“Il faut retrouver ‘Missié Moustass’. On aura besoin de lui comme témoin”

Interview: Jack Bizlall

‘Effectivement, il est dangereux. Dangereux pour qui ? Pour le pouvoir ? Pour les criminels ?’

 * ‘L’enjeu ici, ce n’est pas le soutien aux alliances de l’opposition, mais l’expulsion du MSM du pouvoir’

‘Il ne faut pas privilégier des considérations secondaires quand la contradiction principale peut tout construire ou détruire le socle de la liberté de la personne humaine’

* ‘On ne doit pas négliger l’impact de ces bandes d’écoutes. Ce sont des crimes… les conspirations et les crimes sont immondes’


À quelques jours des élections cruciales du 10 novembre, Jack Bizlall analyse l’impact potentiel de ces élections, les enjeux constitutionnels et il s’attarde aussi sur la manipulation des institutions. Il évoque également la fragmentation du paysage politique, les doutes sur la victoire du MSM, et le rôle des partis de l’opposition tels que le PTr et le MMM. Jack Bizlall met en lumière le clivage grandissant au sein de la société mauricienne, une division exacerbée par les récentes crises économiques et les tensions sociales. Il questionne les fondements même du régime actuel et appelle les citoyens à s’engager activement dans le processus électoral, soulignant que leur vote pourrait façonner non seulement l’avenir politique de Maurice, mais aussi la qualité de la vie démocratique et des droits fondamentaux.


Mauritius Times: Ayant vécu plusieurs élections depuis l’indépendance et analysé les enjeux qui les ont influencées, pensez-vous que les élections du 10 novembre prochain sont réellement tout aussi importantes, comme l’affirme le leader du PTr, voire plus importantes que celles de 1967 ?

Jack Bizlall: Il y a un enjeu majeur pour les élections du 10 novembre prochain : la manipulation par l’empire Soleil de notre constitution. De mon point de vue, c’est notre constitution et sa manipulation par certaines familles qui restent l’enjeu principal.

Il faut mettre un terme à cette manipulation qui nous fait prendre le chemin du capitalisme imposé et ainsi autoritaire sous le joug d’un adepte du bonapartisme, au pire sous celui d’un autocrate se comportant en Roi.

Les éléments qui caractérisent une République démocratique sont systématiquement bafoués.

1967 fut une année qui nous a ouvert la voie à l’indépendance. Il ne faut pas oublier que les élections furent renvoyées en 1972.

On a publié un texte pour les élections de 2024 qui sera distribué aux journaux, aux parlementaires et aux organisations que je connais pour exposer notre analyse et nos propositions.

* Estimez-vous que le vote lors des prochaines élections sera un vote contre le pouvoir en place ou un vote pour l’opposition PTr-MMM-ND-ReA ?

Ce sera définitivement un vote contre le régime actuel. Il existe un clivage politique qui est une séparation complexe dans les intentions de vote – vote silencieux certes, mais combien viscéral (intime) et viral (surtout par l’internet).

D’ici le 10 novembre 2024, ce clivage sera ressenti chez les électeurs et ce sont les interrogations des uns et des autres qui vont influencer la masse.

La question qui est posée de plus en plus est : Le MSM va-t-il gagner les élections ? C’est révélateur d’un changement majeur : Comment accepter l’autocratisme de Jugnauth fils ? Personne n’ose défendre le comportement du régime. Personne ne dira : C’est le MSM. Personne n’arrive à défendre le MSM en justifiant ses actes. Quand ce régime ne peut être défendu par les agents du MSM, je dirai que ce dernier ne peut gagner ces élections.

Mais nous pourrions nous retrouver dans une situation similaire à celle de 1976, avec des votes partagés entre au moins trois forces politiques. Ce sont donc les électeurs qui choisiront de ne pas voter pour les deux principales formations qui détermineront les résultats.

* Cependant, dans certains milieux, on affirme que ‘Navin n’a pas encore gagné les élections, tandis que Pravind n’a pas encore perdu.’ Que pensez-vous de cette affirmation ? S’agit-il d’une forme d’intériorisation d’une défaite annoncée ?

