Saturday Night Out
|Carnet Hebdo
Par Nita Chicooree-Mercier
Depuis quelques années, la fin de semaine est vécue différemment. Avant les parents organisaient des sorties, des repas de famille avec les oncles, les tantes, les cousins, les cousines, ou des réceptions d’anniversaire de temps à autre pour clore une semaine de travail par une détente bien méritée.
Ayant grandi dans un certain confort avec des parents qui les ont couverts d’attention et d’affection tout le long de leur enfance et de leur adolescence, la jeune génération de diplômés et de salariés, en plus de jouer la prolongation en matière de logement sous le toit parental et ayant toujours papa et maman à leur service, ont fait du loisir une règle de plus en plus incontournable de leur mode de vie.
D’une part, c’est un signe de prospérité certaine et d’une aisance matérielle à l’île Maurice et, d’autre part, il existe une soif de jouir de la vie avec plus de liberté.
Rappelons que c’est une guerre mondiale qui avait remis en question les valeurs civilisationnelles des grands pays développés des années 40 et avait poussé les jeunes des années 60 sur les routes vers d’autres contrées, et ceux-ci s’étaient donné les moyens de profiter de la liberté à travers la musique, le sport et divers autres loisirs.
Récemment, c’est la Covid-19 qui a signalé la fin de partie des siècles de répit sans catastrophes mondiales. La pandémie a suscité une prise de conscience sur la fragilité de l’existence sur terre. Deux guerres inattendues et la possibilité effrayante d’une menace nucléaire participent à polluer une atmosphère surchauffée mise sous tension par le dérèglement climatique. « Allons bon ! » se disent bien des gens, « profitons des bons moments de la vie pendant qu’il est encore temps ! »
Ainsi, les jeunes adultes d’aujourd’hui entendent mettre à profit la fin de semaine pour le plaisir des sens et la détente de l’esprit. Au retour du travail, les vendredis, en fin d’après-midi, ordinateur fermé et rangé, ils s’organisent suite à cette délivrance des obligations professionnelles !
Les randonnées en groupe, organisées par des associations sur internet, attirent les plus sportifs vers les forêts, les sous-bois et les cascades. Ce sont des endroits éloignés du bruit des véhicules et du bavardage inutile.
Selon le degré de liberté accordée aux jeunes adultes motorisés dans une société qui reste conservatrice, ce sont souvent les cousins et les cousines qui se retrouvent pour un party à domicile, arrosé de bon vin autour de pizzas et d’autres délices du fast-food commandés de leur smartphone.
Les 40-50 ans et + sont de la fête aussi. Dans le quartier jouxtant la plage publique à Pointe-aux-Canonniers, c’est la grande cour d’une habitante qui tient lieu de retrouvailles pour un brin de causette dans l’après-midi ou un apéritif à la tombée de la nuit. Vivre sans stress, c’est aussi au moyen du changement d’air et de cadre. Le samedi soir est le moment propice pour les bons vivants et les fêtards de voir du monde et de converser en petits groupes.
Croisé dans l’après-midi dans la cour, le Rajastani, “supervisor” dans la construction, originaire de l’Inde, est invité à se joindre aux autres dans la soirée. Les échanges en hindi et en bhojpuri sont devenus des moments privilégiés où nous retrouvons l’authenticité originelle de notre identité. C’est un sentiment de complétude qui s’empare de certains, conscients de l’aliénation linguistique que nous vivons au quotidien.
Dans l’espace de quelques minutes, grâce au bhojpuri et au hindi, le temps s’efface, ne faisant qu’une parenthèse des quelques décennies où le paysage linguistique a été modifié …
Tous deux dans la quarantaine, Ashok et Suresh sont arrivés en moto de la Pointe-aux-Piments.
– Vous n’allez pas prendre de boisson alcoolisée… ? je m’inquiète, pensant aux accidents trop fréquents des deux roues.
– Non, non, assurent-ils. Pas une goutte, une soirée d’anniversaire nous attend chez nos voisins, mais nous allons chercher quelques bières pour les autres. Apparemment, il en manque.
– Pas la peine, intervient Jaya, la propriétaire du lieu. Eau, sirop, pastis, rhum feront bien l’affaire. Il manque le Martini pour les femmes. On fera sans.
Ashok sort son téléphone et montre des vidéos au Rajastani. La conversation tourne autour des gourous de grande renommée, du premier ministre indien, de l’Uttar Pradesh transformé par Yogi Adityanath, sa méthode bulldozer, le Hindu Rashtra, le problème de kalapani avec le Nepal.
