Le Cri d’un Martyr
|Mauritius Times – 60 Years Ago
Par Malcolm de Chazal
Le 13 mars 1957
Mes chers compatriotes,
1957 n’est pas 1937; ni 1937, 1936; ni 1936, 1926. Et ainsi de suite.
Je n’ai pas les dates et les faits en tête.
Mais je sais que le ‘Labour Department’ a été institué afin d’améliorer le statut de l’employé par rapport à l’employeur.
Aujourd’hui un administrateur de propriété sucrière qui révoque un contrat qu’il a avec un laboureur, le laboureur a recours contre son chef grâce au Département du Travail. Avant cela, il ne pouvait rien, sauf subir.
Une dame de Curepipe qui renvoie sa servante en rompant son engagement, est susceptible de poursuites, grâce à la Cour industrielle.
Le statut de l’employé a été considérablement amélioré face à l’employeur, grâce aux lois libérales du travail que nous a données l’Angleterre. Honneur et gloire à notre Tutrice!
Un contrat ne peut être révoqué unilatéralement. C’est contre la loi internationale existante. L’engagement, son principe bilatéral est universellement reconnu. Pour changer un contrat et pour que le changement soit valide, il faut consentement mutuel des deux parties.
Voici mon cas:
En 1938, j’entre dans le Service Civil, en 1939 je suis confirmé. Je paie la Widows and Orphans Fund. Je tombe sous la loi alors existante sur les pensions, car je suis dès lors un pensionable officer.
En 1951, le gouvernement décide de créer une nouvelle loi sur les pensions. Il fait la Pensions Ordinance de 1951. Ceux qui veulent y adhérer signent une forme, dite “la forme jaune” dont copies sont conservées au Trésor, au Secrétariat et dans le Personal File du signataire.
Un grand nombre — la majorité, je me suis laissé dire — refusent de signer. Je suis de ceux-ci: je ne signe pas. Donc je suis étranger à cette nouvelle loi.
Or, M. Hinchey, Secrétaire Colonial, m’écrit — je reçois la lettre le 28 février 1957 — que le Conseil Exécutif à pris action contre moi en vertu la Pensions Ordinance of 1951.
Ceci est totalement et irrévocablement illégale, et constitue un ‘breach of contract’. Le tout est ultra vires. Et la procédure est frappé nullité.
J’ai maintenant droit de recours contre l’employeur qu’est le gouvernement. Mais surgit un point constitutionnel: quelle est la procédure à tenir, contre qui en appeler en justice? Où?
Comment? Ai-je pouvoir de recours à Londres, au Conseil Privé de la Reine? Comment obtenir que soit cassé un ordre pris au Conseil Exécutif? Tout cela est l’hébreu pour moi.
Mais une chose demeure! Le Procureur Général est le gardien de la loi. Donc à lui, je demande: “Comment agir?”
Si je suis un grand personnage en Europe, je ne suis qu’un petit esprit à l’île Maurice. J’ai besoin de pain pour vivre. Je ne veux mendier. Je le ferai bien, mais j’ai peur d’être dévoré par les chiens dans les cours.
Un bel et vaillant ami de toujours, J.N. Roy, a pris ma défense. Mais que peut-il? Roy parle de “martyrdom”, il n’exagère pas. Ce qu’on fait à Malcolm de Chazal aura des répercussions sur l’œuvre géante qu’il édifie. Et le monde, plus tard, sera pauvre de sa pauvreté.
Pauvre île Maurice! Prospérité extraordinaire, a dit M. Hinchey, au Conseil Législatif. Et c’est le moment même que le pays choisit pour m’acculer à la misère! Mais ceux qui abandonnent l’Esprit, l’Esprit les abandonnera.
Au pic de sa prospérité matérielle l’île Maurice a refusé à vivre à un grand poète qui est l’honneur d’aujourd’hui la gloire de demain. Veuille mon île n’avoir pas trop froissé le ciel! Je m’arrange que les plus grands cerveaux d’Europe sachent le sort qui m’est fait.
J’écris en Angleterre.
Au sein de l’indifférence totale, mon cri monte. Quelqu’un l’entend? L’oreille de l’Histoire.
Et je grandis de mon martyre. Je grandis. Je m’épure et je m’élève. Je grandis. Et ce pays diminue à vue d’œil. Je grandis. Je grandirai jusque dans l’Inde, où des dévots de ma personne porteront le cri de ma souffrance, l’annonceront au monde. Je grandis, mes montagnes prennent toute l’île. Mon âme s’étend. Quand il n’y aura plus que moi spirituellement, des gens me verront dans les rues, chaussures éculées, feutre en lambeaux, hagard et fou. Je serai alors très grand, car je serai le remords de l’île Maurice.
Qui persécute les grands hommes, perd son nom au sein de la conscience vivante de l’humanité.
Merci, mes amis, merci l’île Maurice.
Vous avez bien vu, J.N. Roy, Martyrdom.
Mais il y a quelqu’un qui dure depuis 2000 ans. Heureux les persécutés, car ils hériteront le ciel!…
A vous, de cœur.
Malcolm de Chazal
4th Year – No 136
Friday 15th March 1957
* Published in print edition on 17 January 2020
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