« Un homme politique, à fortiori un leader de parti, ne quitte jamais son siège. Il doit être poussé vers la sortie »
|Interview: Alain Gordon-Gentil
‘Là où Maurice est aujourd’hui, la solution ne pourra qu’être radicale. Quand on laisse pourrir les choses en n’écoutant que la voix de l’argent, le retour de balancier risque d’en assommer plus d’un sur son passage’
‘N Ramgoolam seul sait s’il est le mieux placé pour gagner les élections à venir. Certains en sont convaincus. D’autres sont dubitatifs’
Ecrivain, journaliste et cinéaste, Alain Gordon-Gentil se fait rarement entendre sur les sujets d’actualité. Notre invité a réalisé une dizaine de documentaires qui racontent tous l’histoire contemporaine de Maurice. Son dernier documentaire « Les jours inespérés », sorti sur les écrans il y a quelques mois, retrace le parcours politique, social et économique du pays. De même que son dernier roman « J’attendrai la fin du monde », sorti en France, a pour trame l’histoire d’un journaliste en proie aux réalités au moment des élections de l’indépendance. Dans l’entretien qui suit, il passe en revue les événements politiques et d’une manière générale dit ses inquiétudes sur les dérives de notre société.
Mauritius Times : L’attention est resté braquée sur l’affaire MedPoint depuis les récentes délibérations devant le ‘Judicial Committee du Privy Council’ du fait que c’est l’avenir politique du Premier ministre qui est en jeu. Comment réagissez-vous aux affirmations de ceux qui disent que cette affaire ne serait que le sommet de l’iceberg ?
Alain Gordon-Gentil : Il n’est pas courant de voir un Premier ministre, qui plus est, en exercice, comparaître devant une telle juridiction pour des faits aussi graves. Ce qui est certain, c’est que la réputation de notre pays, quelle que soit l’issue de l’affaire, ne sortira pas grandie. Sur ce plan, le mal est déjà fait. Concernant l’affaire elle-même, j’ai suivi – comme beaucoup de mauriciens – les débats devant le Privy Council. Mais je ne suis pas juriste et donc je n’ai pas de pronostic à faire.
Mais, dans toute cette affaire, une chose m’intéresse : les faits. Je dis bien les faits et non pas l’interprétation du droit qui m’intéresse moins. Voyons les choses de la manière suivante :
– Une clinique a-t-elle été achetée ? Oui.
– Les propriétaires sont-ils de la famille du Premier ministre, sa sœur notamment ? Oui.
– Celui qui a autorisé la ré-allocation des fonds publics afin que le paiement puisse être fait avant le 1er janvier, date à laquelle une nouvelle taxe serait perçue sur le prix de vente, porte-t-il le même nom qu’un des propriétaires de la compagnie qui possède la clinique ? Oui.
– L’évaluation du bâtiment a-t-elle été doublée dans des circonstances encore non-élucidées ? Oui.
– Le chèque de paiement de Rs 144 millions a-t-il été touché et mis sur un compte par les membres de cette famille ? Oui.
Voilà. Vous comprendrez qu’après cela je n’ai pas de commentaires à faire…
A partir de là, me concernant en tant que citoyen, ce que dira le Privy Council m’est secondaire. Le jugement fera certainement l’objet de débats passionnants entre avocats et trouvera sa place dans la jurisprudence mauricienne. Mais les faits resteront les faits. Et c’est ce qui importe. Maintenant si on ajoute à cela que nous avons un premier ministre et un ancien premier ministre dont le sort dépendent des tribunaux, on imagine le désarroi des mauriciens. Ce qui nous arrive ne s’est jamais produit dans l’Histoire de ce pays.
* Mais lorsqu’on apprend qu’il y a en même temps une quarantaine de litiges en suspens au bureau du DPP par rapport au même délit de conflit d’intérêt, sans préjuger de l’issue de ces enquêtes, on se pose des questions sur les valeurs et les normes d’éthique dans notre société. Quelle opinion en faites-vous ?
