Pourquoi les placements à Dubaï attirent-t-ils des Mauriciens ?
|Investissements à l’étranger
Par Prakash Neerohoo
Les placements de capitaux dans des pays étrangers semblent attirer des Mauriciens de plus en plus, qu’il s’agisse des sommes placées dans des banques, affectées à l’achat de valeurs mobilières (actions ou obligations d’entreprise) ou affectées à l’acquisition de valeurs immobilières (appartements ou villas). Cette tendance s’est accentuée depuis l’ouverture de l’économie locale envers l’extérieur, marquée par l’abolition du contrôle des changes dans les années 1990.
Dubai Leaks. P – LinkedIn
Cette semaine, Maurice a défrayé la chronique dans la presse internationale grâce aux « Dubai Leaks », un dossier publié par l’Organised Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium de journalistes d’investigation provenant de 70 médias, sur les investissements étrangers dans le secteur immobilier à Dubaï. Ce dossier nous apprend qu’un ministre mauricien a acheté un appartement de Rs 11,5 millions ($251,600) dans le complexe Noora Residence à Dubaï.
L’information n’est pas vraiment nouvelle parce que le ministre en question avait déclaré son bien immobilier à Dubaï dans sa déclaration des avoirs déposée en 2019 auprès de l’ICAC (Independent Commission Against Corruption), une organisation qui a été absorbée dans la nouvelle institution connue comme Financial Crimes Commission (FCC), chargée de combattre les crimes financiers.
Toutefois, cette affaire soulève des questions pertinentes sur la transparence financière et les sources de financement pour les placements dans des pays étrangers.
Individus politiquement exposés
Dubaï, un des sept émirats formant les Emirats Arabes Unis, est réputé comme un centre financier où des oligarques du monde placent leur fortune en investissant dans l’immobilier, ce qui est un moyen de blanchir l’argent illicite.
Le dossier de l’OCCRP identifie un bon nombre d’investisseurs dans les trois catégories suivantes : des criminels condamnés ou présumés, des individus sujets à des sanctions en Occident, et des individus « politiquement connectés ou exposés ».
Dans le préambule du dossier, l’OCCRP écrit ceci: « Dubai’s high rises and villas have served as a safe haven for some of the world’s most wanted criminals, due in part to the secrecy its real estate affords. Dubai’s reputation for financial secrecy, its lack of property taxes, and relative political stability have also made the city an appealing spot for those looking to safely park funds abroad should the political tides turn against them at home.”
Parmi les personnalités africaines qui ont fait des placements suspects à Dubaï, le dossier mentionne notamment :
– les frères Gupta (Rajesh et Atul), qui sont accusés de fraude et de blanchiment d’argent en Afrique du Sud à travers leur proximité avec l’ex-président sud-africain Jacob Zuma, et
– Isabel Dos Santos, la fille de l’ex-dictateur angolais, qui est accusée de blanchiment d’argent et de fraude commise aux dépens de la société pétrolière d’Etat en Angola. Rappelons qu’elle a investi dans certaines sociétés offshores à Maurice.
A part le ministre mauricien, il y a sans doute d’autres mauriciens qui ont investi à Dubaï, qui est une destination de prédilection pour eux pour faire des affaires ou du tourisme. On sait que certains politiciens ont fait des visites fréquentes à Dubaï soit en voyage privé ou en mission officielle. Les noms d’autres investisseurs mauriciens ne paraissent pas dans la base de données interactive de l’OCCRP pour l’une de deux raisons : soit ils ne tombent pas dans l’une des trois catégories mentionnées, ou les propriétés immobilières acquises sont enregistrées sur des prête-noms (un proche d’un nom différent, un notaire, une société, une fiducie, etc.) qui cachent les noms des propriétaires bénéficiaires (beneficial owners).
A Maurice, les individus politiquement exposés (représentants élus) et les hauts officiels des secteurs public et parapublic sont requis de faire une déclaration des avoirs tous les cinq ans sous l’article 6 de la loi, The Declaration of Assets Act 2008, amendée en juillet 2019. Sous l’article 6(1) de la FCC Act, la FCC est chargée de surveiller les actifs et passifs des déclarants en vue de détecter, et d’enquêter sur, les délits de corruption, de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite.
Lacunes de la loi
L’article 7(1) de la loi sur la déclaration des avoirs permet à la FCC de divulguer au public les déclarations des avoirs des représentants élus. Toutefois, l’obligation de déclarer les avoirs et la divulgation de ces déclarations des avoirs par la FCC butent contre des lacunes et des limitations significatives dans la loi qui ne rendent pas justice à deux impératifs de la bonne gouvernance : (a) la transparence des affaires et des transactions, et (b) le devoir de rendre compte de ses décisions et de ses actes dans l’exercice du pouvoir.
