Elections 2024: “Tout pronostic, y compris celui affirmant que la lutte sera serrée, est prématuré”
|Interview: Jocelyn Chan Low, Historien
* ‘Le PMSD peut offrir au MSM cette caution créole qui lui fait défaut pour affronter les élections’
* ‘Retrait de Joe Biden : À Maurice, malheureusement, les leaders politiques s’accrochent souvent au pouvoir, même au-delà de leur date de péremption’
* ‘L’élargissement de l’État-providence sera l’un de ses principaux atouts pour les prochaines élections générales’
Xavier Duval semble avoir déjà fait son choix pour les prochaines élections générales, qu’il l’ait annoncé publiquement ou non. Il a adressé des critiques virulentes à l’égard de ses anciens alliés du PTr-MMM, les qualifiant de “voyous” et de “cholos”. Il a exprimé son opposition ferme à l’idée qu’ils forment le futur gouvernement en raison de leur désapprobation quant à l’élection de son fils au poste de Président de l’Assemblée. Tout cela semblent dessiner les contours d’une alliance imminente avec Pravind Jugnauth. L’opinion de Jocelyn Chan Low sur cette dynamique politique révélatrice est attendue pour éclairer davantage cette situation pré-électorale tendue.
Mauritius Times: Xavier Duval semble avoir déjà choisi son camp politique pour les prochaines élections générales, qu’il décide de l’annoncer publiquement ou non. Il a critiqué sévèrement ses anciens alliés du PTr-MMM, les qualifiant de “voyous” et de “cholos” et il s’oppose à l’idée qu’ils forment le prochain gouvernement en raison de leur opposition à l’élection de son fils au poste de Speaker. Une alliance officielle avec Pravind Jugnauth semble imminente ; tout dépendra du « timing ». Quel est votre avis à ce propos ?
Jocelyn Chan Low: Les critiques sévères de Xavier-Luc Duval contre les parlementaires de l’alliance PTr-MMM-ND ne sont guère surprenantes. Ce sont des adversaires politiques qui s’affronteront aux prochaines élections générales et les hostilités avaient débuté avant même le retrait du PMSD de la grande alliance de l’opposition parlementaire.
De plus, non seulement ces députés de l’opposition s’opposaient à l’installation de son fils comme Président de l’Assemblée, mais la manière dont ils le faisaient, en bafouant la dignité et la solennité du Parlement, était politiquement maladroite. S’ils étaient convaincus qu’il y avait maldonne d’un point de vue légal et aussi des « Standing Orders », il fallait porter l’affaire devant le judiciaire et, si manifestation il devait y avoir, cela aurait pu se faire par une marche citoyenne et non par une action ne respectant pas le décorum de l’assemblée.
Il est certain qu’en ce moment de pré-campagne électorale, le but ultime devrait être de gagner les indécis. Or, l’on sait très bien que c’est la sobriété dans l’action et les paroles qui ramènent les indécis vers soi.
Quant à une éventuelle alliance du MSM avec le PMSD, c’est un scénario écrit d’avance. Avant même le retrait du PMSD de la grande alliance de l’opposition, il y avait des spéculations sur le sujet. Faut-il rappeler que le PMSD est un parti de pouvoir, comme l’atteste l’histoire récente. Certes, XLD a claqué la porte du gouvernement en 2016 pour défendre un principe démocratique. Mais tout leader politique cherche le meilleur moyen pour faire élire un maximum des candidats de son parti. Et, de ce fait, on voit mal le PMSD rallier l’opposition extraparlementaire.
La seule option possible pour le PMSD, c’est une alliance avec le MSM et ses alliés. La difficulté réside dans le fait qu’il a été le leader de l’opposition. Et, comme l’a appris Paul Bérenger à ses dépens en 2014, un tel “move” politique est extrêmement dangereux. En fait, les conséquences ont été si désastreuses pour le MMM que jusqu’à 2019, et même après, il était pratiquement hors de question pour que le MMM s’allie au PTr du Dr Navin Ramgoolam. On comprend alors la stratégie du PMSD de réclamer quelques changements importants dans la gestion du pays pour justifier ultérieurement une association avec l’alliance au pouvoir.
En outre, il se pourrait que les négociations se poursuivent toujours… mais dans le secret le plus absolu. En effet, une alliance politique ne se négocie pas en public – sinon il y a le risque de répéter l’épisode ridicule des « ON/OFF » qui avait causé tant de tort à l’alliance PTr-MMM en 2014.