C’est ce que je vous disais justement. Le jugement sera d’une importance capitale sur le plan juridique et sans doute constitutionnelle. Concernant les normes d’éthique et les valeurs de notre société, il n’y a qu’à voir la prolifération de la corruption, du népotisme, des passe-droits et surtout à quel point la population n’en est même plus surprise. Nous avons un organisme qui est supposé lutter contre la corruption et qui est arrivé soit à faire rire, soit à faire vraiment monter la colère.
La descente aux enfers de notre société sur le plan de la moralité a commencé véritablement, pour moi, en 1983 exactement. Entre confrères journalistes, nous assistions aux élections générales où pour la première fois les responsables du MSM inauguraient les « bases » ou l’argent était offert par liasses. On y voyait des candidats, entre autres, s’occuper de « l’animation » des bases.
La corruption entrait officiellement dans les élections. L’esprit de militantisme gratuit et généreux, motivé par des convictions a pris un sale coup. On « travaillait » pour un parti. Dans la même foulée, on a commencé à voir les trafiquants de drogue graviter dans les milieux politiques. Pour moi, il s’agit, en cette année – 1983 –, c’était un tournant pour notre société. Ça c’est pour l’argent.
Venons-en maintenant au plan politique et moral. Jamais on n’a atteint une telle violence verbale et raciste. Paul Bérenger a été l’objet d’une campagne dont la puanteur raciste me monte encore aux narines. Et j’ai toujours admiré son calme et son courage pendant ces élections. S’il avait choisi la même voie que ses adversaires pendant cette campagne, le pays aurait pris feu. Cette campagne, je le crois, l’a marqué à jamais.
Même au plus fort de la campagne pour l’indépendance – un moment où pourtant les tensions ethniques étaient fortes -, jamais on n’a entendu Sir Seewoosagur Ramgoolam et Sir Gaëtan Duval tenir de tels propos l’un à l’égard de l’autre. Un verrou a sauté pendant ces élections de 1983 et nous en payons encore le prix aujourd’hui. La parole raciste s’est libérée et est entrée dans les normes de certains. Anerood Jugnauth et d’autres traitaient les journalistes de femelles lichien, le docteur Philippe Forget et Lindsay Rivière furent l’objet de violentes attaques. Des maisons furent lapidées, entre autres.
C’est aussi l’époque où l’on a commencé à trouver normal que les hommes politiques qui quelques mois avant les élections vivaient modestement étalaient leurs richesses sans aucune retenue quelques années après.
Depuis cette période, nous glissons – lentement et sûrement – vers une société contrôlée et dominée par l’argent, ce qui est devenu pour beaucoup la valeur refuge. Et qui laissent comprendre à leurs enfants qu’il n’y a pas d’interdits lorsqu’il s’agit de gagner de l’argent.
Quand vous avez un ancien premier ministre, SAJ, qui n’éprouve aucune gêne à dire qu’il a fait sortir son argent en douce de la Bramer Bank avant qu’elle ne ferme parce qu’il avait des privileged informations, vous avez une idée de l’environnement nauséabond dans lequel nous devons vivre. Je pense à Brel : Chez ces gens-là monsieur, on cause pas monsieur, on compte. Ici on dit : « Moralité pas rempli ventre… » C’est moins poétique, mais cela dit bien ce que cela veut dire.
Voilà où nous en sommes. Voilà dans quel pays nous sommes obligés de vivre.
* La corruption est intrinsèquement liée à l’exercice du pouvoir, explique la Banque mondiale, dans un rapport sur les indicateurs de développement en Afrique intitulé Silencieuse et fatale, la corruption discrète entrave les efforts de développement en Afrique). En d’autres termes, clientélisme et corruption font bon ménage. On se rapproche de plus en plus du continent sur ce plan-là, paraît-il ?