La politique ne tarde pas à faire surface entre Mauriciens qui se respectent. Suresh défend tant soit peu le rapport de la Chine avec le reste du monde.
– Chaque pays agit selon sa culture politique et son histoire. Il n’y a pas de “one-size-fits-all” en diplomatie. C’est un pays qui a des ambitions, il faut qu’il joue intelligemment avec les autres. Tout le monde veut la vérité sur l’origine de la Covid. La Chine a réussi à semer le doute. Et c’est la même chose pour l’économie qui donne des signes de ralentissement. La Chine ne divulgue que ce qu’elle veut bien. Ils ont raison, les Chinois.
Selon Suresh, la transparence à 100 % est impossible même dans les grandes démocraties.
Et à titre de comparaison, il étaye son argument avec l’exemple des rapports de force entre individus.
– Si vous vous montrez faible, les autres vous écrasent. C’est la même chose entre pays.
Soit.
Ce bout de quartier est habité principalement par les familles de pêcheurs, d’autres exerçant des métiers manuels tels que menuisiers et maçons, et certains sont employés dans les métiers de service. Des personnes venues de divers horizons sont les habitués du lieu.
Dans la trentaine et originaire de Saint Croix, Corinne se joint au groupe en attendant son copain qui vient la rejoindre pour le week-end dans un appartement qu’elle a l’habitude de louer à deux pas d’ici.
– C’est indispensable pour moi de venir souffler un peu ici. Saint Croix est le lieu d’habitation où tout le monde vous connaît. C’est un peu étouffant, avoue-t-elle.
Garde de sécurité dans une société de surveillance, elle a eu sa dose de fixer la caméra pendant des heures, et cela, durant des années. Toujours comme garde de sécurité, elle a préféré faire les cent pas ailleurs.
– En tant que célibataire, je veux vivre ma vie comme je l’entends. Je viens souvent ici avec mon copain, confie-t-elle.
Le célibat est à la mode un peu partout dans le monde. Receveur d’autobus, Meera loue un appartement avec son ami, un Français qui passe quelques mois à Maurice et cherche à s’installer. Elle s’arrête pour un brin de causette.
– Peut-être un mariage plus tard, mais des enfants, ce n’est pas au programme.
Décidément, la devise est : Ne nous compliquons pas la vie.
Le rhum déclenche un véritable incendie dans l’estomac. Je préviens Jaya :
– Tu as insisté pour que j’engloutisse ta boisson préférée. C’est la dernière fois.
– Ok, ok, renchérit-elle, je n’ai rien d’autre, qu’est-ce que tu veux que je t’offre ?
Ici, on ne fait pas de manières. On parle cru, sans fard. Ce sont des gens des villages et des diverses cités qui se sont installés dans le quartier, les gens du gaon (village). Le quartier est un village comme l’est en grand format le reste de l’île.
Les appartements sont aussi loués pour un jour ou une nuit. Les adultères ne sont inquiétés par personne. Cadres d’entreprise ou de l’hôtellerie débarquent avec leur dulcinée en voiture rutilante pour un dirty week-end, comme le disent les Anglais.
Près de la mer, c’est un espace de liberté. Pour couples non-conventionnels à orientation sexuelle hors norme.
– Les champs de canne pour escapades amoureux, c’est terminé, affirme Jaya.
Suresh et Ashok acquiescent en souriant.
Ils ont le beau rôle. Leur épouse prévoit un repas à leur retour quel que soit l’heure où ils regagneront leur domicile.
Un peu plus loin, il paraît que quelqu’un demande des informations à propos du déplacement d’un ami chargé de fournir à un groupe de copains leur dose hebdomadaire de gandia. Ces derniers ont laissé la robe noire au barreau à la rue Pope Hennessy pour une soirée détente dans un bungalow sur la plage de Grand Baie… comme d’autres jeunes.
Tout le monde semble d’accord pour dire qu’il n’y a rien de mal dans tout cela, que c’est un plaisir, et il ne faut pas s’en priver parfois. Connaissant les rouages du système judiciaire, les amateurs de « joint » ne risquent pas de se retrouver derrière les barreaux.
Quelqu’un suggère : « Un peu de musique ? »
Les étoiles brillent au firmament et les vagues de la mer s’écrasent au loin avant de caresser le rivage. Cela suffit comme musique d’arrière-plan.
Face à la mer absorbant toute impureté, le stress se dissout et les identités superflues s’évaporent pour laisser respirer en toute liberté les personnes et les mœurs diverses.
Mauritius Times ePaper Friday 29 March 2024
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