“Le décès de Kistnen n’est pas nécessairement lié aux ‘Kistnen Papers'”

Interview: Me Antoine Domingue, SC


* ‘Nous sommes tous consternés qu’un membre de l’Opposition puisse présenter ainsi une motion de blâme contre le Leader de l’Opposition. Cela est unprecedented

* ‘L’intérêt personnel des Duval père et fils (Papa-Piti version 2.0) est leur principale préoccupation!’

Dans l’interview de cette semaine, Senior Counsel Antoine Domingue aborde les questions politiques et juridiques complexes entourant l’affaire Kistnen et les “Kistnen Papers”. Il examine la crédibilité du récent affidavit de Vishal Shibchurn, les motivations politiques possibles derrière ces documents, et les implications pour les enquêtes en cours. Il partage également ses réflexions sur la motion de blâme sans précédent au sein de l’Opposition et les répercussions plus larges pour la dynamique politique à Maurice.

Mauritius Times: La non-résolution du meurtre du chef agent du MSM dans la circonscription No. 8 a refait surface dans l’actualité avec l’affidavit de Vishal Shibchurn, un individu connu pour ses démêlés avec la justice. Toutefois, Shibchurn, qui aurait dû être correctement informé par ses hommes de loi des risques juridiques liés à un faux affidavit, affirme qu’il est motivé par une prise de conscience éthique. Quel crédit accordez-vous à un tel document ?

Me Antoine Domingue: J’y ai accordé peu de crédit. Cet ancien repenti MSM a pris du temps pour accoucher de ses dénonciations par le biais d’un avoué-politicien pressenti pour être candidat du PTr dans la circonscription no 8.

Dans cet affidavit, il est clair que le détenu Shibchurn prend grand soin de minimiser sa participation dans toute l’affaire, bien qu’il ait confirmé une association étroite avec le défunt Manan Fakhoo avec lequel il était, de son propre aveu, très lié.

Il appartient donc aux limiers du “Homicide Squad” du MCIT de faire toute la lumière sur les dénonciations tardives de ce repenti afin que l’on puisse distinguer le bon grain de l’ivraie.

* Croyez-vous qu’il aurait d’autres motivations derrière ses déclarations ?

Une motivation politique n’est pas à écarter. C’est en tout cas ce que pense le député Yogida Sawmynaden qui, dans ses déclarations à la presse, a parlé de complot politique ourdi contre lui par ses adversaires.

C’est une possibilité qui demande à être creusée vu que la femme du premier ministre est également impliquée par le dénonciateur sans que l’on puisse comprendre à quel titre elle aurait pu y être mêlée.

Pour moi, cette partie de l’affidavit est comme un cheveu sur la soupe et tend à crédibiliser la thèse du complot politique et décrédibiliser la teneur de cet affidavit dans son ensemble ainsi que les circonstances dans lesquelles il a été rédigé et juré.

* Les allégations de Shibchurn concernant l’implication de hauts gradés de la police, de l’ex-ministre Sawmynaden, et de certains individus opérant dans le cercle ou proches des personnalités politiques au plus haut sommet de l’État vont au-delà des éléments révélés par l’enquête judiciaire initiale. Faut-il envisager dans ce cas une nouvelle enquête ou la réouverture de l’enquête judiciaire dans cette affaire ?

Je ne pense pas que cela soit envisageable puisque le but d’une enquête judiciaire est d’établir la cause du décès. La cour est donc « functus officio » ayant déjà rempli son office et ayant été déchargée du dossier qui ne peut pas lui être confiée a nouveau.

Il appartient donc aux autorités concernées, c’est-à-dire le CP et le DPP, de faire diligenter une enquête de police sur les dénonciations du repenti, ses motivations et les circonstances dans lesquelles cet affidavit a été rédigé et affirmé sous serment par le détenu.

* Selon des extraits publiés dans la presse, l’enquête précédente avait révélé de graves défaillances dans le travail de la police. Malgré les demandes de l’actuel DPP ainsi que celles de son prédécesseur pour une enquête approfondie, l’évolution de l’enquête policière reste inconnue. Que peut-on attendre de l’enquête qui sera vraisemblablement menée par cette même police à la suite de l’affidavit de Shibchurn?

