Un problème d’équité fiscale
|Taxes sur les Carburants – Causes et Effets
Par Prakash Neerohoo
La grève de la faim de 22 jours effectuée par le citoyen Nishal Joyram pour réclamer une baisse des prix des carburants (essence et diesel) dans la foulée de la chute des prix du pétrole sur le marché mondial a attiré l’attention publique sur le problème de l’inflation à Maurice.
En général, la majeure partie de l’inflation à Maurice est importée à travers les prix d’importation que le pays doit payer pour tous ses produits de consommation courante. Toutefois, seul le facteur exogène (prix à l’importation) n’explique pas lacherté des prix des carburants. Il y a aussi un facteur endogène, notamment les diverses taxes et contributions prélevées par l’État sur chaque litre de carburant. Cela pose un problème plus fondamental, celui de l’équité fiscale dans la société.
Contexte international
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de comprendre le contexte économique international des prix des produits pétroliers et le mécanisme de fixation des prix des carburants à Maurice. Les prix mondiaux du pétrole sont déterminés par la loi de l’offre et de la demande dans le monde, laquelle est elle-même influencée par la production des pays exportateurs de l’OPEP, entre autres facteurs. Les prix du pétrole brut ont évolué en dents de scie au cours des dernières années avec des hausses, suivies de baisses.
Le Tableau 1 indique l’évolution comparable du prix en dollars du pétrole Brent par baril et le prix de l’essence à Maurice du 16 décembre 2019au 6 décembre 2022.
Dans beaucoup de pays, les prix au détail des carburants reflètent les mouvements dans les prix mondiaux du pétrole. Tel n’est pas le cas à Maurice où les prix des carburants sont fixés par la State Trading Corporation (STC), un organisme d’État qui a le monopole sur l’importation des produits pétroliers.
Selon les chiffres de la STC, le prix de l’essence a augmenté de Rs 44 par litre en décembre 2019 (en référence au prix du Brent de 65,70$/baril) à Rs 74,10 depuis mai 2022 (en référence au prix du Brent de112,20 $/baril).Le cours du pétrole Brent est tombé à 79,60 $ par baril le 6 décembre 2022, mais le prix de l’essence par litre est resté inchangé à Rs 74,10.
Il y a donc une corrélation négative entre le prix mondial du pétrole et le prix local de l’essence qu’aucune raison ne saurait expliquer, autre que la volonté du gouvernement de maintenir les prix des carburants à des niveaux élevés pour continuer à traire une vache à lait au nom de l’État.
Contexte local
En effet, si l’on examine la composition des prix des carburants, on constatera une grande différence entre le prix d’achat (Coût, Assurance, Fret) et le prix de vente â la pompe.
Le Tableau 2 montre les différents éléments qui entrent dans la composition du prix au détail. On voit que la valeur CAF est seulement de Rs 36,33 sur le prix de Rs 74,10 par litre. La différence est représentée principalement par des facteurs qui n’ont aucun rapport avec les coûts d’importation et d’exploitation de la STC.
Ces facteurs étrangers sont les taxes (Taxe d’accise et VAT) et les différentes contributions prélevées sur le prix de vente pour des besoins de financement divers tels que la contribution à la Road Development Authority (RDA), la contribution aux frais de transport à Rodrigues, la contribution pour la construction de facilités de stockage, et la subvention sur les denrées de base (riz, farine, gaz naturel).
Comme l’indique le Tableau 3, les taxes et les contributions prélevées à la source totalisent Rs 33 par litre d’essence, soit 44,53% du prix de vente au détail. Àtitre de comparaison, les taxes sur l’essence représentent 30% du prix à la pompe en Ontario, au Canada. Elles comprennent la taxe d’accise fédérale (10 cents par litre), la taxe de vente provinciale (9 cents par litre), la VAT fédérale (13%) et la taxe fédérale sur le carbone (11,10 cents par litre).
Le 19 décembre 2022, le prix par litre d’essence ordinaire en Ontario, au Canada, était de 1,36 $ (dollar canadien), soit Rs 43,52 au taux de change de Rs 32 par dollar. En termes de parité du pouvoir d’achat, on constate donc que le prix de l’essence est beaucoup moins cher en Ontario (Canada) qu’à Maurice alors que le salaire minimum est plus élevé en Ontario (15 $/Rs 480 par heure) en comparaison avec Maurice.
Les prix des carburants ont un effet multiplicateur dans l’économie en général. Lorsque le prix de l’essence prend l’ascenseur, il cause toujours un effet domino en poussant le coût de la vie encore plus à la hausse. Les transporteurs refileront la facture à leurs clients, lesquels la feront payer par les consommateurs. C’est un cercle vicieux qui perpétue la spirale de l’inflation. Celle-ci à Maurice a atteint 11,9% en novembre 2022, selon les chiffres officiels. Or, selon les évidences qui nous proviennent du terrain, tout indique une poussée inflationniste plus importante, d’où cette inquiétude grandissante du coût de la vie qui a poussé un citoyen à une grève de la faim, sans toutefois réussir àchanger d’un iota la politique officielle.
