“Le MMM doit pleinement jouer le jeu d’un pouvoir Ramgoolam

que Navin n’aime pas voir contesté, et le PTr doit pleinement respecter Bérenger”

Interview: Lindsay Rivière

* ‘Jamais Sir Anerood n’aurait permis un pouvoir parallèle (Lakwizin) qui aurait eu son mot à dire dans les affaires de l’Etat’

* ‘Le MSM n’aura aucun espoir de retour tant qu’il ne réglera pas cette question de ‘Lakwizin’. Tout ceci viendra le hanter constamment’

* ‘Paul Bérenger peut toujours continuer à servir très bien sans portefeuille, comme mentor pour les jeunes, loyal second de Navin Ramgoolam’


Lindsay Rivière, journaliste et analyste politique, livre un examen incisif des bouleversements récents de la politique mauricienne. Dans une interview accordée au Mauritius Times, il explore les raisons profondes de la défaite de l’Alliance Lepep et de la dérive du gouvernement du MSM, soulignant un changement radical dans la culture politique du pays. Selon lui, ce changement, marqué par une centralisation excessive du pouvoir et des pratiques politiques autoritaires, a profondément perturbé les valeurs démocratiques et républicaines que les Mauriciens chérissent.

Lindsay Rivière met également en lumière les défis actuels auxquels le pays fait face, notamment la nécessité de rétablir un équilibre démocratique, de restaurer la crédibilité des institutions et de naviguer dans un paysage médiatique en mutation avec l’essor des nouvelles technologies. Par son analyse, il invite à réfléchir sur l’avenir politique de Maurice, en soulignant l’importance d’un retour aux valeurs fondamentales, au « mauricianisme » et à une politique inclusive, loin des clivages ethniques et partisans.


Mauritius Times : Si l’on vous affirmait que la défaite de l’Alliance Lepep résulte avant tout du rejet d’une culture politique incompatible avec les valeurs et les expériences que les Mauriciens partagent depuis des décennies, que répondriez-vous ?

Lindsay Rivière : Ce serait absolument correct, même s’il y a d’autres facteurs importants à considérer. J’ai constamment tenté d’attirer l’attention, ces dernières années (y compris dans Mauritius Times), sur le fait qu’avec le gouvernement MSM sortant, Maurice était en train de changer dramatiquement de culture politique, et ce, pour le pire.

Comment ? En glissant rapidement d’un modèle de démocratie de type européen auquel nous sommes effectivement habitués et attachés (le système Westminster, dont nos concitoyens partagent depuis des décennies les valeurs et les comportements) vers de nouvelles pratiques politiques hautement condamnables qu’on retrouve plus aisément en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.

Ce glissement s’illustrait par (i) un Exécutif hypercentralisé et accapareur, s’octroyant sans cesse plus de pouvoirs, politisant tout, (ii) un Parlement représentatif de la nation régulièrement bafoué, diminué et paralysé par un Speaker grossièrement partisan et hystérique, (iii) la volonté pernicieuse d’affaiblir systématiquement tous les contre-pouvoirs (Presse, DPP, Judiciaire, Société civile), (iv) une stratégie de ‘State capture’ pour mettre sous la botte du MSM toutes les institutions de l’Etat au moyen de nominations ciblées, (v) un mensonge officiel inadmissible où on ne sait plus quoi croire, et enfin (vi) un autoritarisme brutal, mesquin, souvent vulgaire, et une dangereuse intolérance vis-à-vis de tous les critiques et opposants qualifiés « d’éléments antipatriotiques ». Comme s’il y avait deux catégories de citoyens dans ce pays, les ‘patriotes’ montrant patte orange et tous les autres, jugés antipatriotes.

Or, ce n’est pas cela l’île Maurice que nous aimons, dont nous rêvons et où nous voulons voir grandir nos enfants. Il y avait, ces dernières années, une perversion, une pollution de tout. Nous sommes, comme le disait souvent Sir Gaëtan Duval, « un peuple gentil », et, au-delà de nos différences, très attaché au ‘fairplay’, à la tolérance, à une démocratie vivante, à la justice, à une certaine idée de la méritocratie et de l’égalité des chances. Notre long passé colonial nous a transmis, pendant deux siècles, un ensemble de valeurs, de convictions et d’expériences vécues qui sont profondément ancrées dans le psyche mauricien et qui perdurent toujours.

* Quand le MSM a-t-il commencé cette dérive ?

Depuis que Sir Anerood n’est plus là ! Il y a deux MSM en réalité. Le MSM de Sir Anerood Jugnauth, souvent au Pouvoir entre 1983 et 2014, avait quelques grands ministres et (malgré quelques excès)respectait encore la plupart de ces valeurs.

