“Le gouvernement de l’Alliance doit se préparer à descendre de son nuage”
|Interview : Jean Claude de l’Estrac
‘La situation économique est extrêmement difficile mais pas désespérée. Ce qu’il faudra à nos dirigeants, c’est du courage pour imposer une cure d’austérité.’
“A day, not a week, is a long time in politics”
‘Qui aurait parié, il y a deux ans, que le leader du MMM deviendrait notre Premier ministre adjoint aujourd’hui ?’
Dans l’interview de cette semaine, Jean Claude de l’Estrac analyse les défis économiques actuels, les dynamiques politiques en évolution et les enjeux diplomatiques majeurs auxquels Maurice est confrontée. Il souligne la nécessité pour le gouvernement de faire preuve de courage face à une situation économique difficile, tout en insistant sur l’importance d’une approche réaliste dans les négociations internationales. Il aborde également la stabilité apparente du climat politique actuel, tout en mettant en garde contre les défis potentiels à venir. Cette discussion offre une réflexion profonde sur l’état actuel de la nation et les voies possibles pour son avenir.
Mauritius Times : L’affaire des Chagos et le “deal” que le Gouvernement actuel cherche à négocier avec le Royaume-Uni et les États-Unis demeurent une préoccupation majeure pour Maurice, notamment depuis le retour de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis. Quelle est votre analyse de la situation et de la gestion de ce dossier par le Gouvernement dirigé par Navin Ramgoolam ?
Jean Claude de l’Estrac : Je serai prudent car nous ne savons pas encore ce que ce fameux « deal » contient concrètement. Ce qui est certain, c’est que la résolution des négociations s’est compliquée depuis l’arrivée de Donald Trump.
Le président des États-Unis est tellement imprévisible que personne ne sait ce que sera sa posture. C’est la raison pour laquelle j’avais estimé qu’il fallait clore les négociations au temps du président Biden même si les propositions du traité ne donnaient pas une entière satisfaction à Maurice.
* En effet, Trump est réputé pour son tempérament impulsif et imprévisible, comme l’illustrent ses récentes décisions concernant le Canada, le Groenland et le Panama. Le fait qu’il n’ait pas, jusqu’à présent, rejeté catégoriquement l’accord entre le Royaume-Uni et le gouvernement mauricien, tel que proposé par ce dernier, suggère qu’un “deal” reste envisageable. Partagez-vous cette analyse ?
Oui, si « envisageable » veut dire « faisable ». Je le pense d’autant plus que le dernier obstacle en date brandi par les Américains et les Anglais est une stupidité.
C’est ne rien comprendre à la géopolitique de l’océan Indien que de qualifier Maurice de satellite de la Chine. Si nous sommes le satellite de quelque puissance étrangère, c’est bien évidemment de l’Inde, l’Inde qui est – par ailleurs – le partenaire stratégique des Américains dans l’océan Indien, l’Inde qui possède une quasi-base sur le territoire mauricien…
Je suis sûr que l’ambassadeur américain à Port Louis a relayé l’information. Par ailleurs, je pense que Modi, qui est à Washington, devrait toucher un mot à Trump…
* Par ailleurs, alors que le gouvernement de Navin Ramgoolam approche de ses 100 premiers jours, le climat politique semble relativement stable, sans frasques ni décisions controversées révélant des désaccords au sommet de l’État. Cette situation contraste avec le passé et paraît plus apaisée. Qu’en pensez-vous et comment l’expliquez-vous ?
Il est évident que les deux principaux leaders de l’Alliance du Changement ont, chacun, mis beaucoup d’eau dans leur vin. Il y a peut-être deux raisons principales à cette cohabitation heureuse : d’abord, leur grand âge qui leur rappelle qu’il n’y aura pas pour eux de coup d’après s’ils devaient échouer.
Ensuite, les sujets qui fâchent n’ont pas encore été débattus. Je pense au prochain budget ; je ne serai pas surpris de voir l’expression de quelques désaccords sur les mesures à prendre pour redresser la situation ; je ne sais pas encore si tous sauront gérer l’impopularité car un certain nombre de ces mesures seront forcément mal vues. De ce point de vue, la présentation du prochain budget sera au fait le moment de vérité.
* La gestion des affaires publiques sous Ramgoolam semble plus prudente cette fois-ci. Peut-on y voir une nouvelle approche du leadership ou s’agit-il simplement d’une phase temporaire avant de potentielles tensions internes ?
Beaucoup parmi ceux qui ont côtoyé l’ancien Ramgoolam trouvent que la nouvelle version est beaucoup plus agréable, plus à l’écoute. Du coup, ses partenaires ne contestent rien même quand certains de ses choix et décisions sont problématiques.
De son côté, Bérenger, toujours aussi pointilleux, se montre plus conciliant. Il est désormais totalement respectueux des prérogatives du Premier ministre.
* Au fait, si l’on se fie aux expériences passées, une alliance avec Paul Bérenger paraît difficilement viable à long terme. C’est du moins l’impression — voire la conviction — qu’avaient les anciens alliés du MMM. Cependant, les choses pourraient être différentes cette fois-ci. Mais, selon vous, quel serait le véritable ‘litmus test’ de la solidité du gouvernement actuel ?
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure : c’est le prochain budget. J’ai souvenir de ce qui s’était passé en 1982. Maurice connaissait une grave crise économique. Le FMI avait été appelé à la rescousse. Cette institution avait proposé un programme d’ajustement structurel composé de mesures d’austérité.
Bérenger, le ministre des Finances, avait fait preuve de courage politique et était prêt à entériner in toto des mesures impopulaires pour sortir au plus vite de la crise, selon ses propres termes. Le Premier ministre, Anerood Jugnauth, lui, n’était pas de cet avis et il craignait les retombées politiques.
Ce sera une guerre ouverte et, finalement, la cassure.
Il faudra espérer que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets…
* À Maurice, où l’inflation, la dette publique et le coût de la vie pèsent lourdement sur la population, la capacité du gouvernement à gérer ces défis sera cruciale. Selon vous, comment la situation évolue-t-elle sur ce plan ?
La situation économique est extrêmement difficile, mais pas désespérée. Les mesures à prendre pour redresser la barre sont connues.
Ce qu’il faudra à nos dirigeants, c’est du courage pour imposer une cure d’austérité – n’ayons pas peur du mot – ce qui sera très mal reçue par une population droguée à l’argent public.
L’on voit déjà des marques d’impatience totalement déraisonnables chez une partie de la population. Mais c’est ainsi. Le gouvernement de l’Alliance doit se préparer à descendre de son nuage.Read More… Become a Subscriber
Mauritius Times ePaper Friday 14 February 2025
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