« Le succès de la démocratisation de l’économie ne dépend ni du gouvernement ni de l’état-major de l’industrie sucrière »
|Interview : Sadasiven Reddi, historien
* « Le rôle de l’Etat, c’est aussi d’aider le Capital à réfléchir afin que ce dernier ne mette pas en péril sa propre survie »
* « 2,000 arpents, ce n’est pas suffisant pour faire face aux défis qui attendent la République. La population doit soutenir l’effort pour racheter 20,000 arpents pour la construction de cette Ile Maurice moderne et durable »
Fait incontestable : les négociations entre la MSPA et les syndicalistes des travailleurs de l’industrie sucrière ont retenu l’attention des Mauriciens cette semaine. Y aura-t-il grève ou non, telle était la question. Notre invité, l’historien Sadasiven Reddi, fait une rétrospective des difficultés de la classe ouvrière dans ce secteur et explique les progrès du mouvement syndical sur différents fronts. Il aborde aussi le délicat problème de la concentration des terres dans le sillage des débats sur le plan international pour la souveraineté alimentaire en Afrique et en Asie. Il considère aussi la question de l’accès aux terres en vue d’améliorer le bien-être des Mauriciens en général.
Mauritius Times : Il semblerait que l’avertissement premier ministériel a réussi à faire revenir le bon sens dans le camp du patronat, ce qui fait que la menace de grève dans l’industrie sucrière a pu être évitée. Qu’est-ce qui explique ce changement d’attitude patronale, selon vous ? La crainte de sanctions gouvernementales, l’impuissance patronale face à un gouvernement fort et déterminé ou le consensus gouvernement-opposition sur la question ?
Sadasiven Reddi : Ce changement d’attitude comprend tous les éléments que vous mentionnez et c’est difficile de savoir ce qui a pesé plus lourd dans la décision patronale. Cependant, on peut penser que l’opinion du gouvernement — l’augmentation est raisonnable, le patronat sait qu’il y a d’autres dossiers brûlants à discuter, ce n’est pas le moment après des élections générales d’entrer en confrontation – tout cela a dû avoir une influence considérable sur le patronat. Mais il y a aussi un autre paramètre : aujourd’hui, la loi oblige l’industrie sucrière à rendre accessible les chiffres concernant ses finances ; le syndicat s’est comporté d’une façon raisonnable, transparente et démocratique avec chiffres à l’appui. Cela devient de plus en plus difficile pour le patronat de faire de la résistance. En fin de compte, ce qui est important, c’est que la grève a pu être évitée.
* Selon Ashok Subron, cet accord portant sur une augmentation de 20% sur les salaires de base des travailleurs de l’industrie sucrière (qui représente plutôt, de son point de vue, un réajustement des salaires) est historique. L’est-il vraiment ?
Cet accord est historique dans le sens que c’est peut-être la première fois qu’un mouvement syndical a poussé l’industrie sucrière à être raisonnable envers les travailleurs sans avoir à passer par une grève. Prenons, par exemple, 1937 et 1943. Ce sont deux exemples classiques où des concessions avaient été faites aux travailleurs uniquement après l’éclatement des grèves.
Ensuite, l’accord présent a été conclu sur la base de négociations avec des arguments et des chiffres et autant que je me rappelle, c’est la première fois qu’on arrive à connaître le coût réel de la main-d’œuvre de l’industrie sucrière. Dans le passé, le coût de production et celui de la main-d’œuvre n’étaient jamais disponibles et si parfois, il y avait quelques chiffres disponibles, il était impossible de les vérifier. De plus, il semblerait que ces chiffres étaient plutôt exagérés et approximatifs.
* Il est évident que l’argument ou plutôt le syndrome « péna kasse » du patronat de l’industrie sucrière n’est plus aussi efficace au fil du temps. Quelles en sont les raisons ? Le poids de cette industrie s’est affaibli dans l’économie mauricienne ou sommes-nous, aujourd’hui, en présence d’une nouvelle génération de patrons qui souhaiteraient corriger une certaine perception publique de cette industrie ?