La question doit être posée autrement: Défaite pour qui et victoire pour qui ?

Certainement pas pour notre société. Je pense que rien ne sera comme avant après les élections. Si le MSM sort victorieux, Jugnauth accordera une légitimité à sa politique pouvoiriste envers la population et liberticide par rapport à la liberté de la personne humaine.

J’ose affirmer que la culture politique à Maurice n’acceptera jamais cette situation. Le Régime MSM aura à injecter beaucoup d’argent pour satisfaire son autocratisme. Mais il existe des milliers de personnes qui vont descendre dans la rue.

Il existe plusieurs autres contradictions qui sont vectrices de réactions populaires : l’inflation galopante, la concurrence entre les travailleurs par rapport aux étrangers, la ségrégation sociale, l’émigration comme l’immigration…

Attendons et observons.

* Quelle est votre réaction à la décision du Conseil des ministres de mettre en place une commission d’enquête sur les écoutes téléphoniques, à quelques jours de la fin du mandat du gouvernement ? En tant que réponse politique à cette opération de démolition du régime entrepris par ‘Missié Moustass’, cela risque de n’avoir que peu d’impact. Que cherche-t-on à prouver ou à démontrer avec cette commission d’enquête ?

Quand Jugnauth est venu de l’avant avec son idée d’imposition d’un nouveau ‘SIM Card’, il n’a rien dit pour le téléphone fixe. Nos téléphones fixes sont déjà sur écoute, n’est-ce pas? On peut aussi tout savoir sur les conversations passées en utilisant une fausse autorisation qui est, en soi, confidentielle.

‘Missié Moustass’ doit être un homme ou une femme du pouvoir autrefois au service du régime. J’en suis convaincu.

Un autocrate épie encore plus ses propres agents dans le sens des membres de son cabinet, des fonctionnaires et des membres de sa famille.

Je dois dire que la décision du Cabinet ne sert à rien. L’impact des crimes dénoncés par ‘Missié Moustass’ sont exécrables. C’est un élément déterminant dans le clivage dont je vous ai parlé.

* Par ailleurs, le fameux ‘Missié Moustass’ n’a apparemment pas dit son dernier mot. Il semblerait que ses attaques lors du dernier tournant de la campagne électorale soient dirigées contre le PMO et les proches du chef du gouvernement. Selon vous, exagère-t-on l’impact potentiel de ces bandes d’écoutes des conversations téléphoniques – enregistrées clandestinement – sur l’électorat ?

Non, on ne doit pas négliger l’impact de ces bandes d’écoutes. Ce sont des crimes.

Dans une République, le citoyen a le devoir de dénoncer des crimes du passé (la sanction) et à venir (pour la prévention). Il peut être condamné pour ne pas l’avoir fait.

Les électeurs sont avant tout des citoyens qui vivent dans une société où le fond de civilisation est très grand. J’ai écrit un livret à ce sujet. Le titre est « Pour un Fond Commun de Civilisation » que j’ai dédié à un jeune avocat.

Par contre, les agissements, les conspirations et les crimes sont immondes et ainsi inacceptables et encore mieux inacceptées. Imaginons que tel n’est pas le cas et que Jugnauth retrouve le pouvoir. Imaginons la suite. C’est dans ce contexte que je demande aux personnes qui n’ont jamais voté sauf pour le MSM, de s’abstenir activement. J’explique ce qu’est l’abstention active dans une de mes publications.

Une double contradiction va surgir : d’une part, le danger d’utiliser une conversation privée à des fins politiques et, d’autre part, le risque de vivre dans une société dangereuse, qui, de surcroît, engendre la honte.

* Devenu l’allié objectif de l’opposition PTr-MMM-ND-ReA le temps d’une campagne électorale, faut-il tout de même reconnaître que ce ‘Missié Moustass’ demeure un homme dangereux ? Ramgoolam et Bérenger doivent en être conscients, non ?

