Le Terrible Gâchis

Analyse

By Shiva Patten

Quelques semaines après son installation, le deuxième gouvernement Jugnauth allait provoquer une vague de colère dans le pays. Nourrie par des allégations sérieuses de corruption impliquant des milliards et entraînant la démission du VPM Ivan Collendavelloo, et d’incompétence entourant le désastre Wakashio. Un scandale qui a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de citoyens.

Et c’est loin d’être fini car il y a eu l’assassinat d’un agent MSM qui pourrait impliquer d’autres proches du MSM, une affaire en cour de justice qui défraie la chronique et qui a entraîné la démission d’un ministre d’autant plus que ce scandale et bien d’autres ont comme toile de fond la Covid-19. Tout ceci donc laissait présager un commencement de la fin pour l’actuel régime. Mais c’était sans compter sur la soudaine désunion des forces de l’opposition.

En effet lorsque Paul Bérenger et Xavier Duval faisaient éclater la bombe liée au poste de Premier ministre dans un éventuel gouvernement PTr-MMM-PMSD etc., sans doute ils ne mesuraient pas les dommages collatéraux et autres déflagrations que cela allait produire.

  1. L’éclatement de l’Entente initiée par le Leader du PTr

A mon avis, le lancement même d’une « Entente » que tout le monde comprend comme Alliance est une mauvaise idée.

L’argument principal de ce regroupement reposait sur une quasi-certitude que le Gouvernement allait tomber dans les jours qui suivent et qu’il fallait donc s’y préparer. Or une chute éventuelle d’un gouvernement passe nécessairement, dans notre démocratie westminstérienne par la dissolution du Parlement avant terme, dans la pratique sur initiative du PM. Une dissolution à quatre ans de la fin de mandat s’est produite une seule fois, en 1983 dans un contexte exceptionnel sans autre issue. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et la probabilité d’un tel scénario me semble très mince.

L’autre cas de dissolution avant terme, c’était suite à une perte de la majorité parlementaire du PM, confirmée par le biais d’un vote d’une motion de censure ou par l’anticipation d’une censure (le cas de 1983 selon toute évidence). Dans le contexte actuel, je ne vois pas une demi-douzaine d’élus de la majorité changer de camp pour voter une motion de censure.

Par conséquent, miser sur une dissolution du Parlement à quatre ans de la fin du mandat me semble osé. Au fond, les partis d’opposition auraient dû opter pour le worst-case scenario, c’est-à-dire la non-tenue d’élections anticipées. Et en profiter pour faire leur « autocritique », se réorganiser, se « régénérer », travailler le terrain at grassroots level séparément afin de consolider leur base électorale et surtout récupérer les indécis déçus de leur choix de 2019. Ratisser large, fidéliser autour des thèmes les plus porteurs : la corruption, l’incompétence, l’économie au plus mal, et « laisser le temps au temps » pour d’autres sujets.

J’ajoute, par ailleurs, que dès lors que la question du prime ministership est apparue comme fondamentale aux yeux du MMM et du PMSD, ces derniers auraient dû la soulever avant leur adhésion à l’Entente.

  1. L’éclatement de l’unité des forces d’opposition en vue des municipales

Un front commun des partis d’opposition et des mouvements citoyens aurait, sans doute, remporté haut la main les municipales et fragilisé davantage le Gouvernement, ce qui aurait ouvert une voie royale à leur succès lors des prochaines élections générales. Avec la division de l’opposition, une défaite totale de l’alliance au pouvoir n’est plus évidente. Cette dernière peut donc espérer remporter une ou deux villes. La sortie virulente de Pravind Jugnauth contre Bérenger et ses mots doux envers Obeegadoo, Ganoo et Ramano en disent long sur sa stratégie électorale qui consiste à attirer davantage d’électeurs mauves dans son camp.

  1. L’éclatement de l’opposition parlementaire

Difficile à imaginer Arvin Boolell, lui homme de parti et de conviction, s’accrocher au leadership de l’opposition après le retrait du PTr de l’Entente, avec ou sans les propos maladroits de Bérenger. Il faut dire que ce dernier et Duval ont fait preuve d’un certain amateurisme en n’anticipant pas cette éventualité. Du coup, cela a généré une certaine confusion quant à la désignation du nouveau leader de l’opposition.

Cela dit, Duval leader de l’opposition est un moindre mal car il a encore la sympathie des travaillistes pour avoir « sauvé la démocratie » en 2016, lorsqu’il avait fait capoter la ‘Prosecution Commission Bill’, visant l’indépendance du DPP. Une démarche qui visait au fond le déroulement des affaires concernant Navin Ramgoolam.

