La FCC sur les chapeaux de roues
|Analyse
Contrôle des crimes financiers
Par Prakash Neerohoo
Auditeur/fiscaliste
La Financial Crimes Commission (FCC), sous la direction d’une nouvelle équipe, a démarré sur les chapeaux de roues avec de nouvelles enquêtes qui défrayent la chronique. Après l’inculpation de l’ancien Premier ministre sous une charge provisoire de blanchiment d’argent à la suite de la saisie de quatre valises contenant Rs 114 millions en devises diverses, une autre grosse pointure du MSM est tombée dans le filet de la FCC : l’ancien Attorney General, inculpé sous une charge provisoire de corruption relativement à un contrat de bail sur un terrain de l’État. Ces deux affaires, parmi tant d’autres, sont hautement symboliques dans la mesure où ce sont deux hommes forts de l’ancien gouvernement qui sont finalement inquiétés par la FCC.
Dans son plan d’action, la FCC essaie de relever deux défis en même temps : lancer de nouvelles enquêtes, comme celle sur l’ancien Premier ministre et son entourage, et relancer des enquêtes sur des affaires qui, sous l’égide de l’ICAC, avaient trainé en longueur sans aucune issue prévisible. En passant, il faut saluer le service d’information de la FCC qui met à jour son site web avec des nouvelles régulières sur ses enquêtes. Cet effort de transparence contraste singulièrement avec l’opacité de son prédécesseur l’ICAC qui gardait le secret absolu sur ses enquêtes ou simulacres d’enquête.
Nouvelles enquêtes
Dans la première catégorie, l’enquête sur l’ancien Premier ministre sera un test de la volonté de la FCC d’aller au fond des choses sans peur ni faveur. Ce sera un test de son indépendance et de son efficacité comme une institution chargée de combattre les crimes financiers (fraude, corruption et blanchiment d’argent). Démêler l’écheveau des valises remplies d’argent, dont les suspects ne veulent prendre aucune paternité, ce sera une tâche herculéenne mais pas impossible à accomplir.
Il s’agit pour la FCC d’utiliser tous les outils à sa disposition en mobilisant les compétences nécessaires (légistes chevronnés, experts-comptables rompus aux techniques de l’analyse financière, expertise comptable judiciaire). Déjà la FCC s’est assurée d’obtenir un ordre de la Cour suprême pour vérifier les sources de revenu et les avoirs de l’ancien Premier ministre. Au-delà de l’aspect de blanchiment d’argent, cette enquête pourrait porter sur la richesse inexpliquée, une problématique fondamentale dans tout régime kleptocratique.
Techniques d’audit
Dans l’investigation financière, pour avoir une idée nette de la richesse d’un individu, il faut recourir à toute une panoplie de techniques d’audit comme suit :
- Analyser les sources de revenu (salaires ou émoluments officiels, dividendes, gains en capital sur la vente de biens meubles et immeubles, retours sur les placements bancaires, donations reçues, biens reçus en héritage, etc., et déterminer les montants des revenus tirés de toutes les sources au cours d’une période donnée (disons dix ans).
- Obtenir des banques concernées les relevés de compte mensuels d’un individu pour une période donnée afin d’établir les rentrées de fonds et les sorties de fonds.
- Réconcilier les déclarations fiscales déposées auprès de la MRA avec les sources des revenus pour détecter toute évasion fiscale.
- Dresser un inventaire des avoirs (propriétés immobilières à Maurice et à l’étranger, propriétés mobilières telles que les véhicules, bateaux et bijoux, comptes bancaires, investissements en actions ou obligations d’entreprise) en traçant leur évolution historique au cours d’une période donnée.
- Comparer les avoirs (actifs) aux dettes (passifs) en vue de déterminer la valeur nette patrimoniale de l’individu, ce qui indiquerait toute richesse inexpliquée.
- Réconcilier la déclaration des avoirs déposée auprès de l’ICAC/FCC par un individu (député ou officiel de l’État) avec l’inventaire des avoirs établi afin de détecter tout cas de sous-déclaration.
- Dresser une liste de sociétés privées dans lesquelles l’individu est actionnaire en prenant soin de dénicher des prête-noms qui servent de paravent pour cacher le propriétaire réel (beneficial owner).
- Examiner toute fiducie (trust) où l’individu est un fiduciaire (trustee) ou bénéficiaire afin de déterminer les sources des revenus, les avoirs, les investissements et les montants monétaires payés au bénéficiaire comme une distribution de profits ou du surplus (excédent des revenus sur les dépenses).
- Vérifier les avoirs des enfants pour détecter des transferts des revenus ou d’avoirs effectués par un parent pour le compte d’un enfant.
- Faire une vérification indirecte des revenus de l’individu en demandant à des tierces parties (sociétés, banques, fiducies) de valider les paiements versés à l’individu (dividendes, intérêts bancaires, coupons d’intérêt sur des obligations d’entreprise, paiements monétaires).
- Faire une vérification indirecte des dépenses en immobilisations (capital expenditure) de l’individu en demandant à des tierces parties (fournisseurs, entrepreneurs, sous-traitants) de valider des paiements reçus de l’individu pour des achats ou des travaux immobiliers.
- Faire une estimation des plus-values acquises sur la vente/revente de biens immobiliers en comparant le coût historique (prix d’achat) à la juste valeur de marché (fair market value). On ne peut comparer le prix d’achat au prix de vente, lequel est bien souvent sous-estimé dans l’acte notarial.
