« Comme son père, Navin laisse le temps faire son œuvre et jouer en sa faveur »
|Interview – Me Yousuf Mohamed —
‘Ramgoolam a trouvé en Jugnauth et Bhadain ses meilleurs agents pour son comeback politique’
‘Je suis convaincu que le Bureau du DPP va agir d’une façon tout à fait indépendante que ce soit par rapport à l’affaire MedPoint ou les affaires impliquant Navin Ramgoolam’
Chacun essaie de comprendre ce qui se passera dans le futur, notamment en ce qui concerne les high-profile cases qui ont dominé l’actualité ces derniers mois. Que nous réserve l’avenir dans ce domaine étant donné la complexité des cas ? Telle est la question. Me Yousuf Mohamed nous en parle dans l’interview qui suit.
Mauritius Times : Il semblerait qu’on ait trouvé un “monstre” dans l’administration de la justice: c’est le ministre de la Bonne gouvernance qui en a parlé la semaine dernière. Mais il n’a pas dit ce qu’il compte faire concrètement par voie législative pour le dompter ou pour s’en débarrasser. Que faites-vous donc de cette nouvelle attaque du ministre Bhadain contre le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) ?
Me Yousuf Mohamed : Dès que l’actuel gouvernement a assumé ses fonctions, certains ont tout essayé pour se débarrasser de Satyajit Boolell. Dans un premier temps, on a voulu placer le bureau du DPP sous l’autorité de l’Attorney General ; c’était une première tentative d’atteinte contre les pouvoirs constitutionnels du DPP.
Et on a vu à l’œuvre récemment Monsieur Bhadain qui a, à mon avis, tous les traits d’un dictateur et d’un vaniteux. Il nous a démontré la même attitude que tous ceux qui ne s’embarrassent pas pour faire taire toute résistance ou opposition lors des débats.
Il avait fait montre de cette attitude lors des débats à la télévision avec Reza Uteem ou dans les locaux de La Sentinelle vis-à-vis de Mme Touria Prayag. Je considère que ce genre de personne n’apporte rien de positif au pays. Au contraire, il persiste dans cette attitude qui ne fera qu’un tort immense à son propre parti, éventuellement.
La dernière bourbe de Roshi Bhadain à l’effet que le DPP serait un « monstre » dépasse l’entendement. C’est bien la première fois que j’entends un avocat faire une telle affirmation. Je peux comprendre qu’il n’a pratiqué que pendant deux années puisqu’il vient d’être qualifié, mais je ne m’attendais pas à entendre une telle chose venant d’un homme de loi. M Bhadain semble oublier que le DPP est un poste constitutionnel, dont le titulaire est nommé par la ‘Judicial and Legal Service Commission’.
Par ailleurs, lorsqu’il cherche à traîner le DPP sur le terrain politique et évoque les liens de parenté entre Satyajit et Arvind Boolell, je dois dire sans vouloir porter atteinte à l’actuel ministre du Travail ou à son épouse – deux personnes intègres pour lesquelles j’ai beaucoup de respect – que M. Bhadain semble oublier que M. Callychurn est ministre alors que son épouse est avocate évoluant sous la férule du DPP au Parquet.
Personnellement, je ne vois rien de mal à cela, mais M. Bhadain – lui – trouve à en redire concernant les Boolell. Toutefois, pour se défendre de toute critique par rapport à la nomination de son père comme président de la DBM, il déclare solennellement qu’il va demander à son père de démissionner…Et, comme par hasard, on a aussi entendu à la radio des félicitations au père pour le bon travail qu’il effectue à la DBM…
Il y a aussi le cas de M. Goburdhun, qui vient d’être nommé à l’ICAC sur une base temporaire. J’ai travaillé quelques fois, dans certains procès, contre lui, et je sais que c’est un homme bien et indépendant. Mais il y a la perception du public quant aux liens de parenté entre Roshi Bhadain et Kaushik Goburdhun. Qu’ils soient cousins de près ou de loin, comme l’affirme M. Bhadain, le fait demeure qu’il existe un lien de parenté entre eux.
Cependant, les questions qui se posent sont : pourquoi l’avoir nommé si on avait déjà procédé à la nomination d’une autre personne dans un premier temps ? Qui a donné des directives de laisser tomber le premier nommé ?
* En tant que juriste, voyez-vous quelque inconvénient à ce que le titulaire au poste de DPP soit parenté à un homme politique d’un parti de l’opposition dont le leader connaît actuellement des tracasseries avec la justice ?
