Energie et démocratie
|Par Khalil Elahee
Une perception de pénurie de produits pétroliers et c’est la panique dans les stations de pompe de Port-Louis. Un promoteur poursuit le gouvernement suite au rejet de sa proposition d’une centrale à charbon.
La flambée des prix à l’importation, y compris celle de l’énergie, provoque une hausse de plus de 17% du déficit commercial. Ce sont là trois scénarios que nous aurions pu éviter si nous avions eu une politique énergétique claire, cohérente et concrète.
D’un côté, même si nous avons un stock opérationnel de produits pétroliers, les recommandations d’un rapport datant de 2004 sur la nécessité d’un stock stratégique demeurent toujours inappliquées. De l’autre, en engageant le Central Electricity Board comme partenaire du projet de centrale à charbon et en identifiant un site pour sa construction, les autorités ont commis une erreur monumentale. Or c’est sur une question de politique énergétique qu’il fallait, très justement, refuser l’option « coal-only ». Avec comme priorités la gestion de la demande et les renouvelables, nous avons les moyens de réduire notre dépendance sur les énergies polluantes, importées à des coûts qui ne peuvent qu’augmenter.
Peuple
A des milliers de kilomètres de nous, ce qui se déroule dans le monde arabo-musulman doit nous interpeller. Le flux pétrolier qui nous approvisionne provient du Proche Orient, transite par une raffinerie de la Grande Péninsule, contourne les pirates de l’Océan Indien et se dissipe dans l’atmosphère pour provoquer le cancer et le changement climatique. Le charbon sud-africain est pire comme source d’énergie et son prix poursuit la même tendance que celui du pétrole. Les risques de perturbation liée aux cyclones et, plus près de nous, à l’embouteillage dans le port et sur nos routes ne peuvent être exclus.
Hélas ! nous sommes otages du système énergétique mondial. Même si en seulement six heures, la planète reçoit plus d’énergie solaire que consomme sa population en une année sous diverses formes, les énergies fossiles et fissiles demeurent incontournables. Les premières voitures roulaient au biocarburant et l’électricité était, à l’origine, générée de manière propre et décentralisée. Des puissants lobbies sont passés par là et, aujourd’hui, les énergies renouvelables en souffrent. Pire, les économies d’énergie grâce à l’efficacité améliorée n’ont jamais eu raison de la gourmandise de la société de consommation.
Le résultat est plus qu’éloquent. Les multinationales du pétrole font davantage de profits que le Produit National Brut de beaucoup de pays. Le prix du pétrole se forme sur les segments financiers, et non sur le « marché spot ». La spéculation mène au fait que le chargement d’un tanker change des centaines de fois de propriétaires avant d’arriver à bon port. Les fonds de ‘’hedging’’ abusent de la situation au détriment des consommateurs.
Il n’empêche que plus de deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’électricité dans le monde. Le potentiel d’énergie à partir du vent, de la mer ou du soleil qui leur est offert reste financièrement peu intéressant. Même si les USA, la France, l’Australie et tant d’autres pays ont élaboré également des projets d’autonomie énergétique à partir de renouvelables, ces plans ne font pas le poids face aux lobbies pétroliers. Et comme par hasard, aussi ceux de l’armement qui ont fait des pays producteurs de pétrole leurs meilleurs clients.
Que dire, donc, de ces pays qui font face, aujourd’hui, à une révolte populaire jamais vue dans toute l’Histoire ? Sauf pour le Qatar, les Emirats et le Kuwait, ils sont tous au bord d’une révolution. Les trois premiers, qui font figure d’exception, partagent un trait commun: un indice de développement humain très élevé fondé sur une société ouverte, libre et respectueuse des droits humains. Le revenu national brut par habitant ne peut expliquer, en soi, la stabilité de ces trois pays. La Libye, le Bahreïn ou le sultanat d’Oman, qui ne sont pas très loin en la matière, en savent quelque chose. L’Arabie Saoudite semble aussi être, finalement, gagnée par la contagion. Et lorsque nous constatons que deux personnes sur trois vivent avec moins de 2 dollars par jour en Libye, par exemple, il est évident que la manne pétrolière n’a bénéficié qu’à une oligarchie très restreinte.
De l’oligarchie politique du Proche Orient à l’organisation oligopolistique globale, il n’y a qu’un pas à franchir. Depuis le 19ème siècle avec Rockefeller et Rothschild jusqu’aujourd’hui avec al Walid et consorts, le pouvoir de l’argent se résume toujours à une question de quelques familles. Même dans le champ politique, devenu le plus souvent esclave des puissances financières, ce sont presque toujours les mêmes noms qui mènent le bal. Les plus cyniques diront que cela a toujours été ainsi, y compris à l’échelle de petits pays comme le nôtre. Mais peut-on espérer, qu’avec la révolution qui a commencé à Tunis, qu’un autre monde soit devenu désormais possible ?
Pétrole
Certains analystes ont réduit la politique américaine au Moyen Orient, du traité de Camp David à l’invasion de l’Iraq, au fait d’assurer la sécurité énergétique des pays industrialisés. Même la guerre en Afghanistan ou la situation au Pakistan ne seraient (pour certains et initialement, tout au moins) qu’un moyen de faire avancer le projet du gazoduc TAPI de la mer Caspienne jusqu’à l’Inde. Nous connaissons l’intérêt que porte la Chine pour le pétrole africain ou la Russie pour le gaz du Caucase. Dans tous ces cas, que des tensions et des morts à déplorer uniquement, en somme, pour les intérêts de quelques clans et familles qui dominent le monde!