Poids des taxes indirectes
Pourquoi le gouvernement refuse-t-il de baisser les taxes sur les prix des carburants ? Il y a trois raisons
- La STC se voit obligé de renflouer ses caisses après avoir déboursé Rs5,4 milliards en dommages à la compagnie Betamax qui a eu gain de cause contre l’État après la résiliation de son contrat de transport de produits pétroliers.
- La STC a payé des dividendes à l’État, ce qui a réduit ses réserves.
- L’État veut utiliser les taxes sur les carburants afin de recueillir des fonds supplémentaires pour le paiement de la pension universelle de vieillesse, des pensions de retraite et autres prestations sociales qui sont déboursées à partir de son Compte de Revenu Consolidé (Consolidated Revenue Fund). La CSG, introduite en remplacement du Fonds National de Pension, ne recueille pas suffisamment de fonds pour alimenter les caisses de retraite.
Et c’est là la raison principale, la trésorerie de l’État dépend massivement des taxes indirectes (VAT, taxes d’accise) et des contributions prélevées à la source sur les prix des carburants pour le financement des dépenses publiques. Plus les prix des carburants sont forts, plus les taxes indirectes rapportent à l’État en termes de recettes fiscales. L’inflation augmente les revenus tirés de la VAT, la plus grande source de revenu fiscal, comme indiqué dans le Tableau 4. A elle seule, la VAT représente 39% du revenu fiscal total du gouvernement.
Taxes directes
Depuis 2006, il y a eu un changement de paradigme dans la fiscalité mauricienne qui a diminué la part des taxes directes (impôt sur le revenu des particuliers et impôt sur les sociétés) dans le revenu fiscal total du pays et augmenté la part des taxes indirectes.
Comme l’indique le Tableau 4, la part des taxes indirectes dans le revenu fiscal total du pays est de 67% contre 33% pour les taxes directes (impôts sur les revenus des particuliers et des sociétés).Ce changement s’est effectué selon cette philosophie néolibérale qui veut que la fiscalité soit axée davantage sur la consommation que sur le revenu. Le raisonnement sous-tendant cette politique est que l’impôt sur le revenu devrait être maintenu à un niveau faible pour être une incitation au travail, à l’effort et à l’investissement. Or, ce sont les contribuables riches qui bénéficient de cette fiscalité directe légère.
Ainsi, l’impôt uniforme de 15% sur le revenu fut introduit en 2006 pour tous les contribuables (individus et sociétés). Depuis, un taux d’imposition de base de 10% et une taxe de solidarité de 25% sur la tranche de revenu supérieure à Rs 3 millions par an ont été ajoutés dans l’assiette fiscale.
Contrairement aux pays sociaux-démocrates de l’Ouest, Maurice a abandonné la fiscalité directe progressive en faveur de l’impôt uniforme de 15% et la fiscalité indirecte régressive. Les taxes indirectes affectent davantage les pauvres et la classe moyenne dans la mesure où elles représentent une proportion croissante de leur revenu. Le fardeau fiscal des taxes indirectes est plus fort pour les ménages à revenu bas ou moyen que pour les ménages à revenu élevé.
Équité fiscale
Une panoplie de nouvelles mesures est nécessaire afin de réduire la dépendance de l’État sur les taxes indirectes, restaurer l’équité fiscale, assurer une meilleure redistribution des richesses et élargir la capacité contributive de l’économie. Entre autres mesures, l’État devrait :
- réintroduire l’impôt progressif sur le revenu avec un taux d’imposition de base de 10% et des taux d’imposition marginale de 15%, 20%, 25%, 30%, 35% et 40% selon les tranches de revenu supérieures;
- introduire une taxe immobilière nationale en mettant villes et villages sur un pied d’égalité;
- appliquer l’impôt sur le revenu sur les dividendes aux taux d’imposition marginale mentionnés ci-dessus;
- introduire une taxe sur les plus-values des biens mobiles (actions, bijoux, bateaux, objets de valeur) et immobiliers (bâtiments, maisons, campements) pour restreindre l’enrichissement facile des propriétaires;
- appliquer la taxe sur la conversion de terres agricoles pour des morcellements aux fins immobilières sans aucune exemption pour une partie quelconque; et
- appliquer l’impôt sur les sociétés de 15% sans aucune distinction en supprimant l’exemption de 80% de la taxe qui est offerte aux sociétés off-shore et aux compagnies d’exportation.
Mauritius Times ePaper Friday 13 January 2023
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