« Les prochaines élections générales verront une énième fois une confrontation de deux alliances »
|Interview: Jocelyn Chan Low – historien et observateur politique
Une victoire du PTr pourrait avoir d’énormes répercussions sur l’échiquier politique national’
A deux jours du jour J, les candidats de la circonscription de Belle-Rose/Quatre-Bornes des grands et des petits partis et leurs partisans s’activent sur le terrain. Pourtant, même si l’exercice de déposer un bulletin dans une urne est sacré pour le citoyen, plusieurs partis politiques craignent l’abstention. Que pouvons-nous déduire de l’écart important entre l’euphorie des « diehards » et le silence éloquent de la majorité des électeurs ? Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique, nous apporte des éclaircissements.
Mauritius Times : Certains sondages effectués au niveau de la circonscription No. 18 donnent Arvin Boolell comme futur représentant des votants – ce dernier maintiendrait du moins son avance sur les autres candidats – mais l’élément perturbant selon les activistes des différents partis sur le terrain résiderait dans le risque d’un taux d’abstention élevé. A qui profiterait une telle éventualité, selon vous ?
Jocelyn Chan Low: D’abord qu’Arvin Boolell soit de loin le favori n’est guère étonnant. Outre la forte personnalité du candidat, le Parti Travailliste a toujours eu de solides assises dans la circonscription numéro 18.
Certes, en général, au fil des années, les ‘hardcores’ des partis traditionnels ont considérablement diminué. On se retrouve aujourd’hui avec une énorme masse d’électeurs flottants qui ne se décident qu’à la dernière minute, au gré de la campagne électorale.
Toutefois, parmi cette masse flottante des ‘indécis’, sans doute un grand nombre s’abstiendront de voter, de surcroît pour une élection partielle. Par conséquent, le poids de ce « hardcore de diehards » sera important lors de cette élection partielle.
En outre, on peut présumer que le « hardcore travailliste » est fortement mobilisé et qu’il va voter rageusement parce qu’il est question d’un tremplin pour la reconquête du pouvoir aux prochaines élections générales. Mais bien sûr, rien n’est joué.
En effet, l’abstention peut effectivement être extrêmement élevée. Déjà aux dernières élections générales de 2014, le taux d’abstention pour cette circonscription était de plus de 25%. Pour une partielle où l’équipe au pouvoir ne présente pas de candidat, on peut s’attendre à un taux d’abstention encore plus élevé, avoisinant les 40% à 50%. Dans ce contexte tout est possible.
Mais en général, à mon avis, l’abstention ne sera pas en défaveur des partis traditionnels qui pourront compter sur leur « hardcore ». Par contre, l’abstention jouera certainement contre ceux qui misent sur les ‘indécis’ pour damer le pion aux partis traditionnels.
* Il ne semble pas que les programmes électoraux des différents partis/candidats indépendants, ni même la question du Metro Express font l’objet de débats au niveau de la circonscription. Qu’est-ce qui déterminera l’issue de cette partielle ? Les mêmes réflexes et éléments qui interviennent dans nos élections à Maurice et à différents degrés partout ailleurs : l’ethnicité, le castéisme, les bribes électoraux… ?
Est-ce que les programmes électoraux ont une grande incidence sur les résultats des élections à Maurice ? J’en doute fort. Le Mauricien moyen se rend compte qu’un programme électoral n’est qu’un condensé de vagues promesses que l’on range le plus souvent au placard une fois les élections terminées.
Quant au Métro Express, c’est Bhadain lui-même qui a enterré la question en affirmant qu’il n’est plus question de faire marche arrière sur le sujet. Que reste-t-il alors outre la fidélité partisane à un parti ou à un candidat quelconque ?
Ce qui déterminera l’issue de cette élection, outre les réflexes classiques –tels l’ethno-castéisme politique, les bribes, etc., ce sera d’abord la personnalité du candidat, son accessibilité, ses capacités à représenter la circonscription efficacement, etc. Ce facteur devient de plus en plus important, plus le nombre d’électeurs est restreint.
Ensuite, il y a la capacité de mobilisation des électeurs le jour des élections. Tout dépendra de l’efficacité, comme on le dit à Maurice, du ‘grattage’ des électeurs jusqu’à la dernière minute. La capacité organisationnelle du parti et des agents le jour des élections sera déterminante. Cela nécessite évidemment une logistique parfaite et des ressources à la fois financières et humaines.