Il est évident que la corruption est intrinsèquement liée à l’exercice du pouvoir. Mais je trouve aussi qu’on oublie volontiers assez facilement une vérité crue et implacable. Pour chaque corrompu, il y a un corrupteur. Les corrupteurs, ce ne sont pas les petits citoyens qui déjà ont du mal à joindre les deux bouts. Les masses d’argent qui circulent dans les actes de corruption viennent de lieux où il y a beaucoup d’argent : les grosses entreprises. Si certains d’entre elles sont réputées pour leur intégrité et leur distance vis-à-vis d’officines louches, il n’en est pas de même pour d’autres. Il y en a qui, depuis quelques années, vivent dans une béatitude permanente de s’être tant engraissées. Entre elles et les pouvoirs, c’est vraiment le grand amour. Et, quand en plus, l’amour rapporte gros et garnit les panses, c’est le bonheur complet.
* Quelle opinion faites-vous de l’encadrement institutionnel pour le combat contre la fraude et la corruption à Maurice?
Ce n’est pas l’encadrement constitutionnel qui change les choses. Il peut aider, mais ce qui change les choses, c’est l’intégrité des hommes qui dirigent les institutions. Ce sont les hommes et les femmes qui changent une vie, et non pas les institutions. Une personne intègre qui accomplit son devoir sans craindre personne peut changer le monde. Et ce qui entraine notre pays au fond, ce sont les femmes et les hommes qui sont à la tête de plusieurs institutions.
J’ai retrouvé ce que Sir Maurice Rault, ancien chef juge, me confiait dans un entretien. Parlant de l’ICAC, il disait : « C’est à se demander si l’impotence de l’ICAC n’était pas programmée de manière à ce que fripouilles et compagnie puissent escroquer, détourner, tricher, frauder, voler en toute tranquillité. Cette loi sur l’ICAC est une des lois les plus stupides qui aient jamais été faites à Maurice. » Tout autre commentaire serait superflu.
* Au-delà du clientélisme politique, des pratiques liées au « crony capitalism » et ses différents types de spéculateurs ou la forte corrélation entre dictature politique et corruption, il y a aussi le modèle de développement économique adopté par différents gouvernements ces 35 dernières années. Les résultats sont accablants : le fossé qui grandit entre riches et pauvres, l’appauvrissement de la classe moyenne… Ce n’est pas soutenable, non ?
Il ne faut pas cracher dans la soupe. Le type de développement que nous avons choisi a permis au pays, depuis les années 1970, d’améliorer sans cesse le niveau de vie de la population. Il y a eu une certaine redistribution de richesses et, d’une manière générale, l’ascenseur social a fonctionné. Il y a eu l’émergence d’une classe moyenne qui a beaucoup contribué à stabiliser la situation sociale.
Aujourd’hui, la situation n’est plus du tout la même. La classe moyenne, comme toutes les autres classes (à part notre classe dirigeante et les propriétaires terriens spéculateurs), s’est appauvrie. Nous avons poussé le libéralisme jusqu’à l’absurdité, jusqu’à décider, par exemple, que même notre nationalité était à vendre. Il suffisait d’y mettre le prix. Comme pour une voiture ou un kilo de pommes de terre. Voir un si petit pays axer son développement sur la vente des terres et le développement foncier, c’est juste ahurissant.
Mais voilà : Ceux qui dirigent le pays et font les lois, et ceux qui possèdent les terres s’entendent comme larrons en foire. Et c’est ainsi que de beaux petits ghettos poussent comme champignons à travers le pays. Et les murs qui entourent les belles demeures sont agrémentés de grilles électrifiées afin que ceux qui ont eu le mauvais goût d’être pauvres ne soient pas tentés d’y faire une incursion. Le village de Rivière Noire que certains mauriciens appellent maintenant White River, en raison du fort contingent de ressortissants sud-africains, en est l’exemple type. Les mauriciens qui y vivent disent qu’ils seront bientôt comme des étrangers dans leur propre pays.
Je crois sincèrement que là où Maurice est aujourd’hui, la solution ne pourra qu’être radicale. Quand on laisse pourrir les choses en n’écoutant que la voix de l’argent, le retour de balancier risque d’en assommer plus d’un sur son passage. L’écart entre riches et pauvres donne maintenant le vertige. Il y a des décisions à prendre, des chemins à choisir, des choix à faire. Et plus on tarde à les faire et plus elles seront radicales.