Absolument pas. Satyajit Boolell s’est toujours montré tout à fait indépendant dans l’exercice de ses fonctions. Entretient-on des craintes que le DPP ne fasse appel au Privy Council au cas où Pravind Jugnauth serait innocenté par la Cour suprême ? Je ne pense pas que ce soit le cas. Qui dit que le DPP fera appel ? On ne sait pas, car tout dépend de ce que les juges vont décider à la lumière des faits et des plaidoiries. Il faut donc laisser la justice suivre son cours.
Il semblerait que M. Bhadain ne connaisse pas le fonctionnement du Bureau du DPP. Il existe une procédure et tout un système en place pour l’examen des dossiers et la prise de décision par toute une équipe d’avocats. Ce n’est pas, comme Bhadain semble vouloir faire croire, que toute décision émanant du Bureau du DPP soit celle d’une seule personne. Il ne faut pas ramener toute décision émanant du Bureau du DPP au seul titulaire, en l’occurrence Satyajit Boolell.
M. Bhadain a aussi affirmé que le DPP ne s’explique pas par rapport à ses décisions. Faut-il peut-être le rappeler : Satyajit Boolell a innové en venant à plusieurs reprises et en particulier dans certains ‘high-profile cases’ expliquer les décisions prises par son Bureau. Donc, pourquoi s’en prendre à lui personnellement ? Et pourquoi le DPP avait-il été pourchassé par l’ICAC et la police en vue de procéder à son arrestation ?
* Le Directeur des Poursuites Publiques, poste constitutionnel dont le détenteur jouit d’un pouvoir totalement discrétionnaire, n’est pas soumis à l’autorité ou au contrôle d’aucune personne ou autorité. Faut-il, à votre avis, revoir cette disposition constitutionnelle, et doit-il rendre des comptes à une quelconque instance, parlementaire ou autre, cela au nom de la bonne gouvernance ?
Non, absolument pas. Qu’on ne cherche pas des failles au système actuel qui a fait ses preuves depuis si longtemps ! Il ne faut certainement pas vouloir amender cette disposition constitutionnelle parce que M. Bhadain trouve que ce n’est pas bien. Personne n’a trouvé à redire jusqu’ici. Pourquoi donc faut-il suivre les pas de M. Bhadain qui n’a aucune expérience en tant que juriste à part ses qualifications académiques ?
Il faut aussi se poser la question : ‘Accountable to whom ?’ Au Parlement ? Donc, il s’agit là de politiciens, non ? Demain on va exiger que les juges soient tenus de rendre des comptes aux hommes politiques ! Vous vous rendez compte de ce que cela va donner. Dès qu’on établit un système où ce sont les politiciens qui auront le dernier mot, ‘this country will go to the dogs’… Le pays est fini, il n’y aura plus de justice !
* On affirme que le gouvernement pourrait trouver la majorité en vue d’amender la Constitution afin de régler le problème que lui poserait l’actuel titulaire au poste de DPP, mais cela posera un problème pour l’image du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
Certainement, ils ont la majorité pour le faire, mais ce sera contre les intérêts du pays… au fait ce serait faire du tort au pays. Je vous signale que Anerood Jugnauth a travaillé au Parquet dans le passé sous les ordres du DPP d’alors.
Je ne me souviens pas avoir entendu SAJ affirmer quoi que ce soit par rapport aux pouvoirs constitutionnels du DPP. Pourquoi en parle-t-on aujourd’hui ? Est-ce parce que le titulaire se nomme Satyajit Boolell ?
Rappelez-vous de l’affaire Gorah Issac du temps où Me Abdurafeek Hamuth cumulait les fonctions de DPP, et qui avait fait l’objet de critiques suivant la décision de ses services de ne pas poursuivre l’affaire.
* Pile ou face, le DPP perd à tous les coups surtout dans les ‘high-profile cases’ impliquant des politiciens, mais surtout les leaders politiques. Qu’il soit Abdurafeek Hamuth par rapport à l’affaire Gorah Issac, ou Satyajit Boolell prochainement par rapport à l’affaire MedPoint ou les affaires impliquant Navin Ramgoolam ? C’est ça ?
Absolument. C’est vrai, mais c’est comme ça.
Permettez-moi de revenir sur l’arrestation de mon fils, Shakeel, récemment, cela 19 ans après la fusillade de Gorah Issac. Jugnauth lance à Shakeel au Parlement : « Alle occupe zaffaire Gorah Issac ! »
Lorsque Shakeel attire l’attention de la Speaker par le biais d’un « point of order », cette dernière soutient qu’elle n’a pas entendu les propos du Premier ministre. Le leader de l’Opposition, Paul Bérenger, a alors demandé à Mme Maya Hanoomanjee à ce que l’enregistrement sonore des travaux de l’Assemblée nationale soit écouté. Sa requête n’a pas été retenue. ‘Is that fair and equitable ?’