* Est-ce que le risque d’un taux d’abstention assez élevé rendrait tout pronostic périlleux, ou est-ce le fait de cette bataille opposant tous ces partis d’opposition – avec l’alliance gouvernementale embusquée et tirant une ficelle de loin – cela en l’absence d’alliances électorales ?
C’est vrai que l’absence d’un candidat du régime en place a quelque peu faussé ces élections. Si tel n’était pas le cas, dans la conjoncture actuelle, avec un Gouvernement très impopulaire, le protest vote aurait gonflé la participation électorale, et se serait reporté en grande partie sur la personnalité qui aurait réuni le plus de chance de battre le candidat du Gouvernement, l’électeur en général votant stratégiquement .
Mais, pour cette partielle, c’est réellement le poids des partis politiques et leur capacité à mobiliser leur partisans dans cette circonscription qu’on est en train de mesurer. C’est un vote d’adhésion au parti/candidat et non pas celui d’un rejet d’un candidat du pouvoir qu’on mesure. Evidemment, cela rend plus difficile les prédictions.
* Il n’y a que deux partis – les deux grands du pays, c’est-à-dire le PTr et le MMM – qui puissent rééditer ce qui leur est possible au niveau régional dans le cadre d’une partielle sur le plan national lors des élections générales. Une victoire du candidat travailliste ou celle de la candidate du MMM présagerait-elle la victoire du Parti Travailliste ou celle du MMM en 2019 ?
Oui et non. Certes, une victoire du PTr pourrait avoir d’énormes répercussions sur l’échiquier politique national dans le sens que cela aurait un effet domino sur les autres circonscriptions, notamment dans les régions rurales. Et on sait que le MSM et le PTr pêchent dans le même bassin. Toute remontée du PTr ne ferait qu’affaiblir davantage le MSM, voire même déstabiliserait le Gouvernement.
Néanmoins, le PTr traîne un énorme boulet qui pourrait l’empêcher de décoller : les affaires en cours que traînent son leader, Navin Ramgoolam. Et cela laisse planer un climat d’incertitude quant à l’avenir du parti.
Quant à une victoire du MMM, cela démontrerait que le parti peut encore rebondir et elle mettrait un frein à l’hémorragie de son électorat vers le PMSD, entre autres. Il confortera ceux qui veulent à tout prix que le MMM aille seul aux élections générales. Mais cela, c’est une autre paire de manches. Toutefois, en politique, tout peut basculer en une journée doù la difficulté de faire des prédictions.
En outre, il faut aussi prendre en considération l’action gouvernementale et les efforts de Pravind Jugnauth pour redorer le blason de son gouvernement. Qui aura le dessus au final : les scandales ou la politique de relance du feel-good factor ? Sans compter évidemment qu’il y a aussi les perspectives économiques. La relance économique tant prévue viendra-t-elle avant la fin du mandat de ce Gouvernement ? Donc, il serait hasardeux de tirer des conclusions hâtives.
* Spéculons : qu’est-ce qu’une lutte à deux opposant principalement le PTr et le MMM sans le soutien des autres groupuscules sur l’échiquier en 2019 donnerait en termes de résultat, selon vous ?
Difficile à dire sans connaître la configuration exacte du front bench du MMM ou du PTr. Par exemple, en 2005, l’Alliance sociale avait gagné les élections face à l’alliance MSM-MMM en grande partie parce qu’elle avait présenté le Dr Beebeejaun comme Vice Premier ministre alors que son adversaire n’avait présenté Sam Lauthan que comme le No 4 du futur gouvernement MSM-MMM.
Tout est dans les détails : le leadership, le front bench, la liste des candidats, le nombre de femmes et de jeunes. Tout dépendra aussi du type de campagne et de l’efficacité des moyens des communications politiques adoptées. Mais il est aussi vrai que le système électoral avec son découpage des circonscriptions favorisera le PTr.
Mais nous sommes dans la politique fiction. Le jeu des alliances est un fait incontournable de l’histoire politique du pays. Certes, il est un peu plus difficile de vendre des alliances aux électeurs aujourd’hui. Mais personne n’est dupe. Les prochaines élections générales verront une énième fois une confrontation de deux alliances. Lesquelles ? La partielle de dimanche prochain déterminera cela en partie.