L’argument « péna kasse », qui a été répété sans arrêt depuis la Grande Dépression (1929-1945), ne tient plus parce que la loi demande de la transparence dans les affaires publiques et privées. Mais je pense que les patrons se rendent compte qu’ils doivent être réalistes s’ils veulent survivre et ils savent aussi que les travailleurs et les syndicats ont d’autres outils pour mener leur combat aujourd’hui.
* Faut-il quand même reconnaître que l’industrie sucrière passe par des moments difficiles avec la baisse de 36% du prix du sucre et la crise euro ?
Personne ne nie que l’industrie sucrière passe par des moments difficiles avec la baisse des 36% du prix du sucre sur le marché international et la crise de l’euro. Toutefois, il est aussi connu que l’industrie sucrière a toujours obtenu le support total et indéfectible du gouvernement et aussi de l’Union européenne pour faire face à tous les défis.
En revanche, ce sont les travailleurs qui ont toujours été les victimes en temps de difficultés financières et pendant les transformations. Non seulement ils ont été sacrifiés, mais ils n’ont pas eu d’augmentation depuis 1998. Aujourd’hui, dans le monde entier, les populations considèrent qu’il n’est plus normal que les travailleurs soient les seuls à payer les frais de la crise économique.
* Parlant du syndrome « péna kasse », Ashok Subron, porte-parole du « Joint Negotiating Panel », soutient que durant les 10 dernières années, « l’industrie a investi massivement dans des machines mais a désinvesti dans le travail ». Il a aussi dit qu’elle dispose de réserves de profits non-distribués s’élevant à Rs10 milliards, et que la réforme de cette industrie a été subventionnée par le public mauricien à travers le non-paiement des taxes. Selon lui, c’est donc l’Etat qui a légiféré pour que les compagnies sucrières ne paient pas ces taxes-là. S’il a raison, c’est que l’Etat a fait preuve de beaucoup de générosité vis-à-vis de cette industrie, n’est-ce pas ?
Ashok Subron est juste dans son analyse. Certainement, l’Etat a été généreux vis-à-vis de l’industrie sucrière. Il faut reconnaître que dans n’importe quelle société capitaliste, l’Etat cherche un certain équilibre entre ses responsabilités envers le Capital et le travail. Parfois, l’Etat se voit obligé d’intercéder en faveur du Capital pour l’aider à survivre car l’Etat est indissociable du système capitaliste. Mais, de l’autre côté, l’Etat a aussi la responsabilité envers le Travail : c’est l’Etat qui procure et donne l’encadrement légal nécessaire pour cette main-d’œuvre que le Capital va recruter
Toutefois, l’Etat doit garder cette main-d’œuvre relativement satisfaite, sinon le risque est grand de tout détruire, y compris le Capital, comme ce serait le cas s’il y avait une grève, par exemple. L’Etat intervient de temps en temps pour faire basculer la balance vers des décisions plus humaines et rappeler au Capital son devoir envers la société. N’oubliez pas que le rôle de l’Etat, c’est aussi d’aider le Capital à réfléchir afin que ce dernier ne mette pas en péril sa propre survie.
* Dans une déclaration à la presse, il y a quelques semaines, le Président de la Chambre d’Agriculture avait dit que « l’agriculture nouvelle est en marche et connaît un nouveau départ » tant au niveau de l’industrie cannière que de la production alimentaire. Elle accentue, selon lui, ses investissements dans l’immobilier et dans l’énergie et cherche à optimiser ses avoirs. En d’autres mots, on est en train de transformer cette « sunset industry » en une industrie cannière, impliquée également dans l’immobilier et le tourisme. Cette recherche de la rentabilité est-elle tout à fait normale de votre point de vue ?