Il se pourrait aussi que les protagonistes attendent la dissolution du parlement pour annoncer la nouvelle alliance. Les récalcitrants, s’il y en a, ne seront automatiquement plus députés et ne pourront disposer d’une base et d’un levier institutionnel pour exprimer leur mécontentement
* Toutefois, la question qui devrait être posée concerne le poids électoral du PMSD de Xavier Duval et ce que sera son apport dans une éventuelle alliance avec le MSM. Vaut-il la chandelle de rétrograder Ganoo, Obeegadoo et Collendavelloo pour favoriser Duval ?
D’après les sondages, le PMSD ne représente pas plus de 2% des électeurs. Mais il ne faut pas se leurrer. Le poids symbolique du parti de Sir Gaëtan Duval, le ‘roi créole’ autoproclamé, dépasse de très loin ces inconditionnels (« diehards »). Il y a des noms et des symboles qui résonnent toujours dans certaines sections de l’électorat. On n’a qu’à voir la liste des ‘fils de’ dans la liste des candidats à chaque élection générale…
Le PMSD peut ainsi offrir au MSM cette caution créole qui lui fait défaut pour affronter les élections, notamment dans certaines circonscriptions urbaines qu’Alan Ganoo, Ivan Collendavelloo et Steve Obeegadoo, issus de la tradition politique militante, ne peuvent lui offrir.
Mais, avec ce qui se passe actuellement, on peut se demander si l’accord avec le PMSD ne dépasse pas le cadre de la représentativité inclusive. En effet, comme nous l’avons dit dans un entretien ici même, le gouvernement se tient sur deux jambes, une très solide et qui a trait à un bilan social remarquable — le minimum vital, l’augmentation de la pension de vieillesse, les allocations aux femmes enceintes, logement sociaux, etc., — et une autre, quelque peu cabossée, avec les allégations de passe-droits, d’entorses à la démocratie, et de mauvaise gouvernance.
Il semblerait que le PM a décidé d’utiliser la perspective d’une alliance avec le PMSD pour se débarrasser de certains gros boulets que traîne le régime en place et revoir certaines décisions impopulaires afin d’affronter les élections dans les meilleures conditions et le tout sans avoir l’air de se déjouer…
Si c’est le cas, c’est une manœuvre très brillante et on comprend mieux la réaction de l’opposition et sa décision de semer le doute sur la légalité de la nomination d’Adrien Duval en remplacement de Sooroojdev Phokeer.
* Si le PMSD est amené à rester dans l’opposition faute d’une alliance avec le MSM, cela entraînera probablement une dispersion accrue des votes, potentiellement avantageuse pour le MSM. Dans cette perspective, serait-il vraiment dans l’intérêt du MSM d’avoir le PMSD à ses côtés ?
Le PMSD est un atout important dans la stratégie du MSM de se maintenir au pouvoir pour les deux raisons évoquées précédemment.
En outre, même si le PMSD ne rejoint pas l’opposition extra parlementaire, la dispersion des votes de l’opposition sera une réalité, avec le « Reform Party », « Linion Moris », et « En avant Moris », etc., qui sont d’ailleurs plus implantés et plus actifs dans les régions urbaines que dans les régions rurales.
Ce sont dans ces circonscriptions que leur chef de fil respectif seront candidats. Et avec le grand désenchantement des électeurs vis-à-vis des partis traditionnels – comme l’ont démontré divers sondages – ils pourraient bien obtenir un pourcentage de votes assez important…
* Par ailleurs, les Mauriciens s’interrogent depuis un certain temps sur l’équilibre des forces politiques et sur le vainqueur potentiel des prochaines élections. Quelle est votre analyse à ce sujet ?
Je dirais tout simplement que la réponse est une évidence (« the answer is blowing in the wind »), mais qu’il faut sortir de son salon, de Facebook et du passé pour l’entendre. Effectivement, il y un énorme décalage entre la perception véhiculée par la minorité d’activistes sur les réseaux sociaux et la réalité sur le terrain.
Cela est peut-être dû d’abord au fait que la grande majorité des utilisateurs des réseaux sociaux évitent les sujets politiques. Ensuite, les seniors, qui représentent plus de 25 % des électeurs, sont peu représentés. De plus, le brouillage est également le résultat de messages diffusés par de faux profils, des trolls et des personnes vivant à l’étranger. De ce fait, l’internet et les réseaux ne sont que des miroirs déformants.
Par contre, il y aussi le fait que les lignes ont bougé depuis les dernières élections – les “hardcore” ayant davantage rétréci depuis et 68% de la population ne croient plus dans les leaders et les partis traditionnels. Ils sont davantage préoccupés par leur vie quotidienne, par le coût de la vie, leur environnement immédiat et leurs conditions de travail, etc.