* L’impression qui se dégage également, c’est que le pays tourne en rond depuis un certain nombre d’années. L’alternance politique se résume à du pareil au même. En effet, dans la perception populaire, « zotte tou pareil ». N’est-ce pas aussi cela qui repousse les jeunes de tout engagement politique ?
Je crois, en effet, que depuis plus d’une décennie, nous tournons en rond sans aucune vision d’avenir. Construire des routes ou un métro, bétonner partout, n’est pas une vision de société. Une vision de société est une réflexion d’ensemble et cohérente qui englobe toutes les facettes de cette société et trace un chemin sur le long terme. Cela fait, par exemple, 25 ou 30 ans que notre société s’en fout complètement du développement durable, et ce, malgré toutes les mises en garde. On a fait le choix du court terme.
La seule fois où il y a eu une vraie vision, c’était le programme du Professeur Joël De Rosnay sous un des gouvernements Ramgoolam. Il nous a proposé une vraie révolution des esprits, nous a offert des choix audacieux qui auraient fait de notre pays un des phares mondiaux, un des modèles à suivre en développement durable. Il a été torpillé par le même pouvoir politique qui avait eu pourtant le courage de le choisir. C’est pour moi un des grands échecs du gouvernement de Navin Ramgoolam.
Aujourd’hui, le pouvoir a changé et Joël De Rosnay n’est pas pour autant le bienvenu. C’est ce que l’on appelle la puissance des lobbys et la complaisance des responsables politiques. Le manque de courage et de vision transcendent les gouvernements et unissent les passéistes dans un même ensommeillement. Pour bétonner et enlaidir, les volontaires sont nombreux. Pour l’environnement, la destruction continue tous les jours.
* Le renouvellement politique ne se fait pas, puisque l’accès au leadership ou même aux instances dirigeantes des partis, qu’ils soient historiques ou non, est vérouillé, cadenassé. Ceux qui ont une longue expérience politique et des intrigues au sein des partis vous diront qu’on n’y peut rien – même pas l’électorat –, et que c’est la biologie qui s’en chargera. Votre opinion ?
Nous semblons tous l’oublier : Un homme politique, à fortiori un leader de parti, ne quitte jamais son siège. Il doit être poussé vers la sortie par un autre ou rencontrer la mort. Ce sont les deux seules façons pour lui de partir. A Maurice, nous avons inventé une troisième voie. On ne part que quand on est sûr de pouvoir mettre un membre de sa famille à sa place. Anerood Jugnauth nous a donné un brillant exemple de la manière dont la famille d’un homme politique pourrait avoir prépondérance sur le pays. Il a légué son trône à son fils sans la moindre gêne et sous les applaudissements frénétiques de ses partenaires.
En 1966, Gaëtan Duval devient le leader du PMSD non pas parce que dans un grand élan de générosité Jules Koenig lui cède la place, mais parce que Duval est parvenu à s’imposer en ralliant autour de lui des foules de plus en plus grandes et à politiquement isoler Jules Koenig. C’est ça la politique. Un rapport de force permanent. Aucun leader ne laisse sa place.
Concernant l’entrée en politique des fils et filles, moi je n’ai absolument rien contre. A partir du moment où le fils ou la fille passe par le suffrage universel et se fait élire, sa légitimité est complète. Ce qui n’est pas normal, c’est de mettre son fils ou sa fille à sa place sans aucun mandat populaire. On voit d’ailleurs à quel point les mauriciens sont choqués de voir jusqu’où on peut aller pour qu’une famille reste au pouvoir.
* Dans une interview accordée au Mauritius Times après la victoire d’Arvin Boolell au No. 18, Jean-Claude de l’Estrac disait que « Quatre Bornes annonce le mood électoral du pays tout entier ». Cette victoire personnelle pour Boolell n’a toutefois pas été un ‘game-changer’ pour le parti. Ce dernier reste bloqué, il semble être toujours en « stand-by mode » en attendant que les choses se clarifient en ce qui concerne les affaires de son leader devant les cours de justice. Est-ce délibéré ?
