“L’histoire politique de Maurice montre que les alliances politiques sont souvent éphémères”
|Interview : Jocelyn Chan Low
‘Cependant, la longue traversée du désert de Ramgoolam et de Bérenger semble offrir une meilleure garantie de stabilité politique’
* ‘Dans l’état actuel des choses, il y a beaucoup de facteurs qui militent contre une renaissance rapide du MSM’
* Trafic de drogues: ‘Il faut stopper cette descente aux enfers avant qu’il ne soit trop tard’
* ”Les “Moustass Leaks” ont gravement terni l’image de Pravind Jugnauth, révélant “La Kwisinn” comme le véritable centre de décision et de pouvoir sous son régime’
Au lendemain des récentes élections, la République de Maurice se trouve à un tournant décisif, avec un nouveau gouvernement confronté à des défis immenses et des attentes élevées. Parmi les priorités, figurent la relance de l’économie mais aussi le démantèlement de la corruption enracinée et la lutte contre le fléau de la drogue, deux maux qui gangrènent la société. Jocelyn Chan Low, historien et observateur averti du paysage sociopolitique mauricien, partage ses réflexions sur les tâches colossales qui attendent l’administration actuelle. Il s’attarde sur les signaux nécessaires pour évaluer la détermination du gouvernement et les réformes structurelles indispensables pour guider le pays vers la justice, la stabilité et un progrès inclusif. Dans cette interview sans détour, il explore les complexités de la gouvernance, les dynamiques politiques en jeu, et les opportunités de transformation à venir, tout en s’interrogeant sur les enjeux pressants qui touchent la société mauricienne.
* Un vaste chantier se présente devant le nouveau gouvernement. D’une part, il y a la restructuration et la relance de l’économie ; d’autre part, il existe une longue liste de maldonnes alléguées qui nécessitent des enquêtes approfondies et l’identification des responsables, conformément aux attentes de la population. La situation semble encore floue quant aux priorités du gouvernement. Quels signaux attendez-vous pour évaluer la réelle volonté du gouvernement de s’attaquer simultanément à ces deux défis majeurs ?
Jocelyn Chan Low : Il faut d’abord souligner qu’à peine deux mois se sont écoulés depuis que l’actuel gouvernement est entré en fonction. En outre, la formation du nouveau cabinet a pris plus de deux semaines. Et il fallait procéder à des nominations à des postes clés pour remplacer les nominés de l’ancien régime.
De plus, il y avait des dossiers urgents à traiter dont l’épineuse question du 14eme mois, de la baisse immédiate du prix de l’essence comme promis au cours de la campagne électorale et, finalement, la question de l’accord sur Diego Garcia avec la Grande Bretagne. Et comme préalable à la résolution de ces questions, le nouveau régime s’est attelé à dresser un état des lieux de la situation économique du pays et des finances de l’État.
Certaines pistes ont été esquissées par des proches du régime quant à la relance de l’économie. Mais il faudra attendre sans doute soit le discours programme prévu pour le 24 janvier prochain ou même le prochain budget pour connaitre les propositions du gouvernement dans les détails. Cependant, une chose est sûre: la gestion de la question du 14ememois nous donne déjà une indication que certaines promesses électorales ne pourront pas être honorées dans la conjoncture actuelle, vu l’état des finances publiques.
Cependant, il y a une grande inconnue: la rente que l’île Maurice devrait obtenir dans le cas d’un accord avec la Grande Bretagne sur Diego Garcia. La presse britannique fait mention d’une somme avoisinant les Rs 45 milliards annuellement mais il semblerait que tout cela ne soit que spéculations.
* Qu’en est-il des enquêtes sur les maldonnes et autres malversations alléguées commises sous l’ancien régime?
Il faut se rappeler que la victoire de 60-0 est en grande partie due au dégout vis-à-vis de l’ancien régime suscité par le contenu des Moustass Leaks qui a fait revivre chez beaucoup tous les scandales allégués depuis 2014. On comprend donc l’impatience des partisans du nouveau gouvernement de voir certains en taule.