Les observations de la cour concernent uniquement la phase initiale de l’enquête de police. Il ne s’ensuit pas, à mon humble avis, que cela doive nécessairement perdurer en ce qui concerne la suite qu’il convient de donner à cette affaire après les dénonciations tardives du repenti et le crédit qu’il faudrait lui accorder.

Si l’enquête de police démontre qu’il s’agit d’un faux affidavit, de dénonciations fausses et calomnieuses et d’un complot politique, les prévenus seraient passibles de poursuites au pénalpour “swearing false affidavit in a case where an affidavit is required, false and malicious denunciation in writing” et “conspiracy”.

* Shibchurn a dénoncé des motivations politiques et financières derrière le meurtre de Kistnen. En tant qu’avocat indépendant, comment percevez-vous le risque de politisation de l’enquête et comment cela pourrait-il affecter la recherche de la vérité ?

Je n’entrevois pas ce risque si l’enquête est diligentée par des « Enquiring Officers » – des officiers de police qui sont dignes de ce nom et sous la férule du bureau du DPP, comme cela devrait normalement se faire -et qui devraient donc enquêter sur les dénonciations tardives de ce dénonciateur ainsi que les déclarations contre lui pour complot, faux affidavit et dénonciation calomnieuse.

* Les “Kistnen Papers” suggèrent des irrégularités financières et des intrigues politiques. Quelle est l’importance de ces documents dans la résolution du cas, et quelles actions doivent entreprendre les autorités pour examiner ces allégations dans une juridiction respectueuse de la loi et de l’ordre ?

Le décès de Kistnen n’est pas nécessairement lié aux « Kistnen Papers » qui ne concernent que les dépenses électorales du MSM au no 8 aux dernières élections tenues en novembre 2019 et les affidavits des candidats et de leurs agents respectifs.

Ce volet de l’enquête est déjà entre les mains de la police depuis belle lurette, lui ayant été référé par le « Electoral Commissioner » avec l’approbation de la « Electoral Supervisory Commission » dont faisait alors partie le Senior Counsel Désiré Basset.

Il est à noter que M. Basset a par la suite démissionné de ses fonctions pourqu’il puisse assurer la défense de Pravind Kumar Jugnauth « privately prosecuted » par mon client Suren Dayal devant la Cour de Port Louis pour faux affidavit concernant le montant et le détail de ses dépenses électorales lors des dernières élections générales au no 8.

* Au-delà du rôle des enquêteurs et des magistrats pour assurer une justice équitable dans des affaires aussi délicates, comment évaluez-vous l’impact de la pression publique et médiatique sur l’avancement de l’enquête concernant le meurtre de Kistnen et des “Kistnen Papers” ?

Je ne vois pas pourquoi ni comment l’avancement d’une enquête de police indépendante et digne de ce nom dans une affaire d’homicide non résolue (“cold case”) puisse être tributaire d’une pression externe quelconque, d’où qu’elle puisse provenir.

Une telle enquête ne peut avancer que si on laisse des enquêteurs chevronnés travailler en paix afin qu’ils puissent rassembler des preuves crédibles et admissibles en cour de justice pour élucider le crime et permettre au DPP d’établir la culpabilité des prévenus « beyond reasonable doubt », ce qui est un standard élevé requis par notre « criminal justice system ».

En ce qui concerne l’enquête au sujet des “Kistnen Papers”, c’est une autre paire de manches. Il appartient donc au CP Monsieur Dip de nous éclairer à ce sujet. L’enquête lui a été reférée par l’Electoral Commissioner avec la bénédiction de l’Electoral Supervisory Commission – ce qui fut publiquement confirmé par son communiqué dont nous avons fait état dans l’affaire Suren Dayal v Pravind Kumar Jugnauth en cour de port Louis et dans l’affaire Pravind Kumar Jugnauth v Suren Dayal et autres devant la Cour Suprême de l’île Maurice.

