“On est en plein délire…

On se croirait dans une nouvelle édition de ‘Flics en Délire!'”

Interview: Me Antoine Domingue

* ‘Jusqu’à preuve du contraire, je tends à penser que ces enregistrements concernant le CP sont véridiques. C’est maintenant à lui de nous démontrer le contraire…’

* ‘Ce sont des pratiques occultes dont on soupçonnait l’existence
mais qui sont maintenant étalées au grand jour. Cela ne fait que confirmer la perversion de nos institutions sous le règne du MSM et ses acolytes’


Dans un climat de tension et de controverse, l’attention se concentre sur le Commissaire de Police, M. Dip, suite aux révélations explosives de « Missié Moustass ». Lors d’une conférence de presse, M. Dip a vigoureusement rejeté les allégations portées contre lui, questionnant les motivations et le timing de ces accusations, notamment à l’approche des élections. Si les allégations contenues dans les enregistrements s’avèrent fondées, nous nous trouvons face à une situation d’une extrême gravité. Me Antoine Domingue nous fait part de ses réflexions sur cette affaire troublante qui soulève des questions cruciales sur l’intégrité des institutions et la confiance publique.« On est en plein délire… ! On se croirait dans une nouvelle édition de ‘Flics en Délire’, » déclare-t-il, capturant parfaitement l’absurdité de la situation.


* L’attention est actuellement portée sur le Commissaire de Police, Dip, à la suite des révélations liées à l’affaire « Missié Moustass ». M. Dip a, lors d’une conférence de presse, vigoureusement réfuté les allégations portées contre lui et a remis en question les motivations ainsi que le “timing” de ces accusations, formulées à la veille des élections. Toutefois, si les allégations présentées dans les vidéos s’avèrent fondées, nous serions face à une situation d’une extrême gravité. Quelle est votre réaction face à cette affaire?

Antoine Domingue: Ce sont en fait des “slides” contenant des dizaines d’enregistrements de conversations entre plusieurs personnalités, dont le Commissaire de Police, le Surintendant Jagai, d’autres officiers de police, le médecin de police, le Dr Gungadin, l’Attorney General – Me Maneesh Gobin, le ministre de la Santé – le Dr Jagutpal, le ministre des Arts et de la Culture – Avinash Teeluck, ainsi que des journalistes, le juge Manrakhan, Me Gavin Glover SC, Me Roubina Jadoo-Jaunbocus, et un médecin proche du pouvoir, le Dr Zouberr Joomaye, ainsi que des politiciens de premier plan, tant de la majorité que de l’opposition.

Je note que MM Nawaz Noorbux, Al Khizr Ramdin, Shakeel Mohamed et Patrick Assirvaden ont déjà publiquement confirmé la véracité des enregistrements de leurs conversations, qui ont été médiatisés sur les réseaux sociaux. Je note également que, sans aucune preuve, les membres de la majorité évoquent carrément une fabrication par intelligence artificielle, voire une intrusion de l’opposition dans la vie privée, ainsi qu’une violation de la Constitution.

Selon l’ancien DPM, qui fut révoqué par le premier ministre dans le cadre de l’affaire St Louis Gate, c’est l’opposition qui se serait enregistrée et aurait ainsi violé la Constitution en médiatisant le contenu de ses conversations privées.

Excusez-moi d’avoir à le dire publiquement, mais on est en plein délire…! On se croirait dans une nouvelle édition de ‘Flics en délire’.

En ce qui concerne le “press statement” du CP, il refuse de se soumettre et de répondre aux questions de la presse. Il ne révèle pas le nom des personnes qui ont porté plainte au CCID. Est-ce que parmi ces personnes se trouve l’ambassadrice du Royaume Uni? Mercredi soir, à Bambous, le leader du MMM a sommé le CP de jurer un affidavit. Si le CP veut être pris au sérieux, qu’il le fasse immédiatement.

Jusqu’à preuve du contraire, je tends à penser que ces enregistrements concernant le CP sont véridiques. C’est maintenant à lui de nous démontrer le contraire avec des preuves irréfutables à l’appui.

Après sa visite matinale à l’évêché le mardi 22 octobre, le CP s’est entretenu avec la presse le matin du mercredi 23 octobre. Cependant, après l’avoir écouté, je ne suis pas convaincu. Monsieur de L’Estrac partage également cet avis, comme il l’a déclaré publiquement mercredi soir sur les ondes de Téléplus.