La nouvelle génération MSM post-2014, venue au Pouvoir avec l’ascension de Pravind Jugnauth, à partir de 2017 n’incarnait plus celles-ci et s’est dévoyée dans le copinage et l’esprit de clan. Jamais Sir Anerood n’aurait permis un pouvoir parallèle (Lakwizin) qui aurait eu son mot à dire dans les affaires de l’Etat.

Si Pravind Jugnauth veut encore avoir un avenir politique, il lui faudra un grand coup de barre à Droite et un grand nettoyage pour revenir à l’essentiel des comportements de ce qui fait la beauté de notre peuple.

* Que nous révèle tout cela sur la société mauricienne, à la fois multiculturelle et multiethnique ? Est-elle encore profondément conservatrice, malgré son ouverture croissante sur le monde ? Ce conservatisme est-il une force de stabilité?

J’ai toujours pensé, pour ma part, que la société mauricienne est l’une des plus conservatrices au monde. On peut le déplorer par certains côtés, mais il faut aussi le saluer et s’en réjouir, car cela nous met à l’abri de bien des dérives, fréquentes à travers le monde.

Sans doute nous faut-il embrasser la modernité, les nouvelles technologies, l’ouverture au monde, etc., mais tout en gardant notre âme de Mauriciens, nos traditions, nos cultures, nos valeurs ancestrales. Il existe un ‘caractère mauricien’ qui ne doit pas changer.

Personnellement, j’aime l’esprit de famille des Mauriciens, leur simplicité naturelle, leur attachement à la religion, leur solidarité envers leurs vieux, leurs voisins, leur extrême affection pour leurs enfants, leur volonté que chaque génération vive mieux que la précédente. J’aime aussi leur faculté de s’indigner, leur sens de la justice.

Oui, ce conservatisme est source de stabilité, et il ne faut pas le perdre juste pour paraitre plus ‘in’ que nous ne le sommes. N’allons pas bien loin : Je suis, moi-même, un solide conservateur, pas dans le sens de faire obstruction à ce qui doit changer mais dans le sens de ‘conserver’ toujours ce qui mérite de l’être.

* Par ailleurs, à y regarder de plus près, ce qui s’est très probablement passé, c’est que les vidéos de “Missié Moustass” ont constitué le “trump card” qui a mis en échec l’opération de marketing politique menée par la MBC-TV ces dernières années, et qui visait à convaincre différents segments de l’électorat des promesses électorales, telles que l’augmentation de la pension de vieillesse, les allocations pour les jeunes, entre autres. Quelles leçons tirez-vous de tout cela ?

Tout le monde à Maurice dit que “Missié Moustass” mérite une médaille pour avoir permis d’ouvrir les yeux des Mauriciens sur bien des aspects inconnus de la vie publique, même si espionner est une pratique hautement illégale.

Cet épisode de révélation d’espionnage a pourtant été absolument décisif dans le désastre électoral du MSM et dans la perte de Pravind Jugnauth. “Mr Moustass” a confirmé ce que chacun pressentait confusément mais sans pouvoir le prouver. Il a montré à quel point l’Hôtel du gouvernement était sous l’influence du Sun Trust, à quel point il existait une espèce de gouvernement parallèle et de dualité de pouvoirs et d’influence administrative.

Ceci restera comme un souvenir impérissable pour les Mauriciens et comme une arête de poisson dans la gorge du MSM à l’avenir. La tornade “Mr Moustass” a tout emporté : le bilan sur lequel le gouvernement espérait se faire réélire, les promesses sociales, les ambitions des uns et des autres, alliés, partisans et candidats. Le MSM n’aura aucun espoir de retour tant qu’il ne réglera pas cette question de ‘Lakwizin’. Tout ceci viendra le hanter constamment.

L’autre enseignement est qu’il y a une limite à ce qu’on peut faire avaler au peuple, en brandissant de l’argent facile. L’argent et la rapacité des gens ne sont pas tout. C’est même très réducteur que de croire qu’il suffit de distribuer des bonbons à l’occasion du Budget et des élections pour acheter la dignité et la loyauté d’un peuple.

* Les règles du jeu électoral ont aussi été profondément transformées par l’apport des nouvelles technologies, réduisant l’influence de la presse traditionnelle. Les réseaux sociaux occupent désormais une place centrale dans la communication politique à l’échelle mondiale, tandis que l’intelligence artificielle vient accentuer cette dynamique, soulevant de nouvelles problématiques. Nous pénétrons ainsi sur un terrain miné. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement ! Il faudra, à partir d’aujourd’hui, compter en tout premier lieu sur les nouvelles technologies de l’information. La presse écrite se meurt lentement. Quiconque souhaite impacter sur la politique devra désormais avoir une maîtrise totale sur les réseaux sociaux, n’en déplaise à Xavier Duval. Nous avons franchi en novembre 2024 une ligne. Rien ne sera plus comme avant.Read More… Become a Subscriber


Mauritius Times ePaper Friday 29 November 2024

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