Premièrement, en vertu de l’article 7(2) de loi, la FCC n’est pas autorisée à divulguer les comptes bancaires des représentants élus (députés, ministres et conseillers de ville et de district), leur argent en main de moins de Rs 1 million et leurs objets de valeur de plus de Rs 500 000. La divulgation des avoirs des représentants élus est donc réduite au patrimoine de biens mobiliers (véhicules, bateaux, actions d’entreprise, obligations et autres instruments financiers) et de biens immobiliers (propriétés foncières). L’information fournie à la FCC sur les comptes bancaires restera confidentielle. On ne saura pas avec quel argent ils ont acquis leurs biens.
Deuxièmement, l’article 7(3) de la loi n’autorise pas la divulgation des déclarations des avoirs des hauts officiels des secteurs public et parapublic. C’est une aberration parce que ces officiels, comme les présidents et chefs exécutifs des entités paraétatiques (CEB, CWA, STC, etc.) et des entreprises sous le contrôle de l’Etat (Air Mauritius, Mauritius Telecom, SICOM, etc.), négocient des marchés publics (contrats d’approvisionnement) valant des milliards de roupies. Ils devraient être au-dessus de tout soupçon.
Troisièmement, la déclaration des avoirs se fonde sur une approche quantitative dans la mesure où le déclarant doit seulement déclarer les biens qu’il a acquis. En vertu de l’article 5(2), il n’est pas tenu à fournir une évaluation monétaire des biens acquis. Si l’on sait combien de biens mobiliers (actions d’entreprise ou véhicules) ou de biens immobiliers (maisons, terrains) une personne a acheté, on ne saura jamais la valeur de ces biens pour autant.
Evaluation monétaire
Si l’on peut juger le degré de richesse relative par le nombre de biens acquis, c’est davantage par l’évaluation monétaire des biens qu’on détermine si quelqu’un est riche ou super-riche.
En comptabilité, l’évaluation monétaire se fait normalement selon l’un de deux critères :
(a) le coût historique du bien, c’est-à-dire sa valeur d’acquisition au moment de l’achat ou du transfert, et
(b) la juste valeur marchande (fair market value) au moment présent.
Lorsque les déclarations des avoirs ne mentionnent aucune valeur, cela donne libre cours à l’imagination des curieux.
Du coût historique à la juste valeur marchande d’un bien quelconque, il y a toujours une appréciation ascendante au fil du temps, sauf pour les biens mobiliers (les véhicules, par exemple) qui perdent de leur valeur sous l’effet de l’usage et de l’amortissement. Par exemple, une propriété foncière (maison ou terrain) qui coûte Rs 1 million à l’achat peut valoir Rs 5 millions après quelques années avec l’inflation et le renchérissement des prix sur le marché. Au moment de la revente de cette propriété, le vendeur réalise des plus-values de Rs 4 millions.
Sources de revenu
Il ne suffit pas de parler d’évaluation monétaire des biens acquis pour déterminer si les individus concernés sont des personnes riches. Encore faut-il connaître les sources de revenu (salaire, revenu d’entreprise, dividende, revenu de location, intérêts bancaires, etc.,) qui ont financé l’achat des biens.
Il est évident que ceux ayant acquis des biens mobiliers (véhicules, bateaux, actions d’entreprise, etc.,) et des biens immobiliers (maisons, terrains, bâtiment commercial) l’ont fait à partir de sources de revenu considérables. Sans vouloir remettre en question l’intégrité des principaux concernés, des questions se posent :
1) Ces revenus ont-ils été déclarés en totalité aux autorités fiscales (MRA) ?
2) Puisque certaines propriétés immobilières acquises se trouvent en Europe ou dans des pays du Golfe Persique, quels sont les montants en devises étrangères qui ont été transférés à cette fin ?
3) Est-ce que le montant transféré fut assujetti à l’impôt sur le revenu au préalable ?
4) Le régulateur (Financial Services Commission) surveille-t-il les placements des Mauriciens à l’étranger dans le cadre du régime légal CFT/AML (Combatting the Financing of Terrorism/Anti-Money Laundering) sous la loi contre le blanchiment d’argent ?
5) Les banques commerciales qui autorisent les transferts de fonds finançant les achats de biens font-elles preuve de diligence pour connaître les sources des fonds ?
6) La Banque de Maurice a-t-elle un droit de regard sur ces transferts de capitaux à l’étranger effectués par les banques commerciales ?
Mauritius Times ePaper Friday 31 May 2024
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