A cela j’ajouterai que toute enquête digne de ce nom devrait commencer par la saisie des téléphones cellulaires du CP et de tous les autres protagonistes avec lesquels il a parlé – c’est-à-dire Lady Gel, le SP Jagai, le Police Medical Officer Gungadin, Avinash Teeluck, l’Attorney General Maneesh Gobin, le Dr Jagutpal, le Dr Joomye, sans oublier Me Roubina Jadoo-Jaunbacus ainsi que le poissonnier Basoo Seetaram.

Je note que jusqu’ici le CP ne nous a toujours pas dit si cela a été fait !!!!

* Le gouvernement n’a, jusqu’à présent, pas réagi officiellement à ces révélations, et les actions qui seront prises pour rétablir la confiance publique demeurent incertaines… si cela est encore possible sous le mandat actuel. Selon vous, est-il encore envisageable pour ce gouvernement de regagner la confiance du public?

Le “spin doctoring” auquel nous assistons actuellement ne mènera à rien. Le CP aurait dû avoir été suspendu et la police, elle, dessaisie de cette enquête de police farfelue sur son chef hiérarchique qui demeure toujours en fonction. Le Secretary for Home Affairs (SHA) M. Ravi Meettook et la Disciplinary Forces Service Commission, présidée par M. Vidianand Lutchmeeparsad devraient de toute urgence se pencher sur ce dossier qui est un “legal hot potato” et en référer immédiatement au Président de la République afin que le CP soit suspendu de ses fonctions pour “misbehaviour” et éventuellement “removed from office” si sa culpabilité est établie devant un Tribunal Constitutionnel, comme cela fut fait pour le CP Raj Dayal en novembre 1997.

La visite matinale, photographiée et médiatisée du CP à l’évêché, avec un deuxième communiqué du diocèse à l’appui, et la conférence de presse matinale du CP annoncée pour mercredi 23 octobre à 9h du matin ne l’innocenteront pas et, à mon avis, tendent à l’incriminer davantage quand on se réfère à ses “Orders” où il avait déjà anticipé la diffusion de tels enregistrements et son refus de se soumettre au feu roulant des questions de la presse.

Quoi que l’on dise et quoi que l’on fasse, le présent “caretaker government” ne pourra rien y faire : son premier ministre et trois de ses ministres étant directement impliqués dans toute l’affaire et il est évident qu’il appartiendra au prochain gouvernement issu des urnes de faire très rapidement le ménage, à grande eau, au Karcher et à l’eau de Javel… !

* Il y a une tentative de faire porter la responsabilité de ces écoutes téléphoniques sur les opposants au régime, en affirmant qu’il s’agit d’une œuvre de l’intelligence artificielle (IA). Quelle est votre réaction à cela ?

Il n’y a rien qui puisse soutenir l’assertion que c’est l’œuvre de l’intelligence artificielle qui a bon dos sans que l’on sache quelle est cette intelligence artificielle. Ceux qui voudraient nous faire avaler ces couleuvres insultent l’intelligence de l’électorat et se cachent derrière l’artifice de l’intelligence artificielle.

Que Facebook et TikTok aient enlevé les pages Web ne prouve pas que les enregistrements ont été fabriqués par Intelligence Artificielle (AI) ou manipulés. D’ailleurs, mercredi soir, Nawaz Noorbux sur Téléplus a confirmé, au moyen d’un logiciel, qu’il s’agit bien de la voix du CP.

Ce sont ceux qui sont incriminés tels que le premier ministre et le CP lui-même qui ont intérêt à invoquer cette défense loufoque. Je note que cela est contredit par Collendavelloo qui a affirmé qu’il trouve cela extraordinaire que ceux qui sont dans l’opposition « pe tap telephone dimoune, be ki zot pu fer si zamais zot prend gouvernement ? ».

Il est absurde de vouloir faire croire que l’opposition a fait enregistrer et diffuser les conversations privées de Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Patrick Assirvaden, Shakeel Mohamed, Joanna Bérenger, Rajesh Bhagwan, Reza Uteem et l’avocat de Navin Ramgoolam, Gavin Glover SC.

* Quelles sont les responsabilités des autorités de régulation des télécommunications dans la surveillance et la prévention des écoutes illégales?

L’ICTA est l’autorité de régulation et elle devrait pouvoir y répondre. Il faudrait donc que vous posiez la question à son Chairman, Me Dick Ng Sui Wa, avocat de profession, et les neuf autres membres de l’ICTA et à son Executive Director, Monsieur Jérôme Louis, qui ont la responsabilité de réguler le secteur des télécommunications à Maurice.