Mais les leaders des partis au pouvoir ont bien insisté qu’une politique de vengeance n’est pas à l’agenda. D’ailleurs, ce serait contreproductif au moment où toutes les énergies doivent être mobilisées pour reconstruire le pays. Par contre, ils ont aussi insisté que ceux coupables de malversations, de fraude, etc., seront poursuivis après enquête et selon les procédures. Cela est primordial car le nouveau pouvoir a été élu en grande partie pour mettre fin au régime de l’arbitraire.
Mais, en même temps, pour la bonne gouvernance, il est grand temps de mettre fin à la culture de l’impunité face aux escrocs, fraudeurs et voleurs de toutes sortes qui rôdent malheureusement autour de tout pouvoir politique. Ce serait un signal fort que le changement est en marche.
Dans ce contexte, l’arrestation de l’ancien gouverneur de la Banque de Maurice est un signal fort. On ne peut qu’espérer que l’enquête ouvre finalement la boîte de Pandore des dossiers de la MIC… Et que les enquêtes ouvertes sur la CNT, sur Mauritius Telecom, etc., donnent des résultats concrets de même que la réouverture de l’enquête sur le meurtre de feu Kistnen.
* On saura davantage quant aux intentions du gouvernement dans le Discours Programme, mais on peut déjà anticiper que son programme va aussi reposer sur des piliers fondamentaux, comme l’économie durable, l’éducation de qualité, la justice sociale et la modernisation de nos institutions. Les défis qui nous attendent sont nombreux, mais pensez-vous que les opportunités pour bâtir une société plus juste, plus inclusive et plus prospère le sont-elles tout autant?
Il faut ajouter à cette liste le combat contre les trafiquants de drogue et la prolifération de substances illicites dans le pays. Il est indéniable que la drogue, incluant les drogues synthétiques, a complètement gangrené le pays, amenant dans son sillage son lot de drames humains au quotidien. Le meurtre de la petite Catalea à Résidence Richelieu est là pour nous le rappeler. Et il est tellement fréquent aujourd’hui de croiser sur notre route des jeunes et des moins jeunes complètement sous influence.
Malgré les grosses saisies, la prolifération de la drogue et l’impunité alléguée des narcotrafiquants a été l’une des causes majeures de la chute de l’ancien régime. Maurice est aujourd’hui réputé comme l’un des pays avec le plus grand nombre de consommateurs de drogues en Afrique de même qu’une plaque tournante du trafic de stupéfiants dans la zone. Et certains observateurs estiment le poids de cette économie illicite à des centaines de milliards de roupies.
Au-delà des drames humains, le trafic de stupéfiants est cause de corruption, de problèmes de “Law and Order”, du retrait d’une partie de la population du marché du travail, de la marginalisation d’un grand nombre d’individus et de leurs familles, etc. Il faut stopper cette descente aux enfers avant qu’il ne soit trop tard et cela doit être une des priorités du nouveau gouvernement.
Quant à la nécessité de promouvoir l’économie durable, une éducation de qualité, la justice sociale et la modernisation des institutions, il faut surtout connaître le contenu des réformes car ces termes sont tous sujets à débat. Prenons, par exemple, la modernisation des institutions qui inclut non seulement la bonne gouvernance mais aussi la réforme électorale et constitutionnelle.
- Doit-on diminuer les pouvoirs du PMO sur les autres institutions afin d’approfondir le système de “checks and balances”?
- Doit-on aller au-delà de la démocratie représentative vers une démocratie plus participative?
- Qu’en est-il du financement des partis politiques et de la démocratie à l’intérieur des partis politiques qui sont les piliers du système démocratique ?
Ce ne sont que quelques questions parmi tant d’autres.
Quant à l’éducation de ‘qualité’, au-delà des slogans, il y a non seulement la question de l’inclusion mais aussi celle de maintenir ou d’atteindre l’excellence au niveau international. Prenons quelques exemples.
- Doit-on se soumettre au classement PISA pour évaluer notre niveau avec d’autres institutions à l’international ?
- Et comment résoudre le “mismatch” entre les compétences acquises à l’école et le monde du travail et les besoins de l’économie qui dure depuis les années 1930, comme le révèle l’étude des rapports sur le système éducatif au fil des années ?
- En outre, comment préparer nos jeunes à la révolution de l’Intelligence Artificielle (IA) qui arrive à grands pas ?
