Alliance PTr-MSM: “Carry on as long as you can” 

 Interview: Me Yousuf Mohamed

MedPoint : Une enquête de cette envergure ne peut pas se faire en l’espace de quelques jours.

Mauritius Times : Il semblerait que vous soyez satisfait de la manière que l’ICAC a mené l’enquête dans l’affaire MedPoint jusqu’ici – même si elle a pris un temps énorme pour situer les responsabilités dans cette affaire ? 

Me Yousuf Mohamed : J’ai toujours maintenu qu’une enquête de cette envergure ne peut pas se faire en l’espace de quelques jours, de quelques semaines ou même de quelques mois. C’est une enquête très complexe et il faut accorder aux enquêteurs le temps nécessaire pour étudier minutieusement tous les dossiers y relatifs et pour procéder à l’interrogation de tous les témoins concernés par ce dossier. C’est ce que l’ICAC est en train de faire. Dire en public que l’enquête piétine n’est pas, à mon avis, juste, et ce n’est même pas correct envers ceux qui ont la charge de l’enquête. Il faut que l’île Maurice donne ses chances à l’ICAC. En tant qu’avocat, je peux vous dire que je suis très satisfait de la façon dont l’ICAC mène ses enquêtes ; elle fait du bon travail.

En ce qui concerne l’enquête dans l’affaire MedPoint, l’opposition a toujours voulu que l’enquête soit bouclée rapidement, cela sans doute afin de pouvoir critiquer le gouvernement à tout prix, ce qui explique leur stratégie de faire feu de tout bois. Je ne suis pas personnellement d’accord avec cette attitude purement et strictement politicienne… J’ai entendu Paul Bérenger déclarer récemment qu’il a appris de « source ministérielle » que Dr Malhotra aurait rencontré le Premier ministre, à la suite de quoi ce dernier aurait donné des instructions verbales à Yodhun Bissessur, le Government Chief Evaluer, pour effectuer une deuxième évaluation de la clinique. Lorsqu’on connaît le passé de M. Paul Bérenger, il est tout à fait légitime de qualifier sa démarche d’irresponsable, et en plus, je doute fort qu’il dit la vérité. « Source ministérielle » a-t-il dit, n’est-ce pas, mais c’est très vague. Ayant dit cela, il sait très bien que l’ICAC devrait le convoquer. Mais, ‘to forestall’ cette convocation par la Commission, il décide de déclarer publiquement qu’il ira lui-même, de son propre gré, donner sa déposition à l’ICAC. Encore une fois, c’est du bluff. Moi, je souhaiterais que l’ICAC lui adresse une convocation, et je voudrais voir ce qu’il aura à dire à la Commission.

N’oubliez pas que Bérenger est bien celui qui avait cherché à déstabiliser le gouvernement de Sir Seewoosagur Ramgoolam avec l’affaire Sheik Hossen. On a prouvé par la suite qu’il avait tort même s’il avait auparavant juré sur la tête de son enfant pour crédibiliser ses allégations. N’oubliez pas non plus qu’il avait accusé mon propre fils d’être mêlé à l’affaire Goorah Issac, ce qui avait choqué et bouleversé la famille Mohamed. Lors du procès de diffamation intenté contre lui en Cour suprême, c’est son avocat qui a présenté des excuses « on his behalf » et il a admis que Shakeel est une « person of good character and reputation ». C’est devenu une habitude chez Paul Bérenger de pratiquer le bluff, et pour vous dire franchement, c’est la raison pour laquelle je n’ai jamais fait confiance à Paul Bérenger. D’ailleurs, j’ai toujours dit que ce n’est pas quelqu’un qui pourra demain être décrit comme un homme d’Etat… Je suis désolé d’avoir à le dire, mais il agit parfois comme un vulgaire politicien, qui récidive avec des allégations contre Navin Ramgoolam par rapport à l’affaire MedPoint. Je connais ce dernier, et je peux vous dire qu’il n’est pas du genre à se prêter à de telles pratiques.

* Pour revenir à l’affidavit que Paul Bérenger réclame du Premier ministre et des autres pour démentir ses « renseignements-clés », d’aucuns pensent que cela aurait été plus crédible de sa part de jurer un affidavit lui-même pour donner plus de poids à ces allégations ?