Parmi les “statutory objects” de l’ICTA se trouvent le “licensing and regulation of the information and communications services”, le “technical monitoring of the information and communication industry, the regulation of the security of data, ensure the safety of every information and communication services including telecommunication service” et “control the importation of any equipment capable of being used to intercept a message”.

Toute interception doit satisfaire les conditions de la section 32 de l’Information and Communication Technologies Act 2001 et elle peut être autorisée par un juge à la demande de la police ou de la Financial Crimes Commission (FCC) pendant une période ne dépassant pas 60 jours si le juge est satisfait que l’interception est “material to any criminal proceedings, whether pending or contemplated, in Mauritius”.

Tous ceux et celles qui se sentent lésés par l’interception et la diffusion illégale de leurs conversations téléphoniques devraient porter plainte et intenter un procès à l’État mauricien et à ses agents et préposés pour entorse à leurs droit fondamentaux.

Je tiens à souligner à l’attention de vos lecteurs que le Police Act 1974 interdit aux officiers de police du National Security Service de “trail any individual on account of the involvement of the individual in any political activity or in any other form of lawful protest or dissent” ou de “act as a political activist, or engage in any political activity, or interfere in any manner with any electoral process”.

* Nos lois, en particulier la FCC Act, comportent-elles des failles qui facilitent de telles opérations clandestines?

La constitutionalité de la FCC Act a déjà été contestée par le DPP. L’affaire est devant la Cour suprême. Et sa constitutionalité sera également contestée devant les tribunaux dans les poursuites qui ont été récemment diligentées par la FCC devant la Financial Crimes Division, mais sans l’aval du DPP.

En ce qui concerne la FCC Act, vous n’êtes pas sans savoir que la section 66(2)(a) de cette loi permet à son Directeur des Investigations, avec l’approbation de son Directeur Général, de solliciter une autorisation judiciaire afin d’avoir recours à l’”intrusive surveillance” qui se définit comme suit : “an act of monitoring, observing or listening to a person, his movements, conversations or other activities and communications, from within a place other than a public place, and includes (i) surveillance from any residential premises or in any private vehicle or private property, and (ii) the use of any kind of surveillance device, drones or other electronic device to enter a place other than a public place”.

* Par ailleurs, il a été rapporté que la Cybercrime Unit de la police aurait initié une enquête pour traquer « Missié Moustass » et, semble-t-il, authentifier les voix des différents protagonistes impliqués, y compris celle du Commissaire de Police. Cela vous rassure-t-il et pensez-vous que cette démarche soit suffisante pour rétablir la confiance et assurer la transparence dans cette affaire?

Non, je ne suis pas le moins du monde rassuré.

La police devrait être immédiatement dessaisie de l’enquête dès que l’Independent Police Complaints Commission aura été saisie d’une plainte à l’encontre du Commissaire de Police Dip. Voir la section 10(2)(c) du IPCC Act 2016. À la suite de toute complainte contre n’importe quel officier de police, la police doit immédiatement soumettre la complainte au CP qui est tenu dans les deux jours de communiquer une copie de la complainte au secrétaire de l’IPCC et la police “shall not investigate further into the complaint”.

De plus, il est inconcevable de demander à un officier de police d’enquêter sur son supérieur hiérarchique tant que ce dernier est toujours en fonction et peut donc superviser une enquête où il est le principal suspect. On est dans un “judge and party situation”. Une telle enquête est non seulement vouée à l’échec, mais elle est illégale et donc entachée de nullité.

Selon les dispositions de la section 93 de la Constitution, le CP devrait être immédiatement suspendu de ses fonctions sur avis de la Disciplined Forces Service Commission, présidée par M. Vidianand Lutchmeeparsad, et par ordre du Président de la République, Pradeep Roopun, “acting in his own deliberate judgment”.

* Les bandes sonores diffusées sur les réseaux sociaux révèlent des tentatives de “cover-up”, des efforts pour nuire à la réputation, voire emprisonner des adversaires politiques, ainsi que des manœuvres visant à écarter des fonctionnaires jugés gênants (Mme Ramsaha, ASP Kokil). Comment qualifiez-vous de telles actions, et quelles pourraient être leurs répercussions sur le fonctionnement de l’État et l’intégrité de nos institutions?

Ce sont des pratiques occultes dont on soupçonnait l’existence mais qui sont maintenant étalées au grand jour. Cela ne fait que confirmer la perversion de nos institutions sous le règne du MSM et ses acolytes. Cette perversion est maintenant institutionnalisée à grande échelle et s’est répandue comme une gangrène.

