Pagers piégés au Liban : Une leçon sur les risques des smartphones
|Eclairages
Par A. Bartleby
Le 17 septembre 2024, une série d’explosions simultanées a frappé le Liban, tuant 12 personnes et blessant plus de 2 700. Ces explosions ont été déclenchées par des pagers équipés d’explosifs, selon des responsables américains cités par The New York Times. Le lendemain, une nouvelle vague d’explosions, provoquées par des talkies-walkies a secoué le pays, visant vraisemblablement des membres du groupe Hezbollah.
Ces attaques, attribuées à des agents israéliens, font écho à une tactique courante dans les opérations militaires et de renseignement : saboter la chaîne d’approvisionnement pour insérer des dispositifs destructeurs ou espions dans des équipements de communication. Ce type d’intervention n’est pas nouveau. Par exemple, en 2010, il a été révélé que la NSA américaine interceptait du matériel informatique destiné à des clients étrangers pour y insérer des logiciels malveillants avant de les livrer. Une opération similaire a été utilisée en 1996 par le Shin Bet israélien, qui avait inséré des explosifs dans un téléphone portable pour tuer à distance un fabricant de bombes du Hamas.
Selon Richard Forno, maître de conférences en informatique et en génie électrique à l’Université du Maryland, Hezbollah, un adversaire de longue date d’Israël, avait renforcé son utilisation des pagers après une attaque menée par le Hamas contre Israël en octobre 2023. En adoptant des dispositifs de communication plus rudimentaires, tels que les pagers et les talkies-walkies, Hezbollah espérait contourner la capacité sophistiquée d’Israël à traquer les cibles via les téléphones portables.
Smartphones : outils de traçage ultimes
Cette affaire nous rappelle les risques que posent les téléphones portables modernes, qui tout en offrant une multitude de fonctionnalités utiles, sont devenus les outils de surveillance par excellence, que ce soit pour les gouvernements, les entreprises, ou même les utilisateurs eux-mêmes. Grâce aux capacités de localisation intégrées (Bluetooth, Wi-Fi, GPS), ces appareils permettent de suivre les moindres mouvements de leurs propriétaires, souvent à leur insu.
Les données de localisation générées par les téléphones portables sont largement utilisées à des fins légitimes, comme retrouver des personnes disparues ou lutter contre le terrorisme. Cependant, ces mêmes données peuvent être exploitées à des fins malveillantes, comme la surveillance de journalistes, de militants politiques, etc. Il existe de multiples méthodes pour traquer les utilisateurs de smartphones : les autorités peuvent intercepter le signal du téléphone à l’aide de dispositifs appelés Stingrays qui imitent les tours cellulaires, ou encore exploiter les informations collectées par les applications installées sur l’appareil.
Pire encore, ces données personnelles peuvent être revendues à des tiers, qu’il s’agisse de gouvernements ou d’entreprises spécialisées dans la publicité. Les smartphones peuvent ainsi révéler beaucoup plus que ce que les utilisateurs sont prêts à partager.
Qu’en est-il des dispositifs basse technologie ?
Contrairement aux smartphones, un pager – qui ne fait que recevoir des messages – ne transmet pas de signal, ce qui complique la tâche des services de renseignement cherchant à traquer les individus qui les utilisent. C’est probablement cette difficulté qui a motivé l’attaque supposée par Israël sur la chaîne d’approvisionnement des pagers du Hezbollah.
Ce recours à des technologies plus simples, comme les pagers ou les messagers à moto, rappelle également les tactiques utilisées par des groupes comme al-Qaïda pour éviter la surveillance. L’adversaire qui utilise des techniques basées sur des technologies rudimentaires peut, dans de nombreux cas, échapper aux méthodes de traçage sophistiquées des agences de renseignement technologiquement avancées.
L’utilisation de moyens de communication dénués de toute composante numérique par des organisations comme Hezbollah ou al-Qaïda met en lumière une réalité à laquelle nous devrions tous prêter attention : il est fort probable que nous soyons tous suivis d’une manière ou d’une autre via nos appareils numériques. L’attaque présumée d’Israël sur les pagers du Hezbollah est également un rappel du fait que tout appareil technologique peut être compromis avant même d’arriver entre nos mains.
Les failles de la vie privée à l’ère des smartphones et des dispositifs connectés
Les smartphones, bien qu’ils facilitent la vie quotidienne, présentent des risques majeurs pour la vie privée. En tant qu’outil de traçage ultime, ils permettent à de nombreux acteurs, allant des gouvernements aux cybercriminels, de suivre, stocker et analyser les mouvements et les comportements des utilisateurs.