Tout à fait. Faut-il qu’il aille lui-même jurer un affidavit afin de confirmer la véracité de ses allégations. Cela aurait été plus crédible de sa part d’affirmer que « je sais que c’est pertinemment vrai que Navin Ramgoolam a rencontré le Dr Malhotra et ensuite qu’il a téléphoné au Chief Valuer, M. Yodhun Bissessur… ». Or, il ne le fait pas ; il réclame des autres qu’ils jurent un affidavit ! Sans doute, il sait parfaitement que le fait de jurer un affidavit comporte des risques, car on peut bien le traîner en Cour au cas où il aurait juré un faux affidavit, ce qui est punissable par l’emprisonnement. Il est bien malin, ce Monsieur Paul Bérenger…

* D’un point de vue légal, diriez-vous qu’il risque des poursuites pour les allégations qu’il a lancées contre le Premier ministre lors de sa conférence de presse samedi dernier ?

On peut le poursuivre « for publishing false news » au criminel, mais Dr Ramgoolam peut aussi le poursuivre pour diffamation. On est arrivé à un point à Maurice où les plaignants acceptent trop vite les excuses des défendeurs dans les cas de diffamation. Le temps est arrivé pour la Cour Suprême et les autres Cours inférieures à condamner les défendeurs coupables pour diffamation à des dommages vraiment punitifs et substantiels. On ne peut pas accepter que les gens racontent n’importe quoi contre n’importe qui… pour ensuite se rétracter et déclarer qu’on a été mal informé et qu’on présente des excuses. C’est trop facile… « they are getting away with murder ».

* M. Anil Kumar Ujoodha a déclaré sur les ondes d’une radio privée que l’enquête dans l’affaire MedPoint est à bon port et est sur le point d’être bouclé. Doit-on donc comprendre qu’aussitôt que l’on arrive à identifier celui qui aurait donné les instructions pour le deuxième exercice d’évaluation, ce qui constitue la principale zone d’ombre, l’affaire sera entendue ?

Il y a plusieurs choses — une fois qu’on arrive à savoir qui est la personne qui a donné les instructions pour une deuxième évaluation, oui, l’enquête sera close. Mais, n’oubliez pas qu’il y a aussi la question de l’infraction de la ‘Prevention of Corruption Act’ – le délit de trafic d’influence. Je ne sais pas ce que l’enquête de l’ICAC va révéler, mais il faut bien que tous ces points soient éclaircis. Je sais que l’ICAC est en train d’éclaircir ces points.

* Et le Dr Malhotra et le Government Chief Valuer, semble-t-il, ont nié toute implication du Premier ministre – directement ou indirectement – dans cette affaire. What next, donc ?

What next ? Si tout cela est faux… tous ceux directement concernés par les allégations de M Bérenger ont nié ces allégations ; il est clair devant tous ces « denials » que Bérenger n’a pas dit la vérité — s’il s’avère que ces démentis sont corrects. Donc je me demande pourquoi quelqu’un ne fait pas une déclaration à la police contre Paul Bérenger pour avoir « uttered and published false news » ?

* Est-ce que l’ICAC peut agir sur la base des on-dit que contiennent les allégations de M. Paul Bérenger ?

Je ne le crois pas. L’ICAC se doit d’agir selon les paramètres de la ‘Prevention of Corruption Act’.

* Mais pourtant l’ICAC est en mesure d’agir et agit déjà à partir de lettres anonymes, n’est-ce pas ?

L’ICAC est obligée d’enquêter même s’il existe une déclaration anonyme. Par exemple, si je dis que Monsieur Untel est allé voir tel ou tel ministre, lui a fait une proposition quelconque et que ce dernier aurait agi en conséquence, l’ICAC se doit d’enquêter – même si l’information que j’adresse à la Commission se fait anonymement par la voie d’un courrier… Je dois dire que cela constitue en même temps un danger puisque n’importe quelle personne qui ne vous tient pas en estime peut bien lancer des accusations malveillantes contre vous de manière anonyme, et l’ICAC va devoir faire une enquête sur vous. Entre-temps c’est votre réputation qui prend un rude coup… On s’attend donc que « good sense prevails » au sein de l’ICAC ; « they have to determine what is reasonable or enquirable or not ».

* Mais lorsque M. Bissessur éprouve des pertes de mémoire concernant l’origine des directives pour la deuxième évaluation, « would you consider that to be reasonable » ?

 Je ne suis pas là pour porter un jugement sur M. Bissessur sans avoir tous les faits devant moi. Par contre, je porte un jugement sur M. Bérenger pour avoir connu son passé et aussi par rapport à ce que le Premier ministre, M Bissessur et le Dr Malhotra ont dit.