Tout investisseur a le droit de choisir le secteur dans lequel il souhaite investir ou diversifier ses investissements. Toutefois, c’est à l’Etat d’élaborer une nouvelle politique concernant la terre, la politique agricole qui vise à l’autosuffisance et l’exportation, la création d’emplois et c’est à l’Etat d’implémenter cette politique avec le concours de tous.
Mais c’est aussi à l’Etat de proposer l’encadrement légal nécessaire pour tous. Ensuite, il est aussi important que l’Etat communique clairement sa vision et ses projets et, si nécessaire, l’Etat doit enclencher un débat national pour que la population participe pleinement au processus de développement du pays.
* Nous savons qu’à Maurice près de 80% des terres tombent sous le contrôle de l’industrie sucrière et, par conséquent, on pourrait se poser la question suivante : est-ce que la transformation de l’industrie sucrière en industrie cannière serait « in the best interests » du pays ?
C’est vrai que 80% des terres tombent effectivement sous le contrôle de l’industrie sucrière. Ceci dit, je pense qu’il faut aller au-delà d’une industrie cannière et penser autrement pour une raison principale : nous disposons de trois grandes ressources — les humains, la terre et la mer. Ces ressources doivent être mises au profit de toute la République. S’il faut obtenir ou racheter des terres agricoles, il faudrait le faire pour la sécurité alimentaire, le logement et satisfaire les besoins de base pour assurer le bien-être de la population en général
Dans ce contexte, il est dommage que « l’Illovo Deal » ait été une « missed opportunity ». Au lieu de la démocratisation, on a eu la concentration des richesses. Comme tout le monde le sait aujourd’hui, ce sont quelques familles qui ont bénéficié de ce « Deal » puisque la grande partie des terres appartiennent aux grands propriétaires et les terres marginales, elles, appartiennent à l’Etat. Les spéculateurs ont été nombreux et certaines portions de terres ont été vendues à plus de Rs 4 millions par arpent alors que le prix avant la conversion s’élevait à Rs230,000 seulement par arpent.
* Comment expliquez-vous le fait que l’industrie sucrière possède autant de terres ?
Historiquement, dans la première période, des concessions avaient été données aux premiers colons par lots de 156 arpents, la concession d’une plus grande superficie faisant 4,056 arpents. Ensuite, en 1804, il y avait 313,000 arpents de concessions, ce qui représentait 72% de la superficie de l’île.
Dès 1810, après la prise de pouvoir par les Britanniques, la culture de la canne à sucre a pris de l’importance et occupait 40,000 arpents des terres. Avec l’arrivée des immigrants indiens, la culture de la canne à sucre a pris de l’ampleur et a occupé 110,000 arpents des terres.
Vers 1830, il y avait 180 usines, 945 propriétés sucrières appartenant aux Blancs-Mauriciens et 426 propriétés sucrières appartenant aux gens de couleur. A cause de nombreuses difficultés financières et aussi d’une politique discriminatoire des banques à cette époque envers les gens de couleurs, ils avaient dȗ, plus ou moins, vendre leurs propriétés.
Puis, il y a eu la période de l’émancipation en 1835. Quelques esclaves avaient acheté des terres et ils étaient devenus de petits propriétaires. Mais les grands propriétaires de l’industrie sucrière avaient donné des consignes strictes : il ne fallait pas vendre des terres aux anciens esclaves. Ils avaient aussi créé un lobby avec le gouvernement colonial pour qu’il n’accorde pas de terres aux anciens esclaves. Plusieurs méthodes étaient utilisées afin que la classe moyenne et la classe ouvrière n’aient aucun accès aux terres. Deux moyens étaient bien connus. Les terres étaient incorporées à celles des grands propriétaires ou bien il y avait des échanges effectués au détriment du petit planteur. Par exemple, à Bois Chéri, un petit planteur avait échangé trois arpents contre 1,5 arpents. Le contrôle sur l’acquisition des terres a donné naissance à une concentration des terres entre les mains de quelques riches propriétaires de l’industrie sucrière.