Quant à l’économie durable, comment réconcilier les IRS et d’autres projets de développement immobiliers, de “smarts cities”, etc., qui attirent plus de 70% des FDI et la nécessité d’aller vers l’autosuffisance alimentaire ?
Et, en filigrane, il y a le problème démographique aigu d’une population vieillissante. D’ici 25 ans, les “seniors citizens” constitueront plus de 40 % de la population alors que le taux de natalité est en nette régression et le nombre de mariages est en diminution constante. De plus, une grande partie des jeunes, notamment ceux de la classe moyenne, ne songent qu’à émigrer vers d’autres cieux, le déclassement de la classe moyenne en cours depuis des années ne leur offrant plus de perspectives de réussite sociale. Les défis sont effectivement immenses.
* Toutefois, face à ce vaste chantier, ce qui paraît réconfortant jusqu’ici, c’est la synergie qui semble animer le gouvernement, notamment l’alchimie « the chemistry » perceptible entre les leaders des deux principaux partis au pouvoir, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. Quelle impression générale cette entente dégage-t-elle, selon vous ?
Pour faire face à ces défis, la cohésion gouvernementale est fondamentale. Il ne faut pas oublier que c’est une alliance de divers partis, avec des intérêts et des tendances idéologiques assez contradictoires, qui est au pouvoir. Et l’histoire politique de Maurice révèle que les alliances politiques sont souvent éphémères.
Cependant, dans le cas actuel, la longue traversée du désert de ces leaders qui sont aujourd’hui en fin de carrière offre une plus grande perspective de stabilité politique. On les voit mal s’entredéchirer pour des peccadilles alors qu’ils songent sans doute à l’héritage qu’ils laisseront dans l’Histoire du pays.
* Pensez-vous qu’une telle dynamique est suffisamment solide pour résister aux inévitables tensions et défis qui surgiront au fil du temps ?
L’entente personnelle entre les deux principaux leaders n’est qu’un des éléments de stabilité parmi d’autres. L’autre élément, c’est la répartition des sièges au parlement entre les différents partenaires de l’Alliance du Changement. Le MMM semble pleinement accepter le rôle de “junior partner”, ce qui est un reflet de sa force électorale. En outre, le parti travailliste de Navin Ramgoolam dispose d’une majorité confortable à l’assemblée alors que le ND et R&A surtout semblent se contenter d’être des forces d’appoint. Il y aura sans doute des ambitions personnelles à prendre en considération. Mais attendons voir.
* La transition politique du pays semble marquée par une période d’incertitude. En ce sens, le gouvernement devra sans doute faire face à des défis internes et externes importants. Quels sont, selon vous, les facteurs qui détermineront si cette transition sera réussie ou si elle se heurtera à des obstacles insurmontables ?
Il faut d’abord définir le terme ‘transition politique’. Est-ce la transition entre le nouveau régime et l’ancien, ou est-ce l’ensemble du mandat de ce gouvernement qui serait, selon certains, une période de transition entre l’ancien monde (représenté par les leaders des partis traditionnels actuels) qui céderait la place à une nouvelle génération de dirigeants politiques ?
En ce qu’il s’agit de l’incertitude qui caractérise la période actuelle, elle est principalement due au fait que le gouvernement avance lentement mais d’une manière méthodique. Par exemple, la nomination des membres du gouvernement, du nouveau speaker, et des responsables des institutions clés a pris beaucoup plus de temps que d’habitude. Ensuite, le suspens a longtemps duré autour du paiement du 14eme mois et de la baisse du prix de l’essence. Mais il fallait d’abord effectuer un état des lieux de la situation économique et financière de l’État et du pays.
De même, les enquêtes sur les cas flagrants de fraude, etc. ont tardé à démarrer, mais elles semblent s’accélérer en ce début de l’année 2025. Il plane toujours des incertitudes autour de l’accord sur Diego Garcia, mais elles seront vite dissipées avant l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Et le discours programme va sans doute mettre fin à la période d’incertitude. On connaîtra alors la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement.
* Le gouvernement bénéficie actuellement d’une période de grâce, l’opposition étant quasi inexistante après que le MSM a été mis « knock-out » par une large majorité de l’électorat. Pensez-vous que le MSM pourra se relever rapidement de cette défaite, ou l’opposition risque-t-elle plutôt d’émerger à travers d’autres figures politiques telles que Bodha, Valayden, Bhadain, et consorts ?
