Le Cauchemar de la Cohabitation
|Deuxième République
Le 3 août 2012, dans les colonnes de Mauritius Times, notre correspondant D.E.V. avait évoqué la question de la réforme en vue d’accéder à la Deuxième République.
Cette question est d’une importance et d’une complexité telles qu’elle mérite un débat national d’envergure et nécessite une très large concertation. Le risque que tout part en vrille est bien là.
A plusieurs reprises, depuis 2008, nous avons exprimé notre préférence, en vue des législatives de 2010, pour une alliance d’unité nationale qui n’a de sens qu’à travers celle impliquant les deux formations les plus représentatives du pays. Elle nous a paru la meilleure voie politique pour faire face aux énormes défis, notamment économiques, suite aux bouleversements sans précédent au niveau international. Il nous a semblé que cette configuration allait également permettre d’enclencher véritablement un certain nombre de ruptures avec le passé, une remise à plat sur le plan démocratique et sociétal, tout en favorisant un certain renouvellement de la classe politique.
Les élections de 2010 avaient, en effet, procuré cette opportunité qui, hélas !, n’avait pas été saisie. La crise qui a secoué le gouvernement de l’Alliance de l’Avenir dans le sillage de l’affaire MedPoint a débouché sur une nouvelle alliance MMM-MSM. Ce « Remake 2000 » n’a pas entraîné les bouleversements escomptés par les artisans de cette recomposition, et, par conséquent, la question d’une alliance PTr-MMM est remise sur le tapis. Dans l’entretien accordé au Mauritius Times du 11 mai 2012 portant sur les rapports de force à la suite du ‘Remake 2000’, nous avions dit ceci : « Cette option (alliance PTr-MMM) reste, à notre avis, la plus souhaitable, avant tout pour le pays, et on peut même parler de la nécessité d’un gouvernement de salut national compte tenu des nombreux défis qui nous guettent. »
A ce jour, les négociations entre le PTr et le MMM seraient bien avancées, selon la presse qui reprend les déclarations du leader du MMM. Le préalable posé par le MMM, à savoir une réforme électorale incluant une dose de proportionnelle, est réglé « à 99% » selon Paul Bérenger. (…)
Reste le gros morceau que constitue la Deuxième République qui se veut proche du système semi-présidentiel à la française. (…) En Guyane dont la société, à quelques nuances près, est comparable à la nôtre, le Président exécutif est celui qui rallie le plus grand nombre de parlementaires. D’ailleurs, eu égard à notre société particulièrement clivée ethniquement, l’élection par le Parlement nous semble plutôt sage, d’autant plus que l’élection au suffrage universel direct ne résout pas le problème de l’exercice du pouvoir comme le démontre le cas français que nous verrons plus loin.
La durée du mandat présidentiel de 7 ans, souhaitée par l’actuel Premier ministre, est acceptée par le MMM qui lui accorde également le droit de dissolution du Parlement, théoriquement l’arme la plus significative politiquement. Les discussions en cours porteraient essentiellement sur le partage des pouvoirs du Président et du Premier ministre.
Se poserait dès lors, la question de l’exercice de ces pouvoirs, d’une part, et de l’identité de celui qui — en somme –sera le numéro un de cette Deuxième République. C’est là qu’intervient le point central de tout débat sur les pouvoirs ou le pouvoir tout court, à savoir, le partage même des investitures aux législatives. Cet élément n’a pas été suffisamment abordé par les observateurs de tous bords alors qu’il constitue, à notre sens, la réponse à la problématique de l’exercice réel du pouvoir ou des pouvoirs partagés. En effet, le contexte serait différent selon l’importance du soutien parlementaire dont bénéficieraient le Président et le PM dans le cadre de la nouvelle République proposée (et qui se rapproche du régime semi-présidentiel français).
Le régime présidentiel français
Afin de mieux saisir l’importance du Parlement dans le fonctionnement d’un tel système, il convient de se référer à la pratique du régime semi-présidentiel français où les pouvoirs sont partagés par le Chef de l’Etat et le Chef du gouvernement avec une prépondérance théorique du Président. Deux cas de figure – soulignant l’importance de la composition parlementaire et influençant l’exercice du pouvoir – méritent d’être relevés.
1. Le Président dispose de la majorité parlementaire (majorité présidentielle). Le système est alors présidentiel (Sarkozy, Hollande). Le Président exerce pleinement ses pouvoirs. C’est lui qui détermine et fixe les objectifs de la politique nationale que conduit le PM de son choix. Ce dernier peut être révoqué à tout moment. Alors, il y a un seul chef : le Président, « clef de voûte » du système.
2. Le Président, élu certes au suffrage universel direct, n’a pas de majorité parlementaire. Dans cette configuration, le rôle du Président est singulièrement limité. Il perd la direction de l’exécutif au profit du Premier ministre issu du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre devient alors l’élément moteur du système et c’est lui qui conduira la politique nationale selon son programme. L’exemple le plus frappant, c’est la loi des 35 heures du gouvernement du Premier ministre Jospin de 1998, une loi très critiquée par la droite minoritaire dont le chef était le Président Jacques Chirac. Cette loi a été finalement promulguée par le Chef de l’Etat.
On est alors dans une situation plus proche du régime parlementaire dirigé par le Premier ministre.
Certes, le Président contrôle les « domaines réservés » : affaires étrangères et défense. Pour autant, dans la pratique, la politique dans ces deux domaines est plutôt malaisée à mettre en œuvre. Le Président ne peut pas non plus exercer pleinement ses autres pouvoirs comme la présidence du Conseil des ministres, la révocation du Premier ministre, l’initiative du référendum, le droit de dissolution du Parlement, etc.
Dans la pratique, le Président de la République — sans majorité parlementaire –, agit davantage comme le leader de l’opposition avec les risques accrus de tension et de blocage des institutions.
C’est cette situation qu’on appelle « cohabitation » : la coexistence entre un Président minoritaire et un Premier ministre issu de la majorité parlementaire.
C’est le cauchemar de tout Président de se retrouver sans majorité présidentielle.
C’est la raison pour laquelle depuis 2002 le mandat présidentiel est ramené à 5 ans pour faire coïncider les présidentielles et les législatives. Evidemment, la dynamique de l’élection présidentielle est de nature à favoriser le camp présidentiel. François Hollande, Président de la République, bien qu’« au-dessus des partis », a dû personnellement monter au front lors des législatives et batailler dur pour obtenir cette majorité parlementaire « nécessaire pour lui donner les moyens d’appliquer son programme » selon la formule consacrée.
Bref, l’exemple français montre qu’il ne peut y avoir deux chefs, « une dyarchie au sommet » selon le Général de Gaulle. Donc, il ne peut y avoir de véritable partage horizontal des plus importants pouvoirs entre le Président et le Premier ministre de camps différents. C’est l’un ou l’autre qui doit céder.
Or, la « cohabitation » – tant redoutée en France et décriée par les constitutionnalistes français – risque fort de se produire ici.
En effet, si le partage de tickets se fait 50-50 — selon les précisions fournies par la presse –, la situation va être particulièrement compliquée. (…)
Dans tous les cas, la question de la Deuxième République est d’une importance et d’une complexité qui impose un débat national d’envergure et nécessite une très large concertation. Le risque que tout part en vrille est bien là.
D.E.V
O.R.A.C-Consult
* Published in print edition on 16 May 2014
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