Les principales menaces pour la vie privée des utilisateurs de smartphones incluent :
- Collecte des données de localisation : Les téléphones génèrent constamment des informations de localisation via les réseaux cellulaires, le GPS et le Wi-Fi. Ces données sont souvent partagées avec des applications ou des services tiers, souvent sans que les utilisateurs en soient pleinement conscients.
- Suivi des applications : De nombreuses applications mobiles collectent des données sur les activités des utilisateurs, que ce soit pour des raisons commerciales (publicité ciblée) ou à des fins plus néfastes. Les conditions d’utilisation et les politiques de confidentialité, que la plupart des utilisateurs ignorent, contiennent souvent des clauses autorisant ce suivi.
- Vente de données : Les données collectées par les entreprises sont souvent revendues en données à des courtiers, qui les fournissent ensuite à des annonceurs, à des gouvernements ou à d’autres entreprises pour le profilage des utilisateurs.
- Vulnérabilité aux logiciels malveillants : Des logiciels espions comme Pegasus peuvent être installés à distance sur des téléphones pour extraire des informations sensibles ou suivre la localisation des utilisateurs en temps réel.
Conseil pour la protection de la vie privée : Les utilisateurs doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils utilisent des smartphones. Il est recommandé de limiter les autorisations des applications, d’éviter de partager sa localisation en permanence, et d’utiliser des outils de protection de la vie privée, comme des VPN ou des bloqueurs de traçage, pour minimiser les risques de surveillance non désirée.
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Migration, relations internationales et climat : Ce que pensent les Mauriciens
Le dernier rapport d’Afrobarometer, publié le 19 septembre 2024, dresse un tableau détaillé des opinions des Mauriciens sur des questions globales majeures comme les relations internationales, la migration, le changement climatique, et la qualité des services de santé. Cette enquête, réalisée par StraConsult Ltd. auprès de 1 200 adultes mauriciens entre avril et mai 2024, révèle à la fois des préoccupations locales et des aspirations globales. Elle met en lumière des dynamiques complexes influencées par l’environnement mondial et les réalités nationales.
Relations internationales : L’Inde et la Chine en tête
D’après les résultats, l’Inde ressort comme le pays ayant la plus forte influence positive sur Maurice, avec 76 % des sondés exprimant une opinion favorable. La Chine suit de près avec 68 %, tandis que l’Union africaine (61 %) complète ce trio de partenaires clés. Ces chiffres ne sont pas surprenants compte tenu des relations historiques, économiques et culturelles entre l’Inde et Maurice. L’influence grandissante de la Chine, notamment dans les projets d’infrastructures à travers l’Afrique, y compris à Maurice, explique également cette perception positive.
Cependant, il est intéressant de noter que la perception à propos des pays occidentaux, tels que les États-Unis (43 % d’opinions positives) et la France (50 %), est plus mitigée. Cela pourrait refléter des préoccupations plus larges liées aux politiques économiques ou à des tensions géopolitiques qui influencent les opinions locales.
Ces résultats montrent un basculement significatif de la balance d’influence vers les pays d’Asie et les institutions africaines, illustrant la manière dont Maurice, ancre ses relations avec des partenaires historiques et émergents. La neutralité de 61 % des Mauriciens vis-à-vis de la guerre en Ukraine est un autre indicateur de la prudence géopolitique du pays, préférant garder une position équilibrée dans un monde divisé.
Migration : Une volonté de partir, mais des inquiétudes nationales
L’enquête révèle que près de la moitié des Mauriciens ont envisagé de migrer, principalement vers l’Europe (35 %), suivie par l’Amérique du Nord (28 %) et l’Australie (25 %). Ce désir croissant de migration peut s’expliquer par la recherche d’opportunités économiques et une qualité de vie meilleure. En effet, près de 47 % des répondants indiquent que leur principale raison de migrer serait de trouver un emploi ou de meilleures perspectives de carrière.
Cependant, l’opinion sur les migrants qui viennent à Maurice est nettement plus partagée. 50 % des Mauriciens considèrent que les migrants ont un impact négatif sur l’économie locale, une proportion significative qui reflète des préoccupations concernant la concurrence sur le marché du travail et l’accès aux ressources.
D’une part, les Mauriciens sont attirés par des opportunités à l’étranger. Mais d’autre part, il est frappant de constater qu’ils expriment simultanément des réserves quant à l’accueil des migrants dans le pays. Cela reflète un phénomène observé dans de nombreux pays : une tension entre le désir de mobilité personnelle et la protection de l’économie nationale. Les gouvernements doivent naviguer soigneusement entre l’ouverture aux talents étrangers et la gestion des craintes de leur population locale.
