“Je n’ai jamais eu une ambition premier ministérielle”
|Interview: Madan Dulloo
* ‘Une alliance peut être un catalyseur extraordinaire, peu importe qui se trouve à la tête des différents partis’
* ‘Bérenger et Duval savent très bien ce dont l’Opposition a besoin pour remporter les élections municipales et éventuellement les élections générales: c’est une alliance avec le PTr’
Toute démocratie est vivante lorsqu’il existe à la fois un gouvernement et une opposition forte dans un pays. Tel n’est pas le cas à Maurice. On parle souvent de gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Est-ce que les Mauriciens n’ont pas envoyé suffisamment de signaux aux partis politiques lors de chaque élection pour qu’ils se réinventent ? Le jeu des alliances des partis, basé sur des tactiques du passé, est couplé à une incapacité paralysante à gérer les difficultés internes. Ces partis qui comportent souvent des transfuges politiques sont-ils devenus trop boiteux et trop faibles ? Les stratégies d’antan devraient-elles disparaître avec l’ancienne garde au sein de chaque parti ? Madan Dulloo nous en parle.
Mauritius Times : Il y a, comme vous devriez le savoir, une grosse déception en ce qui concerne l’opposition, en particulier par rapport à l’Entente de l’Espoir. Vous faisiez partie de cette opposition-là jusqu’à récemment. Qu’est-ce qui, selon vous, explique cet état des choses ?
Madan Dulloo : Il y a eu malheureusement une incohérence entre les différents leaders politiques formant actuellement partie de l’Entente de l’Espoir. A plusieurs reprises, avant ma démission de ce parti, j’ai attiré l’attention des membres du Bureau politique du MMM sur ce fait. Par exemple, dès l’annonce du confinement dû à la Covid-19 et l’annonce des restrictions en mars dernier, j’ai été étonné et choqué de la réaction de certains dirigeants de cette Entente qui critiquaient le protocole et les mesures restrictives mis en place par le gouvernement.
A mon avis, il fallait au contraire faire un appel à la population de prendre les précautions nécessaires et de suivre les consignes sanitaires des autorités comme partout ailleurs dans le monde. Heureusement, du moins en ce qu’il s’agit du MMM, mes critiques exprimées au sein du MMM ont été écoutées, ce qui fait que ce parti était le premier à faire appel à la population pour suivre strictement les consignes du gouvernement et se faire vacciner au plus vite aussitôt que la campagne de vaccination allait être lancée.
Par la suite, fort heureusement, les autres dirigeants de l’Entente se sont plus au moins conformés à cette position tout en demeurant jusqu’à tout dernièrement très critiques, et ce, d’une façon acerbe vis-à-vis de certaines mesures.
C’est là qu’on m’a reproché de critiquer deux partis de l’Entente, notamment celui de M. Bodha et l’autre de M. Bhadain – deux anciens ministres, l’un celui des Affaires étrangères et l’autre de la Bonne gouvernance – alors qu’ils étaient en train de ternir l’image et la réputation de Maurice sur le plan international à un moment où le pays faisait face à cette situation inédite due à la pandémie et où il fallait relancer l’économie.
De plus, Maurice se trouvait sur la liste grise de l’union européenne… C’est là que j’ai lancé un appel pour plus de retenue, surtout de la part de deux dirigeants de cette Entente, deux anciens ministres, dont les prises de position surtout par rapport à la situation dans le pays sur le plan démocratique allaient être entendues par les instances internationales.
* Vous voulez dire qu’il n’y avait que cela et l’incident à la régionale No. 15 (La Caverne-Phoenix) qui vous ont poussé vers la démission, et ce sans arrière-pensée politique?
Personnellement, j’ai toujours respecté la discipline et la Constitution, que ce soit celle de mon pays ou de mon parti… tout en respectant les opinions de ceux qui avaient une opinion différente. C’est pourquoi je me suis toujours fait un devoir d’exprimer mes opinions dans les instances du parti.
Ce n’est que tout récemment, après une longue absence des médias – un choix personnel, je dois dire – suite à une requête d’une radio privée que j’ai parlé de ma carrière politique et de l’actualité politique sur les ondes. Cette démarche n’a pas été appréciée par le MMM en raison de la proximité, paraît-il, de cette même radio – ce dont j’ignorais – avec un certain M. Lee Shim qui serait très proche des dirigeants du gouvernement.
La décision a été ainsi prise : aucun membre du parti ne devait faire de déclarations à trois médias spécifiques, notamment Wazaa FM, Inside News et le Xournal. Faut-il toutefois souligner qu’aucun membre du bureau politique, y compris le leader, ne m’avait formulé quelque reproche à propos du contenu de mon interview.