Quelques jours plus tard, j’apprends que le CCID aurait reçu des instructions pour arrêter Shakeel, ce qui devait se faire à 4 hres du matin. Je téléphone à M. Jangi pour me renseigner, et ce dernier déclare ne rien savoir. Il me réfère au Commissaire de Police. Malheureusement, ce dernier n’est pas disponible, et je prends contact avec le DCP Tangavel Seerungen, qui lui déclare qu’on va revenir vers moi.
Par la suite, c’est M. Jangi qui prend contact avec moi pour m’informer de la convocation de Shakeel à 10 hres le même jour. Vous connaissez le reste – perquisition au domicile de Shakeel par le CCID, encadré des membres de la SMF et muni de ‘metal detectors’, etc. Rien de compromettant n’est trouvé, et quatre charges provisoires sont retenues contre Shakeel.
Heureusement que le Parquet s’est rangé, par la suite, du côté de la défense de Shakeel et a soutenu en Cour de district de Port-Louis que les quatre charges provisoires soient rayées.
Je vous signale que le DPP, Satyajit Boolell, n’était pas au pays à ce moment-là, et c’est Mme Véronique Kwok qui assurait l’intérim durant son absence. Va-t-on cette fois-ci accuser Mme Kwok pour ses liens de parenté avec Shakeel ou Yousuf Mohamed ?
* S’il existe effectivement une crainte par rapport à la décision que pourrait prendre le DPP éventuellement suivant celle des juges concernant l’appel interjeté par Pravind Jugnauth, pourrait-on supposer qu’on ait des craintes semblables par rapport aux dossiers relatifs aux enquêtes policières impliquant l’ancien Premier ministre ? La décision du DPP dans l’un et les autres cas pourrait donner lieu à des conséquences politiques majeures quoi que ce n’est certainement pas le but recherché par le DPP, non ?
La décision de poursuivre les affaires ne relève pas que du seul DPP, il y a toute une équipe au Bureau du DPP qui étudie les dossiers et qui fait les recommandations en conséquence. Donc, le Bureau du DPP va certainement étudier tous ces dossiers relatifs aux enquêtes policières impliquant l’ancien Premier ministre et voir s’il y a matière à poursuivre ou non ces affaires. Donc, attendons voir.
Je suis convaincu que le Bureau du DPP va agir d’une façon tout à fait indépendante que ce soit par rapport à l’affaire MedPoint impliquant Pravind Jugnauth ou les affaires impliquant Navin Ramgoolam. Satyajit Boolell a su se garder loin de la politique.
* Cela fera bientôt une année, le 6 février prochain, que l’ancien Premier ministre a été arrêté, dans un premier temps par rapport à l’affaire Roches Noires, suivie d’une dizaine d’interpellations provisoires. Vous avez été à ses côtés depuis le premier jour, et vous y êtes toujours, n’est-ce pas ? Il semble capable de tenir le coup, paraît-il ?
Oui, il tient effectivement le coup, il est très serein. Ce que je trouve étonnant, c’est que Navin Ramgoolam a trouvé en Anerood Jugnauth et Roshi Bhadain ses meilleurs agents pour son comeback politique ; ces derniers font tout pour faciliter cela.
* Ce comeback va prendre le temps que ça va prendre ?
Comme son père, il laisse le temps faire son œuvre et jouer en sa faveur.
* Selon les informations dont vous disposez jusqu’ici concernant les affaires qu’on reproche à l’ancien Premier ministre, quelle opinion faites-vous de la solidité légale des dossiers de la police ?
D’abord, en ce qui concerne l’affaire de Roches Noires, nous avons vu celui-là même qui a été très proche de Navin Ramgoolam tourner casaque pour devenir témoin. C’est ce même Rakesh Gooljaury qui avait emmené Mme Soornack chez moi, en ma demeure, en la présence de Joy Beeharry et de Shakeel, et ici même dans mon bureau à plusieurs reprises, il a retourné sa veste.
Je vous signale aussi que ce même Gooljaury n’a jusqu’ici pas été inquiété par la police. Je laisse donc à la police et à la conscience de certains politiciens de décider ce qu’ils comptent en faire. Le public va tirer ses conclusions en conséquence. En tout cas, à mon avis, il n’y a pas de ‘case’ dans l’affaire de Roches Noires. Et je suis persuadé que Navin Ramgoolam va gagner son procès… si jamais on le poursuit. J’en suis persuadé, mais je ne peux pas vous en dire plus.