De ce fait, pour une grande partie des électeurs, les promesses de changement ou d’amélioration conséquente de leur niveau de vie à venir ne sont que paroles et paroles et encore et uniquement des mots ! Mais l’intérêt pour la politique y est toujours et ils iront voter, même si, pour beaucoup, ce ne sera pas avec un grand enthousiasme pour un camp ou un autre.
Cependant, la campagne n’est pas encore officiellement enclenchée et tout pronostic, y compris celui affirmant que la lutte sera serrée, est évidemment prématuré.
* Pensez-vous que l’alignement du PMSD avec l’alliance dirigée par le MSM en 2024 pourrait reproduire les conditions de 2014 et mener au même résultat ?
Pour les résultats, évidemment on ne peut pas se prononcer, la campagne électorale n’ayant même pas débuté. Par contre, il y a une énorme différence entre le contexte de 2014 et celui d’aujourd’hui. Tout d’abord, c’est le MSM et ses alliés qui sont au pouvoir et c’est Dr Navin Ramgoolam qui est le challenger de Pravind Jugnauth.
En outre, le MMM de Paul Bérenger n’est au fond que le « junior partner » d’une alliance où le PTr est majoritaire et son leader candidat au poste suprême de Premier ministre.
* Quelle analyse faites-vous de l’Opposition PTr-MMM-Nouveaux Démocrates en tant que challenger d’une alliance dirigée par le MSM? Et quels sont ses points forts et ses faiblesses potentielles dans cette configuration politique ?
L’alliance de l’opposition a été « very long in the making » parce que cela a pris du temps pour faire accepter aux dirigeants du MMM l’idée que Navin Ramgoolam soit présenté comme le challenger de Pravind Jugnauth. Il y avait des raisons à cela, notamment sa vulnérabilité aux attaques du MSM et le « credibility gap » qui s’est installé, à tort ou à raison, entre lui et une bonne partie de la population.
Ces éléments sont toujours en jeu et constituent la plus grande faiblesse de l’opposition. Mais il y a aussi le fait que ses leaders sont en fin de carrière mais veulent quand même incarner le renouveau. Or, comme le dit si bien le Prof Lumumba, “however good you are if you stay for too long, you spoil it” (aussi bon que vous le soyez, si vous restez trop longtemps, vous gâchez tout).
Bien sûr, il faudra attendre la liste des candidats et la composition du « front bench » pour savoir si le souhait des électeurs pour un renouveau de la classe politique, comme révélé dans les sondages, a été entendu, même partiellement. Mais, pour leur campagne, ils peuvent compter sur l’usure du pouvoir du gouvernement en place, sur les diverses allégations de mauvaise gouvernance à l’encontre du gouvernement, sur la prolifération de la drogue qu’il a été impossible de contenir, sur le mécontentement de la population par rapport à la hausse des prix et sur le coup de pouce de certains médias, qui leur sont acquis – comme le révèlent leurs choix des sujets et des éléments de langage utilisés.
* Qu’en est-il de l’alliance gouvernementale? Quels défis l’opposition pourrait-elle rencontrer face à une telle alliance?
Le gouvernement dispose de nombreux atouts, notamment un bilan remarquable en matière de mesures sociales telles que l’augmentation de la pension de vieillesse, du salaire minimum, des diverses allocations sociales, la construction de logements sociaux, l’éducation gratuite de la maternelle au tertiaire, ainsi que l’amélioration des infrastructures publiques à travers l’ouverture de grands chantiers, etc.
Ces mesures ont un impact direct sur des milliers de Mauriciens et semblent avoir contribué à assurer une fidélité sans faille, d’une part de la majorité des « senior citizens » ou des personnes âgées, qui représentent près de 20 % des électeurs, et d’autre part, d’un grand pourcentage des personnes en bas de l’échelle sociale.
Certes, il y a un élément de classe à prendre en considération : le déclassement de la classe moyenne qui date de plus de 20 ans et qui a été un des facteurs contribuant à la défaite de l’alliance PTr-MMM en 2014 n’a pas été stoppé. Cette petite et moyenne bourgeoisie reste très volatile et sa frustration sociale se fera sentir dans certaines circonscriptions. Mais le gouvernement a d’autres atouts, notamment le rapport du PRB pour les fonctionnaires et celui sur le réajustement salarial pour les travailleurs du privé. Et il ne faut pas oublier que c’est X. L. Duval qui a lancé en premier l’idée du paiement d’un 14ème mois.