Je ne sais pas si c’est délibéré ou pas. Il faudrait le demander à Arvin Boolell. Mais vous avez raison : on note depuis sa brillante victoire aux élections de Belle-Rose Quatre-Bornes, un grand silence sur le plan politique. Pourtant, je pense que cette victoire du PTr est principalement dû à la personnalité de Arvin Boolell. Il y a un proverbe qui dit : « Tu peux emmener un cheval à la rivière mais tu ne pourras pas l’obliger à boire ». Peut-être qu’Arvin Boolell n’a pas soif.
* Tôt ou tard, le PTr devra trancher à propos de la question de leadership. De l’Estrac toujours disait dans une précédente interview que « Navin Ramgoolam devrait se poser la question de savoir s’il est le mieux placé pour assurer l’avenir de son glorieux parti ». Qu’en pensez-vous ?
Je crois que Jean Claude de L’Estrac a tout à fait raison. Navin Ramgoolam doit se poser la question à propos de l’avenir de son parti. Sa responsabilité est d’autant plus grande qu’il a emmené son parti avec son talent et sa force de conviction, à des sommets que même Sir Seewoosagur n’a jamais pu atteindre au cours de sa longue carrière. De par ses succès, sa responsabilité est encore plus lourde. Lui seul sait s’il est le mieux placé pour gagner les élections à venir. Certains en sont convaincus. D’autres sont dubitatifs.
Si l’on s’en tenait à la tradition westminstérienne qui veut qu’un leader de parti qui perd une élection démissionne du leadership, il ne resterait plus un seul leader d’aucun parti actuellement en fonction à Maurice. Mais Westminster, c’est Westminster et les bananeraies restent des bananeraies. Il faut avoir le courage de se l’avouer.
* Le PTr s’est fait élire en 2005 sur la base de son discours sur la « démocratisation de l’économie ». Le discours aujourd’hui est tout autre ; on parle de « rupture », mais on ne sait pas vraiment ce que les Travaillistes entendent par « rupture ». Qu’est-ce que vous auriez souhaité voir en termes de rupture?
Je pense sincèrement que des changements radicaux doivent être apportés au fonctionnement de notre économie, notre système social, notre manière de faire la politique et notre rapport vis à vis des religions et de la géopolitique. C’est cela la rupture, cela n’a rien de révolutionnaire dans le sens guerrier du terme et cela ne doit faire peur à personne sauf ceux qui profitent de cet état de choses.
Mais puisque vous parlez de la démocratisation de l’économie, je pense qu’elle a échoué, non pas à cause du gouvernement mais à cause de ceux qui contrôlent notre économie jusque dans ses moindres recoins et n’entendent pas laisser trainer la moindre miette pour les autres. Leur faim, est comme la soif du sirop Dowlut, elle ne connaît pas de limites. Ils ont fait ce qu’il fallait faire pour que rien ne puisse changer, pour qu’aucune démocratisation ne soit possible. Et ils ont réussi. Brillamment.
Concernant la géopolitique, ce qui se passe à Agaléga est inquiétant. Nous allons tout droit vers un nouveau Diégo Garcia. L’Inde joue sa carte et Maurice est devenue comme un terrain pour les différends géopolitiques que vivent l’Inde et la Chine. Je ne sais pas si on doit trouver une corrélation entre la puissante poussée diplomatique indienne, les aides financières qui pleuvent, les tractations étranges autour d’Agaléga et le fait que, pour la première fois depuis l’existence de la conférence des chefs d’Etat de la Francophonie, Maurice n’a pas été représentée par le premier ministre. Jamais, sous Anerood Jugnauth, Paul Bérenger ou Navin Ramgoolam, on n’a vu Maurice ne pas être représentée par son premier ministre au sommet de la Francophonie, comme au Sommet du Commonwealth, d’ailleurs.