Changement climatique : Une priorité urgente
Le changement climatique est une préoccupation majeure à Maurice, et les résultats d’Afrobarometer confirment cette réalité. Une écrasante majorité (89 %) des répondants déclarent que les inondations sont devenues plus sévères au cours des dix dernières années, tandis que 68 % notent une aggravation des échecs des récoltes. Le rôle de Maurice en tant qu’île vulnérable aux catastrophes naturelles, telles que les cyclones et la montée des eaux, explique la forte inquiétude exprimée par les citoyens.
De plus, 83 % des Mauriciens estiment que les pays riches ont une responsabilité dans le financement des efforts d’adaptation au changement climatique de Maurice. Cet appel à une responsabilité partagée est particulièrement pertinent dans un contexte où les petites nations insulaires sont souvent les premières à ressentir les effets du réchauffement climatique, mais disposent de moyens limités pour y faire face.
Ces chiffres montrent que les Mauriciens sont pleinement conscients de l’urgence climatique. Il est encourageant de voir qu’une majorité plaide en faveur d’investissements dans les énergies renouvelables, même si cela pourrait entraîner une hausse des prix. Cela montre que la population est prête à accepter des sacrifices économiques à court terme pour protéger l’environnement à long terme, une position souvent absente dans les pays plus riches.
Services de Santé : Une amélioration, mais des défis subsistent
En matière de santé publique, 63 % des Mauriciens estiment que le gouvernement fait du bon travail pour améliorer les services de santé primaires. Pourtant, un nombre important de citoyens (75 %) n’ont pas accès à une assurance médicale, principalement en raison de son coût. Ce manque de couverture médicale est préoccupant, d’autant plus que 14 % des répondants indiquent avoir manqué de médicaments ou de soins médicaux au cours de l’année écoulée.
Néanmoins, la confiance dans le ministère de la Santé et du Bien-être reste relativement forte, avec 55 % des citoyens déclarant lui faire “assez confiance” ou “beaucoup confiance”. Cela suggère que malgré les défis, le gouvernement a réussi à maintenir un niveau de soutien important à la population
La couverture médicale insuffisante à Maurice pose un problème de justice sociale. Bien que le Gouvernement reçoive des notes favorables pour ses efforts dans l’amélioration des services de santé, il est essentiel de s’attaquer aux disparités en matière d’accès aux soins, notamment pour les plus vulnérables. Cela nécessitera probablement une réflexion sur la mise en place d’une couverture de santé plus inclusive et abordable pour tous les citoyens.
Ce rapport d’Afrobarometer présente une image nuancée des opinions des citoyens mauriciens. Tout en montrant leur ouverture à une coopération internationale accrue, ils expriment également des préoccupations face aux défis posés par la migration et le changement climatique. Le soutien général au gouvernement sur des questions associées aux services de santé indique une certaine satisfaction, mais les attentes restent élevées pour une gestion plus inclusive et équitable des ressources et des opportunités.
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Exploitation et préjugés : Haïti entre l’héritage colonial et les accusations de Trump
Haïti, un pays marqué par une instabilité politique et économique chronique, fait souvent la une des médias pour les mauvaises raisons. Récemment, une rumeur sans fondement, largement diffusée sur les réseaux sociaux et reprise par Donald Trump, prétendait que des immigrants illégaux haïtiens à Springfield, Ohio, mangeaient des animaux domestiques.
Cette affirmation, bien que fausse, reflète un modèle de fausses accusations régulièrement propagées, en particulier autour de la période proche des élections, visant à lier immigration et criminalité. Cette rhétorique s’inscrit dans une longue histoire d’hostilité à l’égard d’Haïti et de son peuple, une hostilité qui trouve ses racines dans l’histoire coloniale et post-coloniale du pays, et notamment dans l’exploitation par les grandes puissances comme les États-Unis et la France.
Une dette imposée : la france et l’exploitation postindépendance
L’une des raisons principales qui pousse les Haïtiens à quitter leur pays, selon Philip Johnson de l’université Flinders, remonte à une dette historique imposée par la France et les États-Unis. En 1804, après une révolution menée par des esclaves sous la direction de Toussaint L’Ouverture, Haïti est devenu la première république noire indépendante au monde, après avoir vaincu l’armée napoléonienne. Cependant, en 1825, la France a envoyé des navires de guerre pour contraindre Haïti à payer une dette d’indemnisation de 150 millions de francs aux anciens propriétaires d’esclaves français en échange de la reconnaissance de son indépendance.