Historiquement parlant, il y a une deuxième période où dans les années 1860s et 1880s, des terres marginales d’une petite superficie ont été proposées aux travailleurs indiens à un coût élevé en vue de favoriser l’industrie sucrière : résoudre ses problèmes de liquidités, attacher les laboureurs aux propriétés sucrières pendant au moins deux générations et augmenter la profitabilité des propriétés sucrières. En 1915, il y avait 13,685 petits planteurs et environ 2,926 share croppers. Les petits planteurs de canne à sucre cultivaient 36,690 arpents des terres, ce qui représentait 25% des terres cultivées. Environ 4,000 petits planteurs plantaient autre chose. Quelques-uns sont devenus propriétaires de petits lopins d’un ou de deux arpents suite à la fermeture des usines dans le nord et l’est de l’île.
C’est la crise de l’industrie sucrière des années 1890-1914 qui a permis aux laboureurs d’acheter de petits lopins de terre à des prix exorbitants. C’étaient des terres marginales. Toutefois, le boom sucrier a été une aubaine pour ceux qui possédaient ces terres, mêmes marginales. Depuis les années 1920, il a été presque impossible pour d’autres personnes d’acquérir un lopin de terre à part quelques fonctionnaires qui au prix d’énormes sacrifices ont pu finalement construire une maison sur environ 70-100 toises. Les terres sont limitées mais la population a continué à augmenter mais essentiellement, les terres sont bloquées entre les mains de l’oligarchie sucrière.
* Dans une déclaration co-sponsorisée, La Vía Campesina – FIAN – Land Research Action Network – GRAIN et plusieurs autres ONG internationales, prennent position contre le fait qu’en Afrique et en Asie, « la terre, les ressources marines et hydriques dans les régions côtières sont vendues, louées ou cédées à des promoteurs de tourisme et aux élites locales au détriment des pêcheurs artisans et des communautés locales » et elles appellent à un « changement en profondeur des politiques agricoles et commerciales en vue d’adopter la souveraineté alimentaire ». Comment se présente la situation au niveau de la terre chez nous ?
Considérons d’abord la première partie de votre question. Sur le plan international, il y a à présent, le « second scramble for Africa » par le capitalisme international avec une mainmise sur les ressources naturelles, y compris les terres du continent africain. Quant à Maurice, les investissements ont lieu essentiellement dans le domaine foncier de nos jours.
Logiquement, l’accaparement des terres en Afrique et le développement foncier à outrance à Maurice, notamment sur les terres agricoles, doit cesser maintenant. Ce genre de développement met en péril un pays, son agriculture, le climat et finit par détruire toute la société.
* Pensez-vous qu’il faut revoir toute la question de l’urbanisation, des IRS/RES et surtout mettre en place une « land bank », projet qui date de plusieurs décennies déjà, en vue d’une meilleure utilisation de cette ressource qu’est la terre ?
La concentration des terres a entraîné le manque de terres et un développement anarchique des villes et des villages à Maurice. C’est la source de plusieurs de nos fléaux sociaux. Aujourd’hui, il est temps de faire comme d’autres pays qui ont « redesigned » leurs agglomérations. Il faudrait même envisager de construire deux ou trois nouvelles villes pour libérer le Mauricien de ce mal-vivre qui l’affecte tous les jours : manque d’infrastructures pour des parcs et des jardins publics, manque de loisirs en plein air, embouteillages sur les routes, manque d’espace pour construire des immeubles, problèmes de voisinage à cause d’une petite ruelle commune et les garages de l’un qui empiète sur le terrain de l’autre… Pour la classe ouvrière, les résidences ou les anciennes cités, sont aujourd’hui surpeuplées.
* Est-ce qu’il y a déjà eu une politique de logement à Maurice ?