Dans l’état actuel des choses, il y a beaucoup de facteurs qui militent contre une renaissance rapide du MSM. D’abord les “Moustass Leaks” ont gravement terni l’image de Pravind Jugnauth, révélant “La Kwisinn” comme le véritable centre de décision et de pouvoir sous son régime’
Certes, l’ancien gouvernement a de belles réalisations en termes de politiques sociales qui peuvent jouer en sa faveur, surtout si le présent gouvernement va dans le sens d’une politique de « serre ceinture » en raison de la situation économique et financière difficile.
Mais, avec l’ouverture des enquêtes policières, de la FCC, et d’autres organismes, les malversations, scandales, crimes financiers alléguées, etc., de l’ancien régime resteront longtemps au-devant de la scène comme un énorme repoussoir.
Réinventer le parti ne pourra se faire qu’avec un nouveau leadership. Or, le MSM reste un parti non démocratique et non collectif, aux mains d’une famille, voire d’une dynastie.
Et cette dynastie semble aujourd’hui aux abois, à bout de souffle, comme en témoigne le silence tonitruant ou presque des responsables du parti depuis la cuisante défaite du MSM aux dernières élections générales…
* La situation est-elle donc propice à l’émergence d’une nouvelle offre politique?
Oui, très probablement ce sera autour de ceux qui ont animé courageusement l’opposition extraparlementaire ces dernières années. D’ailleurs, au vue du tsunami politique suscité par les “Moustass Leaks”, le score récolté par certains de ses animateurs (tels que Roshi Bhadain, Patrick Belcourt et Rama Valayden) est plus qu’honorable, S’ils arrivent à s’entendre avec d’autres forces politiques démocratiques, et certains éléments de la société civile, ils pourraient constituer une force politique d’opposition et de propositions – du moins pour le moment — beaucoup plus crédible que le MSM.
* Les élections de novembre dernier offrent-elles des leçons importantes que les partis politiques traditionnels auraient intérêt à retenir, notamment en ce qui concerne la nécessité d’une réorganisation structurelle, d’un rajeunissement et d’un renouvellement de leurs instances ? Qu’en pensez-vous ?
Au-delà de la gestion du pouvoir, il est grand temps pour le MMM et le PTr de se pencher sur les raisons de la défiance d’une grande partie des électeurs de tous âges vis-à-vis des partis “mainstream” et de leurs dirigeants et pourquoi le nombre d’indécis a autant augmenté au fil des années.
Il ne faut pas se leurrer. Le 60-0 a été essentiellement un vote sanction contre un régime dont les pratiques et dessous mafieux ont été révélé à un moment clé de la campagne électorale par les “Moustass Leaks”. Ce n’était en aucun cas un vote d’adhésion massif à l’Alliance du Changement.
L’occasion leur est donnée pour fidéliser cet électorat durablement. Il incombe aux dirigeants de travailler sur des stratégies et sur leur offre politique pour qu’ils correspondent à la demande des électeurs. Sinon, leur soutien ne sera qu’éphémère.
Un autre élément à considérer à la lumière des dernières élections générales est le rôle et l’influence des réseaux sociaux (Facebook, youTube, Tiktok). Leur influence est telle qu’ils pourraient se révéler être des couteaux à double tranchant. Le manque de modération fait qu’ils pourraient effectivement véhiculer de la désinformation — générée par l’AI, par exemple — à grande échelle à travers des trolls, etc… Cela pourrait effectivement fausser le débat démocratique.
On sait qu’en Roumanie, la Haute Cour a invalidé le premier tour des élections présidentielles précisément pour ces raisons. Et la Commission européenne se penche actuellement sur les paramètres à établir pour réglementer les réseaux sociaux dans le cadre des élections démocratiques.
C’est un sujet qui mérite de sérieuses réflexions pour garantir l’intégrité des élections à Maurice.
* Au-delà de l’environnement politique actuel du pays, ce qui se passe ailleurs dans le monde n’est pas très rassurant. Certains affirment même que nous vivons une période dangereuse. Est-ce vraiment le cas ? Quels effets cela pourrait-il avoir sur notre pays ?