Au niveau de la demande, en Europe comme en Asie ou en Amérique, la libéralisation des marchés de l’énergie a souvent eu pour effet le renforcement des oligarchies, des multinationales et du gros capital. Les consommateurs comme les citoyens, dans leur grande majorité, n’ont bénéficié que rarement de la compétition pour payer moins, ou de l’égalité des chances pour accéder au pouvoir. Est-ce-que cela risque de changer si le monde est affranchi de l’esclavage du pétrole ? Il faudra, en tout cas, éviter le joug du charbon et du nucléaire, particulièrement lorsque les mêmes oligopoles sont derrière ces sources centralisées d’énergie.
La révolution en marche a déjà un impact géopolitique plutôt inattendu sur la crise israélo-palestinienne. Les manifestants ne se comportent pas en victimes d’ennemis externes. Personne ne s’attaque au régime sioniste, encore moins à l’Occident. L’armada américaine au large de la Libye n’est qu’un détail sans grande importance. Ce que pense Netanyahu est le moindre des soucis. Le peuple arabe semble avoir pris son destin en main, au lieu de réagir à ce que fait l’Occident ou Israël en particulier. L’espoir est que cette même attitude vis-à-vis de l’état hébreu, et à l’intérieur d’Israël, provoquera les conditions pour un règlement juste du conflit, sans recours aux armes. C’est un nouveau climat qui se profile où les peuples pourront se parler entre eux, loin des interminables et futiles processus de paix entre dirigeants politiques incapables.
Pouvoir
Ces peuples libres ne pourront accepter un modèle de développement où leurs ressources limitées comme le pétrole sont pillées, leurs environnements sont pollués et leurs bénéfices injustement repartis. Ils ne pourront accepter des peccadilles pour chaque baril de pétrole alors que les intermédiaires allant des multinationales aux gouvernements étrangers engrangent des profits et des taxes de toutes sortes sur le commerce de l’or noir. Et cela aux frais des consommateurs, des peuples de tous les pays. Ils ne pourront qu’être plus sensibles aux problèmes globaux comme le changement climatique, contrairement aux positions adoptées par les lobbies pétroliers jusqu’ici.
Il faut espérer que les peuples qui se libèrent des dictatures se montrent également disposés à repousser plus loin toutes les frontières qui les séparent. La solidarité qui les unit dans la souffrance, dans l’épreuve et même sur la toile virtuelle, doit surmonter les nationalismes et les tribalismes qui les ont divisés vainement jusqu’ici. C’est dans la gestion des ressources pétrolières, dangereuses mais cruciales pour la planète, qu’ils doivent faire preuve de responsabilité entre eux-mêmes, vis-à-vis des autres peuples qui ont besoin d’énergie et aussi par rapport à la nature.
Les réseaux sociaux et les chaînes satellitaires ont apporté un support planétaire à la révolte arabe. C’est la revanche de tous les peuples sur le pouvoir oligarchique. Même s’il est évident que l’alternance politique, et surtout économique, prendra du temps à se matérialiser, l’essentiel est qu’une brèche a surgi dans la forteresse des dominants. Le chemin demeure long et difficile comme le prouve la situation en Libye, mais le processus démocratique engagé, comme en Egypte ou en Tunisie, est irréversible.
Il faudra suivre attentivement comment se traduira l’unité des peuples au niveau de la gouvernance, surtout en ce qui touche la distribution des richesses. Cette question est éminemment complexe lorsque nous savons l’intérêt que portent certains, du Texas à Tokyo en passant par les pays émergents, pour le pétrole. Verra-t-on une vraie démocratisation dans le secteur de l’or noir ? Y aura-t-il un mouvement de solidarité envers les populations les plus vulnérables, comme en Afrique sub-saharienne ou à l’intérieur d’autres pays en voie de développement, où l’accès à l’énergie est synonyme de développement humain ? Y-aura-t-il un quota, voire un embargo, sur les plus gros pollueurs qui croient qu’ils peuvent se permettre tous les excès en matière d’énergie simplement parce qu’ils sont riches et puissants ? Y aura-t-il un avenir hybride avec le développement des énergies propres comme le solaire thermique des déserts du Maghreb ou les vents de la Méditerranée ?
Conclusion
Dans le reste du monde, y compris à Maurice, nous pouvons beaucoup faire pour affranchir la planète du diktat du pétrole. Ce faisant, nous aiderons à la démocratisation de ce secteur dans les pays producteurs comme il y aura moins de tensions et de luttes autour de son contrôle. Si nous gérons mieux nos demandes et nous nous tournons vers des systèmes décentralisés d’énergies renouvelables, ici comme n’importe où ailleurs, nous assurerons aussi une plus longue vie à ces ressources épuisables.
Le management de l’énergie, selon des politiques durables, donnera plus d’autonomie aux consommateurs locaux et les protègera des forces oligopoles sévissant dans tant de pays, souvent alliées en un seul bloc par la mondialisation des finances. Les liens que celles-ci entretiennent avec des hommes politiques représentent une menace pour la démocratie. Tous les moyens deviennent bons pour consolider le statu quo allant de l’instrumentalisation médiatique à la référence à des sentiments sectaires, voire fascistes.
La guerre du feu est aussi vieille que notre Histoire. Elle est née de notre gourmandise, de notre arrogance même. Mais aujourd’hui, dans le monde arabe comme ici à Maurice, partout, il nous est possible de faire un geste pour la paix. Pour notre survie et celle de notre planète, ensemble.
Il nous suffit de développer, en nous-mêmes, une conscience intime au sujet de l’énergie que nous utilisons. Y voir le signe de notre fragilité, notre nécessaire interdépendance, le sens de notre responsabilité.
* Published in print edition on 25 March 2011
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