Ce n’est pas tout à fait juste de dire qu’aucun parti ne s’attaque aux véritables enjeux pour le pays. Il serait plus juste de dire que le niveau du débat politique ne permet pas de parler des véritables enjeux et d’en débattre ouvertement. Ceci ne signifie pas que les partis politiques ne sont pas conscients de ces enjeux et du fait qu’ils soient dans l’impératif d’être en accord sur ces mêmes enjeux.

Prenons le cas de Diego Garcia qui est d’actualité. Il est clair que cet exemple précis dépasse toute sensibilité partisane et plusieurs gouvernements qui se sont succédé ont tenté d’arriver à une solution favorable pour la République de Maurice. Les choses se sont accélérées à partir des élections de 2014, du fait d’un travail politique et diplomatique d’envergure. Nous étions d’ailleurs très proches d’une résolution à la fin de l’année dernière. Mais le remaniement ministériel opéré par Rishi Sunak a retardé l’échéance.

Vous avez comme cela des dossiers qui dépassent les intérêts partisans et qui relèvent bien plus de la souveraineté nationale. Et heureusement, pour ces dossiers, l’on arrive à un consensus entre les différents bords politiques. Nous avons trop souvent tendance à uniquement voir les choses en noir à Maurice. Il serait bon de développer une vision plus objective et équilibrée, une vision qui nous permette de faire la part des choses entre ce qui doit être laissé aux passions électorales et ce qui doit être préservé de l’opinion gratuite et inculte.

Certes tout ne fonctionne pas comme il le faudrait, mais tout n’est pas désastreux non plus. Dans une globalisation qui s’affole et où les guerres se multiplient, les fondamentaux de notre économie restent plus ou moins stables – ce qui est déjà beaucoup.

Pour ma part, je pense – et je n’ai eu de cesse de le répéter dès le début de la pandémie de la Covid – que nous sommes pris dans un mouvement mondial de changement de civilisation. La globalisation, telle que nous la connaissons, se transforme à vitesse grand V avec un rééquilibrage des rapports de force sur l’échiquier géopolitique. Nous sommes appelés à composer encore plus avec les super puissances émergentes que sont l’Inde et la Chine, qui vont structurer à elles seules l’avenir de notre région du monde. Notre sécurité nationale, mais aussi l’avenir de notre économie, en dépendent entièrement.

A partir de ce constat, il est clair que nous devons revoir certaines de nos stratégies nationales afin d’augmenter notre résilience. Notre économie repose actuellement sur trois secteurs principaux : le tourisme, l’immobilier et les finances. Ces trois secteurs sont solides mais restent exposés aux incertitudes globales. La crise actuelle de la cherté de la vie nous démontre à quel point il est important de revoir notre stratégie agricole afin de réduire l’insécurité alimentaire et à quel point nous devons absolument augmenter la capacité de notre port. Il est essentiel de faire du port de Maurice un centre de transit régional pour les marchandises et les grands porte-conteneurs. En investissant dans notre port, nous investissons dans notre connectivité aux flux de la globalisation, ce qui en retour nous permettra d’augmenter notre résilience.

Ce genre d’investissements nous permet de mieux nous positionner dans la région et d’être mieux connectés au monde. C’est à travers cette meilleure connectivité, alliée à des politiques économiques et monétaires efficaces, que nous réglerons le problème de la cherté de la vie – qui est selon moi l’urgence économique actuellement.

* À vous entendre parler, je comprends que Maurice se trouve dans une phase de transformation profonde et rapide. Il est clair que ce modèle de développement a lieu au détriment d’une part importante de la population, et notamment des classes moyennes qui voient leurs acquis socio-économiques fondre rapidement. Voyez-vous une issue à cela ?

Il est indéniable que la distance entre les gagnants et les perdants de l’économie ne cesse de grandir à Maurice. Encore une fois, c’est une tendance mondiale et personne n’a de réponse toute faite à ce problème. De manière pragmatique, encore une fois, le Gouvernement tente de contrer cette tendance en multipliant les aides sociales. Nous pouvons deviner que des subsides pourraient venir compléter ces aides sociales afin de soulager le portefeuille des ménages. Mais ces solutions ne sont pas soutenables dans le long terme.

On ne peut pas multiplier les ajustements salariaux et les pensions de manière significative tous les ans. Ceci envoie un mauvais signal aux entreprises et à l’investissement. Comment inverser la tendance ? La clé de voûte à ce problème reste celui de la productivité dans le contexte du vieillissement de la population.

Il est essentiel de se tourner vers les nouvelles technologies qui permettent l’automatisation des tâches afin de contrer le manque de main d’œuvre là où c’est possible de le faire. Je pense ici par exemple à la mise en place d’un vaste programme de “vertical farming”. Ceci peut être une voie pour la reconversion des petits planteurs, par exemple. Pour réaliser un tel projet, il faut que le Gouvernement investisse dans la technologie requise, mais il faut également permettre à ces planteurs d’investir dans ces technologies et d’avoir accès aux formations adéquates.

Il me semble également urgent de mettre en place un système de corps des métiers à Maurice afin que les métiers manuels et les savoir-faire artisanaux soient valorisés et que les formations soient optimisées et standardisées. Nous avons des savoir-faire importants dans les métiers à Maurice, et les secteurs actuels ont grand besoin de ces compétences.

De ce fait, les métiers liés au secteur de la construction, les métiers de bouche, etc., sont tout autant de métiers et de savoirs qui peuvent permettre à beaucoup de Mauriciens d’avoir accès à l’entreprenariat. Il est d’ailleurs essentiel de développer cette fibre entrepreneuriale chez nos jeunes. Mais il faut leur montrer la voie. Et il faut leur montrer que leurs talents ont de la valeur. Beaucoup de valeur même.