En ce qui concerne les donations retrouvées chez Navin Ramgoolam, je souhaiterais d’abord faire un commentaire : Jugnauth prend un plaisir de parler des coffres-forts de Navin Ramgoolam, en disant sur les plateformes publiques que « le soleil brille pour tout le monde, mais la clé servi pou ouvert coffres-forts ». Mais il omet de révéler à son auditoire que tous les partis politiques reçoivent des donations pour les élections. N’a-t-il pas reçu lui aussi, en tant que leader du MSM, des donations ?
Il ne peut pas nier que tous les leaders politiques reçoivent des donations. D’ailleurs n’a-t-il pas admis publiquement que le Sun Trust a été bâti grâce aux donations des financiers ?
Ces dons financiers, faut-il aussi le souligner, restent sous le contrôle et la responsabilité des leaders des partis, et c’en est de même pour le leader du Parti travailliste. Ces dons allaient servir pour la construction du quartier général du parti au Guy Rozemont Square.
* Navin Ramgoolam sera tenu de révéler l’identité des donateurs, n’est-ce pas ?
Je crois que ce sera dans l’intérêt de Navin Ramgoolam de révéler l’identité des donateurs. D’ailleurs, certains sont déjà connus puisque leur nom est inscrit sur certaines enveloppes. Ce qui prouve que ces gens-là ont fait des dons pour les besoins de la campagne électorale. Faut-il aussi se rappeler que tout citoyen a le droit de garder autant d’argent qu’il le souhaite chez lui aussi longtemps qu’il est capable de prouver la provenance de cet argent.
Or, dans le cas de Ramgoolam, on a délibérément faussé le débat en y introduisant toutes sortes d’allégations : « tainted money », « argent sale »… Le public mauricien saura bientôt toute la vérité… que cela n’a rien à voir avec l’argent sale.
En tout cas, on est en train de tout faire pour que Ramgoolam devienne un martyre. Le peuple va considérer que « he is a martyr created by the MSM ».
* Mais qu’en est-il des autres charges provisoires par rapport aux autres affaires ?
On ne fait que distiller des soupçons, il n’y a rien en termes d’evidence. Prenons ces allégations concernant les soi-disant transactions douteuses au nom de Mauritius Duty Free Paradise, ou des commissions. Pourquoi a-t-on tout fait pour cacher l’affidavit des cadres de Dufry ? Tout le monde a pris connaissance du contenu de l’affidavit racontant la rencontre entre ces messieurs du MSM et deux cadres de Dufry au milieu de la nuit à l’Avenue Guy Forget à Quatre Bornes.
Je vous le répète : on ne fait que distiller des soupçons, il n’y a rien de concret. Et c’est la raison pour laquelle on veut à tout prix faire venir Mme Soornack pour qu’elle devienne le témoin de la poursuite contre Navin Ramgoolam. Encore une fois, on est en train d’aller ‘amasser les œufs avant que les poules ne pondent’…
* Au-delà des affinités politiques, vous vous dites que Ramgoolam va s’en sortir. Vous y croyez… objectivement ?
En tant qu’avocat, je peux vous dire que j’ai beaucoup d’espoir. Voilà tout ce que je peux dire.
* Vous avez écouté les plaidoiries des avocats du Parquet et celle représentant les intérêts de Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint. Ce serait incorrect de préjuger la décision des juges, mais vous vous attendez à quoi, Me Mohamed ?
Non, je ne peux pas répondre à cette question puisque l’affaire est déjà en appel. Tout ce que je peux vous dire, c’est ceci : dès que le jugement a été rendu par la Cour intermédiaire, j’ai déclaré en tant qu’avocat qu’il y avait des raisons d’appel.
J’ai aussi souhaité que Pravind Jugnauth gagne son procès en appel et j’ai sympathisé avec la famille Jugnauth. J’ai fait cette déclaration aux journalistes de la presse écrite, et la MBC-TV est arrivée chez moi dans la soirée pour que je répète cette déclaration. Voyez-vous la MBC accorder un temps d’antenne à Yousuf Mohamed en temps normal si ce n’est que pour servir leurs intérêts ?
Passons, mais cette déclaration était sincère, et j’avais même ajouté que ma femme, qui avait connu Mme Jugnauth dans le temps, avait pleuré quand elle a pris connaissance de la condamnation de Pravind Jugnauth. Or, contrastez cela avec le traitement dont a dû subir mon fils Shakeel après l’accusation lancée par SAJ au sein du Parlement par rapport à l’affaire Gorah Issac.
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