Effectivement, il est dangereux. Dangereux pour qui ? Pour le pouvoir ? Pour les criminels ? Et alors ?

Mais il peut aussi être quelqu’un qui fait du chantage. Il pourrait ensuite venir avec des indications matérielles de l’objet qu’il veut obtenir. Si c’est le cas, on saura.

Il peut aussi déborder la politique et entrer dans la vie personnelle des politiciens. Si tel est le cas, il va réduire l’impact de ses dénonciations.

Il faut le retrouver, car nous aurons besoin de lui comme témoin. Au lieu de le chercher en surveillant toute la population — ce qui pourrait être une tactique — il est essentiel d’arrêter les criminels. 

* Si ce sont les bandes d’écoutes de ‘Missié Moustass’ qui ont effectivement renversé la vapeur, en particulier auprès de cette grande masse d’indécis qui s’abstient d’une élection à l’autre, qu’est-ce que cela signifie ? L’Alliance du Changement n’est-elle pas suffisamment forte pour rivaliser avec l’Alliance Lepep?

Suivez les élections en Georgie pour comprendre l’ingérence des pays étrangers et la manipulation des votes.

Voyez le scandale aux Etats-Unis après la victoire de Joe Biden aux dernières élections, avec Trump affirmant que la tricherie a fait élire son opposant. Suivez ce qui se passe au Vénézuela et la non-reconnaissance du gouvernement de Nicolas Maduro.

Ce qui me pousse à conclure que ‘Missié Moustass’ a ouvert la boite de Pandore. Il nous restera que l’espérance que les autres pays ne rejettent pas le gouvernement pour sa pratique anti-républicaine.

Notre image à l’étranger est affectée grandement par les dénonciations de ‘Missié Moutass’ et l’affaire Diégo.

* Il semble que les relations se soient améliorées entre les leaders du PTr et du MMM, y compris au niveau de la base. Le soupçon qui prévalait en 2019 a disparu. Cependant, une fois au pouvoir, si l’opposition remporte les élections, c’est à ce moment-là que l’alliance sera réellement mise à l’épreuve, n’est-ce pas ?

Il existe un socle sur lequel repose l’Alliance du Changement : le travaillisme et le militantisme. Dans le pays, les électeurs de plus de 45 ans sont porteurs d’une idéologie très progressiste dans leurs orientations politiques. C’est un socle progressiste dans son ensemble utilisé par les opportunistes et les électoralistes.

Ceux qui ont moins de 45 ans sont en grande majorité élitistes, porteurs de l’idéologie que l’idéologie est morte. Ils ne sont ni de gauche, ni de droite…

Je me pose des questions depuis la guerre entre l’Ukraine et la Russie, entre le régime israélien et le régime palestinien pro-Iran (des Chiites) sur la manière dont vont réagir les peuples du monde entier par rapport aux milliers de morts pendant ces deux guerres et le nombre d’immigrants noyés en Méditerranée.

J’ai ainsi construit quelques prémisses de ma réflexion et par l’induction et la déduction de ce qui se passe en France, je suis arrivé à la conclusion que les jeunes sont attirés par la Technocratie, l’Etatisme et le Populisme.

Ce groupe particulier des électeurs se fiche des partis politiques traditionnels. Le monde change. Les aspirations changent aussi, de même que les intérêts de classe.

* Quelles seraient, selon vous, les conséquences d’une victoire de l’opposition sur la dynamique politique actuelle ? Pensez-vous que cela pourrait conduire à des changements significatifs dans la gouvernance ?

Je pense que les gens avisés doivent avoir constaté que l’opposition est hétéroclite.

Prenons le cas de l’Alliance de Changement. Avec une alliance entre d’authentiques conservateurs, de quelques réactionnaires et de pseudo-révolutionnaires, que devrions-nous attendre comme constitution, comme politique étrangère, et comme politique sociale ?

Déjà plusieurs d’entre ces nombreuses organisations politiques n’ont jamais produit une réflexion sur la constitution, sur l’expropriation de Diego Garcia, sur l’inflation, etc.