Maintenant que le « misbehaviour » du CP et de ses nombreux complices est étalé sur la place publique, la loi doit être appliquée avec la plus grande rigueur afin que tous les suspects soient déférés devant la justice.

* Les exemples de Mme Ramsaha et de l’ASP Kokil révèlent-ils une tendance croissante à l’utilisation des forces de l’ordre pour écarter des éléments critiques ou “inconfortables” au sein du système?

A cela, il faut aussi ajouter Monsieur Alain Malherbes qui a été arrêté par la police sur plainte de la Mauritius Port Authority et qui se trouve toujours en liberté conditionnelle et dont j’ai demandé à la CCID la continuation de l’enquête de police.

J’attends toujours un retour du Central CID à qui je viens d’adresser un rappel à la suite des révélations concernant le rôle du CP. J’ai donc conseillé à mon client de porter plainte auprès de l’Independent Police Complaints Commission (IPCC) afin que la police soit dessaisie de ce volet de l’enquête.

* À ce stade, il est encore incertain si le système judiciaire et les institutions censées lutter contre la fraude et la corruption seront également mis en cause. Toutefois, ces révélations laissent déjà entrevoir l’existence potentielle d’un réseau organisé visant à instrumentaliser les institutions publiques à des fins politiques.Quels seraient les impacts potentiels de telles actions sur la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, ainsi que sur la confiance du public envers ces institutions?

Il est évident que cela provient des services de renseignent de l’État mauricien afin de fragiliser les institutions, et les hommes et les femmes qui la composent. Seul un “Public Enquiry” peut nous permettre d’y voir clair afin d’y mettre bon ordre. Quand on sera en présence des preuves concernant les autres institutions, on avisera et on décidera de ce qu’il convient de faire.

* Tout cela semble confirmer ce que l’on dénonçait depuis un certain temps : un phénomène de “state capture”. Pensez-vous que les institutions concernées soient en mesure de réagir pour restaurer leur crédibilité face à ces accusations de manipulation politique et de répression ciblée?

Le ver est dans le fruit et cela prendra du temps pour rétablir et mériter cette confiance. La méfiance s’est installée et elle perdurera pendant très, très longtemps.

Les enquêtes doivent être diligentées et ceux qui ont enfreint la loi doivent en répondre devant la justice. En attendant des jours meilleurs, les citoyens doivent prendre leurs dispositions pour essayer de se prémunir contre de telles intrusions, autant se faire que peut. Et pour cela, il faudra en référer aux experts en la matière.

* Le prochain gouvernement aura la responsabilité de faire toute la lumière sur cette affaire, probablement par le biais d’une commission d’enquête, tout en assurant la sécurité et la confidentialité de nos systèmes de communication. Cependant, en attendant, devrions-nous remercier « Missié Moustass » pour son “œuvre publique”, comme l’a fait l’ex-ASP Kokil, qui a été licencié de manière ironique « dans l’intérêt public »?

Le présent gouvernement de transition a également cette responsabilité jusqu’au 10 novembre qui est la date du terme de son mandat.

Ce lanceur d’alerte a déjà expliqué sa démarche sur ses pages Web et d’où proviennent ces enregistrements. On s’attend à ce que « Missié Moustass » vienne prochainement à visage découvert avec encore plus de preuves dans le cadre d’un “Public Enquiry”.

* Au vu du grand nombre de personnes concernées — politiciens, journalistes, juges, policiers, et peut-être d’autres — dont les conversations téléphoniques ont été mises sur écoute, il apparaît que les mécanismes de sécurité ont été contournés par des professionnels chevronnés, qu’ils soient internes ou externes aux institutions. Cela ne montre-t-il pas que personne n’est véritablement à l’abri d’une telle surveillance ?

Je ne vous le fais pas dire. Il est évident que nous sommes tous des cibles potentielles surtout les “frontliners” que sont les journalistes et les avocats indépendants qui sont dignes de ce nom ainsi que les opposants au régime en place et les syndicalistes.

Même les diplomates, les officiers de police, quels qu’ils soient, et les apparatchiks du régime en place ne sont pas à l’abri du “tracking” et des “Cyber Patrols”. Ces enregistrements démontrent que même l’ambassadrice du Royaume Uni n’est pas à l’abri et donc qu’il n’y a pas de système de sécurité. D’ailleurs, cela a été évoqué ce mercredi le 23 octobre à la Chambre des Communes.

 


Mauritius Times ePaper Friday 25 October 2024

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