S’embrasser en toute hypocrisie

 Chronique de Jean-Baptiste Placca

On gardera en travers de la gorge l’impudeur des images de Laurent Gbagbo en maillot de corps, s’épongeant, presque sans moyens. Il n’était ni nécessaire ni très élégant de livrer cette intimité-là à la terre entière. L’honneur de l’Afrique est aussi de savoir ne pas offrir ainsi en spectacle ses anciens dirigeants, quelle que soit l’indignité qu’on leur impute.

Que Laurent Gbagbo n’ait rien fait pour éviter une chute aussi pitoyable est d’une triste évidence. S’il doit en vouloir à quelqu’un, c’est d’abord à lui-même, pour cette posture qui a consisté à donner en permanence l’impression de n’être jamais traversé par le doute.

Dans la solitude qui est désormais la sienne, il doit être bien perplexe, quant à la sincérité de l’engagement, à ses côtés, de tous ses courtisans d’hier, déjà à plat ventre devant Ouattara. Dire que ceux-là ont pu lui faire croire que le fait accompli électoral serait vite entériné ! Cela a duré quatre mois. Quatre mois de trop !

Les pro-Gbagbo vous parlaient de résistance. Les pro-Ouattara, eux, n’avaient à la bouche que le mot : déchéance. L’Histoire saura, le moment venu, livrer son implacable vérité sur ce qu’il faudra retenir de l’homme politique Gbagbo.

Une opinion africaine circonspecte

Au-delà des discours sur la réconciliation, la Côte d’Ivoire va devoir à présent crever l’abcès des soupçons, des méfiances et des mépris, longtemps camouflés sous le feutre de la dérision, des chansons, des sketchs et autres petites plaisanteries quotidiennes. Non, les Ivoiriens ne peuvent plus décemment continuer à s’embrasser en toute hypocrisie, en gardant, au fond d’eux-mêmes, des rancœurs que l’on sait vivaces !

Quant à Alassane Ouattara, enfin pleinement chef de l’Etat, il devra aussi compter avec une opinion africaine circonspecte, qui le perçoit comme entrant en scène avec le péché originel de beaucoup devoir à la communauté des nations, à l’étranger, à la France.

Tout au long de cette crise ivoirienne, les dirigeants français, justement, ont été mal à l’aise pour assumer clairement leur implication. Nombre d’Africains n’ont d’ailleurs cessé de leur rappeler que la France, pour avoir été plus souvent du côté des dictateurs que des démocrates sur ce continent, n’était pas qualifiée pour vouloir avec un tel zèle la démocratie en Côte d’Ivoire.

Même ceux des Africains qui ne la condamnent pas pour son action dans ce pays attendent, au minimum, que demain, la France ne tolère plus dans certains Etats, ce contre quoi elle a envoyé ses soldats risquer leur vie à Abidjan.


* Published in print edition on 22 April 2011

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