Maurice face aux visées impériales des États-Unis

Souveraineté sur les Chagos

Les contradicteurs de Trump lui reprochent d’avoir une « real estate vision » du monde qui sert à motiver un nouvel impérialisme américain qui croit que la force est juste (“might is right”)

Par Prakash Neerohoo

Après l’accord politique du 4 octobre 2024 entre le gouvernement mauricien (sous le MSM) et le gouvernement britannique, on s’attendait à un traité bilatéral entre les deux parties pour formaliser le transfert de souveraineté sur l’archipel des Chagos de son locataire anglais à son propriétaire mauricien. Or, plusieurs rounds de négociations entre le nouveau gouvernement mauricien (dirigé par l’Alliance du Changement) et le gouvernement britannique sur les termes du traité n’ont pas abouti à la satisfaction des deux parties. Finalement, c’est le gouvernement américain dirigé par le président Trump qui décidera du sort d’un accord anglo-mauricien sur la rétrocession de l’archipel des Chagos à Maurice.

Comment en est-on arrivé là ? Une thèse dans le camp anti-gouvernemental veut que le gouvernement dirigé par Navin Ramgoolam ait raté une chance de conclure les négociations durant la présidence de Biden aux Etats-Unis, qui avait donné son consentement à l’accord politique du 4 octobre. Les partisans de cette thèse étaient satisfaits des termes de l’accord politique, notamment la souveraineté mauricienne incomplète sur les Chagos avec la délégation de « droits souverains » sur une île de l’archipel (Diego Garcia) à la Grande Bretagne pour maintenir la base militaire américaine qui y existe, la location à bail de Diego Garcia pour 99 ans avec un renouvellement automatique pour la même durée, et un loyer annuel dont le montant était gardé secret.

Principes essentiels

Or, le nouveau gouvernement mauricien n’était pas d’accord avec les concessions faites par son prédécesseur. Dès qu’il a pris le dossier en main, il a voulu négocier un traité bilatéral qui soit dans l’intérêt national avec pour principes essentiels :

  1. La reconnaissance par la Grande Bretagne de la souveraineté complète de Maurice sur l’archipel, y compris Diego Garcia, ce qui exclut toute délégation de droits souverains aux Anglais sur l’utilisation de Diego Garcia.
  2. La location à bail de Diego pour 99 ans, renouvelable avec le consentement de la partie mauricienne.
  3. Un loyer annuel (90 millions de livres sterling ou Rs 5,2 milliards) indexé sur l’inflation payable par la Grande Bretagne, quitte à ce que cette dernière recouvre le loyer auprès des Américains comme une partie sous-contractante (sublease).
  4. Un paiement plus substantiel des tranches du loyer durant les premières années, quitte à ce qu’il soit moindre dans les années ultérieures.

Il semble que le gouvernement britannique voulait conclure un traité bilatéral avant la passation du pouvoir à l’administration de Trump le 20 janvier 2025 et pressait son homologue mauricien dans ce sens. Il pressentait sans doute une objection du successeur du président Biden contre les termes du traité vu que la droite britannique s’était liguée avec les conservateurs républicains aux Etats-Unis pour faire échec à toute rétrocession des Chagos à Maurice. Mais le gouvernement mauricien n’était pas pressé de s’y engager avant cette date fatidique, à moins qu’il y ait un accord complet sur tous les termes.

Or, lorsque les deux parties sont arrivées à un accord avant le 20 janvier dernier, la partie britannique a changé de casaque pour laisser le soin à l’administration de Trump d’avoir le dernier mot sur un traité. La perfide Albion a-t-elle joué un mauvais tour à Maurice sous la pression croissante des forces de droite de connivence avec les faucons de la nouvelle administration américaine, qui ne veulent céder aucun pouce des territoires d’outremer que les Etats-Unis occupent actuellement ?

Attaques de la droite

Il semble que le gouvernement de sir Keir Starmer ait pris peur devant les attaques de la droite anglo-américaine, surtout celles venant d’Elon Musk, patron de Tesla et conseiller de Trump, qui s’est attaqué personnellement au Premier ministre anglais qu’il qualifie de gauche. Musk mène une campagne contre tous les gouvernements qu’il perçoit être du centre-gauche (notamment ceux du Canada, de l’Allemagne, de la Grande Bretagne) et il prône leur remplacement par des gouvernements de droite. Mais plus fondamentalement, Starmer ne veut pas s’aliéner les Etats-Unis, l’allié traditionnel de la Grande Bretagne. Si l’administration Trump prend position contre la rétrocession des Chagos, il est peu probable que la Grande Bretagne ne leur emboite pas le pas.

Avec le consentement de l’administration Biden, le gouvernement de Starmer voulait se montrer respectueux du droit international en acceptant la décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de reconnaitre la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Ce positionnement s’avérait nécessaire vu que la Grande Bretagne était l’un des partisans les plus farouches de l’Ukraine dans la guerre avec la Russie au nom de l’attachement au principe de l’intégrité territoriale des pays. Elle voulait éviter d’être perçue de pratiquer la politique de double mesure en matière des droits des pays à l’indépendance et l’intégrité territoriale. Or, le changement politique aux Etats-Unis a bouleversé la donne géopolitique radicalement.

Expansionnisme américain

La nouvelle administration américaine a montré des visées impériales évidentes en déclarant vouloir annexer le Panama (sous prétexte que la Chine serait présente au canal du Panama), le Groenland (une dépendance du Danemark) et le Canada, et ce, par la force économique (imposition des tarifs sur les exportations vers le marché américain) ou la force militaire. Non seulement la puissance américaine ne veut céder aucun territoire d’outremer qu’elle occupe, mais aussi elle veut acquérir d’autres territoires pour étendre son espace géographique au nom de la sécurité nationale. Elle brandit l’épouvantail de la présence chinoise partout pour justifier son expansionnisme, d’où la fausse allégation que la Chine pourrait installer une base militaire dans l’océan Indien.

Trump dit vouloir faire du Canada le 51e Etat des Etats-Unis et, à cette fin, il exercera des pressions économiques pour faire plier son voisin du Nord telle que l’imposition des tarifs de 25% sur les exportations canadiennes à compter du 1er février 2025, ce qui rendrait les produits canadiens exportés au marché américain plus cher et causerait une récession économique. Au Proche Orient, les Etats-Unis sont plus enclins sous Trump de laisser Israël annexer la bande de Gaza ou la Cisjordanie, deux territoires palestiniens, au lieu de permettre la création d’un Etat palestinien, comme le demande l’ONU.

A moins que Starmer n’arrive à convaincre Trump du bien-fondé d’un accord anglo-mauricien sur la rétrocession des Chagos qui préserve la base américaine sur Diego Garcia pour 100 ans au moins, les Etats-Unis ne laisseront pas les Chagos échapper à leur contrôle. Comme un ancien développeur immobilier, le président Trump est très attaché au principe de l’acquisition de territoires pour étendre la sphère d’influence de son pays. Ses contradicteurs lui reprochent d’avoir une « real estate vision » du monde qui sert à motiver un nouvel impérialisme américain qui croit que la force est juste (“might is right”) dans un monde qui se veut multipolaire. Est-ce qu’un bail de 99 ans suffira pour les Etats-Unis comme une solution de rechange à l’occupation illégale des Chagos ? Telle est la question principale !


Mauritius Times ePaper Friday 24 January 2025

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