Le sacrosaint équilibre diplomatique – instauré par Sir Seewoosagur Ramgoolam en 1968 qui a tant contribué à construire Maurice – est en train de basculer. On ne le dit pas souvent, mais la diplomatie économique qu’a menée Navin Ramgoolam a été une des plus remarquables depuis l’indépendance. Il a su garder avec tact et volontarisme un équilibre précieux entre tous les pays amis de Maurice.
* Qu’en est-il de l’avenir du MMM? Paul Bérenger demeure-t-il toujours la meilleure carte pour le MMM ?
Paul Bérenger est, à juste titre, le leader incontestable du Mouvement Militant Mauricien. Il l’a fait de ses mains et, quelques fois même, l’a défait. Peu importe. Sa légitimité est totale. Il porte dans sa chair ce parti naît de rien si ce n’est de son courage et de ses convictions.
Quand nous voyons aujourd’hui le désintérêt des jeunes pour la politique, il est de bon ton de reprendre en chœur qu’ils sont dégoûtés de la chose publique. Mais un regard plus précis permet aussi de croire qu’il y a d’autres raisons que celles énoncées. J’appelle cela la génération « Trip advisor » : il faut à tout prix savoir ce que les autres pensent pour avoir une pensée. On suit le mouvement, tout le monde dit que c’est bien ! Alors c’est que c’est bien. Le courage d’aller voir, de se faire SA propre opinion s’est envolé.
Une pensée articulée venant de soi, de ses convictions profondes ? Ayo less nu guetté ki lé zot pé dire. Pli fasil. Je pense que la nouvelle génération est souvent composée de militants de salon et de facebook. On s’offusque tranquillement derrière un shot de Vodka/Red bull en écoutant DJ machin. Mais pour y consacrer ses heures à mener un combat de convictions, on ne voit plus grand monde.
Pour en revenir à Bérenger, son début de carrière devrait être un exemple pour les jeunes de cette génération qui veulent s’engager. Il a montré que les convictions et le travail assidu, le courage et l’engagement total pouvaient déplacer des montagnes.
Ce qui s’est passé par la suite est sans doute moins convaincant. Le cynisme, ayant remplacé la foi, non seulement les montagnes ne se sont plus déplacées, mais elles se sont multipliées.
Aujourd’hui il semblerait qu’il ait rallié lui aussi la conception dynastique. Si Joanna Bérenger se révèle une personnalité ayant l’envergure de diriger un parti et qu’elle se fait élire au suffrage universel, je ne vois pas ce qu’il y aurait à dire. Elle a autant de droit qu’un autre.
* Par ailleurs Paul Bérenger disait l’année dernière que « mon parti a un boulevard devant lui… » – pour des raisons évidentes : la rupture entre le PTr et le MSM, d’une part, et les gaffes commises par le Gouvernement. C’est sa dernière chance, n’est-ce pas, et Bérenger ne la laissera pas s’échapper?
On connaît les prévisions et les prédictions de Paul Bérenger en matière électorale. De manière générale, il s’achemine toujours vers une grande victoire qui finalement ne l’est pas vraiment ; ce qui nous mène au sempiternel « Seul contre tous, la lutte continue, MMM vaincra »…
Mais l’élection qui vient pourrait marquer un tournant dans la politique mauricienne, si les trois partis dominants choisissent d’aller seul aux élections, de se présenter devant l’électorat avec un programme et des choix clairs. Cela apporterait une clarté dans le débat et surtout enterrerait une fois pour toutes les prétentions démesurées affichées bien souvent à la veille de la conclusion d’une alliance.
L’élection de remplacement de Quatre-Bornes a été remarquable sur ce plan. Elle a mis au grand jour la vraie force des uns et des autres. Une élection à trois assainirait la situation et nous pourrions, si besoin est, connaître comme l’Allemagne et d’autres pays européens les vertus des coalitions post-électorales et cela éloignerait le spectre des 60-0 qui finissent toujours dans le chaos politique.
* Published in print edition on 1 February 2019
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