Un audit indépendant : Plus pertinent qu’une commission d’enquête
|Système de surveillance de masse
Analyse
N’est-il pas légitime de se demander si ces commissions servent la transparence ou ne sont qu’une façade destinée à une diversion bien calculée ?
Par Prakash Neerohoo
Le Premier ministre Navin Ramgoolam a révélé, lors de la séance parlementaire du 5 février 2025, que l’ancien gouvernement MSM avait installé un système de surveillance électronique de masse au prix de Rs 5,2 milliards pour espionner la population à l’aide d’équipements sophistiqués capables d’intercepter des courriels, des conversations téléphoniques, des échanges sur les réseaux sociaux et des messages sur des applications sécurisées (WhatsApp, Signal).
Pour toute réaction, le MSM réclame par voie de communiqué une commission d’enquête pour faire la lumière sur cette affaire. Une commission d’enquête est-elle vraiment nécessaire ? Notre réponse est d’emblée NON, comme nous allons le démontrer.
Contexte autocratique
D’abord, il est important de situer cette affaire dans son contexte approprié. L’installation d’un système de surveillance de masse faisait partie d’un processus autocratique au sein de la société mauricienne sous la férule du MSM. Ce parti avait non seulement capturé l’Etat et ses institutions à des fins politiques, incluant la promotion d’une kleptocratie à tous les niveaux de l’administration publique, mais il avait aussi introduit un système de contrôle social pour verrouiller la libre expression des opinions. Il avait fait du délit d’opinion un crime.
Entre autres méthodes de contrôle, les contre-pouvoirs (presse, syndicats, radios privées) furent muselés ; le Parlement fut réduit à une chambre d’enregistrement des vœux de la majorité despotique ; la séparation des pouvoirs fut battue en brèche avec la neutralisation du bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) et la marginalisation d’autres institutions ; des opposants furent traqués, persécutés et arrêtés sous des charges provisoires ; et la société civile en général fut placée sous un régime d’espionnage avec notamment l’enregistrement obligatoire des cartes SIM dont les données furent stockées dans une base de données.
L’ampleur du dispositif de surveillance a été effectivement révélée au grand jour avant les élections grâce aux bandes sonores des conversations privées qui ont été divulguées par un lanceur d’alerte (‘Missie Moustass’). Ces bandes sonores ont révélé non seulement les conversations privées d’opposants politiques, mais aussi des complots ourdis en haut lieu par de hauts officiels de l’Etat pour piéger tel ou tel individu ou couvrir des homicides non élucidés par la police.
Investissement coûteux
L’investissement de Rs 5,2 milliards dans l’achat du système de surveillance, soutenu par un contrat d’entretien annuel au coût de Rs 355 millions par une société étrangère, était un acte conforme à l’esprit autocratique du gouvernement MSM. Aujourd’hui, le MSM veut noyer le poisson en demandant une commission d’enquête sur le système aussi bien que les révélations de ‘Missie Moustass’.
Il avait déjà mis sur pied une commission d’enquête sur les bandes sonores le 25 octobre 2024 à quelques jours du scrutin national, mais le changement politique a court-circuité cette démarche. En effet, le présent gouvernement a le mandat incontestable de faire la lumière sur cette affaire dans le cadre de la loi sans recourir à une instance ad-hoc (commission d’enquête) qui utiliserait beaucoup de ressources et de temps sans nécessairement produire les résultats escomptés.
Le gouvernement a l’autorité à travers ses institutions (police, FCC, ministère de la Justice) d’enquêter sur tous les aspects du système de surveillance avec diligence et promptitude. Une commission d’enquête serait pour le MSM une tactique dilatoire visant à retarder la conclusion de toute investigation en faisant trainer les audiences avec des témoignages de protagonistes contradictoires. Une telle commission ne pourrait que faire des constats, et tout acte, en apparence, criminel qui serait décelé devrait être référé à la police pour une enquête approfondie avant d’être l’objet d’une quelconque poursuite par les soins du DPP. On imagine donc le temps extraordinaire que cette commission prendrait pour terminer ses travaux, probablement trois à cinq ans. Elle tiendrait le pays en haleine jusqu’aux prochaines élections législatives.
indépendance et transparence sur le système de surveillance, mais le public n’a pas la mémoire courte. Son règne au pouvoir était l’antithèse même de la transparence. Il avait refusé une commission d’enquête sur des scandales financiers autrement plus graves tels que le démantèlement de la BAI, la vente d’avions d’Air Mauritius à bon marché, les prêts toxiques de la SBM et de MauBank à de petits copains, et les marchés publics d’urgence attribués durant la pandémie de Covid-19 sans aucun appel d’offres.