Mais un des dirigeants avait proposé que toute la question concernant mes critiques contre MM Bodha et Bhadain devaient être débattues par la régionale de la circonscription n°15. Lorsque j’y étais, j’ai été choqué pas la façon dont on m’a traité et, alors, lors de la réunion du Bureau Politique suivant, j’ai annoncé ma décision de démissionner du MMM…
* Diriez-vous avec le recul que tout a été bien orchestré, et cela en vu de vous pousser vers la porte de sortie pour faire de la place…
Je ne saurais vous dire, mais ce qui est sûr, c’est que cela a été très bien orchestré – on ne m’a même pas donné l’occasion de parler. Pouvez-vous imaginer que des personnes, et de plus, des membres d’une régionale du parti et bien d’autres soi-disant membres du MMM présents à l’occasion, puissent me mettre au défi en me demandant même si je pouvais me mesurer ou valoir un Bodha ou un Bhadain?
J’ai passé treize années de ma carrière politique au sein du MMM; Bérenger et moi-même, nous avions signé un accord pour le partage du prime ministership dans le cadre des élections de 2010, et je n’ai pas hésité un instant pour dissoudre mon parti, à la demande de Bérenger, afin d’intégrer le MMM. Ce qui fait que, en fin de compte, je me suis présenté aux élections de 2010 en tant que simple backbencher... alors que Bérenger et moi-même, en tant que leader d’un parti allié du MMM, aurions dû partager le prime ministership dans le cadre d’une formule à l’israélienne… Cela étant dit, moi, j’ai accepté mon sort…
* Il semble quand même qu’il y aurait aussi le facteur Bodha qui aurait pu avoir une incidence sur votre démission du MMM. N’est-ce pas le cas? Il est évident que le blocage au niveau de l’opposition est aussi dû au fait qu’on n’a pu se mettre d’accord jusqu’ici sur un leader faisant l’unanimité…
Nando Bodha s’est présenté dans les rangs de l’opposition lors de la manifestation de 13 février 2021. Mais nous savions déjà au sein du MMM depuis l’année dernière que sa démission du gouvernement était imminente, et qu’il allait être rejoint par d’autres personnes. Or, il s’est retrouvé seul pour soumettre sa démission. Mais passons.
Ensuite, il y a eu le lancement de son parti – le Rassemblement Mauricien -, et quelques temps après, il est venu parler de son programme et a aussi dit : ‘S’il faut que je devienne Premier ministre pour le mettre en œuvre, je suis disposé à le faire », ce qui a eu un impact sur beaucoup de personnes, surtout des jeunes, qui ont cru qu’il allait être le candidat au poste de Premier ministre de l’opposition.
C’est à ce moment-là que j’avais soulevé ce point au Bureau Politique du MMM. Paul Bérenger devait alors déclarer qu’il n’a jamais promis ce poste à Nando Bodha. Je m’en tiens à cela, mais j’attends qu’on soit franc et honnête, et qu’on nous dise la vérité…
Personnellement, je n’ai pas de problème avec l’ambition de M. Bodha, puisque comme je vous le disais auparavant, je ne me suis jamais battu pour avoir le poste de ministre ou de vice-premier ministre. A maintes reprises, j’ai refusé le poste de ministre malgré le fait d’avoir été membre du Parlement durant bien des années.
Ce n’est qu’en 1986, dans le sillage de l’affaire Amsterdam, que j’ai consenti à être ministre des Affaires étrangères, cela sous certaines conditions, pour sauver et aider mon pays.
* Comment se présente les perspectives de l’opposition actuellement, selon vous? Il doit être évident qu’il n’y a aucun espoir pour cette Opposition de remporter ni les municipales ni les élections générales sans le PTr. Bérenger et Duval, tous les deux, doivent en être conscients…
Je pense que grâce à leur expérience électorale et politique, Bérenger et Duval savent très bien ce dont l’Opposition a besoin pour remporter les élections municipales dans un premier temps et éventuellement les élections générales: c’est une alliance avec le PTr. C’est cela qu’on est en train de faire actuellement, et même des ‘coustics’, pour y parvenir. Mais il y le problème entre Paul Bérenger et Navin Ramgoolam qui perdure…
* Une alliance entre les différents partis de l’Opposition, regroupant les vieux partis et les nouveaux-venus sur la place paraît être ‘easier said than done’, eu égard aux différents intérêts et autres susceptibilités qui habitent ces différentes formations et même L’Entente de l’Espoir…
Je vous ai dit au début de cet entretien que j’ai beaucoup de respect pour les institutions du pays, et j’ai de la considération aussi pour les partis politiques, surtout ceux qui ont façonné une bonne partie de l’Histoire de notre pays.
Voilà la raison pour laquelle je me suis fait un devoir de ne jamais m’ingérer dans les affaires d’un parti politique ou de dicter ce qui doit être le leader de ce parti. Aussi, pour moi, il n’est pas question de faire des manigances pour qu’un autre membre de ce parti puisse usurper le leadership du parti à la place de l’actuel leader.
* Vous pensez donc que la démarche de Paul Bérenger, c’est-à-dire faire pression sur Navin Ramgoolam pour qu’il parte était mal inspiré ?
Faire appel à navin Ramgoolam pour qu’il parte, ça c’est une chose, mais s’ingérer publiquement et manigancer pour qu’un autre membre du parti usurpe le leadership et assume le contrôle du parti… je trouve cela inacceptable.
