Parlement: le mirage de la civilité

Marmite Politique

Le PMSD veutjouer le rôle d’opposition loyale et servile au gouvernement en attendant de sceller son pacte avec le MSM

Par Aditya Narayan

Mardi dernier, sur une motion du Premier ministre et « Leader of the House », les travaux de l’Assemblée législative ont été ajournés au mardi 15 octobre 2024. Ces vacances d’hiver de deux mois rendent probable la dissolution du Parlement le 7 octobre, soit deux jours avant l’élection partielle prévue pour le 9 octobre dans la circonscription no. 10 (Grande-Rivière-SudEst/Montagne Blanche), afin de tenir des élections générales le 9 décembre 2024. Dans ce scénario, le gouvernement esquivera la partielle et n’attendra pas la dissolution automatique du Parlement prévue le 21 novembre pour rappeler le pays aux urnes.

D’ici le7 octobre, le MSM finalisera les termes de son alliance avec le PMSD, dont l’annonce officielle sera faitevraisemblablement au moment de la dissolution. Il ne fait plus de doute que les deux partis ont déjà conclu un accord de principe, quitte à définir – dans les semaines à venir – les modalités en termes de répartition des candidatures aux élections et des postes ministériels dans un prochain gouvernement.

Cette nouvelle configuration de l’alliance gouvernementale en vue des prochaines élections est apparue clairement cette semaine à la faveur des débats sur la motion de blâme du leader de l’Opposition, ArvinBoolell, contre le nouveau Speaker Adrien Duval.

Positionnement perfide

En effet, ces débats ont apporté un éclairage sur le positionnement du PMSD sur l’échiquier politique grâce au discours de son leader Xavier Duval, qui a critiqué sévèrement l’alliance de l’opposition parlementaire (PTr-MMM-Nouveaux Démocrates), confirmant ainsi sa rupture avec ses anciens alliés. Il a en outre déposé une motion de blâme contre le Leader de l’Opposition Boolell, ce qui est une démarche inédite dans les annales parlementaires.

Voir un leader de parti qui s’assoit dans les travées de l’opposition au Parlement chercher la bagarre avec le leader de l’Opposition, c’est du jamais vu dans les annales parlementaires !

Le PMSD veut ainsi jouer le rôle d’opposition loyale et servile au gouvernement en attendant de sceller son pacte avec le MSM. Ne serait-cepas là un positionnement perfide que l’opposition PTr-MMM-ND a eu raison de dénoncer ? 

Pendant les débats, les orateurs du gouvernement, dont le Premier ministre, ont fait montre d’un excès de zèle pour défendre le Speaker Adrien Duval contre les critiques de l’Opposition officielle, qui a remis en cause son indépendance. Le Premier ministre a même suggéré au Speaker adjoint Zahid Nazurally, qui présidait la séance, de rayer du compte-rendu officiel (le “Hansard”) les commentaires du leader de l’Opposition sur les faits (notamment ses fréquentations politiques en dehors du Parlement) qui indiqueraient un manque d’impartialité du Speaker Duval.

Or, tout le monde trouve que la nomination d’Adrien Duval au poste de Speaker n’est pas un hasard. Pourquoi le MSM se montrerait si généreux envers un parti dit d’opposition s’il n’y avait pas de tractations en vue d’une alliance ? Pourquoi placer sur le perchoir un individu non élu pour présider quelques séances avant la dissolution du Parlement alors que le Speaker adjoint Nazurally était disponible pour remplacer le Speaker démissionnaire Phokeer? Il ne faudrait quand même pas prendre les citoyens pour des enfants de chœur !

Civilité chimérique

Sous le règne de l’ancien Speaker Phokeer, on a vu le phénomène de la « bordélisation » du Parlement avec des députés qui faisaientclaquer leur pupitre et hurlaient leurs désaccords dans des affrontements verbaux ; le chahut général était ponctué de suspensions et d’expulsions de certains députés de l’opposition.

Le PMSD,a voulu faire croire que la nomination de son poulain au poste de Speaker apportera l’apaisement au Parlement avec des changements que certains qualifieraient comme étant « cosmétiques » (permettre des questions sur les collectivités locales, faire un tirage au sort des questions, etc.).

Or, ce désir de civilité s’est avéré chimérique dans la mesure où le Speaker Duval a permis à des ministres de donner de longues réponses non pertinentes aux questions parlementaires. Le plus grave est le fait que le chef de la Chambre s’est permis de citer des extraits d’un jugement de la Cour de justice pour mettre en doute la crédibilité de la veuve d’un activiste politique victime de meurtre (comme établi par une enquête judiciaire) alors que la bienséance parlementaire n’autorise pas de commentaires, encore moins des allégations, contre une personne non présente au Parlement.

Les travaux parlementaires ont donc été ajournés dans un brouhaha qui rappelle l’atmosphère malsaine qui a régné depuis 2020 sous la garde d’un ancien Speaker aux outrances indescriptibles. Son remplacement de dernière heure n’a pas apporté la sérénité espérée parce qu’il était fondé sur un marchandage politique plutôt que sur des principes de bonne gouvernance parlementaire…

L’imbroglio politique causé par le repositionnement bizarre du PMSD sur l’échiquier, avec un pied dans l’opposition et l’autre dans le gouvernement, est éphémère. Les dés sont déjà jetés et on s’achemine vers des élections générales opposant deux blocs, avec d’un côté l’opposition PTr-MMM-ND, et de l’autre côté, l’alliance MSM-PMSD-Linite Militant.

Il faudra au PMSD beaucoup de gymnastique politique pour justifier ses retournements de vestes. Présenter une nomination politique comme une opportunité d’équité ethnique est malséante. La tentative d’un ministre de communaliser la nomination du Speaker Duval pendant les débats fut repoussée par le Speaker adjoint, à juste titre. C’était un acte grotesque en l’absence d’arguments crédibles. Avoir recours à un tel argumentaire en 2024, cela ne relève-t-il pas d’une certaine pauvreté intellectuelle ?On croyait le PMSD assagi avec le passage du temps depuis son départ du gouvernement MSM en 2017, mais son retour à des instincts identitaires révèle un état d’esprit curieux.

Pour sa part, l’Opposition PTr-MMM-ND défendra sans doute le leader de l’Opposition contre la motion de blâme du leader du PMSD si jamais elle est débattue au Parlement avant la dissolution. Le rassemblement de l’Opposition prévue pour le 11 août à Quatre Bornes en donnera sûrement le ton. Le ralliement du parti de gauche ResistansekAlternativ à l’alliance de l’Opposition apportera du vent dans ses voiles. Ce parti, proche des travailleurs, apportera-t-ilaux forces d’opposition une sensibilité de gauche qui va enrichir la diversité du débat politique avec sa vision des droits humains et de la justice sociale ?

Mauritius Times ePaper Friday 9 August 2024