* Selon vous, comment la situation actuelle influence-t-elle la perception publique des institutions politiques et des leaders à Maurice ? Et, quelles mesures pourraient être prises pour restaurer la confiance du public dans le système judiciaire et les forces de l’ordre, en particulier à la lumière des graves manquements soulignés dans les conclusions du rapport de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath ?

Il appartient au CP et au DPP de restaurer cette confiance qui est une condition sine qua non à une bonne administration du « criminal justice system »à l’île Maurice. C’est ce qui est prévu par la Constitution. Il n’y a donc aucune mesure à prendre. Ce que nous souhaitons tous, c’est que cette confiance soit immédiatement et totalement rétablie.

Mais nous savons tous qu’ils sont à couteaux tirés depuis les poursuites contre le fils Dip en Cour intermédiaire, la demande de« judicial review » du DPP contre la Commission de pourvoi en grâce, l’affaire CP v DPP toujours pendante devant la Cour suprême suite à un jugement interlocutoire contre le DPP, la contestation du DPP par l’ICAC et le CP devant le Juge en Chambre Maghooa toujours en suspens en attendant que le cas CP v DPP soit résolu, l’affaire CP v Bissessur et autres(inclus le DPP) où jugement a été rendu par les juges Maghooa et Balaghee contre le CP, qui fut donc condamné au paiement des dépens.

* En dehors des forces de l’ordre, la Financial Crime Commission (FCC) a également fait l’objet de critiques de la part de l’opposition. L’amendement que Navin Ramgoolam souhaite apporter à sa plainte originale contre la défunte Integrity Reporting Services Agency (IRSA) concerne la constitutionnalité de la FCC Act. Il argue que certaines dispositions imposent, d’une part, à un accusé de prouver l’origine de ses biens saisis, et d’autre part, permettent à la FCC de confisquer des biens avant même une condamnation judiciaire. Ces arguments vous semblent-ils valables ?

Ce sont des arguments qui sont soutenables en droit, et il me semble que le futur premier ministre en devenir à un « arguable case » à faire valoir devant la cour pourvu que ce soit fait dans les délais prescrits par les « rules of court ».

* Par ailleurs, le Parlement continue de faire l’objet de controverses. Xavier Duval, mécontent de ce qu’il considère comme “l’incapacité d’Arvin Boolell à résister aux demandes de Paul Bérenger et sa participation à la manifestation illégale et honteuse au sein même du Parlement le jour de l’élection du Speaker”, a déposé une motion de blâme “historique” contre le Leader de l’Opposition. Quelle est votre opinion sur son positionnement actuel ?

Nous sommes tous consternés qu’un membre de l’Opposition puisse présenter ainsi une motion de blâme contre le Leader de l’Opposition. Cela est « unprecedented », et c’est dépourvu de bon sens. Il est évident que Xavier Duval l’a fait en réponse à la motion de blâme du Leader de l’Opposition à l’encontre de son fils Adrien qui est le nouveau Speaker.

Xavier Duval, étant de l’Opposition, n’aurait pas dû shooter contre son propre camp : c’est un « own goal ». A moins qu’il n’ait l’intention de rejoindre le camp adverse c’est-à-dire le gouvernement en place avant la fin de l’année pourvu qu’on lui démontre suffisamment de signes de respect pour faire suite à la soudaine élévation de sa progéniture au perchoir pour qu’il puisse bénéficier d’une pension à vie à laquelle il n’aurait autrement pas eu droit.

L’intérêt personnel des Duval père et fils (Papa-Piti version 2.0) est leur principale préoccupation… !

* Quelle pourrait être la réaction des électeurs et des membres de son parti face à ce changement de positionnement de Xavier Duval ?

En ce qui concerne les membres de son parti, certains de ses dirigeants ont déjà exprimé leur désaccord en créant un autre parti politique.

Je ne pourrais vous éclairer quant au choix éventuel des électeurs qui seront appelés à se prononcer lors des prochaines élections générales qui seront tenues soit à la fin de cette année ou, au plus tard, dans la première moitié de 2025.


Mauritius Times ePaper Friday 9 August 2024

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