Le Paroxysme de l’Hypocrisie

Dépenses électorales

Par Prakash Neerohoo

Deux mois à peine après le scrutin du 10 décembre 2024, le nouveau gouvernement de l’Alliance du Changement se trouve en face d’un problème cornélien : la contestation éventuelle de l’élection de six de ses députés, dont trois ministres, pour avoir dépassé le plafond des dépenses électorales par candidat sous la loi électorale.

L’ironie est que ce sont des candidats battus du MSM qui présenteront une motion devant la Cour suprême pour faire invalider l’élection de ces députés, élus tous pourtant avec une marge confortable grâce au score sans appel de 60-0. Cette contestation du verdict électoral pour cause de dépassement des limites des dépenses électorales, aussi insignifiant soit-il, marque le paroxysme de l’hypocrisie politique à Maurice en matière de financement des partis politiques.

En vertu de l’article 51 de la Representation of the People Act (RPA) de 1958, le plafond des dépenses électorales par candidat est fixé à Rs 150 000 pour un candidat de parti et Rs 250 000 pour un candidat indépendant par circonscription. Les dépenses des candidats sont notamment les repas fournis aux agents le jour du scrutin, la publicité, le transport d’électeurs et l’impression de pamphlets (flyers), entre autres.

Dépenses excédentaires

Selon les déclarations de dépenses déposées auprès de la commission électorale par les députés à ce jour, les ministres Richard Duval (Tourisme), Raj Pentiah (Fonction publique) et Kaviraj Sukon (Éducation tertiaire) et trois députés de la majorité (Sandeep Prayag, Véronique Leu-Govind et Kevin Lukeeram) ont dépassé la limite de Rs 150 000 durant la dernière campagne électorale dans une proportion variant de 4% à 66% (voir le tableau ci-dessous).

On y voit aussi que le ministre Richard Duval arrive en tête de liste avec un excédent de Rs 98 375, soit 66%. Pour sa part, le candidat battu du MSM Kavi Ramano a un excédent de Rs 70 000, soit 47%. Le député avec l’excédent le plus faible est K. Lukeeram avec Rs 6 500, soit 4%.

Infractions et amendes

L’article 54 de la RPA ne permet pas une infraction aux limites de dépenses prévues dans l’article 51. Selon l’article 55 de la RPA, «la personne ayant engagé les dépenses non-autorisées, ainsi que le candidat pour lequel elles ont été engagées, seront désignés coupables d’une pratique illégale ». Toutefois, un candidat ne peut être reconnu coupable du fait qu’une tierce personne ait engagé des dépenses en son nom, sauf s’il est prouvé qu’il a donné son consentement.

L’article 74 (1) de la RPA précise qu’une personne reconnue coupable d’une pratique illégale est passible d’une amende maximale de Rs 1 000. De plus, pendant cinq ans à compter de sa condamnation, elle ne pourra ni s’inscrire en tant qu’électeur, ni voter, ni se porter candidat à une élection. Si elle a été élue avant sa condamnation, elle perdra également son siège. Toutefois, sous l’article 74(2) de la RPA, ces sanctions ne prendront effet qu’à l’issue d’une période de 30 jours après la condamnation ou après la décision de la Cour suprême sur une éventuelle demande de recours, en vertu de l’article 74B.

En effet, l’article 74B de la RPA prévoit que tout député élu en délicatesse avec la loi peut demander une exonération (“relief”) des dispositions de l’article 74 concernant une pratique illégale afin de sauver son mandat, en arguant que le dépassement des limites des dépenses a eu lieu par inadvertance ou pour une autre cause raisonnable. La Cour suprême peut accorder cette exonération si elle est satisfaite des explications données.

Contestation des élections

Si des candidats battus du MSM contestent l’élection des six députés du gouvernement susmentionnés, quelles sont les chances que la Cour suprême leur donne gain de cause ?

En l’absence de jurisprudence sur cette question, il est difficile de se prononcer. Toutefois, il est clair que le MSM s’est vu offrir une occasion de régler des comptes politiques avec l’Alliance du Changement qui l’a botté hors du pouvoir de façon magistrale, et il ne la ratera pas !

Dans le passé, le MSM au pouvoir n’a pas lésiné sur les moyens légaux de combattre ses adversaires, que ce soit au niveau de la police (avec des arrestations arbitraires sous des charges provisoires) ou au niveau du judiciaire (avec des poursuites contre des opposants sous des charges de blanchiment d’argent ou de trafic illicite).