De même, il dispose delà MBC comme outil de propagande et il doit disposer d’un énorme trésor de guerre qui sera sans nul doute utilisé dans le cadre des prochaines élections. Et finalement, il y a le fait que ces élections générales seront principalement un affrontement entre deux hommes: Pravind Jugnauth et le Dr Navin Ramgoolam.
Pravind Jugnauth, fin stratège, a multiplié ses sorties en tant que Premier ministre, améliorant du coup son image. Faut-il rappeler que tous les sondages jusqu’ici ont démontré que parmi tous les prétendants au poste de PM, c’est Pravind Jugnauth qui émerge comme le PM préféré des Mauriciens? L’opposition devrait en tirer les leçons qui s’imposent.
* Aux États-Unis, Joe Biden a finalement décidé de ne pas se présenter pour sa réélection, vraisemblablement en faveur de Kamala Harris. Pensez-vous que nos leaders politiques pourraient tirer une leçon de cette décision ?
Il y a effectivement des leçons à tirer.
Bien qu’il ne semble pas être un personnage hubristique, victime de la maladie du pouvoir, narcissique, arrogant, manipulateur et imbu de lui-même, Biden a quand même fait beaucoup de résistance avant de se retirer au moment où la pression est devenue trop forte et que la défaite devenait inéluctable.
L’autre leçon vient du comportement de lapresse « mainstream » tellement inféodée au parti démocrate qu’elle a dissimulé l’état de santé de Biden – oubliant que son premier devoir est d’informer le public, agissant non pas en tant que journaliste mais en tant qu’influenceur et propagandiste.
A Maurice, malheureusement, les leaders politiques s’accrochent, même au-delà de leur date de péremption et il n’existe aucun mécanisme pour les faire partir.
* Ce qui est plus proche de nous en termes de système électoral, c’est celui en vigueur en Grande-Bretagne : le FPTP. Récemment, le Parti travailliste britannique a remporté 63 % des sièges avec seulement 34 % des voix nationales, tout comme le MSM a remporté 63 % des sièges en 2019 avec seulement 37 % des voix. Il est probable que d’autres surprises ne soient pas exclues, n’est-ce pas ?
Rama Sithanen l’a bien expliqué. Avec 40% des suffrages, le MSM peut facilement obtenir une large majorité de députés. Mais il faut aussi ajouter qu’à Maurice, les circonscriptions sont très inégales en termes de nombre d’électeurs.
La particularité des prochaines élections générales, c’est qu’elles interviennent à un moment où le décalage entre l’offre et la demande politique n’a jamais été aussi élevé. Les sondages indiquent que près de 68% des électeurs ne croient plus dans les leaders politiques actuels. Il y a effectivement une forte possibilité que les partis extraparlementaires, voire des candidats indépendants, arrivent à obtenir un pourcentage de votes beaucoup plus important que d’habitude.
Le vote gaspillé (‘wasted vote’), c’est-à-dire les votes qui iront vers des candidats qui ne seront pas élus peut effectivement nous amener à une situation comme celle décrite auparavant. Malheureusement, la réforme constitutionnelle et électorale n’est pas pour demain.
* Au-delà du système électoral, les analystes ont également attribué la défaite des Conservateurs au ‘délabrement de l’État-providence’ au Royaume-Uni, la sixième plus grande économie nationale au monde mesurée par le produit intérieur brut. Le “Welfare State” est toujours important pour la grande majorité des électeurs. Pensez-vous que les mêmes causes pourraient produire les mêmes effets à Maurice ?
Si la Banque Mondiale et le FMI ont fait de Maurice une exception en ce qu’il s’agit du maintien des provisions de l’État-providence au cours du Programme d’Ajustement Structurel (« Structural Ajustement Programme ») dans les années 80, c’est parce les responsables ont compris que toute atteinte à l’Etat-providence (« Welfare State ») aurait amener une cinglante défaite du gouvernement aux prochaines élections.
Par ailleurs, le ciblage pour l’octroi de la pension de vieillesse a été une des causes de la défaite de l’alliance MMM-MSM aux élections de 2005.Rama Sithanen a aussi appris à ses dépens les conséquences de toucher au « Welfare State »… Par contre les promesses d’élargissement du « Welfare State » à travers des mesures telles que le transport gratuit pour les étudiants et les personnes âgées ou la promesse d’une augmentation importante de la pension de vieillesse ont toujours rapporté de grands dividendes politiques. Le gouvernement a bien retenu la leçon. L’élargissement de l’État-providence sera l’un de ses principaux atouts pour les prochaines élections générales.
Mauritius Times ePaper Friday 26 July 2024
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