* Ma question précédente présupposait que le MMM et le PTr, sous le leadership de Paul Bérenger et de Navin Ramgoolam respectivement, envisageraient sérieusement de se présenter seuls devant l’électorat en 2019 sans la force d’appui des groupuscules présents sur l’échiquier présentement. Est-ce que le choix de leurs candidats respectifs pour cette partielle donne une indication des objectifs à long terme de Bérenger et de Ramgoolam ?
Dans le cas du Parti Travailliste, je persiste à croire qu’Arvin Boolell est de loin le meilleur candidat que le parti aurait pu aligner. Parce que c’est une élection que le PTr est condamné à remporter afin de se positionner comme le vrai challenger du Gouvernement.
Cela dit, il est vrai qu’une victoire d’Arvin Boolell va consolider la position de ce dernier au sein du PTr bien que Ramgoolam reste toujours le maître du jeu.
Quant au MMM, le choix de Nita Juddoo a surpris au départ. Certains avaient même insinué à un certain moment que c’était un cadeau au PTr. Mais force est de constater que la candidate du MMM a pris de l’étoffe au fil de la campagne et peut prétendre aujourd’hui gagner cette partielle.
En outre, par la suite, le MMM a recruté d’autres cadres et intellectuelles, ce qui fait penser que la candidature de Nita Juddoo est un avant-goût de ce renouvellement promis qu’on découvrira sans doute à travers la liste de candidats du parti aux prochaines élections générales.
* C’est probablement le facteur de l’âge relativement avancé des leaders du PTr et du MMM qui privilégierait des choix stratégiques à court terme qui servent leurs ambitions personnelles aux dépens des intérêts de leur parti dans le long terme. D’après vous, comment se présente le long terme pour ces deux partis ?
L’âge ? Quel âge avait Sir Anerood Jugnauth quand il a remporté les élections de 2014 ? SSR a mené le PTr aux élections générales de 1982 à l’âge de 82 ans. Sincèrement, je crois que ni Bérenger ni Navin Ramgoolam ne pensent déjà à la retraite. Mais c’est le propre des politiciens de réfléchir sur le court terme, la vie politique étant trop souvent tributaire d’événements imprévisibles.
Cela étant dit, il est vrai que le MMM et le PTr sont deux institutions qu’on ne pourrait facilement effacer du paysage politique. Les partis traditionnels sont là pour très longtemps encore. Evidemment la partielle au Numéro 18 nous donnera une indication si les forces politiques qui veulent incarner le renouveau ont vraiment progressé au sein de l’électorat pour aspirer à remplacer ces partis traditionnels. Attendons voir car aux élections générales de 2014 les nouveaux partis malgré leur fougue et leur enthousiasme ont fait très pâle figure.
* Est-ce que le renouvellement ou la réinvention du PTr et du MMM aura lieu sous les futurs leaders de ces deux partis, selon vous ? Sous Arvin Boolell et… ?
Quoi réinventer ?
L’idéologie ? Tous les partis mainstream adhérent plus ou moins à un libéralisme mou qui fait quand même la part belle à la consolidation de l’Etat-providence.
En ce qu’il s’agit de l’unité nationale, là-aussi, il y a consensus. Certes, dans la pratique, il y a des nuances.
La réinvention – si elle doit se faire – devra se situer au niveau
- des pratiques politiques,
- de la gouvernance,
- de la démocratie au niveau du parti lui-même, et
- de la moralité publique.
Sur ce plan, le MMM n’a pas grand-chose à se reprocher et les nouveaux statuts du parti est un grand pas en avant. Au PTr Arvin Boolell a un discours novateur, moderne. On ne peut que lui souhaiter bonne chance.
* Voyez-vous Arvin Boolell faire un ‘forcing’ pour le leadership du PTr en cas de victoire au No. 18, ou est-ce que ce serait contraire à la culture des Travaillistes ?
Connaissant Arvin Boolell, je dirais que ce n’est pas dans son tempérament de guerroyer avec Navin Ramgoolam pour le leadership du PTr. Il a toujours été très fidèle au PTr et ne fera rien pour affaiblir le parti, surtout dans ces moments difficiles.
Par contre, le PTr n’est pas le MMM où les conflits se terminent par des expulsions ou des cassures. Les divergences se règlent en interne à travers la recherche d’une formule qui peut amener un consensus.