* Ça fait plus de six mois que l’enquête dure, et M. Yodhun Bissessur a, semble-t-il, refusé de divulguer le moindre détail au sujet de l’identité de la personnalité qui aurait donné les instructions pour une deuxième évaluation ? S’il ne crache pas le morceau, que va-t-il se passer ?

L’ICAC ne peut pas le forcer à dire ce qu’il ne veut pas dire, mais si jamais il y a une poursuite, c’est à ce moment-là que la Cour pourra le forcer à tout divulguer. Il ne pourra pas se cacher derrière quelque privilège, il sera obligé de cracher le morceau, comme vous le dites.

* Sur la base de ce qu’on connaît jusqu’ici, M Bissessur risque de payer les pots cassés puisque c’est bien lui qui a fait la seconde évaluation ?

Oui, au cas où il y aurait eu une surévaluation. Mais est-ce le cas ? C’est-à-dire une surévaluation ? Qui peut l’affirmer ? On ne sait pas jusqu’ici s’il y a eu effectivement une surévaluation de la clinique… tout dépend des experts, n’est-ce pas ?

* Ce qui est surprenant, c’est que les Mauriciens – et même la presse, généralement très critique envers le pouvoir politique – ont pris ces allégations avec une pincée de sel. Ils ne réagissent pas… Dans d’autres circonstances, dans les années 80 par exemple, de telles allégations auraient pu faire basculer un gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

Heureusement pour le pays et pour le gouvernement, sinon on aurait peut-être eu à faire face à de nouvelles élections générales. C’est ce que M. Bérenger souhaite… mais il est en train de « live in a world of dreams, in a fool’s paradise »…

* Si les Mauriciens ne semblent pas émus outre-mesure par de telles allégations, cela pourrait aussi indiquer que les gens n’écoutent plus les hommes politiques avec le même sérieux comme c’était le cas auparavant, n’est-ce pas ?

Tout dépend des hommes politiques. Nous payons le prix de la démocratie qui fait que n’importe qui peut se lancer dans la politique qu’il soit un homme éduqué ou pas. Ce qui compte à Maurice aujourd’hui dans le choix des candidats, c’est l’appartenance ethnique ou castéiste… Mais, en vérité, il ne suffit pas d’appartenir à une certaine caste ou à une certaine communauté pour devenir politicien; il faut un certain bagage pour pouvoir évoluer efficacement au sein de l’Assemblée nationale… Nous avons récemment entendu des gens dire qu’il faut maintenant introduire le Kreol au Parlement. Qui est en train de prôner cela ? Demandez à cette personne d’essayer de faire un discours sans papier au Parlement en anglais ou en français, et vous verrez le résultat…

Nous avons des politiciens de tous les bords politiques qui ne méritent pas d’être au Parlement, mais que voulez-vous, c’est la démocratie et il faut faire avec, il faut respecter le choix de l’électorat, qui malheureusement vote en faveur de certains candidats choisis par les leaders des partis, des personnes qui ne méritent pas forcément leur place au Parlement. Les leaders des partis ne peuvent faire autrement que de prendre avantage de la psychologie mauricienne qui demande des gens de certaines castes ou de certaines communautés pour être candidats. Personnellement, j’ai toujours soutenu qu’il faut que la méritocratie prime également dans la politique. Ce qui compte à mes yeux, c’est la compétence du candidat, peu importe sa communauté ou sa caste…

* Il semble que Navin Ramgoolam aurait dit que les leaders politiques sont prisonniers de notre système de représentativité ? Comment allons-on sortir de cette situation ?

Oui, c’est exact. Mon père avait toujours dit qu’aussi longtemps que l’île Maurice existera, le communalisme existera. Et maintenant il faut y ajouter le castéisme. Donc, vous ne pouvez pas sortir de ce système car vous avez à choisir des candidats appartenant à certaines castes ou à certaines communautés sinon vous êtes fichu. Certaines personnes disent qu’ils veulent l’abolition du ‘Best Loser system’. Moi, j’ai toujours soutenu que ce système n’a pas seulement servi à la communauté musulmane mais aussi à la population générale, aux Chinois et aux Hindous. Donc, on ne peut pas rejeter un système qui a fonctionné efficacement dans le contexte mauricien en assurant la stabilité et l’harmonie dans le pays. Il faut l’accepter à moins qu’on trouve un meilleur système. Peut-on trouver quelque chose de meilleur ? Peut-être… si on ne choisit pas les candidats par rapport à leur caste ou à leur communauté mais par rapport à leurs capacités, leurs facultés intellectuelles… Mais voyez-vous le leader qui relèverait ce défi ? Je voudrais bien voir toute l’île Maurice en une seule circonscription, pas les 20-21 circonscriptions qu’on connaît actuellement, avec des personnes capables comme candidats de tous les bords politiques. A ce moment-là, on se débarrassera complètement du communalisme, du castéisme, etc.

