L’étoffe d’un Rémy Ollier
|Hommage
Vivement la création d’une Société des Amis du Mauritius Times – l’oeuvre de Beekrumsing Ramlallah – pour que la flamme tellement précieuse qu’il allume le 15 août 1954 ne s’éteigne pas
Par Yvan Martial
La presse écrite mauricienne : un quart de millénaire d’existence mais hélas ! ses dernières années peut-être à vivre… Faut être Satan pour vouloir cela et même « la bous cabri » pour crier au loup à ce sujet. Mais si l’absence de Mauritius Times dans nos derniers kiosques à journaux ne suffit pas pour rappeler à notre intelligentsia, surtout économique, à ses devoirs de supporter coûte que coûte les efforts journalistiques des derniers défenseurs de nos libertés collectives, c’est que la société mauricienne, notre population, ne mérite peut-être plus qu’un bastion, comme l’hebdomadaire – dignement fondé le 15 août 1954 par Beekrumsing Ramlallah – continue à se battre, semaine après semaine, pour harceler les fléaux sociaux menaçant plus particulièrement les enfants de nos enfants et petits-enfants.
En avril 1984, Beekrumsing Ramlallah et le cardinal Jean Margéot ont exprimé leur solidarité envers les journalistes arrêtés lors d’un conflit entre la presse et les autorités. Ce conflit portait sur l’exigence d’une garantie financière pour la publication de journaux
De faux prophètes diront qu’il nous faut quitter l’ère Gutenberg pour entrer dans celle de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Ils n’ont peut-être pas tort mais nous attendons toujours les premiers fruits locaux et succulents de cette production certes abondamment prometteuse mais demeurant mensongère à l’état de promesse. L’outil peut surpasser, et de beaucoup, la simple plume et les 26 lettres de l’alphabet que des héros et hérauts du calibre de Beekrumsing Ramlallah ont pu tenir entre leurs mains fragiles et pourtant seulement humaines… Mais son œuvre demeure gravée sur les colonnes indélébiles de la presse écrite mauricienne et, plus particulièrement, sur celles de son Mauritius Times tant qu’il pouvait enflammer nos kiosques à journaux et rappeler à tous que la liberté de la presse n’est pas un vain mot en notre pays bien-aimé.
Demain, des universitaires consacreront des années de recherches, d’études, d’analyses et de rédactions, pour mettre en exergue l’œuvre salutaire de Beekrumsing Ramlallah pour la défense de nos libertés. Ceux et celles qui en prendront connaissance s’émerveilleront de ce qu’un seul homme, de l’étoffe il est vrai d’un Rémy Ollier, a pu faire en s’aidant seulement d’une plume, d’un peu de papier et de 26 lettres de l’alphabet. Ils s’extasieront sur le nombre de fois qu’il réussit à clouer le bec aux plus puissants d’entre nous, en dénonçant haut et fort leurs intolérables abus de pouvoir, en les obligeant à battre en retraite, à disparaître de la scène, la queue entre les jambes et surtout à se faire oublier. « To révini mo taille toi encore ! »
250 ans de journaux mauriciens mais moins de 200 ans de journaux libres, plus d’un millier de titres de publications, des dizaines de milliers de journalistes dont ceux morts à la tâche, sinon à leur table de travail, mais une toute petite poignée de fondateurs de nouveaux supports journalistiques de Liberté et de défense des droits de l’Homme.
- Adrien d’Epinay à qui nous devons notre liberté de presse fondatrice.
- Mais aussi les Rémy Ollier, Manilal Doctor, Beekrumsing Ramlallah et Philippe Forget. Ces prophètes de nos temps modernes ont eu le mérite de créer de toutes pièces des espaces de Liberté et de défense de nos droits qui n’existaient pas avant eux et qui n’auraient peut-être pas existé sans leur courage, voire leur témérité.
Adrien d’Epinay et Manilal Doctor ont peut-être seulement créé à Maurice ce qui existait ailleurs, en Europe ou aux Indes. Mais Rémy Ollier, Beekrumsing Ramlallah et Philippe Forget ont créé des journaux qui n’existaient pas auparavant, empêchant successivement la population de couleur des années 1840 et suivantes, les victimes hindoues d’attaques racistes d’une rare virulence dans les années 1950 et suivantes, et de nouveau la population créole ne pouvant exprimer librement son attachement à l’œuvre libératrice de décolonisation pour créer une nation de Mauriciens par des Mauriciens pour des Mauriciens.
Si nous oublions leurs hauts faits, c’est que nous nous condamnons à retrouver une situation humaine de servitude et d’asservissement. Mais notre nature humaine est malheureusement ainsi faite. Passée l’heure du danger, nous nous empressons chacun de notre côté tellement égoïste à retrouver nos habitudes les plus individualistes et nous redevenons des adeptes du « bèf dan disable sakènn guette so lizié ».
Beeekrumsing Ramlallah n’est plus parmi nous physiquement. Toutefois, son esprit souffle toujours. Mais seuls ceux qui sont de cette espèce inlassablement combattante comme lui peuvent ressentir les bienfaits de sa présence. A l’heure du découragement, ils sont toujours capables de sentir se poser sur eux son sourire angélique tellement encourageant. Seuls, ils savent toujours sentir comme lui l’heure d’un danger plus pernicieux que les autres. Le sourire encourageant se mue alors en un froncement de sourcils, à un serrement de mâchoires, à une détermination des plus farouches, à la renaissance d’une volonté invincible de parer victorieusement à la menace liberticide, mortifère.
Plus rien ne peut compter alors sinon de vaincre le danger pouvant grandir et devenir incontrôlable. Avis de tempête. Tous sur le pont. Se surpasser dans le combat. Être toujours prêt à donner notre vie pour ceux qu’on aime. Mourir comme un champion, pour ne pas devoir vivre comme un esclave. Qui dit que Beekrumsing Ramlallah n’est plus de ce monde ? Il suffit de penser à lui, aux inoubliables heures passées avec des invités de marque dans sa délicieuse résidence dans les hauteurs de la rue Wellington, pour reprendre conscience de ce que nous devons faire pour demeurer au service des autres.
Beekrumsing Ramlallah ne s’est pas uniquement contenté de porter l’estocade à ceux qui souhaitaient la disparition de ses semblables. Dans des moments plus calmes, il excellait aussi dans l’art de se tourner vers ses semblables pour leur dire vertement ce qui, d’après lui, n’était pas digne de leur combat pour un monde meilleur, quelles qu’en soient les spécificités particulières. Nous avons beaucoup à apprendre de cet homme. Nous ne serons jamais assez heureux à travailler ensemble pour nous nourrir de ses inlassables instructions.
Vivement la création d’une Société des Amis du Mauritius Times – l’oeuvre de Beekrumsing Ramlallah – pour que la flamme tellement précieuse qu’il allume le 15 août 1954 ne s’éteigne pas mais continue à éclairer nos jours et nos nuits.
Mauritius Times ePaper Friday 16 August 2024
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