Depuis 1830, les travailleurs se sont concentrés soit dans des villages ou alors, quand ils n’avaient nulle part où vivre, ils occupaient les « Crown Land » dans les faubourgs urbains et aux alentours des villages. Par la suite, ceux qui sont devenus petits propriétaires de terres ont construit une maison. Mais dans les nouvelles zones urbaines, la population devait se contenter uniquement de 50 toises de terrain. La population augmentait mais il n’y avait pas de terres disponibles.
Quand le gouvernement colonial s’est rendu compte que la concentration des terres entre les mains de quelques-uns gênait le bon développement de la société elle-même, il y a eu un plan d’ « afforestation » et entre 1880 et 1900, 29,000 arpents de terres privées avaient été achetés et annexés à la Couronne. En 1900, le gouverneur Bell, a démarré un « housing scheme », plus connu sous le nom de Bell Village. Pendant la Grande Dépression, les Crown Lands ont été utilisés pour loger les chômeurs. En 1931, le nombre d’habitants par ville était de la sorte : Curepipe (3.5 miles carrés) – 1942; Vacoas-Phoenix (2 miles carrés) – 7,818 ; Port-Louis – 47,657; Rose-Hill (4 miles carrés) – 20,418 familles. Ces endroits restent enclavés avec tous les problèmes qui en découlent.
En 1934, les terres abandonnées de la propriété de Richelieu, devenues terres de l’Etat, avaient été converties en lotissements. 190 planteurs avaient obtenu 251 arpents de terres dans sept centres dont Richelieu où le gouvernement avait alloué des parcelles pour le logement et aussi l’agriculture. Une ou deux propriétés sucrières avaient aussi été subdivisées pour augmenter le nombre de petits planteurs.
En 1945, il y avait eu le rapport Gorvin qui recommandait la diversification agricole mais le document avait été rejeté par l’oligarchie sucrière. Malheureusement, les recommandations n’avaient pas été mises en pratique et les conditions de vie des laboureurs n’ont pas été améliorées. En 1948, un « Land Settlement Scheme » faisait provision pour 827 familles. Donc, les problèmes de logement demeuraient entiers.
En 1960, le cyclone Carol avait dévasté l’île. A l’époque, la plupart des maisons étaient en bois avec un toit de chaume. Les dégâts étaient considérables. Malheureusement, le gouvernement n’avait pas de terres disponibles pour définir une politique du logement. Encore une fois, les Crown Land avaient servi pour loger les habitants.
En 1990, 419,469 personnes vivaient dans les zones urbaines. Aujourd’hui, plusieurs régions souffrent de surpeuplement. Par la force des choses, les bâtiments et les maisons sont construits en hauteur, les espaces entre deux bâtiments ou deux maisons sont presque inexistants, l’air ne circule pas, les maisons sont mal aérées et les passages entre deux habitations sont souvent la source de conflits familiaux. A cause de l’utilisation totale de l’espace disponible pour monter des infrastructures, les enfants n’ont plus d’espace de jeux comme à Camp Levieux, Plaisance ou Goodlands, pour ne citer que ces trois exemples. Dans des zones à forte concentration de population, les fléaux sociaux se sont multipliés au fil des années. Il y a une augmentation de consommation de boissons alcoolisées et de drogue. Les conditions de vie dans des espaces exigus accentuent le mal-vivre qui tend à pousser les gens vers le crime et d’autres formes de violence.
Après le « Illovo Deal », les grands propriétaires se sont enrichis mais la classe moyenne et la classe ouvrière éprouvent de plus en plus de grosses difficultés financières pour avoir accès à une parcelle de terre à cause de la flambée des prix. Pour ceux qui ont acheté un terrain, ils ont des dettes qu’ils auront à rembourser pendant des années, voire sur une ou deux générations.
* On parle beaucoup de sécurité alimentaire. Etant donne la superficie de Maurice, que pensez-vous de la situation localement ?
