Quand la vérité prend l’eau…
|Carnet Hebdo
Par Nita Chicooree-Mercier
L’île est recouverte d’un manteau gris depuis des jours, un temps qui n’est pas boudé par le bon peuple tant la fin des chaleurs a été vivement attendue. C’est une véritable aubaine pour la terre assoiffée et la fringale éphémère d’une végétation destinée à être luxuriante. Un trait culturel très répandu incline le peuple à l’acceptation de ce qui est à la place des lamentations sur ce qui n’est pas ; d’où un sentiment de gratitude envers la nature. N’est-ce pas avec quelques gouttes d’eau que le lever du soleil est accueilli dès l’aube ?
La puissance sacrée de l’eau
Sharmila jure :
– Je ne te dis que la vérité. Regarde ce verre d’eau que je tiens à la main, je ne peux pas mentir.
Deux jours plus tard à Port-Louis, c’est Leena qui tient le même langage :
– Je ne déforme pas la réalité. J’ai l’eau à la main, que je sois punie si je mens !
L’eau est sacrée. Toutes les deux sont issues des milieux populaires, ont reçu peu ou presque pas d’éducation formelle mais elles sont imprégnées de bon sens et un sens de droiture qui ne fait pas de compromis. Un franc-parler ponctué de dictons hérités de leur culture première, mais dont seulement le moyen d’expression a été dilué au fil des décennies.
Un changement culturel au fil du temps
Ailleurs, les adultes diront plutôt :
– Je jure sur la tête de mon fils (ou de ma fille).
L’individualisme a fait du chemin dans certaines contrées où le profane a chassé le sacré, et jurer sur le livre sacré est perçu comme rétrograde tant la fiabilité de ces livres est passée au peigne fin des controverses dans certains pays au fil des siècles, tandis qu’un autre subit un véritable assaut dans des débats passionnés à l’ère d’internet.
Dans ces lieux, on ne jure pas non plus sur le drapeau d’un pays à une époque où le patriotisme a mauvaise presse grâce aux idéologues et aux médias complaisants qui assimilent le patriotisme au fascisme en passant par l’extrême-droite. C’est à se demander combien de volontaires parmi la jeunesse ramollie prendront les armes pour leur pays en cas de guerre…
Donc, le transfert du sacré s’est déporté sur la famille proche : Mon fils, ma fille, ma femme (jusqu’au prochain divorce !), le tout n’étant autre que le prolongement de l’ego masculin, en fin de compte.
A Maurice, nous serions tentés de penser qu’une certaine manière de penser fait la résistance et est imperméable au mimétisme langagier idiot qui franchit les frontières par le biais des radios privées, certaines répandant des inepties importées sans filtre sur les ondes.
Ce serait faire l’impasse sur le narcissisme qui pousse les parents, en première ligne les pères, à régler un compte musclé à l’enseignant qui ose faire des remontrances au fils, au camarade de classe dont le fils subit une moquerie des plus bénignes, sans parler de cas où ce genre d’incidents métamorphosent les pères en meurtriers…
Un retour vers le passé ?
Apprécions, donc, pour l’instant le sens sacré de l’eau en tant qu’élément universel. Tout de même, ne perdons pas de vue qu’en ces temps d’inondations déchaînées dans les quatre coins du monde, où les voitures naviguent sur les “flash floods” répétés à Port-Louis, et que le règne du pétrole est menacé à l’avenir, c’est l’aspect matérialiste de l’eau qui déclenchera les guerres. L’or bleu est déjà objet de convoitise et les armes s’affûtent un peu partout… Qu’il pleuve ou qu’il neige, jurer sur l’eau prendra alors tout son sens.
* * *
Est-ce que je peux me mettre à votre table ?
La Victoria Urban Terminal s’est dotée d’une salle faisant office de salle à manger pour les consommateurs de passage. Très bien entretenue, une employée fait le tour des tables munie d’un chiffon, d’une éponge et d’une pelle pour garantir la propreté du lieu.
Un espace attrayant
Jusqu’à présent, c’est un des espaces publics les plus classes que nous avons visité. Il suffit de prendre son farata, son roti, son dholl puri, son pain kebab, son plat de mines ou de riz aux diverses échoppes et de s’y installer le temps de satisfaire un creux à l’estomac.
— Les mines sont servies avec des caris ? nous lui demandons.
— Oui, on peut demander ce qu’on veut, légumes ou viande, nous répond-elle.
Disposant de peu de temps, le roti fait bien notre affaire. Souriant et affable, notre voisin de table ne s’est pas fait prier pour déballer les tracasseries de sa journée surchargée, facture d’électricité mirobolante, règlement des patentes en hausse, un projet en panne, son compte en banque subissant les conséquences de plein fouet, etc. Il voit rouge et tire à boulets rouges sur le gouvernement actuel.
— Ah bon ? De quoi s’agit-il exactement ?
Que l’électricité à usage commercial revienne à un coût plus élevé, cela ne date pas d’hier. S’il se targue d’avoir plusieurs business, c’est que les affaires vont plutôt bien. Suivons le dialogue.
— Le problème, c’est la taxe sur les entreprises, se plaint-il.
— C’est-à-dire… ?
— Par exemple, si un business rapporte Rs500,000, le MRA perçoit Rs 150,000. Vous voyez, c’est trop. C’est donc 30 %, selon ses dires.
— Au temps des travaillistes, j’avais fait construire trois maisons. Depuis quelques années, j’ai commencé une maison et je n’ai plus les moyens de la terminer.
Trois maisons, c’est déjà pas mal. Salaires en hausse, aides aux jeunes, gratuité des études et du transport, les pensionnaires soulagés, le phénomène mondial de l’inflation et des dettes, nous égrenons une liste des mesures sociales qui améliorent nettement la vie des gens.
— Le partage des richesses apporte la paix sociale, je laisse en rappel.
— Mais non ! C’est de la poudre aux yeux ! Vous allez voir les dettes que nos petits-enfants auront à payer ! Pour l’instant, les dirigeants s’en mettent plein les poches…, tempête-t-il.
— Et les 250 millions…?
— Eux, c’est encore pire…
C’est peut-être un die-hard rouge qui est très remonté.
— Et d’ailleurs, vous allez voir, les gouvernants ont tout intérêt à ne pas baisser le prix de l’essence, sinon, les caisses seront vides…
Bah !
Un espace patrimonial
La maquette de la Victoria Terminal annonçait une belle réalisation lors de sa conception. Pendant des années, alors que l’autobus scolaire du Q.E.C déversait sa ribambelle de collégiennes devant la gare, ce bâtiment, malgré son style colonial en pierre taillée, faisait partie des fantômes tout de noir vêtus de Port-Louis. Je le trouvais obscur et déprimant.
La nouvelle bâtisse a conservé son cachet d’antan, les pierres taillées sombres se sont illuminées au contact d’une architecture moderne, les divers commerces apportent une animation dans ce lieu excentré de la capitale tout en casant marchands de rue et boutiques de mode.
C’est un véritable joyau qui a conservé le nom d’un passé impérialiste britannique. Comme le cheddar, il bénéficie d’une intégration au patrimoine local par assimilation au style mauricien, et plutôt, indien. Une réussite que les adeptes de ‘tout part à l’eau’ auront du mal à nier.
Mauritius Times ePaper Friday 14 June 2024
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