* Mais vous estimez quand même que la bipolarisation opposant le PTr et le MMM va perdurer pour beaucoup d’années à venir ?
Oui, et c’est malheureux car au fond ces deux partis puisent leurs racines profondes dans la quête de l’émancipation des travailleurs à l’île Maurice. Le PTr, tout comme le MMM, ont grandement contribué à l’émancipation des travailleurs. Les deux partis ont beaucoup œuvré, chacun à sa manière, pour la consolidation de l’unité nationale et les deux ont commis des erreurs au cours de leur parcours. Mais beaucoup d’éléments les rapprochent l’un de l’autre.
Cependant l’ethno-politique, les problèmes d’ambitions personnelles, etc., ont fait que les tentatives de travailler ensemble ont échoué jusqu’à maintenant.
De même, l’expérience de 2014 a été traumatisante pour les deux partis. Cela dit, s’il y a un changement à la tête d’un de ces partis, un rapprochement pré-électoral est certainement envisageable.
* Que deviennent le MSM, le PMSD, et les autres, c’est-à-dire le Mouvement Patriotique de Ganoo, le Mouvement Libérateur de Collendavelloo, le Reform Party de Bhadain dans cette optique ?
Pravind Jugnauth, malgré ses déboires actuels en termes de popularité, a un grand avenir devant lui. Il a plusieurs atouts : en tant que Premier ministre, il peut se forger l’image d’un bâtisseur à l’écoute de toutes les générations, il est relativement jeune comparé à Bérenger et Ramgoolam.
De plus, il dispose des ressources du Sun Trust. Il est vrai qu’il semble prisonnier d’un entourage qui enfonce son gouvernement dans des scandales à n’en plus finir. Mais débarrassé de ces brebis galeuses, il pourrait faire du MSM une très grande force sur l’échiquier politique.
De même, il ne faudrait pas sous-estimer Xavier Duval. Il s’est beaucoup affirmé ces derniers temps et il faut être de mauvaise foi pour ne pas noter sa bonne performance en tant que leader de l’opposition. Et le PMSD est aujourd’hui un parti très crédible et semble attirer de nombreux jeunes.
Il y a définitivement un PMSD revival qui semble, en outre, dépasser le cadre purement ethnique d’un parti créole. La performance de Dhaneshwar Maraye à la partielle nous donnera une indication de la force réelle du PMSD « new look ».
Quant au Mouvement Patriotique, il a frappé un grand coup en alignant Tania Diolle. Mais tout dépendra de la performance de cette dernière aux élections de dimanche prochain. En cas de défaite, le MP risque d’être marginalisé sur l’échiquier politique et être perçu uniquement comme un petit parti avec un rayonnement somme toute régional au No 14.
Quant au ML, il est loin le temps où son leader voulait reprendre le MMM des mains de son leader historique. Aujourd’hui, il ne représente pas grand-chose électoralement et il est totalement dépendant du bon vouloir du MSM avec lequel il semble entretenir une relation de vassalité.
En ce qu’il s’agit du Reform Party de Roshi Bhadain, tout se joue ce dimanche. Une victoire lui ouvrira un véritable boulevard et il pourra se présenter comme l’alternance aux partis traditionnels. Il pourra aller à la conquête de cette masse flottante d’indécis. Mais une lourde défaite sonnera le glas de ses ambitions politiques.
* L’avenir appartient à quel/s politiciens, selon vous ?
Cela dépend. A quel avenir faites-vous référence ? Le proche avenir appartient toujours aux leaders politiques actuels. En fait, si les partis traditionnels sont sur le déclin, il semblerait que les forces nouvelles tardent à apparaître.
Alors, le flou est persistant à moins que la partielle de dimanche, à la surprise générale, ne fasse émerger quelque chose de nouveau.
Je doute fort que ce sera le cas… Mais on ne sait jamais.
* Le mot de la fin : tout se joue au No. 18. C’est ça ?
Dans une grande mesure, oui : la pérennité des partis traditionnels face à ceux qui veulent incarner le renouveau, la désillusion ou l’engouement des électeurs face à la chose politique, les ambitions démesurées ou non de certains politiciens…
La partielle de dimanche sera riche en leçons. Cependant, il y aura d’autres événements qui seront aussi décisifs dans la vie politique à Maurice notamment l’issue des certains procès en cour.
* Published in print edition on 15 December 2017
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