Esclavagisme – Justice et Vérité
|Carnet Hebdo
Le passé a continué à faire des dégâts jusqu’à nos jours bien après que la société ait tourné la page sur ce que les Américains appellent ‘the peculiar institution’. En fait, à la veille de l’abolition, après en avoir profité financièrement pendant des siècles, ils éprouvaient une gêne, à l’encontre de l’esclavage sur lequel avait été fondé le développement économique de leur pays.
De cet héritage, un aspect mérite d’être éclairé : celui de l’éclatement de la famille des esclaves et les répercussions sociologiques, psychologiques et économiques sur les descendants.
Quiconque se projette dans le 17ème siècle de l’Isle de France se trouve dans une société bipolaire bien démarquée par une poignée de familles ayant conservé la structure sociale du pays d’origine avec toute l’importance accordée au mariage et au fondement de la famille et, d’autre part, une masse d’Africains de la côte ouest et est, ayant été arrachés à leur pays et réduits au statut d’objets sans âme, éparpillés et vendus à travers l’île sur les différentes plantations qui avaient grand besoin de leurs muscles. On imagine bien que, dans le contexte de l’époque, c’était sans état d’âme qu’on séparait les couples et que la procréation au sein de cette fourmilière musclée fut soumise aux règles des diktats mercantiles.
Il a fallu les recherches des fils et des filles de la communauté des descendants pour nous permettre d’avoir un tableau complet de la société africaine d’avant la capture de ses habitants et leur traversée sinistre sur les océans dans les mêmes bateaux destinés au transport des marchandises et des bêtes de somme.
Ainsi, dans les années 80, l’écrivain guadeloupéen, Maryse Condé, nous a éclairés dans son ouvrage ‘Les Murs de Ségou’ sur la structure de la société africaine où la famille jouit d’une importance capitale au sein d’une société régie par une autorité et une hiérarchie échelonnées où chacun – artisans, cultivateurs, chasseurs, notables et nobles – a sa place, où le commerce est doté de règles, où les connaissances et les arts se transmettent de génération en génération.
A l’Île de France, donc, une société bourgeoise – constituée de propriétaires de grandes exploitations sucrières – s’octroie le droit naturel de perpétuer un modèle familial régi par des valeurs solides et se réserve le droit et la liberté de faire échouer toute tentative des Africains réduits à l’état d’esclave de fonder et préserver une famille selon leur propre volonté. Les hommes, qu’on a désigné ensuite par le terme ‘Créole’, se sont vus reléguer au statut de géniteur et privés du rôle d’époux et de père selon les impératifs de l’organisation du travail dans les plantations. Les femmes élevaient leurs enfants, lorsqu’elles étaient autorisées à les garder, sans le modèle paternel.
Le modèle monoparental moderne n’est moderne que pour les catégories sociales qui ont été préservées du traumatisme de la séparation du couple et la dispersion des enfants avant l’ère du divorce et la liberté des mœurs. Ce qui fait dire à l’écrivain Afro-Américain Toni Morison, Prix Nobel de littérature en 1994, que l’expérience traumatisante d’un divorce vécu par une femme blanche n’a pas une grande importance – ‘no big deal’ – pour une descendante d’esclave qui a fait face à cette situation depuis des siècles – Que des femmes ont souffert dans leur chair et leur esprit de cette violence institutionnalisée qui leur a été faite sans pouvoir se défendre !
On serait tenté de penser que la mémoire collective des femmes créoles a gardé les traces de ce passé et que l’expérience les a rendues psychologiquement plus fortes pour assumer des situations difficiles et pesantes là où d’autres, de nos jours, sont effondrées, meurtries et affaiblies et, selon les pays et les cultures, sollicitent l’aide des parents, psychologues, prêtres et somnifères.
Dans l’île où plusieurs ethnies ont été amenées à se côtoyer et où les préjugés ont poussé comme de la canne, dit-on, les uns et les autres se sont permis de jeter un regard critique sur la frange de la population créole qui n’entrait pas dans le moule social et économique.
‘Dan nou péna sa’, a proféré une personnalité haut placée à une époque, croyant fermement que ‘les siens’ étaient à l’abri des épreuves du divorce, du modèle monoparental, de l’appauvrissement et de la violence psychologique qui s’ensuit. Depuis, les faits ont démontré que nul n’est à l’abri. Ces dégâts s’étalent à longueur d’année dans la presse de nos jours.
L’étendue des dégâts provoqués par les pères géniteurs et les mères abandonnées ainsi que la reproduction de ce modèle dans la société, issue de l’esclavagisme et l’ère post-coloniale jusqu’à nos jours, reste à évaluer.
Combien de pères continuent d’abandonner femmes et enfants et combien de mères se débattent seules à faire vivre leurs enfants !
Beaucoup d’encre a coulé sur le sort des anciens esclaves après l’abolition. Un certain discours a fait croire pendant trop longtemps que ces derniers avaient de leur propre gré déposé faucille et marteau alors qu’en réalité, ils avaient été simplement chassés des plantations et des usines.
De surcroît, on s’attendait qu’après trois siècles de soumission, les nouveaux affranchis auraient intégré le concept des maîtres concernant la propriété des terres et leur exploitation pour un rendement destiné à la prospérité exclusive des familles individuelles. Or, il n’en était rien pour la plupart d’entre eux. Ils étaient héritiers dans leur mémoire collective d’un concept différent du Temps et du bien-être collectif.
Les retombées négatives sur la situation économique des Créole-Africains ont été une conséquence directe du prix fort payé pour ne pas se glisser dans le moule imposé par le système colonial. Ce n’est que trop évident d’où les errances des membres de la communauté, errances accentuées pour ceux issus d’une structure familiale affaiblie qui est moins bien lotie et peu apte à se lancer dans une course très inégalitaire depuis des décennies.
On a eu trop tendance à croire que tout le monde devrait s’adapter et marcher au même rythme. Si le Temps a aidé à cicatriser les plaies, l’Argent continue à jouer aux abonnés absents longtemps après le rapport émis par la Commission Justice et Vérité.
* Published in print edition on 6 February 2015
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