C’est en réalité une tout autre approche à la formation, à l’emploi et à l’entreprise qu’il faut développer. Sans cela, nous ne pouvons pas envisager de faire évoluer notre modèle économique.

 * Vous parlez d’un autre modèle de développement qui requiert forcément l’ouverture de nouveaux secteurs de l’activité économique. Pensez-vous que nous sommes capables d’effectuer ces transformations dans la conjoncture actuelle ?

L’ouverture de nouveaux secteurs économiques requiert trois choses : des investissements, des travailleurs qualifiés et un accès à des marchés.

Du côté du marché, le Gouvernement a réalisé des progrès en signant des accords avec des pays comme la Chine et l’Inde, aidant ainsi les industries mauriciennes à accéder à davantage de marchés mondiaux. Quant au développement des compétences, il est clair que nous devons repenser les offres de formation, comme nous venons d’en discuter. Au niveau des investissements, il faut créer le cadre économique adéquat pour l’attirer et mettre en place les politiques permettant aux opérateurs de travailler comme il se doit.

C’est au gouvernement de « driver » ces initiatives en étant clairs sur les objectifs économiques et industriels qui doivent être atteints. Nous nous arrêtons malheureusement trop souvent aux simples effets d’annonce sans vraiment permettre des développements sectoriels d’envergure. Je pense ici au développement de l’économie bleue par exemple. Nous avons un ministère de la Pêche et de l’Économie bleue, mais ses objectifs ne sont pas clairs, ce qui fait que des opérateurs se retirent du secteur alors que l’on doit tout faire pour leur permettre de se consolider, tout en renforçant notre économie.

Mais quoi qu’il en soit, l’ouverture d’autres secteurs de l’activité économique requiert de l’audace et la prise de risque. Il est essentiel que nous regardions par delà nos acquis historiques et que nous commencions à penser différemment.

* Par ailleurs, il y a également la question de l’état de la démocratie dans le monde. Compte tenu de ce qui se passe dans différents pays, y compris le nôtre, diriez-vous que nous sommes condamnés à voir nos libertés disparaître au profit d’un État qui surveillera tous nos faits et gestes ?

Vaste sujet qui requiert une réflexion profonde. Il ne faut pas oublier que ce que nous appelons la démocratie est un modèle de gouvernement qui a émergé dans un contexte historique précis et grâce à des développements techniques et technologiques qui deviennent aujourd’hui obsolètes. Ainsi, la crise de la démocratie ne relève pas uniquement de la volonté de quelques autocrates, mais c’est plutôt un signe que nous avons basculé dans un autre contexte historique, qui a ses propres avancées techniques et technologiques.

Je suis de ceux qui pensent, par exemple, que la révolution digitale aura un impact aussi profond que l’invention de l’écriture ou la découverte de la machine à vapeur sur nos vies. En fait, nous sommes au tout début d‘une révolution industrielle qui sera drivée par le numérique, et cette révolution industrielle va produire d’autres formes d’organisations sociales et va appeler à inventer d’autres formes de relations entre l’individu et l’État.

De ce point de vue, je ne crois pas à un retour à la forme sociale-démocrate de la démocratie. Une autre forme émergera dans les décennies à venir. Et cette autre forme portera en elle d’autres formes de ce que nous appelons la liberté.

Nos libertés ne vont pas disparaître, mais elles vont évoluer. Tout comme vont évoluer les capacités des États à nous contrôler et à nous surveiller. C’est là une conséquence directe du simple fait de l’avancement technologique. Et personne n’y échappera. C’est une partie du fantasme orwellien qui se réalise déjà. Nous sommes en tout cas dans l’impératif d’une grande vigilance si nous souhaitons conserver nos libertés tout en nous adaptant à cette nouvelle donne technologique.

* Nous sommes effectivement pris dans une spirale dangereuse depuis la fin de la Covid. L’insécurité mondiale ne cesse de croître et notre région est particulièrement exposée aux risques d’une escalade au Moyen Orient ou en Mer de Chine. Nous voyons également monter les mouvements d’extrême droite en Europe, et Trump semble bien positionné pour un retour au pouvoir. Quelles seront les conséquences de tout cela sur notre pays ?

L’escalade des tensions au Moyen Orient, et un conflit de plus en plus direct entre Israël et l’Iran, n’annonce rien de bon pour le monde et, par ricochet, pour nous. Je constate que les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, les puissances européennes et l’Arabie saoudite restent extrêmement floues sur leur posture actuellement.

Dans le cas de l’Arabie saoudite, nous savons que cela fait des années qu’elle mène une guerre par proxy contre l’Iran. Les frappes israéliennes au Liban et au Soudan, contre le Hezbollah et les Houthis respectivement, s’inscrivent donc directement dans les intérêts sécuritaires du royaume saoudien. Ceci explique le manque de réactivité des Saoudiens sur Gaza et sur les opérations militaires israéliennes en général. Mais Israël devra faire très attention à ne pas traverser la ligne rouge qui pourrait forcer l’Arabie saoudite à réagir militairement. Le franchissement de cette ligne signifie, je pense, une escalade qui pourrait devenir incontrôlable.

Quoi qu’il en soit, nous sommes dans une situation extrêmement volatile. Tout dérapage pourrait faire exploser les prix des énergies et des matières premières, ce qui aura des conséquences dramatiques sur le pouvoir d’achat des Mauriciens.

* Une dernière question : Les Mauriciens sont-ils prêts pour un changement sur le plan politique?

Pour être simple et direct : ils le feront savoir par les urnes d’ici quelques semaines ! Et ce sera la plus grande leçon de cette élection générale d’ailleurs : il sera possible de comprendre où en sont les Mauriciens quant à leur volonté de changementet de progrès.


Mauritius Times ePaper Friday 4 October 2024

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