Enquêtes relancées
Comme nous l’avions suggéré dans un précédent article — Contrôle des crimes financiers : Est-ce un nouveau souffle pour la FCC ? publié dans notre édition du 21 février 2025 –, la FCC a relancé certaines enquêtes qui n’avaient connu aucun dénouement positif sous l’ICAC, notoirement connue pour sa léthargie. Deux de ces enquêtes sont particulièrement importantes parce qu’elles soulèvent des problématiques fondamentales en matière de gouvernance, notamment les principes et les règles qui doivent guider l’attribution d’un marché public et l’attribution à bail de terres de l’État.
La première enquête relancée porte sur le contrat attribué à un importateur en décembre 2021 pour la fourniture d’un million d’unités d’un médicament anti-Covid (Molnupiravir) au prix surévalué de Rs 79 l’unité contre le prix initial de Rs 9. L’État a payé un excédent de Rs 70 millions au fournisseur. Un pharmacien de l’État poursuivi dans cette affaire fut acquitté par une Cour de justice, qui blâma l’ICAC pour les insuffisances de son enquête. La haute hiérarchie du ministère de la Santé, qui avait approuvé le contrat, n’avait jamais été inquiétée par l’ICAC.
Marché public
Il est donc salutaire que la FCC ait convoqué l’ex-cheffe de cabinet du ministère de la Santé pour un interrogatoire quant à son rôle dans le processus d’adjudication de ce marché. Lorsque l’affaire avait éclaté grâce à une question parlementaire du leader de l’Opposition de l’époque (Xavier Duval), la personne en question avait pris sa retraite. On conçoit mal qu’un marché de Rs 79 millions puisse être attribué sur la simple recommandation d’un pharmacien, et ce, sans l’approbation du ministre de la Santé.
Quelque chose cloche dans la chaîne de commande : qui prend les décisions au ministère de la Santé sur les marchés publics et qui est responsable des décisions prises ? On sait que durant la période de pandémie Covid-19 des contrats valant plus de Rs 1 milliard avaient été attribués sous la procédure d’urgence (c’est-à-dire, sans appel d’offres) par un comité (High-Powered Committee) présidé par le Premier ministre. Ce comité n’avait pas tenu de procès-verbal de ses réunions. Même le directeur de l’Audit fut privé de l’accès à ces contrats pour vérification.
S’il y avait à Maurice une loi (Public Service Act) qui définit clairement les devoirs et les responsabilités de hauts fonctionnaires et énonce la délégation des pouvoirs du ministre à ses cadres de façon claire, on aurait pu éviter bien des conflits d’intérêt ou des abus de pouvoir. La réforme du secteur public est un chantier que le gouvernement devrait lancer en vue d’assurer la transparence et l’imputabilité dans la gouvernance générale. Il est inconcevable que les responsables politiques et les hauts fonctionnaires se renvoient la balle en cas de maldonne ou encore que des fonctionnaires subalternes soient les bouc-émissaires des décisions prises en haut lieu.
Terres de l’État
La deuxième enquête porte sur une affaire (« Stag Party Gate ») dans laquelle il est allégué qu’une entreprise a payé un pot-de-vin de Rs 3 millions à certains officiels pour obtenir un terrain à bail de 700 arpents dans le voisinage du lac de Grand Bassin pour un projet d’élevage. Sous l’ICAC, cette enquête tournait en rond sans pouvoir épingler tous les suspects malgré des allégations faites par un entrepreneur. La semaine dernière, la FCC a inculpé l’ancien Attorney General et ministre de l’Agro-Industrie, Maneesh Gobin, sous une charge provisoire (public official using office for gratification) en vertu de l’article 7(1) de la loi anti-corruption (Prevention of Corruption Act).
Cette affaire soulève toute la problématique de la distribution de terres de l’État pour divers usages (agricole, commercial, industriel et résidentiel) avec pour toile de fond l’influence du pouvoir politique dans la prise de décisions sur l’attribution des baux à des individus ou à des sociétés. Il est inconcevable que les terres de l’État fassent l’objet de marchandages dans un pays où l’accès à la propriété est toujours un rêve pour beaucoup de gens. De pauvres squatteurs qui avaient monté des bicoques sur des terres de l’État ont été expulsés manu militari alors que des personnes fortunées décrochent facilement un bail sur un terrain de l’État pour monter une clinique, un hôtel, une résidence privée ou un centre commercial.
Il est temps pour le gouvernement de dresser un inventaire complet de terres de l’État avec une base de données accessible en ligne qui donne toutes les informations essentielles : usage du terrain (agricole, commercial, industriel ou résidentiel), nom du locataire, montant du loyer, durée du bail, localisation et surface du terrain. L’accès public à ce patrimoine national serait conforme au concept d’une gouvernance transparente (open-data government). Ce concept, s’inspirant d’une loi sur l’accès à l’information (Freedom of Information Act — FOI), veut que tous les marchés publics, contrats et baux de l’État soient rendus publics, à moins qu’il y ait une exemption à cette exigence pour des raisons de sécurité nationale qui sont rigoureusement définies. Dans les démocraties avancées, les exceptions à la FOI sont rares et sont sujettes à un contrôle parlementaire.
Mauritius Times ePaper Friday 7 March 2025
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