* Toutefois, faut-il aussi reconnaître que la démarche de Bérenger portait sur celui qui allait être le porte-drapeau d’une éventuelle alliance de l’Opposition et le principal challenger du leader de l’alliance gouvernementale…
A chaque fois et dépendant de la situation politique, sociale et économique du pays, une alliance peut être un catalyseur extraordinaire, peu importe qui se trouve à la tête des différents partis constituant cette alliance…
* Le candidat Bérenger au poste de Premier ministre a été un élément repoussoir dans bien des cas, non?
Nous avions eu l’alliance PTr-MMM de 2014 avec le résultat qu’on connaît. Il ne faut pas oublier que le MMM a subi trois défaites consécutives lors des élections générales – 2010, 2014 et 2019 – quand on avait présenté Paul Bérenger comme candidat au poste de Premier ministre pour un mandat de cinq ans.
Toutefois, la grande question qui se pose par rapport à 2014, c’est de savoir qui était ‘Le Requin’ et qui était ‘l’hameçon’ ? Est-ce la proposition de nommer Paul Bérenger comme candidat au poste de Premier ministre pour cinq ans ou celle concernant Navin Ramgoolam, ce dernier devant être Président de la République pour sept ans qui a fait chavirer tous les navires de cette flotte ? La question reste posée.
Paul Bérenger a déjà déclaré qu’il ne se portera pas comme candidat au poste de premier ministre cette fois-ci, et qu’il est en train de chercher un parti qui pourrait présenter ce candidat-là tout en précisant qu’il ne veut pas que ce soit Navin Ramgoolam. attendons voir.
* Votre avis personnel sur cette question, M. Dulloo? Ramgoolam comme leader de l’alliance de l’opposition et son candidat au poste de Premier ministre… qu’en pensez-vous ?
Je ne voudrais pas spéculer, car il y a trop de ‘si’ dans cette question. Tout dépendra des partis qui constitueront une telle alliance, quel programme gouvernemental sera proposé, ce qui est pour moi très important…
* Mais il faudra bien trouver un leader pour une éventuelle alliance de l’Opposition… une alliance de l’espoir, comme le préconisait Paul Bérenger ?
J’ai appris aussi au collège que l’espoir fait vivre les imbéciles. Pour le moment, nous sommes en présence de trois blocs: le MSM dirigeant l’alliance gouvernementale, le PTr s’associant à d’autres partenaires possibles, et l’Entente de l’Espoir…
* Et votre avenir politique… y réfléchissez-vous?
Je rencontre beaucoup de gens dans les quatre coins du pays, et je reste à l’écoute de certaines propositions qui vont dans le sens de la création d’un « network rural-urbain ». Cela pourrait éventuellement prendre la forme d’une nouvelle force politique regroupant des intellectuels et des professionnels évoluant dans différents secteurs.
D’autres voix ont proposé qu’on relance notre parti, c’est-à-dire le Mouvement Militant Socialiste Mauricien (MMSM).
* Qu’en est-il d’un retour au MSM?
Il n’y a eu jusqu’ici aucune discussion dans cette direction, et je ne voudrais pas spéculer… Certains ont interprété d’une certaine façon ma rencontre avec Xavier Duval… Ma position vis-à-vis du leader du PMSD est clair. Ce parti faisait partie de l’Entente de l’Espoir, Xavier Duval était le porte-parole de l’Opposition au parlement, et j’ai vu qu’il a bien fait son travail comme leader de l’Opposition quoique je pourrais ne pas être d’accord avec lui en ce qui concerne certaines de ses prises de position sur certains sujets de l’actualité.
Mais on s’entend bien, et je l’ai rencontré par respect pour le poste qu’il occupe au Parlement. Navin Ramgoolam n’était pas au pays, mais il est possible que je pourrais rencontrer Navin Ramgoolam et pourquoi pas d’autres dirigeants du pays, comme Pravind Jugnauth, etc.
* Vous disiez à Week-end, dimanche dernier, que vous faisiez de l’ombre à Navin Ramgoolam en 2008 au niveau international de par vos contacts avec certains dirigeants africains. Pourquoi voudrait-il que cela recommence en 2024 ?
Je ne vais pas rencontrer Ramgoolam avec une possibilité d’intégrer le PTr, non ! Mais c’est pas respect pour un dirigeant politique qui a été premier ministre de mon pays… Peu importe les désaccords que nous avons eus dans le passé.
Peu importe les désaccords que j’ai eus avec feu Anerood Jugnauth dans le passé, j’ai eu plusieurs rencontres avec lui l’année dernière et cette année-ci, avant qu’il ne nous quitte. Nous avions parlé du passé, du présent et de l’avenir, et nous nous étions bien compris.
* Si on vous disait que c’est probablement votre ambition premier ministérielle qui vous a causé autant d’ennuis dans votre carrière politique. Gaëtan Duval lui s’était réconcilié avec lui-même et à l’idée qu’il ne pouvait être que le No. 2…
Je n’ai jamais eu cette ambition. Ce n’est qu’après dix années passées comme parlementaire que j’ai accepté d’assumer le poste de ministre après l’affaire Amsterdam, quand la mafia de la drogue pouvait prendre le contrôle de mon pays…
* Published in print edition on 15 October 2021
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