Le cas le plus célèbre est celui de Navin Ramgoolam, qui fut arrêté sur 11 charges provisoires entre 2015 et 2019. Bien que le judiciaire ait rayé 10 des 11 charges, une charge de blanchiment d’argent pèse toujours sur la tête de Ramgoolam dans une affaire de coffres-forts confisqués.

En outre, lorsque l’élection de certains députés du MSM, y compris son leader, fut contestée devant la justice après le scrutin de 2019, le MSM déploya les grands moyens, en s’adjoignant des services d’avocats anglais notamment, pour les défendre, et ce, jusqu’au Conseil Privé du Roi. Maintenant qu’il est dans l’opposition, le MSM aura recours à son arme favorite, la procédure légale, pour contester l’élection de six députés de la majorité sous l’article 55 de la RPA.

Désillusion générale

Si le gouvernement croyait bien faire en prêchant l’apaisement après les élections, en se fondant sur le refus d’entreprendre quelque action (arrestations de suspects ou enquêtes sur les scandales précédents) qui puisse donner l’impression d’une revanche politique, il devrait déchanter maintenant car il n’a pas affaire à des adversaires de bonne foi.

Pendant deux mois, le manque de réaction du gouvernement à l’impatience populaire face à la tolérance des malfaiteurs de l’ancien régime posait la question de savoir s’il n’y avait pas un pacte faustien entre les nouveaux dirigeants et les anciens (sponsorisé par une main invisible) en vue de passer l’éponge sur des affaires criminelles.

Ainsi, on se demandait où était l’enquête de la police sur l’assassinat de Kistnen ou encore les fameux « Kistnen Papers » des dépenses électorales liées à une élection contestée dans la circonscription no. 8 en 2019 ?

Est-ce que les enquêtes sur les autres scandales (Saint-Louis Gate, Stag Party Gate, Silver Bank, assistance opaque de la MIC à des sociétés, marchés publics d’urgence, etc.,) ont été reléguées aux oubliettes ou étouffées sous le prétexte de la confidentialité des transactions bancaires ou contractuelles ? La transparence et l’imputabilité (devoir de rendre compte – “accountability”) sont-elles des slogans creux dans le secteur public malgré la promesse de rupture ?

Financement politique

Cette nouvelle affaire de dépenses électorales remet en perspective l’urgence d’un nouveau cadre légal pour le financement des partis politiques dans le contexte d’une réforme globale du système électoral. Durant la dernière campagne électorale, les principaux partis ont dépensé beaucoup d’argent sans que l’on connaisse leurs sources de financement.

Le MSM, en particulier, s’était signalé par des extravagances telles qu’une armada de véhicules sur la route pour transporter les partisans aux meetings, la débauche d’affiches dans tous les coins et recoins du pays avec l’effigie de son chef et les fonctions sociales avec de la nourriture à gogo…

Durant son règne, le MSM a tenté deux fois de règlementer le financement des partis politiques à travers un projet de loi (« Political Financing Bill »), la première fois en 2019 et la seconde fois en 2024. Mais, à chaque fois, le projet de loi n’a pas eu les trois quarts de voix nécessaires pour être voté tant les dispositions proposées étaient tellement inadéquates ou inacceptables.

Dans notre article intitulé « Financement politique : Non à la mainmise des entreprises privées sur les partis », publié dans notre édition du 12 juillet 2024, nous avions analysé les faiblesses du projet de loi et les différentes formules de financement convenables aux partis dans une démocratie parlementaire.

En particulier, nous avions critiqué les propositions outrageantes du gouvernement d’alors, dont celle ayant trait à des dépenses électorales de Rs 1 million par candidat et de Rs 1 million pour un parti dans une circonscription. Le plafond de dépenses proposé par candidat était alors largement supérieur au plafond de Rs 150 000 prévu dans la loi actuelle. Paradoxalement, le MSM viendra contester un excédent de dépenses de Rs 98 000 en vertu d’une conception légaliste de la loi. En matière d’hypocrisie, on ne fait pas mieux !

Nous espérons que le gouvernement aura le courage d’introduire une nouvelle loi sur le financement politique qui soit équitable, qui épargne les partis de toute influence ou emprise extérieure et qui permet des limites raisonnables des dépenses électorales. Il y va de la représentation démocratique de l’électorat.


Mauritius Times ePaper Friday 7 February 2025

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