Il y a un large consensus parmi les spécialistes que le monde est déjà entré dans une zone de grandes turbulences. L’ère de la globalisation heureuse est terminée et les philosophes qui prédisaient la fin de l’histoire à travers le triomphe des idées libérales occidentales se sont lourdement trompés.
Au contraire, le monde unipolaire dirigé par les Etats Unis et ses alliés occidentaux cède la place rapidement à un monde multipolaire alors que l’hégémonie occidentale à la fois économique, idéologique, culturelle et politique est largement contestée par des États émergents et des nouveaux acteurs transnationaux.
Cette remise en cause de l’ordre politique, économique et idéologique établi est propice aux conflits et à la guerre. En fait, la guerre est de nouveau à l’agenda. Il est un fait que toutes les grandes puissances se préparent à la guerre et la possibilité d’une troisième guerre mondiale est réelle. Des analystes incluant Emmanuel Todd avancent même que nous y sommes déjà mais que l’affrontement se fait d’une manière différente des deux précédentes guerres mondiales.
De même, il y a la guerre économique que se livrent les grandes puissances, notamment la Chine et les États-Unis, ainsi que les tentatives de plusieurs États, dont les BRICS, de mettre fin à l’hégémonie du dollar sur le système monétaire international.
En outre, il y a la crise climatique, avec le réchauffement accéléré de la planète. Sait-on que l’année dernière a été l’année la plus chaude jamais enregistrée dans l’Histoire du monde ? Cette crise va sans nul doute accroître les tensions entre certains états, les problèmes de migration des populations et des conflits pour les ressources naturelles. Il faut ajouter à cela les risques de pandémies mondiales avec un monde de plus en connecté physiquement. De nombreux experts affirment d’ailleurs que la pandémie de la Covid-19 n’était qu’un avant-goût de ce qui nous attend dans un avenir proche.
Maurice, étant complètement intégrée à l’économie mondiale, ne peut évidemment qu’en être affectée de plein fouet par tout développement au niveau international. Prenons, par exemple, l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison Blanche. Bien que Trump lui-même serait en faveur d’un dollar relativement faible pour booster les exportations américaines, sa politique commerciale vis-à-vis de la Chine avec la hausse probable des tarifs douaniers contribuera inévitablement à l’appréciation du dollar vis-à-vis des autres monnaies. Déjà l’Euro est en chute libre face au dollar et il n’est point surprenant que dans quelques semaines la parité dollar-euro sera atteint. Or, cette dépréciation de l’euro face au dollar affecte considérablement l’économie mauricienne car, en gros, nous payons nos importations en dollars mais les recettes de nos exportations sont en euros…
* L’économie mauricienne est de plus en plus vulnérable aux fluctuations mondiales. Quelles stratégies le gouvernement pourrait-il adopter pour diversifier l’économie, renforcer sa résilience face aux chocs externes et, en même temps, préserver les emplois locaux ?
Dans un tel contexte, il est primordial d’accroître la résilience de l’économie locale en investissant massivement dans l’autosuffisance alimentaire comme le préconise Lalit et d’autres partis de gauche depuis des années. Il est malheureux de constater que dans l’histoire de Maurice le thème de l’autosuffisance revient à chaque grande crise internationale au-devant de la scène, par exemple, au cours des deux Guerres mondiales ou plus récemment pendant la pandémie de la Covid-19.
Mais une fois la crise passée, l’autosuffisance alimentaire est reléguée à l’arrière-plan. Dans le contexte actuel, l’autosuffisance est une question de survie et, pour cela, il faudrait mobiliser non seulement les élites économiques mais l’ensemble de la population. Et dans ce contexte, certains évoquent la nécessité d’une réforme agraire.
* Plus près de nous, l’affaire des Chagos et les négociations avec le gouvernement britannique retiennent toujours l’attention, tant à Maurice qu’au Royaume-Uni, où l’opposition au sein des rangs conservateurs s’oppose fermement à tout « deal » avec Maurice. À cela s’ajoute le spectre de l’influence et des ambitions chinoises dans cette région stratégique du monde. Quelle analyse faites-vous de cette situation complexe et de ses implications pour l’avenir ?