La commission d’enquête, un outil inefficace
L’histoire des commissions d’enquête à Maurice démontre que la commission d’enquête, dans la plupart des cas, n’a pas été un outil efficace pour crever l’abcès et prendre les mesures appropriées dans une situation donnée. Même lorsque certaines commissions (par exemple, la commission Rault sur la drogue en 1987 et la commission Lam Shang Leen sur la drogue en 2016) ont effectué un travail d’investigation appréciable, leurs recommandations n’ont pas été suivies d’actions concrètes.
Le « Task Force » mis sur pied sous la houlette de l’ICAC pour faire le suivi du rapport de la commission Lam Shang Leen n’a rien fait. Les personnes épinglées dans le rapport Lam Shang Leen ont toutes demandé une révision judiciaire du rapport et la Cour suprême leur a donné gain de cause dans certains cas. Résultat des courses : le trafic de drogue a connu une recrudescence remarquable au fil des années au point de devenir un véritable cancer de la société aujourd’hui.
D’autres commissions d’enquête n’ont pas connu un dénouement positif après leurs travaux. Par exemple, le rapport de la commission Caunhye sur l’ancienne présidente de la République Ameenah Gurib-Fakim, qui fut accusée de manquement à ses devoirs, est contesté devant le judiciaire. Le rapport de la commission Domah sur l’affaire Britam, une société de l’ex-conglomérat BAI qui fut vendue au Kenya, est aussi contesté par Roshi Bhadain, leader du Reform Party, devant la Cour suprême.
Diversion calculée
Ce qui est encore plus controversable,c’est la décision du gouvernement MSM d’instituer une commission d’enquête pour faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles la State Trading Corporation (STC) avait alloué un contrat à la compagnie Betamax pour le transport de produits pétroliers en 2009 et pourquoi le contrat avait ensuite été résilié en 2015. Compte tenu du fait que l’affaire Betamax a été débattue en profondeur au tribunal d’arbitrage international de Singapour, en Cour suprême et devant le Judicial Committee of the Privy Council (JCPC) avec les résultats que l’on connait, on comprend difficilement cette initiative de charger une instance ad hoc de se pencher à nouveau sur une affaire classée.
Instituer une commission d’enquête sur une affaire qui a été tranchée par la plus haute instance judiciaire, c’est mettre la charrue avant les bœufs. C’est tenter de reproduire en public un procès qui a été déjà jugé par le JCPC. A quoi sert cette commission si ce n’est de mettre en relief les rôles de certains protagonistes dans les tenants et aboutissants de cette affaire ? Puisque ces protagonistes sont des hommes politiques dans des camps opposés, on peut prévoir le spectacle déferlant de témoignages contradictoires. Finalement on se demande si toutes ces commissions ne sont pas faites pour la galerie dans une entreprise de diversion bien calculée.
Audit ad-hoc
Il n’y a aucun doute que le système de surveillance fut installé illégalement car aucune loi ne permet l’espionnage massif des citoyens ou l’espionnage d’un individu sans le consentement d’une Cour de justice. Cependant, pour répondre à la tentative de diversion du MSM par sa demande d’une commission d’enquête, le gouvernement serait bien inspiré de demander à une autorité indépendante, en l’occurrence le Bureau National de l’Audit, de faire un audit ad-hoc sur le système de surveillance avec pour objet d’établir :
- Qui a autorisé l’investissement excessif de Rs 5,2 milliards dans le système de surveillance et Rs 355 millions dans le contrat d’entretien annuel ?
- Est-ce que les dispositions de la loi sur l’attribution des marchés publics pour un investissement aussi énorme ont été suivies à la lettre ?
- Comment le contrat de fourniture des équipements et de logiciels fut-il alloué – est-ce un contrat à source unique accordé à un fournisseur ?
- Sous quelle autorité la décision d’acheter le système fut-elle prise – celle du conseil des ministres ou celle du Bureau du Premier ministre ?
- Quelle était la source de financement du projet – le budget de la police ou le budget du Bureau du Premier ministre ?
- Est-ce que les fonds alloués au projet provenaient du budget national tel que sanctionné par la loi des finances ?
- Le système a-t-il été installé en violation d’une loi sur la sécurité publique ou d’une loi sur la confidentialité des données personnelles ?
Le Bureau National de l’Audit pourrait faire cet audit avec des attributions spécifiques dans un temps raisonnable. Il ne s’agirait pas pour lui de juger si la décision (politique) d’acheter le système était bonne ou mauvaise, mais plutôt d’évaluer les procédures utilisées pour acheter les équipements et collecter les données personnelles afin de déterminer si elles étaient conformes à la loi du pays. Ce serait un audit de conformité (compliance audit).
Mauritius Times ePaper Friday 14 February 2025
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