Disons que Xavier Duval demeure « acceptable » pour les travaillistes dont certains espèrent le retour dans « son camp naturel ». Cela étant dit, au niveau de l’opposition parlementaire, renforcée par l’arrivée de l’ex-ministre Nando Bodha, la situation ne devrait pas changer. La collaboration parlementaire entre les partis d’opposition va continuer à fonctionner comme avant.

  1. La confusion chez les organisations citoyennes

L’éclatement de l’Entente a eu pour conséquence l’émergence des ambitions politiques de certains leaders citoyens apolitiques. Mais puisqu’ils ne sont pas entre eux sur la même longueur d’onde quant à leur affinité partisane, on assiste à une divergence entre les mouvements citoyens d’où une baisse de leur crédibilité d’autant que certaines positions sont tolérées lorsqu’elles émanent de leaders apolitiques mais pas lorsqu’elles sont politiques.

Il y aussi ce qui n’est pas négligeable : tous ceux, ici et là, qui aspirent à un « ticket », rêvant d’être les élus du peuple mais surtout de toucher le « pitaye » mirobolant et les berlines grand luxe serties d’immatriculation perso, qui vont avec. De quoi faire pâlir d’envie les haut-dignitaires de la 5ème puissance économique mondiale qui continuent, malgré tout, à nous verser des milliards, pour payer, entre autres, les frais d’entretien de la nomenklatura de notre île.

Aussi, il va sans dire qu’une ‘Mahagathbandhan’ – ou ‘Grande Alliance’ des partis dans l’Etat de Bihar, Inde, en prélude des élections de 2020 — à la mauricienne avec un nombre important de postulants n’arrange pas les affaires des « roder tickets ». Le temps des premiers tribuns travaillistes où la politique était un sacerdoce est bien révolu. On a voulu imiter Singapour, mais on a conservé et développé la corruption, l’incompétence, etc., comme « valeurs » immuables.

  1. Toute velléité de changement au niveau du leadership au PTr écrasée dans l’œuf

La manière brutale, maladroite et inopportune de Bérenger d’exclure le leader du PTr, au demeurant l’initiateur de l’Entente, des premier ministrables a eu pour effet, en blessant la base travailliste, de renforcer le leadership de Navin Ramgoolam au PTr. Certes, ce n’est un secret pour personne qu’outre les observateurs indépendants, un certain nombre de travaillistes — certains imbus de valeurs travaillistes de longue date — voient en Navin Ramgoolam un handicap certain. Néanmoins, cela demeure et doit demeurer un problème interne au PTr, et il incombe à ses membres de s’en occuper.

A noter que du coup le MSM, qui considère Navin Chandra Ramgoolam (NCR) comme un allié objectif aussi longtemps qu’il reste premier ministrable, a mis de côté la hache de guerre… pour l’instant. C’est ainsi que le servile Showkutally Soodhun a été envoyé au front pour louanger NCR et lui verser quelques larmes de crocodile. D’autres « haters » de tous bords ont emboîté le pas. Faut pas se faire d’illusion : l’artillerie lourde sera pour après.

Cela étant, il faut bien préciser que NCR n’a pas encore déclaré qu’il sollicitait un quelconque futur prime ministership. Il sait donner « le temps au temps », lui. Ce que j’ai retenu également, c’est qu’il dit avoir la ferme intention de s’atteler à la rénovation du PTr et, par ailleurs, qu’il ne souhaite pas rester « inerte » dans la conduite des affaires du pays, à une position qui reste à définir.

  1. L’espoir populaire d’un changement profond brisé

Face à la corruption (dont népotisme, clientélisme, « dynastisme », assassinat, etc.) qui dévore le pays et l’incompétence paroxystique dont on commence à subir les effets désastreux sur l’économie, le peuple a « marché » pour dire stop et demander un changement profond. Ce changement dans notre pays démocratique passe, entre autres, par une amélioration de notre Constitution. Or, cette amélioration nécessite une majorité parlementaire renforcée, impossible à décrocher ; et pire, le risque d’une répétition de 2019 est bien là, si la fragmentation de l’opposition dans son ensemble perdure jusqu’aux prochaines élections générales.

En attendant, vivement qu’elle ne se trompe pas d’adversaire et respecte la demande populaire.


* Published in print edition on 9 March 2021

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