Nous n’avons pas toutes les données au sujet des négociations en cours entre les autorités mauriciennes et les autorités britanniques. Cependant, il y a des points importants à souligner. D’abord, n’en déplaise à l’opposition britannique et ses soutiens, la souveraineté mauricienne sur les Chagos est indéniable au niveau du droit international. Et, pour le monde occidental qui se présente comme le défenseur du droit international face à la Russie en Ukraine et face à la Chine dans les mers de Chine, l’affaire Diego est effectivement un énorme handicap dans la guerre hybride qu’il mène contre ses adversaires au niveau du Sud Global.
Mais la base de Diego Garcia est un pilier du dispositif stratégique américain dans le monde et il serait illusoire de penser que les Mauriciens pourraient les forcer à “lev Pake Ale” un jour. Quant à la Grande Bretagne, la “special relationship” avec les Etats Unis est la pierre d’achoppement de leur politique étrangère depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et Diego Garcia est ce que les Britanniques apportent à la table de cette “special relationship”.
L’accord politique qui a été proposé et rendu public dans les grandes lignes est une tentative de réconcilier les intérêts de divers protagonistes. Il faut souligner qu’en 1965, SSR et les ministres mauriciens issus de tous les partis d’alors étaient en faveur d’un bail de 99 ans à la Grande Bretagne contre une rente annuelle. De même, dès 1982, la diplomatie mauricienne ne remet plus en cause la présence d’une base américaine sur Diego Garcia.
Il faut aussi ajouter qu’officiellement, depuis l’indépendance, Maurice a toujours prôné une politique de neutralité en ce qu’il s’agit des rivalités entre les grandes puissances. Mais comment réconcilier la présence d’une base américaine sur Diego Garcia qui mène des actions militaires contre les ennemis des Etats Unis en cas de conflit et la neutralité mauricienne au niveau international ?
C’est ainsi que la question de ‘cession of sovereignty rights’ à la Grande Bretagne intervient car, dans ce contexte, le droit mauricien ne s’appliquerait pas à Diego Garcia. Mais attendons le dénouement de l’affaire.
En ce qu’il s’agit de la montée en puissance de la Chine dans cette région du monde, elle est principalement due à la nécessité de protéger ses routes commerciales vers l’Afrique, entre autres, et l’expansion considérable de la marine chinoise ces dernières années. Depuis une dizaine d’années, la marine chinoise a plus d’une dizaine de bâtiments militaires dans la région de l’océan indien sans compter les sous-marins pour protéger ses navires marchands. En outre, elle dispose d’une base à Djibouti. Ce sont ces développements qui ont entraîné une certaine fébrilité chez d’autres puissances notamment l’Inde qui a toujours considéré cette zone comme faisant partie de son “backwater”, d’où les rivalités et les facilités construites à Agalega, entre autres.
La diplomatie mauricienne gagnerait à éviter de “lean too much on one side” et à garder au contraire sa neutralité et la reconnaissance de tous les protagonistes afin de ne pas entraîner le pays dans des tensions et des conflits dangereux.
* Jimmy Carter est décédé cette semaine. Bien qu’il n’ait peut-être pas influencé les affaires mondiales aussi profondément que certains de ses prédécesseurs ou successeurs, son intégrité personnelle est restée irréprochable. Voit-on encore aujourd’hui des dirigeants d’une telle envergure morale ? Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui a changé ?
Prix Nobel de la Paix, Jimmy Carter incarnait le “moralpolitik” à travers sa quête inlassable d’un monde plus juste où l’on mettrait fin aux conflits armés grâce à des négociations pour résoudre les différends entre les États. Aujourd’hui, c’est le temps de la “realpolitik” dans un monde en pleine turbulences où la défense des droits de l’Homme n’est qu’un slogan creux pour faire avancer des intérêts économiques ou stratégiques.
Le génocide en cours à Gaza sous le regard complice de ceux qui se disent garants du droit international, etc., en est la preuve flagrante. Il y a heureusement encore des voix qui s’élèvent pour rappeler l’importance du sens moral et de la quête de justice universelle au niveau des relations internationales et économiques, à l’instar de celle de cet homme exceptionnel qu’est le Pape François. Mais ils prêchent malheureusement dans le désert.
Mauritius Times ePaper Friday 10 January 2024
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