Mais l’enjeu ici, ce n’est pas le soutien aux alliances de l’opposition, mais l’expulsion du MSM du pouvoir.

Il ne faut pas privilégier des considérations secondaires quand la Contradiction principale peut tout construire ou détruire le socle de la liberté de la personne humaine.

* Qu’attendez-vous en termes de ‘rupture(s)’ de l’Alliance du Changement si elle devait remporter les élections et former le prochain gouvernement…au cas où Linion Reform ne viendrait pas jouer le jeu de l’Alliance Lepep ?

Il y a effectivement la possibilité qu’aucune alliance n’obtienne une majorité comme en 1976.

Les causes de rupture sont différentes – ces partis politiques se sont opposés dans le passé, autant pour des raisons d’ordre idéologique et politique que pour des questions de pouvoir. Le syndrome d’Hubris doit entrer en ligne de compte.

Sur un plan précis, si la vie politique sera décidée par quatre dirigeants autant narcissiques que pouvoiristes, cela ne peut fonctionner que par la soumission et l’alternance en matière économique et politique.

Le MSM a imposé une structure qui élimine les dissidents et ses contradicteurs. Il garde certains en dehors du MSM et d’autres sont carrément expulsés.

On verra. Nous avons eu dans le passé des alliances qui se sont décomposées pour se retrouver ensuite.

* Y a-t-il des questions sociales, économiques ou politiques spécifiques que vous estimez cruciales pour le pays dans les prochaines années?

Évidemment. J’ai identifié plusieurs enjeux, notamment en ce qui concerne l’infrastructure économique. C’est un point important.

Sur le plan de l’économie, nous devons faire face à de nombreux conflits de nature différente entre le libéralisme économique des puissances comme les États-Unis, l’Europe et le Japon, d’une part, et les pays des BRICS, d’autre part. Le choix d’intégrer l’un de ces blocs déterminera nos droits internationaux et nos libertés.

Sur le plan social, il faudra prendre en compte le surendettement, la dépréciation de notre monnaie et les taux de change concernant le dollar, la livre sterling et l’euro par rapport au yuan et au rouble. Actuellement, nous faisons des transactions en euro et nous achetons en dollar.

Sur le plan de la superstructure politique, il y a la question de la nouvelle Constitution et du démantèlement de cette partie de l’État, qui est au seul service de Jugnauth. Bref, il s’agit de l’enjeu de la démocratie dans notre République.

Sur le plan de la superstructure idéologique, il faudra refuser de se soumettre ou de tolérer l’alternance. Les termes de résistance et d’alternative doivent être réhabilités, tout comme l’idée de Révolution.

* Envisagez-vous une évolution dans les alliances politiques après les élections, notamment en fonction des résultats obtenus par chaque parti ?

C’est une possibilité. Je me souviens des résultats des élections de 1976 avec une majorité relative du MMM.

Un jour, je raconterai les tractations de recomposition politique entre le MMM et le PTr, le MMM et le PMSD (oui), et entre le PTr et le PMSD.

À moins que nous ne nous retrouvions dans une situation de parlement minoritaire, l’alliance qui obtient le plus de sièges, même sans détenir la majorité, formera le gouvernement. Dans l’état actuel des choses, c’est le MSM qui perdrait le pouvoir, même s’il sort en premier.

Toutefois, il est possible que la troisième force s’affaiblisse, ce qui pourrait favoriser le MSM, qui, avec moins de 40 % des voix, pourrait néanmoins obtenir une majorité absolue.

Dieu nous en garde ! serait l’exclamation pertinente, mais je ne suis pas homme de foi. Alors, il faudrait principalement que l’on ne vote pas pour le MSM et ainsi appliquer l’abstention active. Bien entendu, il est important d’expliquer pourquoi il ne faut pas voter en faveur du MSM de Jugnauth.

Une question de ma part. Pourquoi se soucie-t-on si peu du vote des Rodriguais, des Agaléens et des Chagossiens?


Mauritius Times ePaper Friday 1 November 2024

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