* Faut-il avoir des leaders de la trempe de ceux qu’on a connus dans le passé, ces grands hommes politiques qui sont là pour servir le peuple et qui sont au service de l’Etat…

Aujourd’hui, est-ce que le système encourage des gens capables ? Non. Le système encourage le communalisme. La politique à Maurice prend la forme d’attaques ciblées envers la personne et sa famille, etc. si je devais commencer la politique de nouveau, je ne le ferais pas. Les gens ont sali la politique.

* Navin Ramgoolam a également dit à ses ministres, selon ce qu’il avait déclaré lors d’un discours public, qu’ils doivent partir s’ils souhaitent faire du business. Il a sans doute raison mais qu’il ait prononcé ces mots, cela en dit long sur les préoccupations principales de certains hommes politiques, n’est-ce pas ?

Quand j’étais ministre à un moment donné – en ce temps-là on touchait Rs 8000 mensuellement comme ministre, dont presque la moitié était reversée au Bureau des Impôts – Sir Seewoosagur nous avait dit : « It’s a service to the country that we are doing. » En d’autres mots, « if you cannot carry on, you are free to go. » On avait compris et enregistré le message. Je crois que le fils aussi est en train de suivre l’exemple de son père. Il a raison de dire à haute voix : « Your place is not in the Cabinet if you want to do business. »

Quand on est ministre, on est serviteur du peuple, on n’est pas serviteur de soi-même. Donc Navin Ramgoolam a raison, si certains de ses ministres « are not delivering or are doing their own business, they should be made to go… As simple as that. » Je préfère cette attitude forte du Premier ministre, qui fait bien comprendre à tous : « No monkey business with me ! »

* Mais cette affaire démontre aussi l’existence probable de ce qu’on qualifie de « unholy nexus » entre des fonctionnaires bienveillants et certains politiciens. Ou faudrait-il plutôt croire que les fonctionnaires sont les otages des hommes politiques ?

Si je dis oui, cela pourrait être interprété de la manière suivante – un ministre aurait donné des instructions à quelqu’un pour faire une surévaluation. Qui est ce ministre ? Je ne sais pas. Est-ce qu’une telle chose a été faite ? Je ne sais pas. Donc laissons à l’ICAC le soin de terminer son enquête. Qu’elle décide de convoquer Mme Hanoomanjee, la ministre de la Santé, ou le ministre des Finances pour approfondir son enquête, il n’y a rien d’étonnant à cela, car ces deux ministères sont directement concernés par l’achat de la clinique. Cela ne veut nullement dire que ces personnes sont présumées coupables. On les appellera en toute innocence – “in order not to leave any stone unturned.”

* Le leader du MMM a fait état de ce qu’il qualifie d’escalade dans les relations PTr-MSM au sein de l’alliance gouvernementale. Pensez-vous que ces alliés politiques entament une situation dangereuse – propice pour les coups fourrés ?

Je crois qu’il y a une certaine animosité entre certains membres du PTr et du MSM. Les agents du PTr ont le sentiment que le MSM est en train de tout prendre. Il y a donc pas mal de mécontentement… En tant que citoyen mauricien, j’aurais demandé au Premier ministre d’essayer de faire justice à ses partisans, il ne faut pas les laisser tomber. Le MSM, comme l’a bien dit Shakeel, est un petit parti politique, et c’est grâce au PTr que le MSM a pu faire élire ses candidats lors des dernières élections. Les alliances sont parfois solides, d’autres fois très fragiles… Si jamais il y a une cassure, ce serait triste pour l’île Maurice. Je n’encouragerais pas une telle chose, je dirais plutôt : « Carry on as long as you can. » Si le PTr devait rejeter le MSM, ce sera fini pour ce dernier et je ne vois pas ce parti flotter à nouveau. Et puisque le MMM a dit qu’il ne va pas intégrer le gouvernement, on devrait aller vers les élections générales. Et je prédis une victoire encore du PTr, je ne vois pas Bérenger revenir au pouvoir.


* Published in print edition on 15 July 2011

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