Les limites morales de la politique transactionnelle

Analyse

Changement politique

On ne peut plus acheter les consciences par des carottes dérisoires pour faire oublier les inégalités profondes dans la société

Par Prakash Neerohoo

Les politologues et autres observateurs épilogueront pendant longtemps sur les raisons de la victoire absolue de l’Alliance du Changement aux élections du 10 novembre 2024. Chacun fera sa lecture selon son bord politique. En attendant un post-mortem objectif, le camp perdant (Alliance Lepep) est silencieux, abasourdi par le coup de grâce assené par l’électorat. Déjà un partenaire (le PMSD) a pris la porte de sortie de cette alliance, ne voulant sans doute pas partager la responsabilité de la défaite. Ce qui est indiscutable, c’est le ras-le-bol général qui a botté hors du pouvoir un gouvernement autoritaire. On a vu un sursaut moral du peuple mauricien le 10 novembre contre le dysfonctionnement de la société.

C’est un sursaut moral parce que le peuple, en transcendant les clivages ethniques ou communautaires, s’est levé dans sa grande majorité (63% des votants) pour dire non à la perpétuation du statu quo qui l’emprisonnait dans les carcans de la division, de l‘inégalité, de la peur et de l’arbitraire. L’électorat a dit non à la continuation d’un système qui est un « régime inégalitaire », lequel est défini comme « un ensemble de discours et de dispositifs institutionnels visant à justifier et à structurer les inégalités économiques, sociales et politiques d’une société donnée » (Thomas Piketty, auteur du livre « Capital et Idéologie »).

Régime inégalitaire

Sous le vernis de la croissance, les inégalités économiques se sont approfondies entre les classes sociales. Parallèlement à l’enrichissement de la classe possédante permis par les rentes économiques du développement immobilier et la fiscalité directe légère, il y a eu un déclassement de la classe moyenne écrasée par un pouvoir d’achat en chute libre et la paupérisation de la classe ouvrière, affectée par la précarité de l’emploi et la compétition des travailleurs étrangers.

Les inégalités sociales se sont manifestées dans les formes suivantes : l’accès inégal à l’éducation qui produit des milliers de recalés aux examens primaires et secondaires ; l’accès non méritocratique à l’emploi dans le secteur public ; et l’accès non démocratique à la propriété (terres et logements rendus inabordables pour des Mauriciens moyens faisant face à la concurrence des investisseurs étrangers).

Les inégalités politiques se sont cristallisées dans l’absence de démocratie marquée par le règne tyrannique d’un gouvernement élu par 37% des votants, contrôlant toutes les institutions publiques, capturant l’Etat et ses marchés publics à l’avantage d’une plutocratie, muselant le Parlement et neutralisant tous les contre-pouvoirs de la société (presse, syndicats, partis d’opposition).

L’autocratisation du système politique n’est pas une vue de l’esprit ou une vision dystopienne de la société propagée par des Cassandres. Elle est un fait comme établi par les agences VDem et Mo Ibrahim, deux entités internationales indépendantes, dans leur évaluation des pratiques de gouvernance à Maurice. Il est malheureux que des ex-militants du MMM qui disaient vouloir faire la politique autrement aient adopté des positions conservatrices par leur soutien actif à l’autocratie et à un capitalisme de proximité gourmand, corrompu et tentaculaire.

L’existence d’un État profond, un réseau de personnes non-élues qui tirent les ficelles du pouvoir et décident de tout en usurpant le rôle des représentants élus, est une déviance abominable dans les mœurs nationales.

En raison de toutes ces inégalités, il est absolument raisonnable de lutter pour une rupture avec le « régime inégalitaire » à travers des réformes structurelles de l’économie et des institutions publiques qui puissent permettre la démocratisation économique, sociale et politique du pays.Read More… Become a Subscriber


Mauritius Times ePaper Friday 22 November 2024

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