Pour Haïti, cette dette était colossale, représentant environ huit fois la taille de son économie actuelle, selon une estimation du « New York Times » en 2022. Sans cette dette, une équipe de chercheurs internationaux estime que le revenu par habitant en Haïti en 2018 aurait pu être six fois plus élevé. Haïti a dû contracter des emprunts auprès de banques françaises pour rembourser cette somme, créant ce que l’on appelle une “double dette”. Par conséquent, Haïti a été financièrement asphyxié pendant des décennies, empêchant tout développement économique durable.
L’occupation américaine et la poursuite de l’exploitation
L’exploitation d’Haïti ne s’est pas arrêtée là. En 1915, les États-Unis ont envahi Haïti et l’ont occupé pendant 19 ans, sous prétexte de stabiliser le pays, mais surtout pour protéger leurs intérêts économiques. Les banques américaines ont pris le relais des banques françaises en forçant Haïti à s’endetter encore plus.
Pendant cette période, des ressources, dont l’or d’Haïti, ont été transférées aux États-Unis. Le général Smedley Butler, qui a participé à l’occupation, a plus tard admis qu’il était “un racketteur pour le capitalisme”, révélant ainsi la véritable nature de l’implication américaine en Haïti.
Après la fin de l’occupation américaine en 1934, Haïti a traversé une série de dictatures, notamment sous François “Papa Doc” Duvalier et son fils Jean-Claude “Baby Doc”. Les deux dictateurs ont régné avec une poigne de fer, utilisant des milices pour terroriser la population. Malgré la brutalité du régime, les États-Unis ont fermé les yeux, voyant dans les Duvalier des alliés dans la lutte contre le communisme pendant la guerre froide.
Même lorsque Haïti a tenté d’embrasser la démocratie avec l’élection de Jean-Bertrand Aristide en 1991, un coup d’État, soutenu par la CIA, a rapidement renversé son gouvernement. Ses partisans ont été persécutés, et des milliers de réfugiés haïtiens, tentant de fuir la violence, ont été interceptés par la garde côtière américaine et détenus à la base navale de Guantánamo Bay.
Tandis que la plupart des réfugiés cubains qui fuyaient le régime de Castro ont bénéficié de l’asile aux États-Unis, les Haïtiens ont été renvoyés dans leur pays, illustrant une politique de double standard fondée sur des considérations politiques.
Un héritage de pauvreté et d’instabilité
Aujourd’hui, Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, et cette situation découle directement des dettes imposées et de l’exploitation prolongée par la France et les États-Unis. Les gangs contrôlent désormais une grande partie de Port-au-Prince et des zones rurales, exacerbant la crise humanitaire. Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, l’insécurité a atteint de nouveaux sommets, forçant de plus en plus d’Haïtiens à chercher refuge à l’étranger.
Malgré ce lourd héritage, les immigrants haïtiens continuent de faire face à une hostilité raciste, alimentée par des politiciens comme Donald Trump et J.D. Vance. Les fausses allégations selon lesquelles les immigrants haïtiens mangeraient des animaux domestiques ne sont qu’un exemple de la manière dont certains politiciens exploitent les peurs et préjugés pour gagner du terrain électoral. Ces accusations, bien qu’infondées, jouent sur des stéréotypes racistes profondément enracinés associant pauvreté, violence et immigration haïtienne.
Réalité historique et conséquences actuelles
L’histoire d’Haïti est marquée par une exploitation systématique qui continue d’avoir des répercussions aujourd’hui. La dette imposée par la France a freiné son développement pendant des décennies, tandis que l’intervention des États-Unis a contribué à une instabilité politique qui persiste encore. Cette exploitation économique et politique a créé les conditions de pauvreté extrême et de violence auxquelles les Haïtiens sont confrontés, les poussant à chercher refuge ailleurs, souvent pour être confrontés à une nouvelle forme de rejet et de discrimination.
L’hostilité actuelle envers les immigrants haïtiens, largement fondée sur des préjugés racistes, masque la réalité des difficultés auxquelles ils font face. Les États-Unis et la France, ayant joué un rôle déterminant dans la dégradation des conditions de vie en Haïti, portent une responsabilité morale dans l’accueil des réfugiés haïtiens. Il est impératif de reconnaître ce passé d’exploitation pour comprendre les crises actuelles et répondre avec compassion aux besoins des Haïtiens, tant dans leur pays que parmi ceux qui souhaiteraient immigrer.
Mauritius Times ePaper Friday 20 September 2024
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