En 1945, Gorvin avait fait une étude à propos des ressources naturelles du pays et il avait recommandé d’avoir recours à la diversification agricole. Mais les barons sucriers avaient refusé cette recommandation avec fermeté. Malheureusement, la résistance du lobby sucrier a été constante depuis des années, leurs arguments étant l’érosion de la terre et l’appauvrissement du sol. De même, dans les années 1940s, il fallait 30,000 arpents de terres pour le pâturage et le fourrage car il y avait 25,000 vaches. Mais sans accès aux terres, aucun plan ne pouvait être conçu de manière durable.
La sécurité alimentaire est étroitement associée à l’accès à la terre et, par conséquent, à la démocratisation de l’économie. Malheureusement, à part produire pour les hôtels et vendre l’excédent sur le marché local, il n’y a eu aucune vision à long terme des propriétés sucrières dans ce sens.
* Pensez-vous que la démocratisation de l’économie, telle que souhaitée par le gouvernement, a de meilleures chances de réussir avec la nouvelle génération aux commandes de l’industrie sucrière ? Les gens de la gauche affirment – qu’au fond – cette nouvelle génération a exactement les mêmes réflexes que l’ancien régime. Ont-ils tort ?
Le succès de la démocratisation de l’économie ne dépend ni du gouvernement ni de l’état-major de l’industrie sucrière. La réussite de cet objectif ne peut pas venir d’en haut, sous un « top-down effect ». Ce genre de projet de société dépend de la population – son engagement, son niveau d’instruction, sa mobilisation. La population doit être sensibilisée sur les grands enjeux tels que l’accès aux terres, l’énergie, l’environnement, et la santé. La masse doit être « empowered » pour qu’elle continue de connaître ses droits et qu’elle les réclame quand cela est nécessaire et juste. C’est le « people empowerment » — avec le concours du gouvernement dans le cadre de ce qu’on appelle la démocratie participative — qui ouvrira la voie vers la démocratisation de l’économie. Certainement, le présent gouvernement a la volonté de démocratiser l’économie et il y aura beaucoup d’obstacles sur son chemin. C’est le peuple qui doit être motivé pour soutenir le gouvernement dans la réalisation de cette vision.
* Il y a eu sans doute quelques avancées réalisées sous le chapitre de la démocratisation de l’économie sous le précédent gouvernement au niveau des IPPs et des 2000 arpents de terre obtenus de l’industrie sucrière. Faut-il aller plus loin et plus vite sans pour autant tomber dans le « white-bashing » comme l’affirme le MMM ?
2,000 arpents représentent certainement une avancée. Dans le passé, les barons sucriers ont beaucoup résisté pour mettre des terres à la disposition du gouvernement. Par exemple, dans les années 60, le gouvernement travailliste sous Sir Seewoosagar Ramgoolam, avait dȗ avoir recours à la menace pour obtenir des terres à Réduit en vue de la construction de la première université du pays.
Puis, en 1995-1998, le gouvernement travailliste, avec Kadress Pillay comme ministre de l’Education, avait eu beaucoup de difficultés pour obtenir des terres en vue de la construction de collèges. Finalement, ces collèges se trouvent majoritairement sur les terres de l’Etat.
2,000 arpents, ce n’est pas suffisant pour faire face aux défis qui attendent la République. La population doit soutenir l’effort pour racheter 20,000 arpents pour la construction de cette Ile Maurice moderne et durable.
* Les conditions politiques sont-elles réunies pour réussir cette démocratisation ?
Comme je vous l’ai dit, la démocratisation de l’économie ne peut dépendre que d’un seul facteur : « The Empowerment of the People ». Tout gouvernement, même un gouvernement fort et uni, a besoin de l’appui du peuple. Dans le futur, il faudra au moins 3,000 hectares de terres pour le logement de la classe ouvrière et de la classe moyenne et il est évident qu’il faudra beaucoup plus de terres pour la production alimentaire. La production d’aliments dans un espace clos a des limites et ceci influence à la fois la qualité de la terre cultivée et des produits, sans oublier la présence d’un taux élevé de pesticides.
* Published in print edition on 17 June 2010
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